« Akar :
De nature végétale ou animale, leur présence fut découverte par l’Homme lors de la Première Aire. D’un type à l’autre, les Akars présentent autant de variétés morphologiques qu’en offrent les règnes animal et végétal combinés, il en existe autant de variétés que d’écosystèmes découverts à ce jour. Bien que la biologie moléculaire n’ait pas permis de découvrir leur histoire génétique, des recherches ont montré qu’un Akar est la somme d’un être vivant et sa maîtrise du Shakti (cf. l’Encyclopédie des découvertes, Chapitre 1 : Le Pouvoir Universelle). Leur existence est d’ordre naturel et les capacités qu’ils développent sont très nombreuses. La science établit, en 708 avant J-C, une corrélation entre la nature de ces capacités et celle de l’espèce d’origine (nous entendons par là avant l'accommodation au Shakti). Ces différentes aptitudes sont hors normes car elles transcendent celles du vivant en présentant une adaptation à la survie qu’aucun être “a-shaktique” ne peut atteindre. »
Extrait de ‘l’encyclopédie du vivant’, Vol 2, ‘Les Dangers’.
La première fois que Seth ouvrit les yeux, il observa les dizaines de sacs de couchage en fourrure d’Akar, alignés comme des tombes tout autour de lui. Après s’être levé consciencieusement afin de ne réveiller personne, il s'était approché de la baie vitrée qui servait de mur à une grande partie du réfectoire-dortoir. Elle séparait la chaleur corporelle des recrues entassées et le froid mordant des premiers jours de janvier et s’était recouverte durant la nuit de condensation. Seth voulu jeter un œil sur l'extérieur et balaya les gouttes accumulées d’un revers de main mais ne vit dehors qu’un gris laiteux et opaque. Le brouillard avait recouvert l’Olympe en s’insérant jusqu’au milieu de la Zone I. Son imagination suivit ce brouillard, voguant dans les rues de cette île. Il pensa à ses bâtiments et à son personnel. Car les habitants, à l’exception de quelques riches touristes ou envoyés diplomatiques, étaient surtout du personnel : des Légionnaires. Ses pensées furent interrompues par des pas réguliers, anormalement lourds, qui résonnaient à quelques mètres de la porte du réfectoire-dortoir. Ils avaient quelque chose d’angoissant, bien que légèrement familier. Il fit le trajet inverse, en utilisant une de ses techniques pour revenir dans le plus grand des silences, et se remit en hâte dans son sac de couchage. Les yeux fermés pour feindre le sommeil, Seth se concentra sur les pas de plus en plus bruyants qui s'approchaient.
« BAOWWMMM ! »
Par réflexe, il colla ses mains sur ses oreilles et regarda dans la direction de la porte, maintenant disparue. Un autre choc se fit presque immédiatement entendre à l’arrière de la salle et le jeune garçon se retourna pour en observer la provenance. La lourde porte en métal était tordue, presque pliée en deux, et encastrée dans le mur opposé à l’entrée du réfectoire. Faisant à nouveau volte face pour comprendre qui avait réalisé cette action absurde, il découvrit la coupable se tenant debout dans l’encadrement de l’ancienne porte du réfectoire ; une jeune femme d’une vingtaine d’années, visiblement d’origine Tsokubienne, le pied encore à la hauteur de ses hanches. Ses longs cheveux noirs étaient attachés en une queue de cheval désordonnée qui laissait voir quelques racines blondes.
« Peu importe le continent, elle est toujours chiante celle-là… » souffla le sac de couchage derrière lui, dans lequel Jin était enroulé.
Quelques recrues étaient sorties de leur torpeur en sursaut, d’autres ouvraient péniblement les yeux. Le bruit assourdissant de la lourde porte en métal n’avait pas réveillé Ash (probablement une faculté acquise à force de dormir dans la rue, parfois en pleine journée), mais une masse compacte s’était écrasée sur lui juste après le son et le choc l’avait sorti instantanément de ses rêveries. La plupart des recrues étaient furieuses d’avoir été réveillées de cette façon, mais toutes les plaintes et les murmures se turent quand la jeune femme se mit à parler.
« Il est déjà six heures. annonça la voix, féminine et autoritaire. Allez vous préparer avant qu’on soit en retard ! »
Elle haussa encore le volume afin que les plus assoupis puissent l’entendre même dans leur rêve :
« Mon nom est Koney, je suis une Première-Classe appartenant au Groupe d’Inter… Oh putain mon p’tit Su !! s'interrompit-elle. T’as tellement grandi ! »
La jeune femme s’élança en quelques bonds sur Seth encore assit sur son sac de couchage et le prit dans ses bras robustes.
