Debout au centre de la tablée, Hiran fit installer les élèves autour de lui :
— Vous êtes tous capables, en théorie, d'utiliser votre magie dans les sept disciplines malgré les prédispositions de chacun. Commençons, comme il se doit, par la première, la spatiomancie. Ouvrez vos tiroirs et prenez un orbe d'entraînement.
Hiran expliqua à Ander et Tiana que les orbes étaient des petites boules enchantées en curiom afin de faciliter leur potentiel magique, « l'élévateur du palais est basé sur le même principe » ajouta-t-il. Dans le contenu hétéroclite de son tiroir, Ander repéra la boîte aux lourdes boules dorées. Il en posa une devant lui.
— Comme vous le savez, reprit Hiran, les orbes n'ont aucun effet propre, seule la volonté du magicien les affecte et c'est cette volonté que nous allons évaluer.
Le badrakaliste fit un tour de table, passant brièvement sa main au-dessus des artefacts.
— Maintenant que j’ai modifié vos orbes, élevez-les le plus haut possible au-dessus de vous, puis lâchez-les.
Ander saisit sa boule dorée, soudain très légère. Avec Tiana, ils observaient avec surprise les autres dont les orbes flottaient dans le vide avant de retomber lentement. Le jeune Palladim les imita, jouissant de la sensation procurée.
— Concentrez-vous et tentez de le ralentir encore, jusqu’à l’immobiliser, en faisant seulement appel à la spatiomancie.
Ander, ne sachant qu'utiliser la radiance, demanda à Hiran comment mobiliser une autre discipline :
— Déclenchez votre pouvoir comme à votre habitude, en visualisant le temps dilaté autour de l'orbe.
Imaginant y ralentir le temps, Ander fit naître le frisson dans sa nuque et le projeta sur l'orbe sans succès. Il insista à l’aide de réflexes plus familiers. Une grosse flamme projeta l’orbe en hauteur. Il n'était pas le seul à être déçu devant les difficultés. Tiana était cramoisie à force de concentration. En vain. Doigts sur les tempes, Loris ne pouvait rien changer à son inefficacité. La plupart essuyaient le même échec, sauf Zack Barbona et une autre élève, côte à côte, dont les orbes étaient immobiles dans l’air. Mécontent, Hiran se dirigea vers eux :
— J'ai pourtant été très clair. Pas de télékinésie ! Agir seulement sur l'espace-temps !
Prétextant un malencontreux réflexe, Zack protesta, imité par sa voisine. Ander rassuré par les déboires de la majorité dans cette discipline, vit cependant Hiran féliciter deux autres élèves de leur succès :
— Ayant réussi dans votre discipline favorite, je ne suis pas impressionné. Attendons de vous voir à l’œuvre dans les autres. Pour vous tous, je n'ai constaté que peu de progrès depuis la dernière fois. Cependant, rien n’est immuable. On ne parvient pas à devenir ambidextre du jour au lendemain.
Évidemment, lors du test suivant, Ander parvint sans difficulté à faire naître une petite lumière devant lui, ainsi que deux autres élèves. Tiana fit encore chou blanc et son frère la rassura :
— Regarde la tête de Loris.
— Merci ! Il a l'air encore plus mal que moi.
— T'inquiète, petite sœur, quand viendra le tour de la biomancie, tu auras ton quart d'heure de gloire.
L'exercice de transmutation, abordable pour un novice, consistait à transformer un grain de silice gris argenté en phosphore marron, deux éléments chimiquement très proches. Malgré cela, les résultats examinés à la loupe furent décevants. Seuls les transmutateurs prédisposés y étaient parvenu.
On garda le grain pour la télékinésie, le test suivant. Hélas, déplacer le grain aboutit au même taux d’échec… Puis, vint le tour de la biomancie. Hiran distribua aux élèves des petites boîtes, récupérées dans la grande armoire, en notifiant :
— Ces récipients contiennent un substrat nutritif limpide avec quelques spores de champignons, invisibles à l’œil nu. Concentrez-vous pour les faire croître jusqu'à rendre leurs structures visibles.
