Chapitre 8 : Premier dimanche à la Légion.

Notes de l’auteur : Publié le 23/04/24

« Après l’observation d’une baisse de niveau des recrues depuis les vingts dernières années, sont instaurées les deux mesures suivantes par le conseil des Vice-Gouverneurs, présidé par le Gouverneur Achille Dortng, après délibération à voix égales : 

  1. L’examen d’entrée comportera automatiquement deux épreuves : la première étant libre, la seconde étant portée sur la prééminence à l’utilisation de l’énergie nommée ‘Shakti’.

  2. L’examen d’entrée sera automatiquement suivie d’une phase de remise à niveau des recrues afin d’offrir un socle commun de compétences physiques et mentales. »

Extrait des ‘Mémoires Politiques’  de la 4ème Aire, Vol 19  ‘Achille Dortng’, Article 2.



 

Le jour suivant, Koney réveilla les recrues dans le réfectoire puis fit l’appel pour chacun des quatre groupes. Les Mésanges prirent leur petit déjeuner (ouvert par la dégustation de l'œuf de Ractor) avant de retrouver la Première-Classe, épaulée de Ladvard, pour discuter du programme de la journée. 

« Ce matin vous aurez une rapide formation sur la Légion, avait-elle amorcé. Elle sera dispensée par la Caporale Valdock que vous avez déjà rencontrée lors de la seconde épreuve. Elle ne devrait pas tarder à arriver. Vous aurez ensuite quartier libre jusqu’à treize heures où vous serez attendus ici-même, devant le réfectoire. »

 

La salle de cours se situait dans la tour centrale de la Zone I. Elle était assez grande pour accueillir quelques centaines de personnes assises mais les recrues ne prirent place que sur les chaises les plus près du pupitre, au centre de la pièce, surélevé par une petite estrade. Les bancs et les bureaux étaient en arc tout autour, de façon à ce que chacun puisse voir et entendre la personne prenant la parole au pupitre. Les grandes fenêtres qui faisaient le tour de la salle avaient été ingénieusement placées de sorte à ce que les rayons du soleil venait éclairer l’estrade tout au long de la journée. Les mésanges s’installèrent et la Caporale entra moins d’une minute après, dans son uniforme violet, moulant sa silhouette féminine et sa musculature. Koney céda la place à sa supérieure, qui remettait ses cheveux blonds et roses sur le même côté en posant une pile de feuilles devant elle. Habillant son visage d’un sourire, elle prit le temps de croiser le regard de chacune des recrues. Ses yeux bleus clairs brillaient dans les reflets du soleil qui se levaient sur la pièce. Elle prenait le temps de mémoriser chaque visage, avant de passer au suivant. Avant qu’elle ne dise le premier mot, l’attention des Mésanges était complète. 

« Bonjour, souria-t-elle. Je me présente à nouveau, Caporale Hillary Valdock, et c’est moi qui organise la Sélection. 

- C’est donc à vous qu’on doit tout ça… siffla Ash entre ses dents, espérant n’être entendu que par ses camarades.

- Pas entièrement, répondit la jeune femme en se penchant sur le pupitre pour mieux regarder le masque. Je ne choisis pas les modalités de la première épreuve, je les autorise. (elle se redressa pour s’adresser à tous) Aujourd’hui nous allons passer une petite heure ensemble pour parler du fonctionnement de la Légion, répondre à vos questions et je l’espère, vos doutes. Sachez que vous avez pleinement l’autorisation de me couper la parole, dit-elle, si c’est pour poser une question. Il n’y en a pas de mauvaises. Avant de commencer, j’en ai moi-même une. Ceux parmi vous qui pensent mériter l’Olympe, pouvez-vous lever la main ? 

Cinq d’entre eux levèrent la main. Les deux cousins, Charlotte, Damien et Onyx qui avait fini d’installer sa tête dans le creux de son coude. 

- Et les autres ? demanda-t-elle. Vous ne levez pas la main ? 

Elle tourna la tête vers Ludo. La fille de dix-sept ans, assez grande et coiffée de cheveux tombant jusqu'à sa mâchoire, n’avait pas levé la main.

- D’où viens-tu ?

- De Nivisky.

- Et pourquoi ne penses-tu pas mériter les privilèges d’un légionnaire ?

- Eh bien.. Je suis la dernière de ma fratrie. J’ai été serveuse pendant un moment et je sais pas faire grand chose d’autre… Ah si ! Mon grand-père m’a un peu appris à tirer à la carabine.

- Tu as survécu jusqu’à l’âge de dix-sept ans à Nivisky. Tu as appris à manier une arme à feu. Mais surtout, tu as réussi le CO-CON. Et pour cette simple raison, toi, comme les autres ici-présents, êtes légitimes à devenir légionnaire. (elle descendit de l’estrade pour se rapprocher des bureaux) La Légion ne s’intéresse pas à vos racines. Votre milieu de naissance ou vos activités passées importent peu. Ici, seules vos compétences et votre volonté à faire grandir et à servir le Landau sont valorisées. Vous comprenez ce que je veux dire ? 

Les Mésanges hochèrent la tête. 

- Vos expériences passées, reprit-elle, n’importent que si vous pouvez les mettre à notre service. Alors, en gardant cela à l’esprit, je vais reformuler ma question. (elle s’assit contre l’un des bureaux au bout d’une rangée, celui de Ludo, et croisa les jambes) Ceux parmi vous qui ont acquis des savoirs, qu’ils pensent pouvoir mettre au service du Landau, levez la main. 

Toutes les Mésanges levèrent la main, sauf Onyx qui, cette fois, baissa la sienne. 

- Voilà qui est mieux ! s'exclama-t-elle avec gaieté. Maintenant que vous êtes conscient de votre valeur et de ce que vous pouvez apporter au monde qui vous entoure, nous allons parler de l’aspect pratique. Si cela vous convient, nous allons parler en premier lieu des différents grades que vous pourrez rencontrer, des factions, et enfin nous finirons par une petite séance de questions. Vous trouverez sous les bureaux des feuilles et des stylos pour ceux qui souhaitent prendre des notes. Des questions ? Bien. (elle s’adressa aux deux Première-Classes) Vous pouvez partir si vous le souhaitez. 

Ladvard acquiesça silencieusement du fond de la pièce, mais ne partit pas. 

