Dans le bureau du directeur, Marlène prit une profonde inspiration, recentrant son esprit sur la raison de sa venue.
- Je veux passer la journée avec mes parents, déclara-t-elle d’un ton péremptoire, laissant entendre qu’il s’agissait d’un ordre, non d’une demande.
Maître Gilain, derrière son large bureau d’acajou, leva un sourcil, amusé par son assurance.
- Non, répondit-il, sa voix calme mais tranchante.
La mâchoire de Marlène trembla. Non ? Avait-elle bien entendu ? Elle n’était pas habituée à ce genre de réponse.
- Je vous paierai, reprit-elle, haussant le menton.
Sa voix portait une arrogance glaciale. Offrir de la magie, un trésor pour un simple magicien de fortune.
- Je veux que vous m’y téléportiez, insista-t-elle, appuyant chaque mot comme pour ancrer son autorité.
- Non, répéta maître Gilain, imperturbable. Les élèves ne voient leurs parents que pendant les vacances scolaires et les prochaines sont fin décembre. D’ici là, tu te contenteras du téléphone.
Marlène sentit une colère sourde monter en elle.
- Je vous paye le double, lança-t-elle d’une voix glaciale, consciente de la position de force que sa magie lui conférait.
Elle croisa les bras, certaine que cette offre suffirait à briser la résistance du directeur. Maître Gilain ne cilla pas. Un sourire carnassier étira ses lèvres, révélant une malice froide.
- Ce n’est pas une question d’argent, Marlène. C’est pour ton bien.
Elle fronça les sourcils, décontenancée.
- D’autant que, si j’ai bien compris, tes parents sont plutôt un frein pour toi.
Le ton était abrupt, presque cruel, et pourtant dénué d’émotion.
- Qu’est-ce que ça veut dire ? lâcha Marlène, piquée au vif.
- Tes conversations avec eux te font plus de mal que de bien, continua-t-il. Tu le sais, n’est-ce pas ?
Elle soutint son regard, refusant de céder un pouce de terrain. Mais ses poings serrés trahissaient sa frustration.
- 100 kum, finit par annoncer maître Gilain, la fixant avec intensité.
Marlène resta figée un instant. Elle calcula rapidement : cent mille euros pour une journée en famille. Didier hurlerait s’il savait. Mais elle, elle n’avait pas l’habitude qu’on lui dise non, encore moins qu’on lui impose des limites.
- D’accord, grinça-t-elle, sa voix trahissant un mélange de colère et de triomphe.
- Très bien. Mais il y a des règles.
Le ton du directeur était redevenu neutre, presque professionnel.
- Tu n’en parleras à aucun autre élève. Tu diras que tu as passé la journée à méditer dans une salle vide.
Marlène acquiesça, son sourire forcé masquant à peine son mépris pour ces conditions absurdes. Devant tenir son masque de magicienne de fortune, elle avait tout intérêt à garder cette petite sortie secrète.
- Je viendrai te chercher à 19h précises.
- Oui, maître, répondit-elle, tout sourire, une lueur de satisfaction dans le regard.
Le directeur tendit la main à Marlène, qui soupira d’agacement. Pourquoi fallait-il toujours ce cérémonial ? Mais elle n’eut pas le temps de protester : le vertige l’emporta, la désorientant. Elle s’écroula à l’arrivée, vacillante.
- Marlène ? s’exclama Henriette en la voyant tomber.
Marlène se redressa, bougonne, et constata que le directeur avait déjà disparu. Elle fronça les sourcils, mécontente de son départ précipité. Henriette la prit dans ses bras, mais Marlène se dégagea.
- Tu t’es fait renvoyée ? s’inquiéta Didier, toujours prompt à envisager le pire.
- Non, papa, répondit Marlène d’un ton exaspéré. J’avais juste envie de vous voir. Vous me manquiez trop.
Henriette et Didier échangèrent un regard attendri, mais Marlène poursuivit, impérieuse :
- Je n’ai pas beaucoup de temps, alors profitons-en. Racontez-moi tout ce que j’ai raté. Et servez le déjeuner, j’ai une faim de loup.
Pendant qu’Henriette s’affairait à réchauffer le repas, Marlène s’installa dans le salon, s’appropriant l’espace. Elle exigea qu’on lui apporte un verre d’eau et Didier obtempéra sans rechigner.