Hésitants, les élèves s'attelèrent à cette tâche ardue. En effet, on ne discernait rien ni en examinant de près le récipient ni en le reniflant. Faire grossir l’invisible semblait mission impossible. Cependant, deux autres élèves, manifestement doués dans cet élément, ravirent maître Hiran. De fins filaments blancs étaient visibles au centre de leurs boîtes. Les efforts notables d’Ander ne parvinrent qu’à chauffer le substrat. Certain de la réussite de sa sœur, il fut surpris de la voir mortifiée. Implorante, Tiana lui chuchota :
— Je sais pas comment m’y prendre… Autant c’est naturel et facile pour moi de ressentir instinctivement les émotions des gens, autant là… je suis démunie. J’ai honte de ma nullité…
— Ne dis pas ça. Tu sens ma présence émotionnelle à l’instant ?
Elle se tourna vers lui et se concentra brièvement.
— Oui. Tu es serein et heureux.
— Exactement. Maintenant, concentre-toi sur la boîte en essayant de m'y détecter.
— Mais c'est qu’un vulgaire champignon invisible.
— Tu t'es certes toujours consacrée aux humains, mais dis-toi que la vie est similaire même pour un champignon. Vas-y !
Tiana soupira, fixant le récipient. Au bout de quelques secondes, elle sursauta :
— Oh, je le sens !
Indifférente aux tracas du groupe, elle fixa le petit être vivant qui semblait l’attendre… Sa concentration extrême fit perler son front de sueur. S’encourageant à voix basse, elle devint écarlate, faisant danser ses mains au-dessus du liquide. Le mycélium blanc nacré se répandit en douceur au centre du substrat, tissant une toile vivante. Ander, inquiet de la respiration saccadée et sifflante de sa sœur, lui posa une main sur l’épaule. Repoussant son geste, elle bondit de sa chaise, ses bras chorégraphiant l’espace. Elle lui souffla :
— Regarde…
Le mycélium poussait à une allure folle sur la surface du substrat, des filaments s'échappèrent hors de la boîte et filèrent sur la table. Des excroissances en surgirent, formant des tiges de quelques centimètres au bout desquelles se déployèrent des chapeaux blancs. Subjugué, Ander prit alors conscience du désordre alentour. Les élèves s'extasiaient autour de sa sœur, fascinés par le spectacle. Immobile et les sourcils froncés, Hiran observait la scène. Il n’intervint que lorsque l’épaisseur du mycélium, exhibant des sporophores par centaines, recouvrit toute la table :
— Arrêtez tout !
Visage luisant, yeux brillants et souffle court, la jeune fille sembla émerger de son monde intérieur. Fière et horrifiée devant son prodige, elle s’écarta de la table brusquement en réalisant la vie foisonnante issue de son pouvoir. Toujours haletante, elle remarqua les regards alentours éloquents, notamment celui de Loris pétrifié, comme si elle avait accompli une prouesse digne du grand Badra Kali. Fou de joie devant l’exploit de Tiana, Ander reçut en cadeau son sourire de remerciement. Puis sans prémices, elle s’écroula telle une marionnette délaissée. Sa chute fut stoppée in extremis par un sortilège du Maître, sa main cuivrée se posant sur ses boucles blondes. Ander tout près d’elle, Tiana reprit conscience, accepta une coupe d’eau et fixa Hiran qui reconnut :
— Félicitations, vous avez… brillamment réussi le test.
Puis, se tournant vers les autres élèves :
— Nous allons faire une pause méritée dans la cour afin de laisser à votre camarade un temps conséquent de récupération. Allez !