- Dans ce cas je vous laisse, annonça Koney, j’ai encore quelques préparatifs à faire pour demain. 

- À la prochaine Koney. 

Hillary marcha jusqu’au pupitre et prit une de ses feuilles en main.

« Commençons par les trois grades que vous devez connaître. 

- Vous nous pensez pas capable d’en retenir plus ? demanda Richard, légèrement vexé.
- Votre statut actuel est celui de recrues. Si j’emploie le mot statut et pas grade, c’est parce qu’à nos yeux, vous êtes encore des civils. Les prochains jours vont servir à donner un socle de compétences à chacun d’entre vous, afin que vous puissiez prétendre au rôle de légionnaire. Une fois que vous aurez une faction, vous serez des Novices jusqu’à la fin de votre formation, qui va durer environ six mois. Si vous faites bien votre travail et que vous apprenez vite, vous deviendrez, après votre première mission sur le terrain, des Seconde-Classes, puis en montant encore les échelons, des Première-Classes comme Koney ou Ladvard. 

- Novices, Seconde-Classe, Première-Classe, répéta Charlotte. Ce sont les trois grades que l’on doit retenir Mme. Valdock ? 

- Parfaitement. 

- Maintenant, parlons du salut militaire. Quand doit-on le faire d’après vous ? demanda la Caporale.

- Quand on croise un supérieur, répondit Damien. 

- T’imagines la plaie ! ricana Hillary. Surtout pour vous, qui êtes en bas de la pyramide, vous n’auriez plus envie de marcher dans les couloirs !

- Quand on assiste à l’ouverture d’une cérémonie ? demanda Charlotte. 

- C’est une demie-vérité… Il est parfois nécessaire pendant des parades ou devant une autre organisation militaire, comme les Lames Impériales de Tsokubo, l’Ordre du Lion d’Oldan ou encore la Force Ardente de Nivisky. En fait, c’est beaucoup plus simple que toutes les raisons protocolaires que vous pouvez imaginer. Nous effectuons le salut (elle prit une courte inspiration) : quand un supérieur exige le salut. 

Elle retourna s'asseoir sur le coin d’un des bureaux. 

- Ladvard, tu peux nous faire une démonstration ?

Le claquement du pied de Ladvard raisonna dans toute la vaste pièce tandis qu’il se tenait debout, le salut effectué. Onyx qui s’était assoupi, tressaillit au moment du son avant de s’affaler à nouveau sur le bureau.

 

Le reste de l’heure fut complété par des informations sur les différences entre les responsabilités d’un civil et celles d’un légionnaire, qu’est-ce qu’une cour martiale, un jugement militaire, ou encore, le statut de Renégat. Puis par des questions en tout genre qui furent posées par les Mésanges, sur les salaires et les avantages des factions par exemple. Le temps s’écoula assez vite. Hillary se permettait souvent des traits d’humour mais ne perdait pas trop de temps en divergence pour ne pas émousser leur concentration.

 

Après la fin de la formation, les Mésanges mangèrent au réfectoire en même temps que les autres recrues. Le calme s’était installé dans la salle, imposé par les réflexions silencieuses que ruminaient chaque recrue après la séance d’information du matin.

Seth prit un plateau et fit la queue devant les plats de Tsokubo. Il avait l’habitude de rester avec son cousin mais ce dernier était parti au buffet de Nivisky pour goûter les nouveaux plats. La queue s’arrêta brusquement et Seth manqua de renverser le contenu de son plateau sur la blouse devant lui.

« Tu m’as surprise ! Ça va ? Rien n’est tombé ? demanda Charlotte, qui s’était retournée. 

- Mm-mh, répondit Seth en secouant sa tête de gauche à droite. 

- Tu as pris quoi ? 

Elle regarda sur son plateau et vit le bol de soupe dans lequel baignaient des pâtes filaires, des légumes et des tranches de viande.

- Moi j’ai pris le naengy..

- Naengmyeon, corrigea Seth. 

- Oui c’est ça ! Bon je vais rejoindre la table de Ash et Richard. Tu nous rejoins quand t’as fini ? 

Seth disposa religieusement un œuf sur son plat. Je vais manger avec Jin, pensa-t-il avant de répondre : 

- Mmh-mm. »

Charlotte lui fit un signe de tête en souriant avant de sortir de la file et de marcher vers la table où Ash et Richard s'étaient assis avec le même plat : un rôti de bœuf accompagné de tomates, courgettes et aubergines en sauce. 

« Mais si j’te jure ! Un truc énorme ! braillait Ash. 

- Arrête de dire des conneries, ça se saurait s’il existait un truc pareil ! rigolait Richard avant de planter ses dents dans la viande. 

Malgré la différence d’âge entre les deux garçons, ils s’entendaient très bien.

Charlotte, qui venait de s’asseoir, s’attacha les cheveux en arrière. 

- Vous parlez de quoi ? demanda-t-elle. 

- Je racontais la fois où j’ai croisé une créature monstrueuse au nord d’Oldania, expliqua Ash avec un air faussement héroïque. 

- Tu m’en diras tant ! Eh bien ? Comment était-elle ? essaya de le piéger la jeune fille, qui avait déjà entendu des récits sur certaines d’entre elles. 

- Mais tu vois pas qu’il raconte des salades ! ria Richard. Les Sentinelles ne laisseraient jamais une créature s’approcher aussi près de la Capitale. 

- Elle était énorme comme… (Ash cherchait ses mots) Comme le monsieur en armure à la Sélection. 

- Goro ? supposa Charlotte. 

- Oui ! Aussi gros que lui. 

Ils éclatèrent de rire.

- Elle se tenait à quatres pattes, continua l’enfant masqué, c’était sombre mais j’crois bien que sa peau était grise. Au bout des doigts, qui étaient hyper longs hein, y avait des griffes qui ressemblaient à des couteaux. Et elle avait des piques sur le dos et tout. 

- Et ? lâcha Richard dont les yeux étaient brillants d’imagination. 

- Et voilà. J’t’ai dit, il faisait noir et j’ai pas bien vu. 

Ash plongea une cuillère dans sa gamelle pour ramasser une patate dans un mélange de beurre fondu et de thym. Il souleva son masque pour faire passer la cuillère dessous mais la sauce retomba dans sa gamelle.

