Chapitre 8 : être fauchés ou fauchés

Par Elly

  —  Où est Evan ? On n’attend plus que lui ! râla Alizéha.

  —  Il est parti à la poursuite du farfadet qui lui a volé sa chaussette, l’informa Novaly.

La déesse secoua la tête, dépitée. Tila éclata de rire. Les forêts regorgeaient de monstres, et lui arrivait à se quereller avec le plus faible d’entre eux. Ces petites créatures dotées d’une paire d’ailes de libellule et de deux cornes étaient inoffensives. Elles se nourrissaient de fruits, donc les voyageurs ne craignaient rien d’elles, hormis leur tendance à les tourmenter. Il n’était pas rare que des affaires disparaissent. Avec l’expérience, on s’habituait à les surveiller, mais Evan vivait comme si aucun danger ne le guettait.

  —  Un jour, des farfadets lui déroberont son poignard et il sera bien embêté, maugréa la déesse.

Depuis leur départ de Théria, ils avaient parcouru les chemins pour atteindre la première étape de leur périple. Alizéha porta sa main au-dessus de ses yeux pour observer le positionnement du soleil. Sous les rayons de l’astre, sa peau chauffait et les feuilles des arbres scintillaient. Elle estimait qu’il était neuf heures passées.

Le seul vestige de leur camp était les morceaux de bois brûlés entassés. Alizéha avait jeté les restes du lapin cornu chassé par Tila pour éviter que l’odeur attire les bêtes malgré les pierres protectrices. La guide griffonnait dans un carnet ses dernières découvertes en matière de botanique, adossée contre un arbre. À côté d’elle, Novaly retravaillait Esphen avec ses outils comme un médecin en pleine opération chirurgicale.

  —  Tu parles ! ricana la forgeronne. Ce n’est pas comme s’il savait s’en servir ! Vous l’avez vu face aux crocs d’argent ?

Alizéha sentit le coin de ses lèvres remontées en se remémorant leur affrontement contre ces créatures, descendantes de Fenrir, le légendaire loup de Mère Nature. Les dents luisantes et acérées qui dépassaient de leur gueule rendaient leur morsure aussi dangereuse que douloureuse. Une meute les avait attaqués en cours de route. Evan avait filé se réfugier dans un arbre, mais le plus jeune des crocs d’argent en avait profité pour le charger. Le voleur avait dégainé son poignard… et l’avait laissé tomber dans la panique. Un geste qui aurait pu être dramatique si Tila n’était pas intervenue en tirant une flèche.

Un bruissement retentit. Des buissons émergea Evan, légèrement essoufflé. Il brandit sa chaussette avec fierté.

  —  Ce voleur de pacotille ne m’aura pas ! Par contre, j’ai les oreilles qui sifflent. Vous avez parlé de moi, c’est ça ?

  —  Plus précisément de tes compétences au combat et de ton courage inébranlable face aux monstres, ironisa la forgeronne.

Il fit la moue, frustré d’être moqué. Il bougonna en s’asseyant sur l’herbe pour enfiler sa chaussette sur son pied nu sali de terre.

  —  À défaut de savoir vaincre un monstre, je préfère me cacher et ne gêner personne, quitte à paraître lâche, pour avoir la vie sauve.

Personne ne le contredit car il avait raison. Un lâche intelligent était préférable à un boulet arrogant qui les mettrait tous en péril. Evan n’était pas un combattant et ne savait ni cuisiner ni chasser, mais il compensait ses lacunes par sa bonne volonté. Il accompagnait souvent Tila à la chasse ou à la cueillette pour l’épauler et apprendre par la même occasion. Alizéha avait été surprise lors du trajet jusqu’à Théria. Insouciant comme il était, elle s’était attendue, à tort, à ce qu’il paresse ou se repose sur elle. Elle n’avait pas craché sur son aide pour préparer les repas.  Malgré l’envie de l’interroger sur les raisons pour lesquelles il voyageait malgré l’absence de capacité de survie, les questions ne franchissaient jamais ses lèvres. L’idée de se rapprocher d’un humain lui créait un nœud un l’estomac. Elle devait garder de la distance.

Novaly rangea ses outils dans sa sacoche. Esphen tressauta sur ses genoux, reprenant soudain vie, et vint se lover contre son cou en croassant. Elle le caressa et se leva.