Le déjeuner fut excellent. Marlène interrompit souvent ses parents pour recentrer la conversation sur elle-même. Elle racontait ses journées, ses frustrations, son « travail acharné ». Ses parents buvaient ses paroles, fascinés.
- Tu nous manques, glissa Didier avec un sourire.
Marlène haussa les épaules.
- Oui, je sais, répondit-elle, comme si cela allait de soi.
Après le repas, Henriette proposa un jeu de société. Marlène accepta, mais seulement après avoir vérifié qu’il ne s’agissait pas d’un jeu qu’elle détestait. Dans cet environnement calme et silencieux, Marlène activa sa gnosie. Pour la première fois, elle n'eut pas mal au crâne après dix minutes. Le scrabble la mit en échec à plusieurs reprises, et son humeur se détériora.
- On change de jeu ? suggéra Didier, voyant sa fille fulminer après une troisième défaite.
- Que proposes-tu ? interrogea Henriette.
- Marlène, et si tu descendais ta console dans le salon ? Tu as bien trois manettes ? lança Didier.
Marlène monta dans sa chambre et redescendit en triomphante procession avec la console, les câbles et les manettes. Elle connecta tout en un temps record, démontrant une fois de plus sa supériorité.
- Regardez et apprenez, dit-elle avec suffisance en lançant le jeu de course de voitures.
Ses parents se concentrèrent sur l'image. Sur l'écran du salon, beaucoup plus grand que celui de sa chambre, le jeu prenait vie.
Marlène regarda le décompte et à zéro, elle accéléra. Sa mère ne démarra pas, ne trouvant plus la touche et son père partit mais freina sans le vouloir. Ses parents se reprirent et finirent par prendre le départ, mais très en retard.
Au premier virage, l'attention de Marlène fut attirée par l'arrivée inopinée d'un oiseau sur la branche du pommier, dans le jardin. La gnosie toujours active, elle capta sa présence et son bonheur d'avoir trouvé à manger – les miettes du gâteau sec qu'Henriette avait dégusté en dessert.
Lorsque Marlène retourna ses pensées vers l'écran, elle était dernière. Dégoûtée, elle reprit la course mais le voisin promenant son chien, la voisine chantant dans la salle de bain, le chat sur la fenêtre guettant le moment où l'oiseau se poserait, l'avion passant dans le ciel, tout la déconcentrait.
- Sérieusement ? grogna-t-elle tandis que le jeu l’annonçait dernière. Ah non ! Cette fois, je vais gagner, annonça-t-elle d’un ton péremptoire.
- Tu n'es pas censée passer tes journées sur ta console depuis… ta naissance ! s'exclama Didier.
- Je n'ai pas dis mon dernier mot ! répliqua Marlène qui comptait bien ne pas perdre la face.
Elle lança une nouvelle partie et, malgré une concurrence inattendue de ses parents, finit encore dernière. Didier en plaisanta :
- On dirait que la magie t’a rendue nulle aux jeux vidéo. Comme quoi, il y a une justice !
- Papa ! protesta Marlène, outrée.
Marlène était maintenant en colère, et décidée plus que jamais à ne pas perdre. Cependant, elle ne voulait pas non plus couper sa gnosie. Cela aurait été tricher, même si à aucun moment une telle règle n'avait été édictée. Didier et Henriette, eux, étaient aux anges et commençaient à s'amuser, une manette à la main. Ils se combattaient, cherchant sans cesse à dépasser l'autre, luttant pour la première place.
Marlène prit son inspiration, lança la course suivante et se concentra uniquement sur sa manette. Plus rien d'autre ne comptait. Elle ne voulait pas rater cette occasion d'humilier – virtuellement – ses parents. Elle les écrasa, en toute simplicité.
- Je ne pensais même pas qu'on pouvait faire un tour aussi vite, soupira Didier.
- Bravo, ma chérie, dit Henriette.
Marlène ne répondit pas. Elle n'en revenait pas. Pas d'avoir gagné, évidemment, contre ses parents, ça n'était pas difficile.
- Marlène ? Tu lances la suivante ? lança Didier qui n'avait pas la possibilité de le faire depuis sa manette.