- Tu devrais l’enlever pour mâcher, se moqua Richard avant de mordre dans son rôti. 

- Merci Richard, j’y penserais, rétorqua Ash.

- Et comment tu t’en es sorti alors ? s’enquit la jeune fille, intriguée par les détails qu’avait donnés Ash. 

- Je ne vais pas te donner tous mes secrets ! lui répondit le garnement après avoir finalement réussi à mettre la cuillère dans sa bouche. 

Jin, qui venait d’arriver, posa son plateau sur le bord de leur table.

- On peut s’asseoir avec vous ? 

Il était accompagné de Ludo et de Seth. 

- Oui bien-sûr, répondit Richard en décalant ses fesses pour faire de la place sur la banquette. »

 

Comme convenu, après le repas, les Mésanges rejoignirent Koney et Ladvard qui les attendaient devant le réfectoire. 

« Vous allez avoir une consultation médicale, déclara la Première-Classe sans détacher les yeux d’un document qu’elle tenait. Et quand vous aurez fini, vous me rejoindrez dans le gymnase. Répondez moi avec l’Oricom si vous avez compris. »

Les recrues utilisèrent les petites gemmes à leur oreille et avec l’intention, réussirent à répondre à Koney. 

 

Chacun vit le médecin un par un, dans un bureau de l’hôpital de la Zone I. Le premier à passer fut Ash. 

Le Dr. Zadif les attendait assis sur son fauteuil derrière un bureau minimaliste. Ce n’est qu’une fois debout qu’Ash perçut la taille imposante de l’homme aux lunettes carrés. Il portait un uniforme noir. Un Utilitaire, pensa l’enfant. 

« Tu peux venir t’asseoir ici »

Lui avait adressé le docteur en tendant le bras vers une table d’examen. 

Aussi loin qu’il s’en souvienne, Ash n’avait jamais été chez le médecin. L’objet sur lequel il s’assit ressemblait à un long lit plat, avec des roulettes au bout des pieds. Il s’approcha du lit et le médecin vint régler la hauteur pour lui faciliter la tâche. Ash s’assit sur l’objet. C’était une matière moelleuse avec un revêtement en vinyle noir. Le docteur releva le dossier à l’aide d’une manette et lui demanda de s’y adosser, ce que l’enfant fit. 

L’homme commença son examen de routine par un moment à observer l’enfant. 

« Environ dix ans, teint pâle et corps chétif indiquant une sous-nutrition, des coupures sur des doigts calleux, quelques lésions cutanées probablement dûes aux morsures ou piqûres d'insectes, globalement méfiant et intimidé. Il a probablement vécu dans la rue quelques années, peut-être y est-il depuis toujours. J’ai pas de dossier, aucun rapport de vie civile. Comment il a fait pour être pris celui-là… pensa le Dr. Zadif avant de dire en habillant son visage d’un sourire :

- C’est ton premier examen médical ?

- Oui. C’est ok le masque ? se risqua l’enfant. (se rappelant de la réplique de Bensom, il ajouta) J’ai une brûlure alors…

- Oui. Stella, une des Sept-Perles, m’a déposé un document officiel de la part de quelqu'un d’autre. Déclarant ton masque comme nécessaire. Si ta question c’est “est-ce qu’il suffira”, la réponse est oui. En revanche si tu veux que je jette un œil à ta brûlure je peux, proposa le Dr. Zadif. »

Ash déclina d’un mouvement de tête.

- Cécilia probablement… Elle doit savoir que je suis là. Je me demande quel est son grade. Il faudra vraiment que je la remercie quand je la verrai, avait pensé le garnement.

« Ne t’inquiète pas, avait repris le docteur. Je vais t’expliquer tout ce que je fais et tu es libre de refuser certaines manipulations. Là, je vais écouter ton cœur et tes poumons pour voir s’il n’y a rien d’anormal. Le bout de mon stéthoscope va être un peu froid.

Le Dr. Zadif se mit derrière l’enfant et frotta la surface de l’outil avant de le poser sur la peau de l’enfant.

- Comme quoi ? demanda l’enfant.

- C'est-à-dire ? 

- Vous… Enfin… Vous cherchez quoi ?

- N’importe quoi qui sorte de l’ordinaire. Une arythmie cardiaque, un souffle sibyllin.. Ce genre de choses. Tu t’intéresses à la médecine ?

- Non, répondit Ash qui se détendit un peu. Enfin je crois pas. Je demandais juste ça pour faire la conversation.

- C’est bien d’être curieux, sourit le Dr. Zadif. Maintenant, je vais avoir besoin de connaître ton poids, ta taille et ton âge. Je vais te demander de te placer contre le mur…

- Comme chez les flics, ironisa Ash.

- On mène pas les mêmes enquêtes, répondit le Dr. Zadif.

- Vous, vous enquêtez pour trouver le criminel avant qu’il ne commette un crime.

- J’aime bien comment tu formules ça. »

Après un questionnaire et une batterie de tests, l’examen médical était fini. Le docteur nota quelque chose sur une feuille et lui serra la main avant de l’inviter à sortir.

Après quoi, Ash était fixé. Le Dr. Zadif était un “gentil”, pour le moment. Et il avait été ravi d’être le centre de l’attention dans ce petit bureau médical, bien que quelques remarques sur son poids et sa condition physique l'avaient offensé. 

Le suivant à passer fut Seth. Il s’installa sur la table d’examen après que le docteur l’y ait invité. C’était un garçon aux caractéristiques physiques époustouflantes pour son âge. Il avait une taille légèrement supérieure à la moyenne et sa vue était parfaite. Son poids aussi dépassait nettement la courbe des enfants de son âge. Ça, et les très nombreuses cicatrices sur le corps du garçon, des cicatrices dûes à des objets tranchants, ainsi que de vieilles fractures, indiquaient qu’il s’était énormément entraîné pour atteindre cette étonnante masse musculaire à un si jeune âge. Parmi les marques, il y en avait des plus ou moins anciennes, remontant d’après les estimations du docteur jusqu’à plusieurs années. Ses mains étaient recouvertes de cornes, ce qui confirmait l’hypothèse du docteur. Il fit passer les examens au garçon sans lui poser de question. Il avait perçu dans sa façon de répondre aux questions classiques, que l’enfant s’en tiendrait au strict nécessaire et ne dévoilerait rien de son parcours ou de quoi que ce soit qui puisse sortir du cadre médical. Ce que le docteur respectait. 