Un à un, les élèves déçus quittèrent la princesse, non sans lui glisser quelques éloges. Loris, le plus empressé, s’attardant à ses côtés. Hiran le congédia puis interpella Ander avant qu’il ne s’éclipse à son tour :
— Demeurez ici, voulez-vous. Vous êtes son frère, en plus d'être le futur Roi. Et je dois vous parler.
Le jeune Palladim frissonna. Le ton neutre du vieil homme n'augurait rien de bon. Ce dernier se tourna vers Tiana :
— Princesse, vous venez d’accomplir une prouesse magique, digne de la classe verte. Et, sans mon intervention, vous auriez pu aller beaucoup plus loin… Tout cela dépasse mon entendement.
Ses yeux verts fatigués dans ceux du vieux maître, elle osa :
— Que voulez-vous dire, Maître ?
— Je n'ai rencontré qu'une fois cette situation. Avec une élève ayant des capacités bien au-delà de son niveau d'études. C'était Calicia Vélès, votre mère.
Il se tourna vers Ander avec un ton plus pénétrant :
— Vos talents de radiance n'ont échappé à personne lors de votre affrontement avec la présumée spatiomancienne Favellska. Vous avez tous deux hérité des extraordinaires pouvoirs de votre mère, mais vous semblez vous être partagés ses deux prédispositions. D’où cela vient-il ?
Ander ne le connaissait pas assez pour se confier à Hiran bien qu’après l’incident sur le balcon, le vieux maître eût été le premier à imaginer la présence d'un traître au Conseil. Il avait aussi été le professeur de Calicia. Ander se décida :
— Vous avez bien connu ma mère ?
— Assez pour me rendre compte de son fantastique potentiel. Je me rappelle très bien de son premier jour en classe blanche, en 1429, il y a vingt-deux ans. D’ailleurs, elle avait le même âge que vous aujourd'hui, Messire Ander.
— Pourquoi si tard ?
— Parce qu'elle était arrivée en Kanera cette même année.
— Mais… où était-elle, avant ?
— Elle vivait... ailleurs, avec son frère, et leurs parents, hésita le badrakaliste.
— Où ça, maître ?
Hiran éluda la question, se contentant de réexaminer le front de Tiana qui fronçait les sourcils. Devant un Ander excédé par ces nouvelles cachotteries, le vieux maître continua, plongé dans ses souvenirs :
— J'ai été son professeur de magie, ici-même, pendant deux ans. Les premières décades, elle s'était peu distinguée des autres, mais ses capacités étaient devenues progressivement étonnantes… voire inquiétantes… En fin de classe bleue, après l'annonce de l’approche scovienne dans notre pays, elle avait subitement disparu. Aujourd'hui nous savons qu'en réalité, elle s'était exilée en Canamérie.
Ander fit le lien avec le récit de Kolyan. Il manquait encore des pièces importantes au puzzle, omises délibérément par Hiran. Il tenta le tout pour le tout :
— Maître, pardonnez-moi, mais j'ai le sentiment que vous nous dissimulez des faits.
Hiran cilla à peine :
— Effectivement… Votre oncle souhaite vous préserver, il y a des choses qu'il vaut mieux ignorer, inutile de se torturer l’esprit.
— S’il vous plaît, Maître ! Si ça concerne notre mère, nous sommes en droit de savoir ! insista Tiana.
— Je sais… Mais je ne peux pas.
Le vieux magicien se dirigea vers la sortie pour aller rappeler sa classe. Frustrés, Ander et sa sœur se regardèrent mais avant qu’Hiran ne franchisse la porte, il se retourna :
— À la fin des cours, vous n'oublierez pas d'aller à la bibliothèque, chercher vos exemplaires de Magie badrakaliste, niveau blanc. À votre place je consulterais aussi La généalogie des souverains d'Erasie. C'est un livre intéressant.
Il adressa une grimace complice aux adolescents pour se dédouaner.
Quand tous les élèves furent revenus, ils dévisagèrent Tiana pendant que Hiran ramassait les boîtes, réduisant en cendres d’un geste la jungle mycorhizienne.