- Marlène ? répéta Henriette en voyant que leur fille était dans la lune.
- J'ai réussi, souffla-t-elle.
- Oui, en même temps, ça me paraît normal, répliqua Didier. J'aurais même cru que ça serait ça dès la première partie. Allez ! On s'y remet sinon, on ne s'améliorera jamais !
- Je l'ai fait, continua Marlène comme si son père n'avait rien dit. Merci ! C'est grâce à vous ! J’ai réussi à tout bloquer. À me concentrer uniquement sur ma course. J’ai maîtrisé ma gnosie ! C’est… énorme.
Une larme coula sur sa joue, ce qui la surprit autant que ses parents. Marlène les serra dans ses bras, pour une fois émue sincèrement. Puis elle s’écarta, se reprenant.
- Allez, encore une partie ! Et cette fois, je ne vous laisserai aucune chance ! lança-t-elle avec un sourire carnassier.
Didier hocha la tête et fit contre mauvaise fortune bon cœur. Les parties qui suivirent furent plus intéressantes car les parents de Marlène commençaient à maîtriser le jeu. Ils gagnèrent à plusieurs reprises, Marlène se laissant parfois déconcentrer par un évènement extérieur mais à la fin, elle gagna à chaque fois.
À 19 heures précises, Marlène sentit l’air s’épaissir autour d’elle, comme si la pièce retenait son souffle.
- Le directeur va apparaître, annonça-t-elle d’un ton autoritaire, anticipant la panique éventuelle de ses parents.
Didier et Henriette échangèrent un regard inquiet. Quelques secondes plus tard, Maître Gilain apparut, imposant et sévère. Son regard balaya rapidement le salon avant de se fixer sur les manettes abandonnées sur la table basse.
- C’est donc à ça que tu as consacré ton après-midi ? Des jeux vidéo ? lâcha-t-il avec un mépris non dissimulé.
Marlène soutint son regard sans ciller.
- Je suis prête, déclara-t-elle d’un ton assuré.
Maître Gilain plissa les yeux.
- Prête pour quoi ? demanda-t-il avec un soupçon d’irritation.
- Prête pour le PBM, bien sûr, précisa Marlène avec un sourire entendu. Je suppose que je pourrai y assister depuis la tribune d’honneur dimanche prochain ?
Maître Gilain la fixa. Marlène comprit qu'il vérifiait que sa gnosie était active. Après un moment, le directeur annonça :
- Il n’est pas question que tu bénéficies d’un quelconque privilège, trancha-t-il. Tu y assisteras depuis les gradins, avec tes camarades. Comme tout le monde.
- Tu vas voir un match de PBM ? s’écria Henriette, les yeux brillants. Tu me raconteras, hein !
Marlène haussa les épaules avec un sourire en coin.
- Promis, maman. Mais tu sais, ce ne sont que des étudiants. Rien d’extraordinaire.
- Ça reste du PBM, soupira Henriette, partagée entre l’excitation et la jalousie.
- Allez, on rentre ! gronda le directeur, impatient.
Marlène expédia les adieux, refusant de s’attarder. Elle n’allait certainement pas se donner en spectacle en pleurant devant ses parents. De retour à l’école, Maître Gilain brisa le silence.
- Je n’aurais pas cru que les jeux vidéo puissent être un outil éducatif, mais seul le résultat compte, après tout, commenta-t-il avec une pointe d’amusement.
Marlène se tourna vers lui, une lueur malicieuse dans les yeux.
- Je dirai à mes amies que j’ai réussi grâce à votre génie, lança-t-elle avec un clin d’œil.
Sans attendre de réponse, elle s’éloigna d’un pas vif, bien décidée à rejoindre Julie et Amanda au réfectoire.
Les deux adolescentes ne cachèrent pas leur joie face à l'excellente nouvelle.
- Résumons, commença Julie. Tu sais utiliser ta gnosie, tu peux augmenter ton énergie et tu apprends à économiser ton énergie. Je pense que tu es suffisamment douée pour ouvrir un peu ton spectre de matières.
- Hein ? fit Marlène, perplexe.
- Julie, à sa façon très à elle, te propose de venir avec nous en utilisations d'objets magiques et en étude de la magie le mercredi et le samedi, expliqua Amanda.