- Après l’autre masqué, ça fait presque un choc d’avoir un enfant aussi silencieux, s’était-il dit en prenant une aiguille pour lui faire la prise de sang. 

Il prit le bras de l’enfant et voulut piquer dans le creux de son coude. Mais l’aiguille se courba jusqu’à la rupture. 

- Merde ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?! Il a quand même pas utilisé la densification.. Non c’est impossible. J’ai senti son bras se contracter, mais ça ne peut pas être simplement son muscle… pensa-t-il.

« Excusez moi docteur, je ne m’attendais pas à ce que vous me piquiez…  

- Euh non, c’est moi qui m’excuse.. J’aurais dû te prévenir. Je vais prendre une autre aiguille. 

Il en prit une nouvelle dans un des tiroirs sur le côté.

- Voilà je vais piquer, un, deux, trois. »

L’aiguille était parfaitement rentrée. Il préleva le sang nécessaire et termina la suite des examens avec cette révélation bien étonnante en tête : Le bras de Seth s’était simplement contracté à l’approche de l’aiguille, l’empêchant de percer la peau.

Après avoir reçu Charlotte, puis Domran, et enfin Richard, vint le tour de Jin. 

- Ça en fait des enfants dans ce groupe… 

Décontracté, l’enfant avait écouté les consignes du médecin et s’était installé sur le lit comme les autres avant lui. Comme pour son cousin, Jin avait un physique hors-pair, à l’exception qu’il était un peu plus petit que Seth, malgré l’année de plus, et le docteur n’eut pas besoin de regarder leur nom de famille pour remarquer leur similitude, bien que les couleurs des cheveux étaient inversées. Son corps était, lui aussi, recouvert de cicatrices plus ou moins anciennes et profondes. Il pensa à prévenir Jin qu’il allait le piquer, et il n’y eut pas la moindre résistance.

Onyx fut le dernier à entrer dans le cabinet. Ladvard, qui l’accompagnait, s’adossa contre le mur et croisa les bras.

« Salut doc. Voilà Onyx. »

Puis il ajouta :

« Si jamais te venait l’envie d’être curieux, il faudra poser tes questions à Ajax.

- Je crois que si j’ai des questions, je préfère encore me les garder qu’aller demander au Vice-Gouverneur Ajax.. »

Le Dr. Zadif avait plusieurs années de métier. De par sa profession, et la discrétion qu’elle imposait, mais aussi de par sa personnalité, il était quelqu’un de confiance. Il faisait bien son travail. Et s’il le fallait, il ne se poserait aucune question. 

Il fut surpris de constater que l’enfant aux cheveux gris n’avait aucune cicatrice sur le corps, aucune fracture interne, et semblait doté d’un corps en parfaite condition physique pour son âge. Si ce n’était sa musculature, la seule chose qui aurait pu être notable, est qu’il était légèrement plus petit que la moyenne. En somme, rien d'alarmant. Pour l’examiner, il voulu retirer les bandages sur les extrémités de l’enfant mais Ladvard l’en dissuada. 

Onyx semblait en apparence bien insouciant à ce qu’il se passait. Pourtant il était bien attentif. Ses connaissances lui permettaient de déduire l’utilité des instruments qu’il n’avait jamais vus avant.

Après un temps, le médecin s’adressa à Onyx en fixant à tour de rôle ses pupilles rouges, puis ses cheveux blancs. Il prit une lampe de poche pour faire le test de réflexe oculaire et dit :

« Ouvre les yeux bien grand »

Onyx fit ce qu’on lui avait demandé, mais quand le médecin fit vaciller le faisceaux lumineux devant les yeux de l’enfant, ni sa pupille rouge, ni le fond noir dans laquelle elle baignait ne bougea. Plus précisément, la pupille ne se dilata pas du tout. Pas même un tressaillement. Mais elle suivit le mouvement de la lampe. Le docteur répéta son mouvement pour confirmer son raisonnement et finit par conclure : 

- Cet enfant est parfaitement aveugle.

Il nota ses observations sur sa fiche et demanda à l’enfant, dont la pupille venait de se mouvoir, combien il avait de doigts.

« Vous voulez dire dans la vie ? répondit Onyx. Normalement on montre un chiffre quand on pose cette question. 

- Impossible… Il est aveugle. Mais pourtant il voit. Oui, je voulais te faire une blague. répondit le médecin. 

- Beh c’était à chier, répondit Onyx. »

Dr. Zadif regarda Ladvard, impassible. Et ne posa aucune question. Puis fit la prise de sang à Onyx avant de l’appliquer sur les différents tests. Il observa les résultats puis se concentra de nouveau sur les yeux, puis les cheveux de l’enfant.

- Voilà des particularités physiques qui n’ont rien à voir avec celles de ce peuple… (pensa le médecin) Pourtant… 

Il secoua légèrement les résultats du test sanguin d’Onyx en les observant à la lumière de sa lampe de bureau.

« Tu es un Roukinaider, comme Ladvard ? (il se tourna vers Ladvard) Je peux demander ça ?

- Oui, répondit le rouquin, toujours adossé contre le mur. »

« Non. » 

Lui avait simplement répondu Onyx.

« Comme eux, tu as une très forte proportion de globules rouges, avait poursuivi le Dr. Zadif, les yeux rivés sur le papier buvard qui avait réagi aux gouttes de sang. 

- Ah bon ? Et ça veut dire quoi ? 

- Le pire à craindre est un risque de thrombose, c’est une… 

- Je sais ce que c’est, le coupa Onyx. 

- Ah. Mais je pense que ça n’arrivera pas, parce que ton corps semble parfaitement équilibrer cet excès. (il ajouta) Comme celui des Roukinider, d’où ma question. Donc pas de quoi s'alarmer, tu as simplement un physique avantageux pour l’exercice. Au cas où,  préviens moi si tu sens des malaises, si c’est la maladie de Vaquez, et pas une particularité physique, ça peut causer une anémie passagère. »

 

À la suite de l'entretien, Onyx rejoignit les autres Mésanges dans l’un des deux grands gymnases de la Zone I. Les membres les plus jeunes, qui avaient mangé ensemble, avaient décidé de faire leur renforcement musculaire côte à côte pour se motiver mutuellement. Koney n’y voyait pas de désavantage, au contraire, c’était plus simple de vérifier que tous suivaient son programme à la lettre. 