— Il nous reste à tester la neuromancie et le spiritisme, nous verrons si vous parvenez enfin à sortir de vos zones de confort.
Deux files de huit se formèrent, Hiran compris. Le premier de chaque binôme devait respectivement deviner une carte cachée tenue par le second. Loris Eliti y excella sans surprise. L’exercice suivant, consistant à prédire les mouvements aléatoires de l’aiguille d’une boussole de curiom, ne fut atteint que par une seule élève. Le badrakaliste constata le peu de progrès hors des disciplines de chacun et les encouragea tous à s'entraîner chez eux en empruntant du matériel à la bibliothèque. Après un regard à l'horloge au curiom, il concluût son cours, satisfait :
— La magie n'est pas une question de don ni de puissance extraordinaire acquise en claquant des doigts. Elle est une véritable discipline qui requiert de nombreuses années d'entraînement, voire toute une vie… pour n'en effleurer qu'une infime partie. Elle est un muscle atrophié et ignoré, qui ne demande qu’à être identifié et développé. N'espérez pas égaler vos maîtres avant quelques décennies de pratique. Les exploits de Tiana ont sûrement une explication, même si nous l’ignorons aujourd'hui. C’est indubitable !
Hiran accorda la parole à Palo Poltok qui levait la main :
— Maître, mon père dit que la possession d’un artefact puissant permet d’acquérir un grand pouvoir sans entraînement. La princesse Tiana en utilise peut-être un…
— Votre père est un transmutateur spécialisé dans l'étude des artefacts. Il a aussi dû vous dire qu’ils obéissent à des règles échappant à la plupart d'entre nous et plus puissant est l'artefact, plus complexe et dangereuse sera son utilisation. Certains ont enduré une mort atroce en les manipulant sans expérience.
Un silence glacial tomba dans la salle, Palo tentant de se faire oublier. Le badrakaliste dévisagea tous les élèves puis reprit :
— Seul l’entraînement permet de développer votre potentiel, cependant il existe trois méthodes pour l’outrepasser. La première, nous venons d'en parler, consiste à stocker puis réutiliser votre énergie ou potentialiser une discipline, via un artefact. La deuxième, est celle que vous apprenez ici : la méditation. C’est d’ailleurs le moment de la pratiquer, comme à la fin de chaque cours. Mettez-vous en …
— Maître ! coupa une fille. Vous n'avez pas évoqué la troisième méthode...
Le regard noir de Hiran fustigea la curieuse. Levant un menton dédaigneux, il lança :
— La troisième méthode n'est enseignée dans aucune école du pays. Sa pratique en Kanera est rigoureusement réglementée, la moindre infraction étant sévèrement punie. Veuillez ne plus m'interrompre et prenez place !
— Maître, attendez ! insista Ander. Comment voulez-vous que nous sachions si nous enfreignons la loi si vous ne nous dites rien de cette méthode ? Et si jamais nous l'utilisions sans le savoir ?
— C'est impossible.
— Pourquoi, Maître ?
— Parce que si vous utilisiez cette méthode, même malgré vous, vous vous rendriez compte rapidement de ses terribles effets, sur vous comme sur votre cible. Je n'en dirais pas plus, ce sujet n'a pas à être abordé en classe blanche.
Il suffit !
En fin de matinée, Ander et Tiana furent impressionnés par la mosaïque qui emplissait la cour. Avec une robe à capuche de couleur différente selon leur niveau, chaque étudiant composait un kaléidoscope polychrome saisissant. Un peu à l'écart, Ander confia à sa sœur :
— Je suis tellement fier de toi, tu as subjugué tout le monde ! Quelle chance d’avoir les mêmes pouvoirs que notre mère.
— Nos pouvoirs sont différents, Ander, murmura Tiana. Moi, je n'ai que la biomancie. Toi tu peux utiliser toutes les disciplines et je n'ai jamais lancé un sort contre mon gré… Tu… tu crois que mes pouvoirs ont progressé depuis que j'ai touché le collier ?