- Oh ! s’exclama Marlène, frappée par l’idée. c’est une excellente suggestion ! J’accepte avec plaisir. Ça me fera du bien de découvrir autre chose.
Julie laissa échapper un petit cri de triomphe, et Amanda sourit, visiblement ravie. Marlène sentit une bouffée de satisfaction. Partager des cours avec ses amies promettait d’être amusant.
Le lundi matin, Marlène n’eut pas besoin d’annoncer à Maître Gourdon que sa gnosie était opérationnelle : Maître Gilain l’avait déjà fait. Pourtant, pas de félicitations, juste une question :
- J'imagine que tu n'as jamais essayé d'utiliser la magie, de la transformer ?
Marlène hocha la tête.
- En effet, maître. Jusque là, je l'écoute grâce à ma gnosie, je la ressens et je la crée. Mais la transformer ou la modeler pour qu'elle fasse ce que je veux, ça non, je ne l'ai jamais fait, annonça Marlène. Au fait, je ne viendrai plus le mercredi et le samedi. Je vais aller en cours d'utilisation d'objets magiques.
Maître Gourdon fronça les sourcils, un mélange de surprise et d’inquiétude passant sur son visage. Marlène hésita, sentant qu’elle avait peut-être fait une erreur.
- Sauf si vous pensez que ce n’est pas une bonne idée… ajouta-t-elle.
- Non, non, c’est une excellente idée, répliqua-t-elle en se recomposant rapidement. Je vais simplement devoir ajuster ce que j’avais prévu pour toi aujourd’hui.
Elle plongea une main dans sa poche et en sortit un petit tube grisâtre.
- C’est du grès, affirma Marlène, fière d’elle.
- Pas seulement, la contra maître Gourdon. Regarde : il y a deux traits sur ce tube, un rouge et un bleu. Le rouge va devenir vert quand tu y mettras de la magie. Ton but : atteindre le bleu le plus précisément possible sans le dépasser. Dès que tu l’auras atteint, il changera de position et tu devras le suivre, le plus vite possible.
Marlène observa l’objet avec une moue dépitée. Ça n’était guère passionnant.
- Cela va te permettre d'apprendre à contrôler la quantité de magie que tu fournis car il n'est pas question qu'on te demande d'allumer un grille-pain si le risque que tu le fasses exploser est grand. Or, tu devras le faire en utilisation d'objets magiques. Le guide et le traducteur sont configurés pour éviter ce problème. Tu peux y mettre autant de magie que tu veux, ils se contentent de refuser le trop plein. Les objets magiques classiques ne fonctionnent pas ainsi. C’est à l’utilisateur de prêter attention.
Marlène hocha la tête mais elle n'était pas franchement ravie. Elle avait espéré passer à des exercices plus amusants. Devoir mettre de la magie dans une pierre ne l'excitait pas franchement. Elle comprenait l'importance de cette leçon, mais cela ne l'empêchait pas d'être déjà soûlée.
- Dès qu'un jeu sera fini, un autre apparaîtra. En fait, la quantité de grès présente à l'intérieur varie, précisa maître Gourdon. Parfois, le tube contiendra seulement un um et parfois mille kum.
Marlène regarda l'objet. Le trait bleu était au milieu. Elle transféra sa magie dans le tube et à peine l'avait-elle fait que la barre verte grimpait au maximum.
- Boum, lança Maître Gourdon, l’air narquois. Si ça avait été un vrai objet magique, il aurait explosé. Essaie encore.
Marlène soupira et s’appliqua à retirer un peu d’énergie. L’exercice s’avéra frustrant. La quantité de grès variait, rendant chaque tentative imprévisible. La matinée passa, et elle n’avait toujours pas terminé le premier cycle.
Le lendemain, cependant, Marlène avait fait des progrès. Elle sentait presque intuitivement la contenance de chaque tube. Quand elle réussit enfin à terminer l’exercice juste avant le déjeuner, Maître Gourdon hocha la tête, satisfaite.
- Tu es prête pour le cours d’utilisation d’objets magiques, déclara-t-elle. Fais en sorte de ne pas me faire regretter ma décision.
Marlène sourit, rayonnante.
L'après-midi, après deux heures de méditation à tenter d'atteindre – en vain - le plus petit ver énergétique possible, Marlène se rendit à la bibliothèque où elle resta jusqu'au dîner.