« C’est qui le plus vieux ? 

- Pourquoi tu… demandes… Ash ? T’as peur d’être le plus jeune ? se moqua Ludo. 

- Non ! Et puis même si, ça fait rien ! rétorqua Ash en s’étirant les adducteurs. 

- J’ai dix-sept ans, souria Ludo. 

- Moi je suis né en quarante-quatre, répondit Charlotte en posant les poids de cinq kilos qu’elle soulevait jusqu’ici.

- Zut, moi en quarante-six, répliqua Ash. 

- Fffffff… Pareil, dit Seth qui expirait lentement l’air de ses poumons en maintenant son corps à la verticale, tête en bas, sur le bout de ses pouces.

- Les gros bébés haha, se moqua gentiment Jin entre deux pompes.

- T’as quel âge toi ? demanda Charlotte les yeux rivés sur sa fiche d’entraînement, une corde à sauter dans l’autre main.

- Onze. (il fit à nouveau une pompe) Je suis né en quarante-cinq.

- Donc j’ai un an de plus. C’est qui le bébé maintenant, ria Charlotte en sautant à la corde.

Ils riaient en cœur quand Richard les mit en garde en montrant Koney du menton.

- Faudrait peut être qu’on arrête de bavarder…

- Ah non non, ça me fait rire vos petits concours de bite, répondit Koney depuis sa chaise. Moi j’en ai dix-huit. (elle ajouta) j’ai la plus grosse… puis se remit à lire sa bande-dessinée. »

À ce moment, Ladvard et Onyx arrivèrent et prirent place pas loin du groupe. L’enfant prit des poids beaucoup trop lourds pour son gabarit à une seule main, sans montrer une quelconque difficulté. Dépité, Ladvard lui prit et les remplaça par des poids plus adapté à son âge.

« Fait des répétitions en soulevant ça.

Onyx les souleva et regarda Ladvard d’un air dubitatif, ne comprenant pas le but d’un exercice physique qui ne demande pas d’efforts. 

- Fais ce que je te dis. ajouta le Première-Classe.

- Pourquoi ? C’est toi que j’ai envie de soulever moi. J’ai pas oublié ce que tu m’as fait dans l’arène, lui lança l’enfant au regard sombre. »

Pas tombé dans l’oreille d’un sourd, Ash s’empressa de rebondir : 

« Archi sale… Et très rentre-dedans aussi. J’avais déjà remarqué que les hommes qui aiment les hommes sont toujours très francs sur leurs désirs, mais là y a problème d’âge non ? »

Les plus jeunes rièrent. Domran, Damien et Taewon sourirent. Koney avait lâché sa bande-dessinée pornographique en riant à gorge déployée et attendait la réaction de Ladvard avec impatience. Mais il n’eut pas le temps de répondre parce qu’Onyx prit la parole. 

« T’y es pas du tout, le masque. J’ai pas de désir de pénétration pour lui, je veux juste avoir l’occasion qu’on se donne tous les deux à notre maximum en combat singulier. Et là, j’arracherai sa jambe et je l’étrangler…

Ladvard abattit sa main sur le crâne de l'enfant qui rentra la tête dans les épaules.

- Tais toi et fais tes répétitions, lui ordonna-t-il. 

Onyx se frotta la tête là où il avait été frappé et se mit à faire quelques répétitions en faisant la moue. 

Le Première-Classe s’assit aux côtés de son amie. 

- J’en peux plus je te jure…

- Ça t'apprendra à refiler des bombes à n’importe qui. lui répondit Koney. Essaie de profiter en attendant.  

- Profiter ouais… souffla-t-il. »

 

À la fin de leur session de renforcement musculaire, les mésanges prirent leur douche. À la tombée du soleil, la plupart des recrues étaient ensuite parties en Zone II, pour se balader ou envoyer des lettres à leur famille. Seth et Charlotte furent de ceux-là. 

« Tu en as écrit deux ? lui demanda Charlotte.

- Non. Je poste celle de Jin.

- Moi, pour Ash ! 

- Celui avec le masque ? demanda sobrement Seth.

- Oui c’est ça. 

- Henri tu veux dire ?

- Non non, Ash, insista Charlotte.

- Le masque ?

- C’est ça. 

- Il t'a menti sur son nom.

Charlotte haussa les épaules.

- Tu sais combien ça coûte de poster une lettre ? demanda-t-elle.

- Non. 

- Je crois que c’est trois ou quatre Gramms normalement, continua-t-elle, dépendant de la taille de ce que tu veux faire livrer. Mais j’ai entendu dire que la Légion payait chaque année pour l’ensemble de ses membres,  donc c’est gratuit !

Le garçon ne rebondit pas sur le sujet, ne sachant quoi ajouter.

- Tu parles pas beaucoup Seth, je t’ennuie ? 

- Non non…  Je sais pas quoi dire.

- Tu n’as qu’à dire ce que tu penses ! 

- Un samouraï doit faire attention à ses mots car ils peuvent être plus dangereux que ses lames, pensa-t-il. 

- Alors ? s’enquit Charlotte. 

- Mmhmm, acquiesça-t-il. »

 

De son côté, Ash, qui avait missionné Charlotte, avait profité du temps gagné pour explorer le bâtiment qu’il avait découvert le soir précédent. Dans la Zone I, prêt de la Tour centrale, il entra dans le grand dortoir et partit visiter chaque étage en montant les marches deux par deux jusqu'au troisième. Un exercice qu’il regretta car ses jambes lui faisaient un mal de chien. Des voix se faisaient entendre dans la dernière salle qui, d’après les observations architecturales du chenapan, devait être une pièce commune, tout comme à l’étage inférieur. Après avoir ouvert légèrement le col de sa combinaison pour se donner un peu d’air, il s’aventura dans un bureau avec l’aisance du propriétaire des lieux qui vient reprendre une écharpe oubliée. Il marcha le long des deux bureaux dans la pièce encore sombre, caressa l’un des placards, en ouvrit un autre. Il s’assit sur le beau fauteuil et ouvrit le tiroir d’un des bureaux. Ses doigts touchèrent un sachet en toile qui l'intrigua. Le tissu était doux et il distingua le tampon des armoiries de la famille Mont-Envy, une des grandes familles de la noblesse Oldanienne. Ses doigts fouineurs s'enfoncèrent dans quelque chose de moelleux et perlé au fond du baluchon. 