  —  Je reconnais que manier l’épée n’est pas donné à tout le monde, mais de nos jours, ne pas savoir utiliser un poignard est chose rare, en plus d’être déconseillé. Ce monde nous est hostile.

  —  On n’a pas tous un parent ou un instructeur pour nous enseigner.

Evan se chaussa, s’affairant à lasser ses bottes. Bien que son attitude soit désinvolte, son ton avait été plus sec que d’habitude. Novaly ne creusa pas davantage, mais secoua la tête, désapprobatrice.

  —  T’es comme un faon qui vient de naître, c’est dangereux.

  —  Tu t’inquiètes pour moi ? Comme c’est mignon. Si tu as envie d’être mon instructrice, tu n’as qu’à le dire.

  —  J’attendais que tu me le proposes.

Elle dégaina sa dague. Evan déguerpit avec son sac à l’instant où Novaly s’approcha de lui, un sourire sadique sur son visage. Ce fut avec les récriminations d’Evan l’accusant de vouloir en profiter pour l’éliminer et les réfutations peu convaincantes de Novaly qu’ils reprirent la route. 

Les arbres défilaient et le soleil parcourait le ciel au fur et à mesure que le temps s’écoulait. Leurs pieds foulaient les sentiers à un rythme régulier. Après plusieurs jours de marche, leurs jambes étaient habituées à la fatigue et aux muscles tiraillés. Novaly ne se plaignait plus à cause des courbatures. Quand on forgeait à longueur de journée, certains muscles travaillaient davantage que d’autres. Désormais, elle savourait les paysages sauvages qui se profilaient au fil du voyage, admirant les champs de fleurs, les lacs miroitants, les bois luxuriants et les cascades naturelles.

Il leur arrivait de croiser d’autres voyageurs, souvent des marchands avec un chariot tiré par un cheval. Evan et Novaly sautaient sur l’occasion pour sympathiser avec eux et les convaincre de les transporter. C’était une première pour Alizéha qui évitait de se faire remarquer. Néanmoins, le gain de temps et d’énergie était non négligeable. Comme Tila était avec elle et que ce serait suspect de refuser, elle ne s’opposait pas. Elle ne feignait pas pour autant l’enthousiasme. Heureusement, les transporteurs préféraient discuter avec Evan ou Novaly que de s’intéresser à elle, la voyageuse taciturne.

Sur le chemin, ils croisèrent un marchand. Il avait des pattes d’oie au coin des yeux et du gris se mêlait à ses cheveux noirs. Envouté par l’éloquence de la forgeronne et du voleur, il accepta de les laisser monter dans sa charrette. Ils poussèrent quelques paquets et s’installèrent. Les épaules d’Alizéha se crispèrent lorsque le regard intrigué du commerçant s’attarda sur elle. La déesse baissa la tête en veillant à garder son calme. Depuis que Tila n’était plus sa seule compagne, la crainte que son identité soit découverte la hantait. Elle était sans cesse sur le qui-vive et vérifiait soigneusement que la repousse de ses cheveux ne la trahissait pas et que sa teinture tenait. C’était épuisant, mais la présence de Tila l’apaisait. Cette dernière, assise à côté d’elle, lui donna un coup de coude. Elle avait remis son voile, comme à chaque fois qu’un individu croisait leur route. Alizéha devinait l’expression moqueuse que sa guide affichait. La déesse fit la moue, mais tâcha de se détendre. Elle se concentra sur les montagnes qui se dessinaient à l’horizon.

Le marchand bavarda avec Novaly et Evan, puis les interrogea sur le but de leur voyage.

  —  Où vous rendez-vous ?

  —  À Olia, répondit Novaly.

  —  On part à la recherche des sirènes ! compléta fièrement Evan.  

La déesse fusilla du regard le voleur devant elle qui haussa les épaules. Elle qui ne voulait pas attirer l’attention, la voilà servie ! Le vieil homme éclata d’un rire sonore.

  —  Ah, la jeunesse ! C’est beau d’avoir des rêves.

  —  Vous ne croyez pas en nous ? Je suis vexé, ironisa Evan.

  —  Personne n’a trouvé Atlantis depuis la Rupture. Permettez-moi d’avoir quelques doutes sur vos chances de réussite.