Ander n'avait pas fait le lien, mais la coïncidence était troublante:
— C'est vrai, tu as senti une présence lors d’un premier contact. Il faut vraiment en savoir davantage à ce sujet. Pourquoi ne pas raconter tout ça à Hiran ? Il semble digne de confiance, il est même prêt à nous aider, il nous a dit comment en apprendre plus sur Calicia et son passé.
— Tu as raison pour maître Soloman, même si j’ai perçu en lui un vrai dilemme à propos de maman. Il faut lui parler de la pierre et, avant, foncer à la bibli…
— Attention... chuchota Ander.
Se retournant, Tiana se retrouva nez-à-nez avec le large sourire de Loris :
— Vous parliez d'une pierre… non ?
— En fait, on parlait surtout d’aller à la bibliothèque, éluda Tiana.
Conscient d’avoir dérangé, le hâbleur trop curieux s’excusa :
— Pardonnez-moi, je pensais que l’on pourrait déjeuner ensemble… mais une autre fois peut-être...
Échangeant un regard désolé, Ander et Tiana le retinrent:
— D’accord, allons-y, on fera un saut à la bibliothèque plus tard.
Ravi, Loris les guida à travers les groupes d'élèves bigarrant la cour. Près de la coursive opposée, une jeune femme encapuchonnée de noir leur barra brusquement le passage. Découvrant son visage d’un geste théâtral, leur cousine Némasis Vélès dévoila sa chevelure noire, ses yeux sombres et ses sourcils froncés. Tétanisée, Tiana recula, tentée de se protéger derrière son frère, Loris toussa pour se donner une contenance tandis qu’Ander soutint le regard méprisant de la jeune femme. Elle se redressa encore, croisa les bras et lâcha d’une surprenante voix douce où perçait une menace:
— Il me semble ne pas avoir eu le plaisir de vos présentations.
D’abord déstabilisé par son toupet, Ander lui répondit sur un ton ferme mais courtois :
— C’est plutôt nous qui n’avons pas eu ce plaisir. Il faut dire que notre brève rencontre ce matin incitait peu aux salutations officielles…
— La moindre des choses est de se présenter à ceux qui vous accueillent. Je vous signale que vous venez d'arriver dans MON pays et, d’évidence, sans en connaître les usages.
— Votre… accueil et nos hypothétiques présentations auraient impérativement dû se faire lors de la cérémonie du couronnement, suivie des funérailles de notre mère, VOTRE tante, où votre absence fut grandement remarquée…
Némasis le fusilla du regard et renchérit sur le même ton suave :
— Pour moi, ces simulacres de cérémonie n’ont aucune valeur. À fortiori, l'enterrement de Calicia, pseudo héritière ayant fui lâchement son pays. Elle ne méritait que la destitution de tous ses titres. Sans parler de la farce des prétentions au trône de sa descendance… J'estime donc que mon père est le seul Roi, légitime tout comme je suis sa première héritière. En tant qu’étrangers et usurpateurs, vous savez le sort qui vous attend.
Ander, loin de baisser pavillon, ironisa :
— Pour moi et ma sœur, vos belles paroles ne sont qu’avis personnels. Apparemment, vous n’avez pas pris en compte les décisions de votre père ni du Conseil. D’où votre difficul...
— Mon père n'est qu’un faible ! coupa Némasis. Il écoute aveuglément ce Conseil d'incapables ! Nos lois traditionnelles intangibles me donnent raison !
— Pourtant, le peuple dans sa grande majorité, tous les dignitaires étrangers sont favorables à ma légitimité…
— Le peuple est idiot et les dignitaires étrangers des manipulateurs dont le rêve secret est l’effondrement de Kanera pour se le partager !
— En somme, tout le monde a tort, sauf vous, c'est bien ça ? assena Ander.