« Regarde comme t’es devenu beau !
- M..rc..
- Tu l’empêches de respirer, l’informa Jin qui se redressait.
- Buuuuurp..
Elle lui offrit un rot au visage en guise de réponse.
- T’es là toi aussi ? ajouta-t-elle ensuite sans le regarder.
Elle s’adressa à Seth qui reprenait une bouffée d’air légèrement teintée d’une odeur d’alcool.
- Bon désolée, je dois quand même m’y remettre mais on se verra tout à l’heure mon p’tit Su !
Elle l’embrassa sur le front avant de se relever en un bon du sac de couchage :
« Je disais quoi déjà.. Je m’appelle Koney et c’est moi qui me charge de votre accompagnement ce matin. Des questions ? »
Seth, maintenant libre, leva les yeux vers la jeune femme. Ses cheveux attachés dégageaient son visage féminin parsemé de tâches de rousseurs et ses yeux bleus. Ce visage si souriant lui avait manqué.
Après un léger silence elle reprit :
« Euh.. Je suis presque sûre que j’oublie un truc.. Bon, remettez les tables et les chaises à leur place et rejoignez moi dehors. elle ajouta en tapant dans ses mains : Inutile de prendre vos sacs. Au travail ! »
Une agitation importante se mit en place pour rétablir le dortoir en réfectoire. Seth vit Onyx en rangeant son sac de couchage. Il était étalé de tout son long après être tombé sur le corps de Ash qui tentait de se libérer tant bien que mal. Quelque chose chez le garçon aux yeux rouges avait changé. Non seulement ses avants-bras et ses mollets étaient recouverts de bandages jusqu’au bout des ongles. Mais il y avait autre chose de changé, sur lequel le jeune tsokubien ne mit pas le doigt tout de suite.
* * *
Les recrues se tenaient alignées dehors. Ils étaient une quarantaine et aucun ne bougeait. Seth n’avait pas vu Koney depuis presque un an. Il était heureux de voir un visage familier au sein de cette grande organisation (sans compter Jin, son cousin). En la voyant porter l’uniforme de la Milice, et le respect qu’elle imposait à ce bataillon de recrues, il eut un élan de fierté.
La jeune tsokubienne tenait dans ses mains une tablette en bois qui servait de support à une petite pile de feuilles quadrillées, qu’elle regardait de ses yeux bleus avec attention. On aurait pu dire qu’elle était assez grande, mais avec ses un mètre soixante-treize, Koney se trouvait plutôt dans la moyenne des femmes légionnaires. Le brouillard se dispersa lentement pendant les minutes d’attente qui suivirent. Le froid leur mordait les chevilles mais les recrues tremblantes patientèrent jusqu’à l'arrivée de quatres autres Première-Classes qui vinrent se tenir aux côtés de la jeune femme. Seth, comme d’autres recrues, reconnut Ladvard et son débardeur de Fantassin. Les trois autres, des Miliciens au vu de leur pantalon, discutèrent avec Koney de façon inaudible avant de se placer de part et d’autre de la jeune femme qui prit la parole :
« Bien, écoutez-moi ! (le calme déjà installé se densifia) Nous avons constitué des groupes de dix, annonça-t-elle avant de vérifier sur la feuille. Euh oui, dix, c’est ça. Chacun de vous ira avec le Première-Classe qui sera chargé de vous évaluer. Donc si je dis pas de bêtises ça sera quatre groupes. Avec moi il y aura : Taewon, Charlotte, Richard, Domran, elle soupira avant d’annoncer : Jin (sans savoir qu’il en avait fait de même en entendant son nom), Damien, Ash, Ludo, Onyx et Seth. Vous serez les Mésanges, venez vous mettre devant Ladvard ! annonça-t-elle d’un air enjoué.
- Putain j’voulais pas être à Serdaigle moi.. lança Ash.
- J’ai cru entendre une voix de puceau se plaindre ? Quelqu’un veut une raclée ? s’interrogea honnêtement Koney en s’étirant les bras.
- J’me suis pas réveillé à six heures pour me faire insulter de pigeon.. marmonna le jeune garçon dans son sweat sale, faisant glousser discrètement Jin. »
Koney donna la tablette en bois à un des autres miliciens qui commençait à appeler l’équipe des Éperviers. Koney commença à partir d’un pas décidé lorsqu’une des autres Première-Classe l'interpella :
« Euh, Koney !
- Ouais T ?
