COMMENT L’ATOME CREE-T-IL LA MAGIE ?
DEMANDAIT L’ENFANT
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Moebius profita de l’obscurité sous le porche pour bailler ouvertement, et regretta de ne pas être redescendu dormir. Par ailleurs l’armure de cuir bleu foncé lui pesait. Les armuriers la lui avaient ajusté, mais elle demeurait sensiblement plus lourde que son uniforme gris, et moins adaptée à ses mouvements. Et, plus perturbant, elle était bleue.
Il sortit un petit paquet de tranches de poisson fumé, et en grignota en regardant les deux apprentis hisser sa malle à l’arrière de la voiture au milieu du va-et-viens des palefreniers qui vérifiaient l’état du véhicule et le harnachement des chevaux. Un fauconnier chargea le fameux faucon non-chasseur à l’intérieur de la diligence.
La suite lui semblait petite. Peut-être la précipitation du départ, ou son contexte, réduisait-elle le nombre d’amateurs de grand air. Ou peut-être que les doyens avaient raison, et qu’à la cour personne n’avait envie d’accompagner Mademoiselle où que ce soit. Des voix étouffées dans le vestibule ramenèrent son attention à l’intérieur, où Son Altesse Gabriel et sa femme venaient d’arriver avec leur fils. Mademoiselle les rejoignit peu après, emmitouflée dans un long poncho vert foncé muni d’une large capuche qu’il jalousa en silence.
Moebius se rapprocha du mur pour laisser le secrétaire particulier de la princesse rentrer dans le hall.
— C’est l’heure Garance, dit doucement Mademoiselle.
Elle s’approcha de l’autre princesse et prit délicatement l’enfant. Moebius se frotta la tête et se détourna en faisant tourner son bracelet. Le bébé endormi serré contre elle, Mademoiselle passa devant lui et se contorsionna brièvement pour voir la première marche et ne pas trébucher.
Moebius monta à gauche du cocher, son sac entre ses bottes, et vérifia d’un coup d’oeil que le cavalier des gardes verts était arrivé. Satisfait de voir un toupet de plumes dépasser à l’arrière de la diligence il fit signe au conducteur qu’ils pouvaient partir. La voiture prit le pas, passa les vieux piliers félins et tourna sur la cour d’honneur en direction de la porte des temples dans un claquement de sabots.
Le soleil se leva lentement sur les oscillations des oreilles de chevaux. Il s’étira le dos, faisant craquer plusieurs vertèbres, se cala contre le bois de la voiture derrière lui, et regarda défiler les petites maisons de la nécropole royale, les peintures des plus anciennes à peine visibles sur les murs, lavées par la succession de saisons des pluies.
Profitant de la présence du garde vert, Moebius s’autorisa à somnoler le temps de récupérer un peu. Lorsqu’il se sentit plus frais, il sortit le parchemin couvert des notes de maître Gonzagues et les parcourut avec attention, et, rapidement, avec déception.
— Pouvez-vous dire moi ce qu’est un cénote ? Demanda-t-il au cocher, agacé de ne rien avoir trouve de précis à ce sujet dans les notes, alors que le domaine en tirait son nom.
— Une grotte. J’crois.
Moebius retourna la feuille une fois, puis deux. Il avait connu maître Gonzagues plus exhaustif. La seule mention intéressante concernait la présence d’un point chaud d’énergie, et cela n’avait absolument aucun intérêt tactique pour protéger Mademoiselle. Surtout pour un mercenaire pas censé faire de magie.
Les réponses du cocher se firent de plus en plus courtes, et Moebius se résolut à voyager en silence.
Bientôt, une grosse goutte le frappa sur la joue. Même après avoir aidé le cocher à tendre une toile de protection, il fut rapidement trempé jusqu’aux os. La suite de la journée fut par conséquent morose alors qu’ils passaient de vallée arborée humide en colline forestière à peine plus sèche, dans le crépitement continu de la pluie dans les canopées.
A l’immense auberge de Kroi dans laquelle ils firent halte pour la nuit, il terminait tout juste de se changer pour une tunique sèche lorsque Dimitri frappa pour l’inviter à dîner à la table de Mademoiselle.
Ne trouvant pas de moyen d’esquiver poliment, il se retrouva assis entre Dimitri et la princesse. Non seulement elle ne le reconnaissait pas, mais en plus elle n’avait manifestement pas connaissance du subterfuge. Sinon, pourquoi s’acharnerait-elle à lui parler urussi ?
En fin de repas, Mademoiselle s’excusa, à son grand soulagement, et il accepta une partie de Bul contre Dimitri.
— Pourquoi ne pas avoir dit à Mademoiselle que le mercenaire était une couverture ? Demanda-t-il au secrétaire en lançant ses dés, profitant de l’absence d’oreilles pour abandonner son accent contrefait.