« Des plunaies ! » 

 

De peur d’avoir alerté quelqu’un en parlant, il regarda autour de lui en mettant le sac dans sa combinaison. Dans la pénombre, son regard croisa celui, inexpressif, de Ladvard. Le roux avait allongé ses un mètre quatre-vingt-treize de muscles sur le fauteuil d’en face et étendait ses jambes sur le bureau juxtaposé. Il regarda Ash dans un silence glacé. Une montée d’adrénaline naquit chez Ash qui cherchait dans le tréfond de son crâne la meilleure entourloupe qu’il n’ait jamais inventée pour se sortir de cette situation de flagrant délit de vol, « en Zone I ! ». Un crime, il l’avait vu le matin même, passible de fortes réprimandes… Peut-être une décision d’un tribunal martial ? 

- Mais pourquoi je pense à ça putain ! C’est pas ça qui va m’aider ! se dit-il. 

Après quelques secondes sans réaction du Première-Classe, l’enfant décida de briser la glace : 

« Euhm… Je… 

- Pas après cette journée de merde que je viens de passer… se dit Ladvard, qui espérait secrètement que Ash s’en aille sans lui parler.

Ne trouvant rien à ajouter, Ash conclut.

- Je… vais y aller hein.. 

- Fait ça ouais. »

 

Dans un silence pesant, il pressa le baluchon contre sa poitrine et quitta la pièce le plus tranquillement que son cœur lui permit. À nouveau dans les couloirs, il commençait à peine à partir qu’il sentit le coin de son masque s’écraser sur sa tempe. 

« Encore toi minus… (la voix expira de la fumée) T’as rien à foutre là. Cet étage est réservé aux Première-Classes. 

L’odeur était un mélange adéquat de cannelle, de vanille et de brûlé que Ash reconnut aussitôt.

- C’est une manie de braquer les honnêtes gens. C’est dingue, répondit le galopin. Euhm… Clyde c’est ça ? En fait, je te cherchais. 

Toujours dans son angle mort, l’enfant entendit Clyde sortir un second pistolet de son holster. 

- Wow… T’as des choses à te reprocher ou t’as peur des enfants dans les couloirs la nuit ? 

Clyde expira la fumée de ses poumons en hésitant franchement à lui coller une balle dans la tête. Il n’en fit rien, décidant que l’agacement ne valait pas encore l’effort. Il se déplaça face à Ash en redressant son chapeau noir avec l’un de ses canons.

- Qu’est-ce que je gagne à t’écouter, lui dit-il en aspirant sur son cigare. 

- C’est quoi ton “habilité” ? tenta l’enfant.

Clyde manqua de s'étouffer et toussa le reste de sa fumée avant de rire. 

- Ah ouais. T’as troqué ta politesse contre ce masque ou quoi ? Et tu connais pas le mot “pincettes” non plus… 

- Bah si. répondit froidement Ash. C’est des petites pinces. C’est éclaté comme habilité. 

- Laisse tomber, répondit Clyde résigné. On ne dévoile pas son habilité tant qu’on y est pas contraint. Et encore moins à un petit merdeux. 

- Pourquoi ? 

- Comment ça, pourquoi ?! C’est évident non ? 

- Arrête ton male-bashing

- Je me demande d’où tu viens, (il poursuivit en se parlant à lui-même) en même temps ça m’intéresse pas assez pour que j’enquête. Personne ne va t'expliquer son habilité, reprit-il. Ça revient à dire ce dont t’es capable. Et donc ce dont tu n’es pas. 

- Donc… Tu vas pas me répondre Django ? 

- Qui c’est ça ? demanda Clyde d’un air suspicieux, comme à l'affût. 

- Laisse tomber, je te testais juste, annonça le masque en haussant les épaules. 

- Je me demande qui je vais fumer en premier… dit Clyde exaspéré. Mon cigare, mon partenaire, ou toi.

- Vous les faites à deux, les infanticides ? Tu vaux mieux que ton équipier non ? commença à paniquer l’enfant qui se rappelait que Clyde avait la gâchette facile.

Le visage masqué devenait pâle à mesure que Clyde gardait un visage inexpressif. 

- Un infanticide c’est comme un lundi de là où je viens. Ça revient forcément.

- Tu viens d’où ? 

- Nivisky. »

- C’est là où on devait aller avec Bensom dès qu’on avait assez d’argent pour faire le voyage, pensa Ash. 

Des bruits de pas tintèrent jusqu’aux oreilles du garçon. 

« Salut Lekid, tonna la voix de Jack. 

- Jack ! s’exclama Ash, tu vas pouvoir me libérer de ce pistolero malveillant ! Depuis quand tu parles anglais ? 

- Quoi ? répondit Jack. Encore toi ?

- Le kid, répéta l’enfant.

- Quoi ? répondit Clyde. 

- Attends, tu t’appelles Clyde Lekid ? comprit Ash.

- Oui. 

Le masque pouffa. Puis ria à gorge déployée. 

- Clyde l’enfant ! ria le masque. Hahaha ! Pas facile à porter ! Haha

- T’as du cran de te foutre de la gueule d’un mec qui pointe deux flingues sur toi, le coupa Jack. T’as du feu Clyde ? 

- J’en ai deux et ils me démangent !

Ash se calma, voyant la jambe de Jack encore bander de la blessure de la veille.

- Jack à oublié de m'inscrire sur le registre des participants à la Sélection, cracha l’enfant en un seul souffle, espérant que ça détournerait l’attention.

Clyde tourna ses deux yeux vers Jack qui se sentit plus menacé que Ash sous les deux canons. 

- Euh.. Déjà tu m’as mis la pression avant même que j’arrive sur l’Olympe, bafoua-t-il. Ça m’a déconcentré. Et après… J’allais le faire et Stella m’a mis une claque et… 

- Paperasse, flemme, gamin inscrit tout seul, malin, chantage, habilité… (il regarda Ash de nouveau) D’où ta question chelou. 