Le visage déformé par la colère, Némasis siffla entre ses dents :
— Je n'ai peur de rien ni de personne ! Sachez-le, la couronne me revient de droit ! Vous n’êtes rien, je vais vous écraser comme des insectes et ni mon père ni le Conseil ni le peuple ne pourront me barrer la route !
— Ce sont des menaces ?
— À votre appréciation… Canamérien !
L’esclandre ayant regroupé de nombreux élèves, Némasis tourna ses yeux vers Tiana qui tentait de disparaître derrière les deux garçons :
— Et vous, fillette, j'ai eu vent de vos exploits magiques. Il est évident que vous usurpez des pouvoirs, inexplicablement transmis de Plimée, MA grand-mère. Donnez-moi rapidement votre secret ou vous n’allez pas aimer ma méthode pour le percer, croyez-moi sur parole !
Ander s'interposa, haussant le ton :
— Encore un propos déplacé et c’est vous qui le regretterez !
Partant d’un rire méprisant, Némasis s’emballa :
— Alors comme ça, un ignorant en robe blanche va tenir tête à une robe noire qui a six ans d’avance sur lui. Mes pouvoirs sont tellement supérieurs aux vôtres, artifice ou pas !
— Quelle présomption ! Et, à propos d'artifice, la bague en curiom que vous portez illégalement au doigt me revient de droit. J’occupe désormais votre place au conseil.
— Vous la voulez ? Venez la prendre ! J’attends ! aboya Némasis avant d’éclater de rire.
Tiana sentant bouillir Ander posa une main sur son bras, mais se dégageant, ce dernier fit un pas en avant :
— Finalement, je n’ai cure de votre bague, le Conseil doit m’en offrir une autre. Gardez celle-là, en souvenir de votre échec dicté par la haine et en témoignage de votre solitude à venir ! Et faites-vous soigner !
Furieuse, Némasis devint écarlate. Soucieux de ne rien rater du duel, un cercle d’élèves plus nombreux s’était formé autour d’eux. Les ignorant et assommée par l'affront, un éclair rageur jaillit du poing de l’assaillante vers son adversaire. Ander se jeta à terre entraînant Tiana et Loris avec lui. Le trait fulgurant percuta sèchement une colonne de marbre. Frustrée d’avoir raté sa cible, Némasis dirigea alors ses paumes ouvertes vers le groupe à terre. La masse des badauds recula devant les boules de flammes grossissant entre ses doigts tandis que le frisson annonciateur d’une réplique d’Ander avait un temps de retard. Heureusement pour les trois au tapis, les mains agressives se retrouvèrent d’un coup prisonnières d’une gangue rocheuse, annihilant toute attaque. La stupeur figea le visage torturé de cette furie incontrôlable. Piégée, elle jura, tournant sa tête en tous sens. Elle intercepta le regard accablé de Palo Poltok lui désignant la coursive du premier étage d’où Hiran Soloman venait de couper court à son déchaînement. Le Maître badrakaliste, une main terrible en direction de Némasis, vola d’une traite vers la harpie en hurlant :
— Vous êtes complètement folle ! Agresser vos camarades ! Votre futur Roi ! Dans l’école !
— Il m'a provoquée ! beugla-t-elle.
— J’en doute ! C’est plutôt votre spécialité !
La jeune femme, refoulant avec peine son dépit, baissa la tête. Hiran enchaîna :
— Vous êtes renvoyée de l'école pour la journée ! Nous déciderons de la suite à donner plus tard. Mais votre père sera informé, croyez-moi !
Un second maître badrakaliste en robe brune raccompagna Némasis vers la sortie, entre une haie d'élèves, certains affichant un sourire satisfait et ne voulant pas perdre une miette de sa déroute. Le visage de la fille de Kolyan, pétri de haine et de vengeance, était plus sombre que jamais. Hiran aida les trois jeunes gens à se relever. Puis, s'assurant qu'ils ne souffraient d'aucun dommage, il s'adressa à Ander :
— Messire, je vous conseille de ne plus répondre à ses provocations, voire de l'éviter désormais.