— Je me suis dit qu’ainsi vous auriez probablement la paix.
— J’espère que vous avez raison, dit-il avec un faible sourire.
— Ne vous inquiétez pas. Si elle vous découvre j’en assumerai l’entière responsabilité.
Moebius haussa les épaules. Dans l’absolu, Mademoiselle ne pouvait pas le démasquer. Ne le devait pas. Il en allait du peu de crédibilité qu’il était parvenu à gagner, à la confrérie.
Assis sur le toit où il venait de monter, enroulé dans sa cape grise pour se protéger du chaume encore imprégné d’eau, Moebius sortit un accumulateur et chassa le trop-plein d’humidité des cuirs de son armure et de ses bottes en regrettant sérieusement son propre uniforme, qui aurait séché en quelques minutes.
Sous ses pieds, dans la chambre que Mademoiselle partageait avec sa femme de chambre, les deux femmes semblaient avoir abandonné tout espoir de faire cesser les pleurs du bébé. Délaissant ses cuirs, il se gratta le conduit de l’oreille avec le petit doigt. Le seul danger perceptible concernait les tympans de la princesse.
Il redescendit à la chambre qui lui avait été attribuée et où le garde vert ronflait déjà plus fort qu’une conque. La seconde journée fut à l’image de la première, avec cependant pour amélioration un changement de paysage, une réapparition du soleil, et avec lui une légère réduction de ses douleurs dans le dos.
L’épaisse forêt contenait par ici plus de ceibas et de cèdres, moins de fougères ou de lianes. La route descendait en pente douce entre les arbres, le bruit des sabots perdant leur sonorité spongieuse. De temps à autre, leur voiture passait devant une haute borne de pierre sculptée, ou dérangeait un quetzal qui s’envolait dans un froufrou de plumes contrastées.
Il leur restait environ une heure de jour lorsque la voiture passa deux piliers aigles peints de couleurs vives et s’engagea sur un chemin recouvert de sable blanc.
— Combien de temps mettrons-nous pour le château atteindre ?
— Pas plus de trente minutes, monsieur, répondit le cocher avec pour une fois une note d’enthousiasme dans la voix.
— Y-a-t-il d’autres routes d’accès ? Se fit-il confirmer.
— Non monsieur.
Parfait. Au moins les informations de maître Gonzagues étaient à jour sur ça.
Moebius se redressa et regarda défiler les arbres, à distance de la route. Il n’était jamais venu aussi au sud de l’autre côté de la cordillère. Moins dense que près de Chantelli, la forêt pépiait d’oiseaux dont il ne reconnut pas tous les chants. Il se retint d’ôter son gant pour sonder les fréquences qui émanaient du sol dans un phénomène curieux, peut-être dû au point chaud, et guetta l’apparition du manoir.
La bâtisse se fit attendre, et lorsqu’elle parut enfin au détour du chemin, l’obscurité était déjà telle qu’il ne put qu’en compter les quatre étages à l’aide des alignements de fenêtres éclairées, le reste perdant tout volume dans la nuit.
Il sauta de la voiture dès qu’elle marqua l’arrêt, leva la tête pour mieux appréhender l’étrangeté de l’édifice, et en longea le mur sur une sorte de terrasse. Maître Gonzagues avait sobrement écrit qu’il était circulaire. Et effectivement, le curieux manoir s’enroula comme un coquillage, et Moebius retrouva rapidement Dimitri sur le perron, en discussion avec une domestique aussi ronde que le lieu.
— Qui a construit le pavillon ? Demanda-t-il au secrétaire une fois que la domestique eut opiné et fait demi-tour pour rentrer.
— La couronne n’a aucune archive datant d’avant l’ajout du domaine parmi ses possessions. La population locale dit que c’était les Norsk.
— Aussi loin au sud ?
Dimitri lui fit signe de le suivre à l’intérieur.
— Ils se sont installés partout. C’est juste qu’ils ont laissé peu de traces physiques parce qu’ils n’ont rien construit, ou presque. Si ça vous intéresse, je sais qu’il y a un excellent livre à ce sujet dans la bibliothèque du manoir.
Le dîner fut servi dans une grande pièce incurvée qui a elle seule devait occuper le tiers du rez-de-chaussée. Mademoiselle s’était placée face au chef de la petite garnison et échangeait avec lui des divers travaux entrepris depuis l’été précédent et de la santé de sa famille. Assis face à Dimitri, Moebius déclina poliment un verre de pulche en urussi et remplit son assiette d’ochas frits et de gibier.
La princesse prit congé avant le dessert, l’air fatiguée. Moebius interrogea Dimitri du regard, qui en retour eut l’air d’attendre qu’elle soit assez loin dans le couloir pour répondre.