- J’ai toujours su que t’étais meilleur enquêteur que moi, déclara Jack avec l’intonation de la fierté d’une mère. 

- Attends, il a tout compris avec si peu d’éléments ? Il doit vraiment bien connaître son équipier, pensa Ash.

- N’essaye pas de détourner mon attention ! lança Clyde en direction de Jack. T’es vraiment qu’un incompétent ! En plus c’est un mauvais exemple pour ce gosse qu’est déjà un pourri. 

- Je suis là hein… fit remarquer Ash. Bon tu me la montres avant que je parte ? 

- Eurk, je fais pas ça moi, répondit Clyde en rangeant l’un de ses revolvers.

- Mais je parle de ton habilité gros dégueulasse !

- Oui, moi aussi gamin. Je ne fais pas ça, insista-t-il.

- … 

- Je vous laisse alors… dit Jack. J’ai une affaire à élucider. 

- Commence déjà par élucider la disparition de tes compétences, rétorqua Clyde. 

- Tu devrais tirer un coup toi, ça te calmera les nerfs, rétorqua Jack en faisant un pistolet avec ses doigts, visant les testicules de Clyde. 

- T’as toujours besoin de mon aide pour l’arnaque sur les gemmes d’enregistrement ? demanda le Niviskien en lui tendant finalement du feu.

- Laisse tomber, je vais me débrouiller, lui répondit Jack en aspirant sur sa cigarette.

Ash se déplaça d’un pas pour être bien en face de Clyde. 

- Si je vous aide à coincer ceux qui ont fait ça, tu me montres ton habilité ? 

- Oui carrément, répondit Clyde avec cynisme. Parce que deux Enquêteurs arrivent pas à la cheville d’une recrue de quoi… neuf ans ? 

- J’en ai dix, et je suis un témoin, proposa Ash comme argument imbattable.

- N’importe quoi, expira Jack. Les victimes sont supposément les seuls témoins et elles n’ont pas de souvenirs, ou vague, et elles ne me déblatèrent que leurs croyances ou stéréotypes. Jusqu’ici le coupable serait un kashin, ou un groupe de niviskien, d’après une des victimes c’est des Fils de Kebso. Y en a même qui ont décrit un enfant Roukinider ou peut-être juste les cheveux colorés. Bref on a que dalle. 

- Je te dis que je sais qui sait. C’est arrivé dans la banlieue nord d’Oldania n’est-ce pas. 

- Tu lui as dit ? demanda Jack en regardant Clyde. 

- Non, c’est la première fois qu’on en parle, lui répondit son partenaire. Comment tu sais ça gamin ? 

- Je me tue à vous le dire. Je suis témoin. Je sais exactement comment ils ont fait leur coup parce qu’ils m’ont proposé d’en être. 

- Alors accouche, s’impatienta Clyde, le canon toujours sur le masque. 

- Hepe-pep… Si tu veux un deal, tu dois faire un contrash. 

Une goutte de sueur perla sur le front de l’enfant, dont les yeux ne quittaient pas le bout du revolver.

- C’est quoi cette merde encore, répondit Clyde exaspéré. 

- C’est un contrat qui favorise systématiquement Ash, répondit Ash. 

- T’es sérieux là ?! s'esclaffa Jack. 

- Absolument. 

La jambe de l’enfant eut un spasme. Jack sourit.

- J’aurais dû y penser, ricana Jack.

- Bon tu veux quoi, t’as déjà des bonbons, t’as tout ce qu’il te faut non ? se moqua Clyde en se penchant sur l’enfant.

- Comment il a su ?! 

Ash serra le petit paquet dissimulé dans sa combinaison. 

- Non, je veux voir ton habilité, insista-t-il.

- Pff… Ok. répondit Clyde. Mais je veux tout. Leur nom, leurs adresses s’ils en ont plusieurs et surtout où on peut trouver des preuves. C’est clair ? 

- Mmmmhh…  J’aurais besoin d’un peu de temps pour trouver l’emplacement des preuves. 

- T’as trente secondes pour tout dire où je te bute et je fais disparaître les erreurs de Jack dans une mine de Nivisky. 

- Deal… répondit Ash sans remettre la parole de Clyde en doute.

- Deal (Clyde cracha dans sa main). 

Ash l’imita avec dégoût avant de serrer la sienne.

- Toi t’es un enfant du bas comme moi, dit-il. 

- Vas-y, vole moi mon partenaire, je dirais rien… se plaignit Jack en faisant mine de bouder. 

- Tu me montres d’abord, indiqua Ash en ignorant Jack. »

Clyde posa la fin du cigare dans la paume de sa main. Jack montra à l’enfant ses yeux du bout des doigts. Ce dernier comprit où il voulait en venir et se concentra pour affluer l’énergie Shaktique dans ses yeux. Le léger engourdissement installé, il se concentra sur le garçon à la peau mate et son bout de cigare. 

Une détonation retentit. 

Le cigare disparu dans un mouvement vif pour s’écraser au-dessus de la porte au bout du couloir. Ash n’avait pas eu le temps de voir le cigare en vol, mais ses yeux embués de Shakti, eux, avaient vu l’énergie bleue s’accumuler et se compresser derrière le cigare avant d’imploser, offrant au projectile une force phénoménale. 

« Bien, (en s’adressant à Clyde) je pense que tu vas pouvoir te passer d’explication vu le Shakti que le petit a utilisé, s’amusa Jack. 

- Tu as vu mon Shakti à travers mon corps ? demanda Ash, maintenant ressentant une certaine fatigue l’obligeant à cligner frénétiquement des yeux. 

- Non, répondit Clyde à la place de Jack, mais comme tu débutes encore, on voit les résidus de Shakti partout autour de tes yeux. Faudra que tu t'améliores pour avoir de moins en moins de perte. Et tu verras, avec l’entraînement t’aura même plus besoin de te concentrer, tu verras naturellement le Shakti quand ton corps sera habitué. 

- Ouais, bon, je débute. grogna Ash. C’est quand même moins stylé de propulser des trucs que de découper tout ce qu’on veut à mains nues. 