- Ben, t’es supposée les compter tu te souviens ? »
- Ah merde c’est ça que j’ai oublié, se dit-elle avant de se retourner vers la file indienne de recrues, et de les compter du doigt.
« Ils sont dix comme prévu, répondit-elle. Euh.. Je ne les ai pas compter tout à l’heure, donc je ne sais pas combien il vous en manque. Vous devriez vérifier dans vos groupes. Merci Thenia ! »
Thenia appelait son groupe, les Hirondelles, avant d’en compter ses membres tandis que ses collègues faisaient de même pour le leur.
* * *
Après avoir traversé la Zone I et être passée par la porte sud, Koney sourit en regardant la petite troupe qui la suivait toujours en ligne.
« Dites, vous êtes pas obligés de rester en rang comme ça hein, leur dit-elle en riant, j’ai l’impression d’être une maman canard. »
La voyant rire, les recrues se détendirent un peu. Ash s’avança un peu pour marcher au même niveau qu’Onyx qui était devant lui. Jin fit de même pour rattraper son cousin.
Leur allure de marche était bonne mais Koney ne cessait de s’arrêter pour montrer au groupe différents endroits qu’elle affectionnait particulièrement.
« Là, vous avez le Comptoir du 27, un super Bar qui ferme malheureusement à six heures du matin. Vous finirez forcément par y échouer en tant que légionnaire haha… Oh ! (elle tendit le bras et courut presque jusqu’au prochain croisement) Venez par là, au pas de course ! »
Les recrues se mirent en hâte pour atteindre Koney. Elle poursuivit :
« Vous trouverez dans ce magasin les meilleures sucreries des Mont-Envy ! leur dit-elle le sourire au lèvre.
Domran, une des Mésanges, souffla avant de se plaindre à la recrue à côté de lui avec un volume sonore permettant à tous de considérer son avis.
- Le petit nom dégradant donné au groupe je comprends, mais franchement nous montrer les magasins de bonbons… Ça commence à me taper sur les nerfs qu’on me traite comme un gamin juste parce qu’il y en a dans notre groupe.
- Hola ! Faut pas que tu le prennes comme ça mon p’tit.. (elle attendit une réponse)
- Domran Tikju, lui dit-il.
- Faut pas bouder comme ça Domran…
Elle s’était volontairement adressée à lui comme à un enfant sur cette dernière phrase. Seth reconnaissait bien cette façon de faire. Koney avait toujours été quelqu’un de très honnête et de juste (du moment que Jin n’était pas impliqué). Cette accusation sur le traitement des recrues devait l’importuner. Bien que son rôle lui imposait de garder son calme, ce n’était pas suffisant pour freiner Koney, qui se laissait souvent emporter dans l’honnêteté de ses paroles. Elle lui répondit :
- Les bonbons c’est pour les grands et les petits !
Note :
Old - Attends, t’es sûr de toi là ?
Young - Hey ! J’ai cru que t’avais kané comme tu disais rien.
Old - J’avais rien à dire jusqu’à maintenant.
Young - Très chaud pour que ça continue.
Old - Ça aurait été avec plaisir cepend..
Young - Chut.
« Mon gars, reprit Koney, pour le moment vous n’êtes même pas dans une Faction. Crois-moi, on garde les bizutages pour plus tard ! Ensuite, l’âge moyen d’un groupe n’a rien à voir avec ses compétences. J’ajouterais que tous les membres des Mésanges sont légalement majeurs et donc traités comme tels. Et si ma visite de la Zone II t’ennuie, Domran…
- Et là vient l’honnêteté, pensa Seth.
- … Tu peux toujours te mettre ton avis au cul. Allez ! reprit-elle avec un grand sourire, on continue par là mes p’tites Mésanges ! »
* * *
Après quelques haltes, le groupe arriva face aux portes du port de l’Olympe. Un grand mur séparait la zone portuaire des rues passantes de la Zone II. Il était bien moins grand que les remparts de l’île, mais restait comparable aux murailles du Palais Royal d’Oldania. Son objectif était double : prévenir de toute attaque provenant des mers ainsi qu’atténuer les bruits. En effet, le port de l’Olympe avait été désigné comme endroit de prédilection pour toutes les réparations d’ordre mécanique, contrôles techniques et assemblages d’engins en tout genre. Toute la journée, des Utilitaires et des ouvriers de partout dans le monde transpiraient et se concertaient pour réparer, construire et perfectionner. Ici étaient assemblés et construits des selles, des grosses machines et évidemment : des bâteaux. Un tumulte y régnait donc en permanence. Cependant, Seth remarqua que dans tout ce mouvement se cachait un certain ordre. Chaque personne semblait savoir ce qu’elle faisait et était capable de réaliser sa tâche avec efficience. C’était comme un balai d’ouvriers qui avançaient sans détours et de manière synchrone vers un même objectif : réaliser leur tâche. Seth fit instinctivement la comparaison entre les ouvriers réalisant leur tâche avec assiduité et les forgerons de Tsokubo, si concentrés qu’ils pouvaient frapper le métal durant plusieurs jours d'affilée en effectuant un roulement millimétré à la perfection. Il y vit la même cohésion et détermination à bien faire.