Elle dévora "Julien" dont elle s’était découverte fan. Le garçon magicien vivait beaucoup d'aventures et parvenait toujours à résoudre les problèmes même les plus complexes, seul ou avec de l'aide. Ces histoires offraient l'avantage d'expliquer les choses dans un vocabulaire simple que Marlène pouvait comprendre. De plus, Marlène comprit enfin d'où venaient les références systématiques à "Juju", comme les magiciens aimaient appeler le héros de leur enfance.
Ce jour-là, Julien le petit magicien devait traverser un gouffre mais, n'ayant pas assez de magie pour cela, il dut trouver une autre solution, qui fut de faire tomber un arbre en travers et de s'en servir comme d'un pont. C'était mignon et incroyablement facile à deviner mais la BD était normalement réservée aux enfants alors on ne pouvait guère s'attendre à mieux.
Marlène fut ravie de saisir enfin la plupart des blagues prononcées depuis des jours par ses camarades. Elle ne vit pas le temps passer et fut en retard pour le dîner. Quand elle en expliqua la raison à Julie et Amanda, les deux jeunes filles explosèrent de rire.
- Attends, attends, tu lis Julien ? demanda Julie en se tenant les côtes.
- Mais c’est génial ! s’exclama Amanda. Bienvenue au club des fans de Juju !
Marlène, au lieu de se vexer, éclata de rire à son tour. Elle savait qu’elles ne se moquaient pas d’elle, mais trouvaient simplement la situation hilarante.
Mercredi matin, Marlène suivit Julie et Amanda à son cours d'utilisation d'objets magiques. Elle retrouva monsieur Toupin dans sa salle de classe sans chaise ni table. Une fois les élèves assis dans des fauteuils et des canapés, le professeur posa un objet devant chacun de ses élèves, tous le même.
- Quelqu'un peut-il me dire à quoi sert cet objet ? demanda le professeur en balayant la salle du regard.
Marlène, curieuse, tendit la main, mais s’arrêta en voyant que personne d’autre ne bougeait.
- Frédéric, avant de répondre, pourrais-tu expliquer à Marlène pourquoi il est risqué de toucher cet objet avant de l’avoir examiné ?
Frédéric se redressa.
- Parce qu’il pourrait être dangereux, dit-il. Certains objets magiques se déclenchent au contact d’un magicien. Il faut toujours rester prudent.
Julie se pencha vers Marlène et lui murmura :
- Ce prof est un sadique. Parfois, il nous donne des objets qui, si on les touche, nous font hyper mal. Juste pour nous apprendre, qu'il dit…
Marlène recula précipitamment ses mains. Soudain, l’objet en bois paraissait bien moins inoffensif.
- Cet objet est fait en bois. Donc, il peut faire du feu, de la lumière ou bien… tenta Frédéric.
- Ton seul indice, c’est qu’il est fait en bois ? coupa Monsieur Toupin. Ça reste trop vague. Oui, Marcial ?
Marcial fronça les sourcils, examinant l’objet.
- C'est du chêne, donc…
- Non, c'est du hêtre ! intervint Amanda.
Le débat éclata dans la classe, chacun argumentant sur la provenance du bois. Couleur, texture, poids : les élèves s’appuyaient sur des détails infimes pour défendre leur opinion. Marlène, perplexe, les regardait se disputer jusqu’à ce que Monsieur Toupin réclame le silence.
- Marlène, une idée ? demanda-t-il, se tournant vers elle.
Marlène sentit les regards de la classe se poser sur elle. Elle n’y connaissait rien en essences de bois. Puis, elle pensa à Julien. Le petit magicien avait souvent utilisé des solutions créatives pour résoudre ses problèmes. Inspirée, elle sourit.
- C'est du chêne, dit-elle avec assurance.
- Pourquoi affirmes-tu cela ? demanda le professeur.
Marlène sentit tous les regards sur elle. Elle venait dans ce cours pour la première fois alors comment pouvait-elle être aussi catégorique ?
- Je n'ai jamais suivi de cours d'étude de la nature alors je ne saurais vraiment pas reconnaître un type de bois par sa couleur ou sa densité, commença Marlène, très fière d’elle.