- Des fois t’as des éclairs de génies… (Clyde se tourna vers Jack) comme pour faire chanter un Inspecteur. Mais tu restes un gamin. L’important c’est pas d’avoir l'habilité la plus classe mais d’avoir quelque chose de pratique et utile à ce que nous faisons.

- Ouais… Pas sûr que tout le monde pense comme ça.. répondit l’enfant sans être convaincu. 

- Hier, t’as récupéré tes combinaisons sur le chantier ? demanda Jack. 

- Oui.  

- Qui vous a accueilli ? 

- Je sais pas, un mec qui s’appelait Yugo je crois. 

- Hugo, corrigea Clyde. 

- Eh ben Hugo utilise son Shakti en le comprimant pour augmenter les frottements et créer une flamme qui lui sert de chalumeau pour souder sur les chantiers, expliqua Jack. Tu vois ce qu’on veut dire par utile maintenant ?

- Je croyais que c’était un méga secret les habilités, fit remarquer Ash. Si j’avais su que t’étais une balance, je t’aurais demandé de me dire pour Clyde. 

- Oh le p’tit con.. commença Jack, Je peux te le dire parce que les utilitaires sortent rarement de l’Olympe. 

Avant qu’il ne puisse claquer l’arrière du crâne de l’enfant, Clyde prit la parole. 

- En parlant de balance, j’attends toujours que tu respectes ta part du marché. 

- Aïe… Je l’ai mérité celle-là. Ils s’appellent Thun et Yohan. Ce sont deux hommes… 

- On finira cette conversation plus tard, le coupa Clyde, visiblement essoufflé. »

Ladvard sortit du bureau à ce moment-là.

« Vous en faites du bruit… 

- Désolé, on s’amusait un peu, répondit Jack en éteignant sa cigarette contre sa chaussure. 

- On va boire un verre ? proposa le roux. 

- Enfin une proposition qui tient la route ! déclara Clyde. On emmène le petit ? 

- Quel petit ? ricana Jack. »

À peine les deux Inspecteurs retournés, Ash avait pris ses jambes à son cou et était retourné vers le réfectoire en riant.

La voix de Koney retentit du fond du couloir, en direction de la salle commune. 

« ON VA BOIRE ?! PRENDS MES BONBONS LAD, J’ARRIVE ! »


 

* * * 

 

Ash se rendit en courant jusqu’au réfectoire où il croisa Seth, adossé contre la baie vitrée. 

« Salut… Seth ? C’est ça ? Je voulais te demander un petit service. 

Le jeune samouraï le regarda dans les yeux sans lui répondre. 

- Au moins il me regarde, c’est toujours mieux que Jack dans le train… se dit Ash. En fait, j'ai regardé ton combat pendant le CO-CON… 

- Depuis le sol, commenta Seth. 

- Euh, oui. Depuis le sol. Et je t’ai trouvé super impressionnant ! Et comme avec Jin vous m’avez dit que tout le monde s’est entraîné avant de venir à la Sélection, je me suis dis que… Ben… Tu pourrais être mon sensei ?

- M’appelle pas comme ça. Et tu ne mérites pas mon enseignement. 

- Pourquoi pas ? 

- Parce que tu es un tricheur. (il regarda la blouse de Ash qui bombait où le sac de confiserie était caché) et un voleur…

- Allez… Soit cool avec moi… On a le même âge. Tu vas quand même pas laisser un enfant aller à l’abattoir ! Ça fait pas très bushido. Et qui a dit que je comptais pas partager mon butin ?

Seth regarda froidement l’enfant avant de lui demander :

- Si je t’enseigne deux ou trois petites choses, tu continueras à voler ?

- Euh… (Ash se gratta l’arrière du crâne d’un air embêté) Oui… finit-il par dire. Oui je continuerai à voler même si tu m’enseigne un ou deux trucs et que ça va à l’encontre de tes valeurs. Je le ferai forcément.

Ash baissa la tête, prêt à s’en aller.

- D’accord, lui dit Seth. Retrouve moi demain à l’arène de Kavga avant les premières lueurs du soleil. 

- Sérieux ?! Mais attends, t’as compris ce que je viens de te dire ? Et tu monnaye tes services ? Parce que niveau thune c’est pas fou-fou en ce moment mais après je peux te ramener des clients et on fait moitié-moitié sur ce que tu touches… 

- Me fait pas regretter ma décision, lui répondit Seth en soulignant sa réponse d’un regard noir. J’ai décidé de récompenser ta sincérité. Mes compétences et mon savoir-faire ne seront jamais impliqués dans un échange commercial. Ce serait déshonorant.

- Y’a qu’un riche pour dire qu'il ne vendrait pas ses compétences pour de l’argent. En tout cas merci sensei, tes enseignements vont probablement me sauver la vie.

- Même mendiant je ne tomberai pas si bas. Et ne m'appelle pas comme ça, Henri.

- Dis le noble… Et je m’appelle pas… Laisse tomber. »

Ash partit se coucher, il croisa Jin qui rejoignait Seth dehors.

 

Plus tard dans la soirée, une fois les jambes dans son duvet, Seth prit son sabre et le mit le long de son corps. Jin sortait des douches. Il était le dernier. Les recrues étaient couchées depuis plus d’une heure mais les deux cousins avaient discuté jusqu’à très tard en regardant le ciel. Jin s’allongea dans son sac rembourré et souhaita à Seth une bonne nuit. Leurs paupières étaient lourdes et le sommeil ne se fit pas attendre. 

Ash dormait depuis déjà plus d’une heure. Le renforcement musculaire, le repas du soir et son utilisation du Shakti avait eu raison de son excitation. 


 

* * * 


 

Froid et nauséeux. C'étaient les deux sensations que Seth avait ressenties en premier. Il peina à ouvrir ses yeux, encore collés par le sommeil. Il rassembla ses idées et se rendit compte très rapidement que quelque chose n’allait pas. Depuis leur entraînement, les deux cousins avaient toujours gardé un sommeil léger, en constante alerte. Cet état de fatigue excessive avait dû être induit par une drogue. Mais qui aurait pu le droguer alors qu’il était au sein de la Zone I ? Ce devait être un entraînement, c’était la seule possibilité. 

Il ouvrit les yeux et vit son visage ondulant sur le reflet des vagues. Il sentit ses mains et ses pieds attachés. 

« Merde. »

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