Atlantis était le territoire des sirènes, dont la localisation était inconnue. De nombreux marins l’avaient cherché, en vain. Certains n’étaient jamais revenus de leur expédition mais la déesse ne pouvait pas croire que personne n’avait jamais trouvé la moindre piste alors que les hommes écumaient les mers depuis des siècles. À Olia, là où les explorateurs des océans et les rêveurs avides se réunissaient, elle parviendrait à tracer son chemin jusqu’à Atlantis. Elle comptait sur les pouvoirs de Tila. Son intuition les aiderait à trouver des indices, du moins, Alizéha l’espérait.

Un rictus écorcha les lèvres de Novaly, et l’estomac d’Alizéha se noua à l’idée que la forgeronne se targue de leur atout, ce qui éveillerait les soupçons sur l’identité de Tila. Heureusement, elle ne dit rien. Le reste du voyage se déroula dans un silence confortable. Bercée par les tremblotements de la charrette, Alizéha parvint à relâcher la pression. Elle savoura le doux vent printanier qui transportait avec lui le parfum des fleurs, l’observa courir sur les étendues d’herbes vertes avant de s’enfuir dans la forêt de pins qui bordait les montagnes. Cette accalmie était comme une pause lui permettant de souffler, jusqu’à ce que la réalité la rattrape. Elle se raidit en croisant les yeux noirs d’Evan qui la scrutaient intensément. Il détourna le regard quand le visage d’Alizéha se durcit. Ça n’avait duré qu’un instant mais c’était suffisant pour que le doute l’assaille. Voyager en groupe avait du bon, les repas et les trajets étaient plus animés, et du mauvais : la moindre étincelle ravivait ses craintes. Elle pria Oreste, dieu de la peur, de la laisser tranquille, tout en sachant que c’était inutile. Il ne l’écouterait pas.

Ils atteignirent la frontière. Pour rejoindre la cité de l’eau, ils devaient passer par le territoire des géants. Fidèles à Théria et hostiles aux hommes, ils s’étaient installés dans les montagnes. Les contourner rajoutait des semaines de marches et les traverser impliquait de franchir le Brouillard des Tourments qui encerclait la zone. Alors, pour éviter de se mettre en danger, on la survolait.

Ils descendirent de la charrette. La frontière était marquée par un mur rouge brique haut de trois mètres sur lequel était accroché un blason luisant aux couleurs vives avec l’emblème de la compagnie Dragons des cieux. Il représentait une créature serpentine dotée d’une paire d’ailes. Après leur avoir souhaité bonne chance, le vieil homme se dirigea avec sa cargaison vers le passage plus large dédié aux commerçants. Quant à eux, ils franchirent la voute en pierre qui débouchait sur une vaste aire parsemée de bâtiments plus grands que des étables. Des criaillements s’en échappaient. Les voyageurs marchèrent vers l’édifice le plus proche. L’unique pièce était plus longue que larges et assez grande pour contenir deux files d’attentes. Le parquet était terne à force d’avoir été piétiné et la lumière du jour peinait à s’infiltrer à travers les carreaux. Quelques personnes se disputaient à cause de bagages qui prenaient trop de place. C’était le genre de lieu dans lequel on s’impatientait vite. La seule distraction venait des tapisseries colorées qui retraçaient l’histoire de cette compagnie. Et encore, à la vitesse à laquelle les gens avançaient, il ne fallait pas être pressé pour découvrir la suite du récit.

Devant eux, plusieurs personnes faisaient la queue au comptoir. Derrière le personnel était affichée une pancarte avec les prix. Alizéha se tourna vers Evan et Novaly.

  —  Si vous sympathisez avec les caissiers comme avec les commerçants, vous croyez qu’ils nous laisseront passer gratuitement ?

  —  Malheureusement, mon charme risque de ne pas suffire, se désola le voleur.

  —  Je ne suis pas assez éloquente pour y arriver, se justifia la forgeronne.

Alizéha pinça les lèvres, frustrée. Ce n’était pas elle qui y parviendrait. Elle n’avait pas la patience et le sang froid pour négocier.

  —  C’est de ta faute si on est ruinés, l’accusa Evan.

  —  Tu plaisantes ? gronda la déesse.

  —  Non, dorénavant, tu es Lize-la-faucheuse : quiconque croise ta route se retrouve fauché. Dès que je t’ai rencontrée, j’ai tout perdu, et quand on a retrouvé Tila, ses économies sont parties en fumée.