- Dans ce cas, comment peux-tu affirmer que c'est du chêne ? interrogea monsieur Toupin.
- Je n’ai jamais étudié les types de bois, mais quand j’avais du mal avec ma gnosie, j’allais souvent dans les parcs autour du collège. L’un d’eux a un coin où toutes les essences d’arbres sont plantées avec des plaques explicatives. Quand vous avez posé la question, j’ai élargi ma gnosie jusqu’à cet endroit et comparé les signatures magiques des arbres à celle de cet objet. Elle coïncide avec celle du chêne, expliqua Marlène. Donc, c'est du chêne. Du chêne blanc, pour être précise.
Les élèves restèrent bouche bée. Julie chuchota :
- On a recruté une Sherlock de la magie. Ça doit être un truc de magicien de fortune…
- Julie ! Sujet interdit ! rappela Amanda et la blonde grimaça en pinçant les lèvres.
Monsieur Toupin sourit.
- Excellent, Marlène. Cependant, peux-tu me dire pourquoi ta réponse, bien que juste, ne me satisfait pas entièrement ?
Les élèves échangèrent des regards, hésitants. Amanda finit par lever la main.
- Parce qu'elle ne pourra pas refaire ça en dehors de l'école, dit-elle.
- Exactement, confirma le professeur. Marlène a brillamment exploité son environnement, mais vous devez aussi développer vos connaissances personnelles. Vous ne pourrez pas toujours compter sur les ressources autour de vous.
La leçon résonna parmi les élèves, Marlène incluse. Elle était fière de sa réponse, mais elle comprenait que l’astuce ne suffirait pas toujours.
La classe poursuivit son travail. Désormais convaincus qu’il s’agissait de chêne blanc, les élèves listèrent avec enthousiasme les propriétés possibles de l’objet. Marlène, bien qu’attentive, se sentait complètement dépassée. Les termes techniques, les discussions animées et les hypothèses lancées à la volée semblaient venir d’un autre monde.
Finalement, après de nombreux débats, ils conclurent que l’objet devait servir à éclairer.
- C’est une lampe ! décréta Frédéric avec assurance, le regard triomphant.
Le professeur, impassible, ne confirma ni n’infirma.
- Maintenant, utilisez-le, se contenta-t-il de répondre.
Marlène, intriguée, appliqua ce qu’elle avait appris avec maître Gourdon. Elle manipula sa magie avec précision, ajustant méticuleusement l’énergie qu’elle insufflait à l’objet. À sa grande surprise, il ne se produisit rien.
Autour d’elle, ses camarades avaient tous le même problème. Le silence de concentration fut rapidement remplacé par des soupirs d’exaspération. Les élèves tournaient et retournaient l’objet en tous sens, cherchant un indice, une gravure, ou une subtilité qui leur aurait échappé.
Rien.
- Le cours touche à sa fin, annonça monsieur Toupin. Voici votre défi : le premier qui viendra me voir avant la prochaine séance avec la bonne réponse remportera cet objet.
Un murmure parcourut la salle, suivi d’un silence lourd. L’enjeu était excitant pour certains, frustrant pour d’autres.
- C’est tout pour aujourd’hui. Vous pouvez sortir.
Les élèves se levèrent, discutant déjà entre eux de stratégies possibles pour percer le mystère de l’objet. Marlène, elle, restait silencieuse, observant les autres avec curiosité.
- Alors, c’est comme ça que vous obtenez des objets magiques ? demanda-t-elle à Julie et Amanda une fois sorties de la salle. Vous devez résoudre des énigmes ?
Julie éclata de rire.
- Exactement ! Et avec Toupin, c’est toujours un casse-tête, mais c’est ça qui est génial !
Amanda hocha la tête, un sourire complice aux lèvres.
- Ça donne envie de se surpasser, ajouta-t-elle. Et parfois, c’est même utile dans la vraie vie.
Marlène haussa les épaules, sceptique.
- Moi, ça ne m’intéresse pas, grommela-t-elle.
Elle fouilla machinalement dans sa poche et en sortit l’objet. Son regard s’assombrit. Pourquoi perdre du temps à essayer de comprendre cette babiole ? C’était bon pour les faibles magiciens, ceux qui n’avaient pas assez de puissance pour accomplir quoi que ce soit par eux-mêmes. Ces objets les aidaient à compenser leur manque de magie.