— Elle nous a menacés, Maître Hiran ! Elle veut reprendre de force les pouvoirs de Tiana !
— Némasis avait des ordres à respecter. Nous lui avons seriné, avant vos venues, l’entente cordiale à nouer avec vous. Je vois que son soi-disant accord n’était que du vent. C'est une adolescente très têtue, impulsive, qui a toujours tout obtenu de son père et de son entourage. Elle a dû disjoncter en votre présence, pour elle vous êtes responsables de sa mise au placard. Puis-je compter sur vous deux pour appliquer mes recommandations à la lettre ?
— Oui, Maître.
— Bien. Nous sommes convoqués au Conseil, vous et moi. Un autre maître assurera les cours à ma place. Princesse Tiana, vous restez à l’école.
Elle allait protester mais son frère lui lança un regard éloquent.
— Des pegas sont déjà sur le toit pour nous emmener, continua Hiran.
— Des... des pegas ? Mais je n'ai jamais monté, pas même un cheval, de ma vie...
Ander, angoissé à l’idée de voler, vit Loris et Tiana l’encourager d’un sourire avant qu’Hiran ne le guide, une main ferme sur l’épaule, à travers les étages. Sur les toits de l'école, un vent sec et glacial l’obligea à rabattre sa capuche blanche sur la tête. Trois pegas attendaient, les brides maintenues par un garde royal. Le jeune homme balaya du regard la ville, le lac Bakale, et les côtes lointaines, inondées par la lumière de l’astre à son zénith. En contrebas, le complexe royal frémissait toujours d’activité.
— Maître, le bâtiment du Conseil n’est pas loin, pourquoi ne pas aller à pied ?
— Le Conseil est convoqué à la tour d'Ushkane, à deux cents kilomètres au nord, sur une des îles du lac Bakale. Maître Foh Barbona nous y attend déjà.
— Pourquoi ne pas utiliser la téléportation ?
— Maître Ligi Mokyat est sous surveillance et, de toute manière, nous n’avons pas de spatiomanciens assez puissants pour faire voyager tout le Conseil là-bas. J’ignore le motif de notre convocation, mais la tour d'Ushkane étant notre centre névralgique de surveillance des activités spatiomanciennes du pays, j’ai ma petite idée.
— Des téléportations ennemies ?
— En effet, mais probablement d'une gravité inhabituelle... Allons-y !
Le garde leur tendit des vêtements chauds dont ils s’équipèrent. Il aida ensuite le jeune homme à monter un des animaux, spécialement doté d’une selle de débutant garnie de sangles. Une fois harnaché, Ander écouta le garde lui enseigner quelques rudiments d'équitation aérienne :
— Messire, penchez-vous en avant sur le pegas pour le faire monter, en arrière pour le faire descendre. Tirez sur la bride du côté où vous voulez aller. Tirez fort dessus pour ralentir. Tapez des talons pour décoller ou pour accélérer. Ça va aller, Messire ?
Ander ne répondit pas, suant à grosses gouttes malgré le froid.
— Tout ira bien, ne vous en faites pas, ajouta le garde. Votre pegas s’appelle Hirondel, c’est une femelle… docile.
Ander attendit que le soldat rejoigne sa monture pour se pencher à l'oreille de l’animal et lui chuchoter :
— Hirondel, c'est la première fois que je vais voler et je suis mort de trouille, alors s'il te plaît, ménage-moi, d'accord ?
Il lui caressa l'encolure, Hirondel appuyant sa tête contre sa main en signe de satisfaction. Le garde tourna la tête vers Ander et Hiran :
— Prêts ? (Les deux opinèrent du chef). Alors, allons-y !