La mâchoire d’Alizéha se décrocha. Elle, responsable ? C’était lui, le fautif qui, ivre mort, s’était fait voler et les avait impliquées dans ses problèmes avec les gardes de Venthos ! Alizéha sentit ses doigts fourmiller comme si ses mains la suppliaient de les refermer autour du cou de cet impudent. Le contraste entre le visage malicieux du voleur et la mine courroucée de la déesse amusait Tila et Novaly.

  —  Je n’ai pas envie de nettoyer le sang d’Evan donc j’interviens pour prouver que cette légende est fausse : j’ai de l’argent sur moi, annonça Novaly. Après tout, il en faut pour boire tout son saoul dans une taverne.

Elle sortit une bourse de sa besace et la passa à Alizéha. Son œil gris brillait autant que les pièces entassées au fond du porte-monnaie. Attirée par l’argent comme un souris avec du fromage, Tila plongea aussi son nez dedans.

  —  Ce sera tout juste assez pour payer deux vouivres, décréta-t-elle.

  —  Après ça, on sera vraiment sans un sou, soupira Novaly.

  —  Je vous avais prévenu ! clama Evan. C’est la malédiction de Lize-la-faucheuse !

Les filles feignirent le choc, sauf Alizéha qui serra la bourse dans sa main, hésitant à étouffer le voleur avec. Elle choisit plutôt de la porter sur son épée.

  —  Lize-la-faucheuse a justement oublié de faucher quelqu’un… Elle va rectifier ça.

Avant qu’elle n’ait pu dégainer Virko, sa guide la tira par le bras pour la mener jusqu’au comptoir avec l’aisance d’un maître habitué à gérer le tempérament de son chien agressif. Après des années à s’occuper de la déesse de la colère, une humaine immortelle sur les nerfs n’était pas un problème.

Ils payèrent la somme requise pour deux vouivres. Evan et Novaly ne savaient pas diriger une monture donc il était prévu qu’Alizéha et Tila forme chacune une équipe avec l’un d’eux. On les invita à rejoindre une des immenses étables. Lorsqu’ils entrèrent, des cris stridents percèrent leurs tympans. Ils grimacèrent en se pinçant le nez. Leur ouïe n’était pas le seul sens malmené, l’odeur de fumier et de viande crue piquait leurs narines. Les vouivres étaient carnivores et voraces ; bien nourries, elles se tenaient tranquilles dans leur compartiment, mais si on ne les alimentait pas plusieurs fois par jour, elles se rebellaient et tuaient tout ce qui bougeait, y compris leurs congénères. Pour assurer le service de la compagnie, les gérants des étables veillaient à leur bien-être afin que le vol des clients se déroule parfaitement.

Une jeune femme avec une queue de cheval s’approcha d’eux. Les deux seaux qu’elle portait dégageaient une odeur rebutante.

  —  Bonjour, je suis Lydia. Vous avez payé pour combien de montures ?

  —  Deux, répondit Tila.

  —  Parfait. Je viens de nourrir Beky et Worlo, vous effectuerez le trajet avec eux.

Lydia les guida à travers l’étable. D’autres employés versaient de la chair hachée dans des bacs devant les portes des compartiments. À l’aide d’un mécanisme, le récipient rempli passait du côté de la vouivre. Rassasiées, elles étaient inoffensives. Mieux valait cependant éviter de s’approcher d’elles au moment de les nourrir.

Lydia ouvrit deux compartiments. À l’intérieur, les créatures se reposaient, leurs larges ailes repliées contre elles. On racontait que les vouivres étaient les descendantes des dragons, disparus depuis longtemps. Plus petits et fins que leurs ancêtres, ces reptiles bipèdes avaient une peau squamée aussi épaisse que du cuir et pouvait porter jusqu’à deux personnes sur leur dos.

Lydia passa un licol autour de leur tête et les sortit de leur box. Pendant qu’elle finissait de les équiper, Alizéha contempla Beky. Sa jambe faisait la taille de la déesse. Ses écailles brun rougeâtre luisaient comme du cuivre et ses yeux jaunes fendus par une pupille verticale étaient rivés sur elle. Alizéha avança prudemment sa main pour lui caresser le museau. Un grognement satisfait gronda dans sa gorge.  

  —  On dirait que Beky vous aime bien, constata Lydia.

Alizéha en était ravie. Les humains la détestaient, mais au moins, les animaux l’appréciaient.

Novaly attrapa le poignet de Tila et se rapprocha de la deuxième vouivre.