Marlène, elle, débordait d’énergie. Pourquoi devrait-elle se limiter à des accessoires ?
- Ce n’est qu’un bout de bois, marmonna-t-elle en enfouissant l’objet au fond de sa poche.
Julie, toujours prompte à détecter la moindre faille, leva un sourcil amusé.
- Ce n’est pas avec les pouvoirs d’une magicienne de fortune que tu pourras faire grand-chose.
Marlène sentit un frisson glacé lui parcourir la nuque. Elle s’était exposée sans même s’en rendre compte. Son attitude désinvolte pouvait éveiller les soupçons et mettre sa couverture en danger. Était-elle prête à une confrontation ? À ce que son secret éclate au grand jour ?
Son cœur battait à tout rompre. Elle se força à relâcher ses épaules et à esquisser un sourire forcé. Non, elle ne pouvait pas risquer une telle exposition, pas alors qu’elle ne maîtrisait encore rien. Sa gnosie était un outil précieux, mais serait-elle suffisante ? Elle estima que non.
Marlène prit une profonde inspiration. Pas question de consacrer du temps à cet objet, mais elle devait donner le change. Faire semblant de travailler, de chercher, de s’investir… ça, elle savait faire.
Mais au fond d’elle, elle bouillonnait. Tout cela n’était qu’une distraction. Ce qu’elle voulait, c’était apprendre à manipuler la magie elle-même. Pas des substituts. Pas des simulacres. Le vrai pouvoir.
Marlène suivit ses camarades jusqu'à la salle suivante. Celle-ci était nettement plus classique : des tables et des chaises alignées, sans la moindre fantaisie. Une fois installées, Amanda lança avec un soupir dramatique :
- C'est parti pour deux heures de torture !
- Pourquoi ? demanda Marlène en levant un sourcil, juste au moment où le professeur entrait dans la salle.
Madame Rose, une femme d'une cinquantaine d'années à l'air strict, portait des lunettes cerclées d’or et un chignon serré qui semblait défier les lois de la gravité. Malgré ses traits sévères, son regard exprimait une patience inébranlable. Elle déposa un épais grimoire sur son bureau avec un bruit sourd, attirant l’attention de tous.
- Étude de la nature et de ses propriétés magiques, répondit Amanda. Ce cours est chiant à souhait, mais essentiel si on veut se servir d’objets magiques.
- C’est ici qu’on peut apprendre, par exemple, les propriétés magiques du chêne blanc, ajouta Julie avec un sourire amusé, comme si elle avait deviné que Marlène n’en avait retenu que le nom.
Marlène soupira d’avance. Pourquoi avait-elle accepté de suivre les filles dans ce cours ?
La prof commença par une présentation des propriétés de l’hématite, une pierre relativement répandue et facile à extraire. Madame Rose alternait entre la lecture d’un livre théorique aux pages jaunies, des démonstrations d’expériences simples et des exercices de recherche personnelle. Tout cela peinait à captiver Marlène qui n’y voyait qu’un enchaînement d’informations dépourvues d’intérêt.
Elle s’ennuyait à mourir. Julie, tout aussi peu intéressée, initia une série de bavardages discrets. Amanda, malgré ses efforts pour écouter, se laissait entraîner dans leurs chuchotements et finissait par rire à leurs plaisanteries. Marlène s’absorbait davantage dans les ragots colportés par Julie que dans les propriétés supposément fascinantes de l’hématite.
En sortant, Marlène avait appris bien plus sur les disputes entre Élise et Martin que sur les usages magiques de la pierre.
L'après midi, elle entraîna ses amies sur le terrain de tennis et elles s'amusèrent tout l'après midi, alternant les postes, parfois joueuses, parfois spectatrices, afin de pouvoir se reposer.
Le soir venu, elle se retrouva seule : Amanda était partie avec Antoine et Julie avait filé rejoindre Paul. Ne sachant que faire, Marlène se rendit à la bibliothèque. Là, elle reprit sa lecture des aventures de Julien, le petit magicien. Elle trouva que c’était une manière bien plus amusante – et surtout bien plus vivante – d’apprendre la magie que les cours monotones de Madame Rose.