Talonnant les flancs de leurs pegas, ses deux compagnons s'élancèrent dans les airs, véloces et gracieux. Le cœur au bord des lèvres, incapable de les imiter, Ander immobile impatientait sa monture. Il se décida enfin et, fermant les yeux, talonna à son tour Hirondel. Il s’éleva puissamment sous la poussée des immenses ailes battant l'air froid. Déséquilibré en arrière par ce brusque départ, il dut aussitôt se coucher sur le dos de l'animal avant d’ouvrir les yeux. Bien au-dessus de lui, les deux autres évoluaient avec aisance sur le bleu du firmament piqueté de nuages blanc. Baissant le regard, un immense vertige lui troua le ventre. Il dut refermer les yeux quelques instants, rétablir sa respiration avant de découvrir le spectacle étourdissant qui s’étalait au-dessous.
Diminuant à grande vitesse, les milliers de toits d'Oulane miroitaient au zénith. Même vu du ciel, le lac Bakale gardait sa majestueuse étendue, couronnée de montagnes crénelées. Dominant peu à peu son vertige, il apprécia la grisante sensation du vol, la vitesse du vent dans ses cheveux. Confiant dans le harnachement du garde, il testa avec précautions quelques manœuvres. Virages à gauche, à droite, descentes légères et ascensions en douceur qu’Hirondel appliquait avec bienveillance. Inquiet quand même, Hiran en profita pour ralentir et se poster à sa hauteur. Ander s'empressa de lui faire un geste optimiste du pouce. Rassuré, le vieil homme lui répondit en tendant le bras au nord, avant d’aiguillonner sa monture pour atteindre une vitesse prodigieuse et rejoindre le garde. Ander comprit qu’il devait faire un effort pour ne pas se laisser distancer. Piquant à son tour des talons, il remercia la solidité des sangles l’empêchant d’être désarçonné sous la fulgurante accélération. Rejoignant, non sans frémir, les autres, ils filèrent telles des flèches dans le ciel. Tout en rasant les nuages, Ander observa l’impressionnant manège de la Terre, faisant défiler la masse liquide du lac Bakale, véritable tapis roulant emballé. Très large, ce lac aussi était extrêmement long, ses limites se perdant dans la lumière à l’horizon.
Au bout d'une heure de chevauchée aérienne épuisante, Ander aperçut le sommet d'une tour jaillir d’une brume épaisse. Amorçant sa descente, le trio ralentit enfin. Très haute – environ trois cents mètres, évalua Ander –, la tour de couleur blanche formait un tronc de cône étroit. Cerclée à intervalles réguliers de disques dorés larges comme un homme, elle trônait sur une île au milieu du lac. Après s’être posé en douceur sur la plate-forme du sommet, Ander défit ses sangles avec l’aide du garde et mit pied à terre, rasséréné par la fin de l’épreuve. Quoique légèrement déçu car il commençait à y prendre goût. Cependant, devant les mines sombres des gardiens du site, il réalisa que le plus dur l’attendait…
(ah, un mot en partie barrée)
Oh? Sa mère et le reste de la famille avait été ailleurs aussi?? intéressant!
La cousine qui a eu sa couronne volée est un cliché (que j'utilise aussi dans Wargad ahah) et je sais qu'il y a des rumeurs de sa violence. Je pense que son petit-ami a été victime d'autre chose que elle. De plus, elle n'a pas complètement tort vu que Calicia avait fui et tout abandonné,...
(quelques lignes plus loin et elle est bien agaçante)
Des pégases!! :D
Je suis parvenue à la fin du chapitre, et j'ai hâte de lire la suite pour savoir ce qu'est cette convocation! ;)
Merci beaucoup pour ton commentaire qui fait bien plaisir !
héhé oui finalement c'est Tiana qui se distingue au cours de magie :)
oui pas mal de questions qui se posent dans ce chapitre, on approche des rebondissements en cascade :D
des pégases oui, alors j'utilise volontairement l'orthographe pegas, qui est ancienne, comme d'autres noms de creatures dans le roman, comme vouivre
a bientot !