— Ce n’est probablement rien, souffla-t-il. Quand elle va mal, elle ne se ressert pas trois fois des ochas.
— Mademoiselle dit que vous êtes son garde du corps cette année. Dit soudain le garde. Souhaitez-vous visiter le parc demain matin ?
Moebius eut une brève hésitation surprise, le temps de comprendre que le garde lui proposait d’être son guide pendant sa reconnaissance du terrain.
— Volontiers, répondit-il en espérant que le soldat mettrait son hésitation sur le compte de la barrière de la langue.
Ils se donnèrent rendez-vous à la première heure le lendemain et Moebius se dirigea vers la chambre qu’on lui avait préparée au troisième étage et qui devait être tout juste plus petite qu’une salle d’étude de la confrérie. Il appuya des deux mains sur le matelas et fit la moue. Trop mou.
Il ôta son armure inconfortable avec un grognement satisfait, s’enroula comme un bienheureux dans sa cape grise et sortit avec précautions sur la terrasse intérieure qu’il voyait courir derrière les portes-fenêtres. Personne.
Les variations de fréquences dans la cour intérieure étaient bien plus fortes que dans la forêt. Il posa une main sur les murs de pierre brute sombre. Le pavillon contrastait sur un bruit de fond coloré constant, parcouru de vagues qui parcouraient lentement la cour à partir du puits du Cénote.
C’était la première fois qu’il approchait d’un point chaud.
Moebius leva la tête vers les fenêtres de la chambre de Mademoiselle, au-dessus de sa tête. Aucune lumière, elle devait dormir. Il s’assit pour profiter du spectacle des nébuleuses d’énergie qui se propageaient dans le sol et jusque dans les murs du pavillon. C’était littéralement un endroit magique.
Bon ce voyage se passe plutôt bien pour l'instant, même si ce manoir ne m'inspire pas confiance. Je suis curieux d'avoir le point de vue de Madeleine sur tout ce voyage, elle a pas l'air très a l'aise. Aurait-elle remarqué quelque chose sur son garde du corps qui l'a rend un peu indisposée ? ;) On va voir ça !
Le gamin qui hurle à toutes les heures de la nuit et du jour, c'est universel, de tous temps en tout lieu ^^ pauvre madeleine... n'aurait-elle pas pu avoir une chambrière pour s'occuper de ça ?
"Combien de temps mettrons-nous pour le château atteindre ?" Le atteindre est mal placé non?
A bientôt !
Je laisse le chapitre suivant expliquer ce qu'il explique ;)
Mais je note qu'il faut que je vérifie si les explications sur pourquoi elle part sans la nourrice (qui étaient dans un passage pathos et longuet a la fin du chapitre "menaces" ) ont bien été reprises sinon effectivement il y a un "trou" 😅
Pour le dialogue de Moebius/mercenaire, ce n'est pas une erreur, c'est son accent (la structure de l'autre langue est différente)
J'ai bien aimé cette partie de voyage, assez longue pour qu'on s'en empreigne sans non plus trop s'étirer. L'effet de la pluie est bien rendu aussi, j'en ai même froid pour ce pauvre Moebius !
Le comportement de Diane donne envie de lire son chapitre pour comprendre de quoi il en retourne (même si on peut la supposer bouleversée par les soucis politiques).
Le manoir a l'air amusant par sa forme circulaire, par contre quelques indications sur ses matériaux et son style auraient pu être un plus. Surtout s'il a été construit par un peuple ancien :P
Pas grand-chose à dire de plus (pour une fois ^^) si ce n'est mon envie de lire la suite.
À bientôt !
Contente que ce chapitre plus descriptif te plaise ^^
Je me note les propositions sur l'architecture :) il arrive de nuit, donc j'ai d'autres endroits où mettre du détail :)
Pour le comportement de Diane, il y a les soucis politiques, mais pas que, tu verras. D'ailleurs je me rends compte que je n'ai peut-être pas assez insisté sur le politique dans le chapitre suivant, si tu peux me donner ton avis quand tu le liras ^^
Sitôt publié, sitôt lu!
Je suis véritablement trop impatiente à chaque fois!
J'adore l'ambiance qui s'instaure au fur et à mesure! La façon dont chacun prend ses marques sans même s'en rendre compte!
Les larmes d'Augustin m'ont tout de même fait mal au cœur tant j'appréhende la suite pour sa famille! Mais allez, on va dire qu'il est bien entouré malgré tout!
Et juste une petite question. Est-ce une femme de chambre qui était déjà avec Diane auparavant ou une autre qui se trouve de base aux Cénotes qui les a accompagné?
Voilà voilà, j'ai toujours aussi hâte de découvrir la suite!
Je me sens vilaine de dire ça, mais si la mention des pleurs t'a touchée c'est que "mission accomplie" pour moi :')