  —  Tila et moi, on monte Worlo, déclara Novaly.

  —  Pourquoi c’est toi qui devrais être avec Tila ? protesta Evan.

  —  Tu t’entends tellement bien avec Lize que je n’ai pas envie de vous séparer. Regarde comme elle est heureuse à l’idée de faire le voyage avec toi !

Il pivota vers la déesse qui affichait un sourire carnassier. Elle adressa un regard complice à Novaly.

  —  Tu es tellement attentionnée.

  —  Eh… Vous êtes en train de fomenter un assassinat contre moi, là, fit remarquer Evan. Lydia, vous en êtes témoin ?

  —  Je ne vois que deux femmes qui ne cherchent que votre bien… Tout seul, là-haut, vous allez passer un bon moment. Suivez-moi !

Sur ces mots, Lydia emmena les vouivres à l’extérieur, abandonnant le jeune homme indigné derrière elle. Dehors, une vaste étendue de terre s’étalait sur plusieurs mètres. Un client se préparait à prendre son envol. Il était tellement nerveux qu’il tirait n’importe comment sur les rênes, au grand désarroi de la créature et du personnel. En attendant que la piste soit dégagée, Alizéha rejoignit Tila, restée bien silencieuse jusque-là. Elle la connaissait depuis assez longtemps pour sentir quand quelque chose la préoccupait.

  —  Un problème ? On doit annuler ?

Sa guide secoua la tête, faisant onduler son voile blanc.

  —  Non. C’est inévitable. Tiens-toi prête.

Alizéha avait l’impression qu’une pierre lui tombait dans l’estomac. Elle scruta le ciel dégagé, comme si elle trouverait dans ce bleu éclatant la menace qui planait au-dessus d’eux. Son estomac était lourd. Le poids de l’appréhension, sans doute. Elle roula ses épaules pour tenter de détendre ses muscles. Son corps était pareil à un arc près à tirer, sauf que le danger n’était pas encore là. Elle souffla bruyamment, agacé de sentir cette pression sur elle.

Le client et sa vouivre disparurent à l’horizon. Tila puis Novaly grimpèrent sur Worlo. Ses écailles bleu outremer miroitaient au soleil. Alizéha monta sur Beky, le cerveau s’épuisant à lister tous les dangers qu’ils pourraient rencontrer. Evan se hissa à son tour derrière elle et s’accrocha à sa taille.

  —  Lize… ?

  —  Oui ?

  — Tu sais, l’histoire de la malédiction, c’était une petite plaisanterie pour détendre l’atmosphère… Mais je te demande pardon si ça t’a énervée.

  —  Pourquoi t’excuser maintenant ?

  —  Oh, je ne sais pas, peut-être parce qu’à tout moment, tu peux te venger en me faisant tomber dans le vide ?

  —  Ne t’inquiète pas. Puisque tu t’es excusé, je te rattraperai juste avant que tu t’écrases.

Elle tira sur les rênes et Beky s’élança dans les airs. Les cris d’Evan dans ses oreilles étaient un mélange de jurons et de supplications tandis qu’ils montaient de plus en plus haut dans le ciel. Le vol était plus turbulent sur le dos d’une vouivre que sur celui d’un hippalectryon. Alizéha ricana en sentant la prise d’Evan se resserrer autour de sa taille. Plus loin, Novaly était dans le même état que lui, arrachant quelques rires à Tila.

L’amusement dissipé, Alizéha retrouva son sérieux. Elle ne devait pas se laisser distraire et rester sur ses gardes.

Les étendues d’herbes défilaient sous leurs pieds. Le vert foncé des pins remplaça la fraîcheur des prairies, s’étiolant jusqu’aux montagnes abruptes. De leur hauteur, les arbres qui recouvraient les monts ressemblaient à une couverture de mousse sur de la pierre. Il était conseillé de survoler pour éviter les températures froides et les effets inconfortables de la prise d’altitude. Alizéha était concentrée sur sa route, veillant à se maintenir à bonne hauteur, les mains crispées sur les rênes. Les ailes de Beky fouettaient l’air et le vent giflait le visage de la déesse.

Alors que les sommets défilaient sous leurs pieds, deux silhouettes dans le ciel attirèrent l’attention d’Alizéha. Elle plissa son unique œil pour distinguer ce que c’était. Elle crut d’abord voir de simples oiseaux qui se dirigeaient vers eux, mais plus ils s’approchaient, plus leur forme s’apparentait à celle des vouivres. Était-ce d’autres clients de la compagnie ? Lydia les avait mis au courant de cette éventualité et leur avait expliqué qu’ici, les vouivres ne craignaient aucun prédateur aérien. Cela ne suffit pas à rassurer Alizéha. Un mauvais pressentiment tordait ses entrailles. L’avertissement de Tila tournait en boucle dans sa tête. Elle dégaina Virko, ignorant les interrogations d’Evan, et ne quittait pas les créatures de vue dont les silhouettes se précisaient. Elles ressemblaient davantage à des serpents ailés, ne possédant aucune patte, avec un corps longiligne qui ondulait à chaque battement d’ailes. Ces dernières étaient faites de plumes bleues et argentées s’accordant aux écailles. Beky et Worlo poussèrent un cri menaçant. Le visage d’Alizéha se décomposa en reconnaissant les créatures. Il s’agissait de deux amphiptères, les animaux sacrés de Ninielle, la déesse de la tristesse.

Alizéha n’eut pas le temps de s’interroger sur la raison de leur présence car les amphiptères les chargèrent. Les deux femmes aux rênes esquivèrent. Une course-poursuite commença où chacune cherchait à se débarrasser de son poursuivant. Malheureusement, les vouivres étaient plus lourdes et grosses que les amphiptères. Les serpents ailés avaient l’avantage de la vitesse. Tila était occupée à diriger Worlo. Novaly ne pouvait prendre le relai, la guide était dans l’incapacité de se défendre avec son arc. Dans ces conditions, un poignard était inefficace. Alizéha lança son épée sur ses deux compagnons.

  —  Virko, protège-les !

La lame vrombit et tournoya autour de Worlo, assaillant l’amphiptère dès qu’il s’approchait trop près de lui.

  —  Et nous, on fait comment pour se défendre ? s’enquit Evan d’une voix blanche.

  —  On se débrouille.

Alizéha avait le souffle court et de la sueur perlait son front comme si c’était elle qui zigzaguait dans l’air à la place de la vouivre pour éviter la morsure de l’amphiptère. Ses dents claquaient si forts près les oreilles d’Alizéha qu’elles sifflaient. Tout en esquivant les offensives de son poursuivant, elle réfléchissait à un moyen de le semer. Ils pourraient descendre dans la montagne et s’y cacher, mais ils ne parviendraient pas à fuir sans abandonner leur monture. Or, sans elle, ils seraient obligés de traverser la zone à pied et risquaient de croiser un géant…

  —  Lize ! À gauche ! cria Evan.             

Puisqu’elle était borgne, son angle mort était plus important. Elle ne put réagir à temps à l’attaque de l’amphiptère. La créature referma sa gueule sur le cou de Beky. Cette dernière poussa un hurlement déchirant et se débattit, mais la créature ne la lâcha pas. Du sang s’écoulait de la morsure, tachant ses écailles cuivrées, tandis que le venin du serpent la paralysait progressivement. Les battements des ailes de la vouivre ralentirent, devenant irréguliers. Puis elle se figea. L’amphiptère libéra sa victime et Beky tomba comme une pierre dans le vide.

Alizéha entendit Tila et Novaly crier leur nom. Elle vit les arbres qui tapissaient la montagne grossir dangereusement. Ses fesses décollèrent de la selle. Elle serrait si fort les rênes que les jointures de ses mains étaient blanches, et la prise d’Evan autour de sa taille l’étouffait.

Elle jura entre ses dents. La suite s’annonçait mal.

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Reveanne
Posté le 24/06/2025
Coucou!
C'est moi que revoilà (j'ai plein de chapitre en retard)
J'adore l'entrée en matière avec les farfadet voleur de chaussette... et j'adore Liz-la-faucheuse. XD
sinon , un chapitre dynamique, avec plein de worldbuiding. J'adore.
Manque juste une lichette de décors au début pour se situer.
sinon : super boulot!
Elly
Posté le 24/06/2025
Coucou !

Contente de te revoir ! (t'inquiète, moi aussi je dois lire tes derniers chapitres mais j'ai du mal à trouver le temps de me poser pour lire tranquillement sur PA, dernièrement xD)
ça me fait plaisir que le chapitre te plaise dans son ensemble ! Et je suis contente de ne pas trop mal m'en sortir sur les descriptions xD !

Merci pour ton commentaire !
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