L’espace immense comportait trois hangars principaux d’une hauteur remarquable ainsi que d'innombrables petits ateliers et quelques conteneurs ouverts qui servaient de bureaux ou de salles de repos pour les ouvriers. Le regard du jeune tsokubien fut attiré par des rails qui semblaient démarrer au pied des hangars les plus grands et se jeter dans la mer. Mais avant qu’il ne puisse questionner Koney, une personne cria le nom de la Première-Classe, l’ajoutant au vacarme de la ferraille et des roulements ambiants.
Un homme d’un peu plus d’une trentaine d’années, svelte, portant un béret sur la tête, des bretelles retenant son pantalon et des mitaines aux mains, arrivait avec entrain dans leur direction. Au vu de ses vêtements noirs, c’était un Utilitaire, comme la plupart des ouvriers. Il avait dans sa bouche une cigarette et tenait un gobelet de café qu’il manqua de renverser trois fois avant d’arriver à leur niveau.
« Pile à l’heure ! dit-il à Koney en enlevant son béret pour s’essuyer le front.
- Salut Hugo, c’est toi qui nous accompagne ?
- Oui. Allons-y. »
Le jeune homme les guida quelques mètres plus loin vers les vestiaires, un bâtiment carré et sans fenêtres. Dans l’entrée étaient alignés plusieurs bancs cubiques sous des portes manteaux. Hugo invita les Mésanges à s’asseoir et à ôter leurs chaussures pour en mettre des nouvelles. Quand tout le monde fut chaussé correctement d’une paire de rangers à la semelle épaisse, Hugo fournit le groupe avec des casques de chantier, une sorte de demie-coquille blanche, incrustée d’une bille bleu à l’emplacement du front.
« Ce que je viens de vous donner, c’est la chose qu’il faut garder, avait-il dit. Sans ces chaussures vous pourriez perdre vos pieds bêtement. Sans ce casque, c’est la vie que vous pourriez perdre bêtement… C’est ça la sélection naturelle ! ricana-t-il. »
Pendant que le petit groupe s'équipait correctement, Hugo reprit la parole en se raclant la gorge.
« Bien, je vais vous donner les quelques règles de la zone de chantier qu’il faut absolument respecter. Dans un premier temps, il vous est conseillé de faire attention à ne pas vous faire bousculer ou gêner un Utilitaire sur site. Déjà pour ne pas freiner les travailleurs dans leurs tâches, et ensuite parce que le maniement quotidien du Shakti renforce naturellement le corps de son utilisateur. Et j’imagine que personne ne souhaite se cogner contre un rocher, donc faites attention où vous allez. Ce qui nous amène à notre deuxième point : vous avez interdiction d’enlever votre casque dans la zone de chantier tant que votre corps ne s’est pas naturellement renforcé avec le Shakti. C’est clair pour tout le monde ?
Les recrues acquiescèrent et Hugo poursuivit :
« Sur l’avant de vos casques se trouve une gemme bleue. Elle s’activera automatiquement si quelque chose s’approche de vous à très grande vitesse. Ça ne devrait pas arriver mais si jamais votre gemme se fissure ou se brise, c’est qu’elle est morte. Elles sont toutes neuves mais on ne sait jamais. Si ça arrive, prévenez le plus vite possible un supérieur ou un Utilitaire à proximité. Maintenant, si vous revenez dans la zone de chantier par vous-même, il faudra s’inscrire dans ce bâtiment avant de vaquer à vos occupations. Les animaux de compagnie sont interdits sur site, excepté les Zakars autorisés par le maître de chantier et ceux-ci devront être attachés avant et après utilisation. S’il vous arrive quelque chose, tournez-vous vers n’importe qui et demandez de l’aide. Tous les légionnaires ont les connaissances de base en secourisme et sauront évaluer la situation pour réagir en conséquence. De toute manière, aujourd’hui vous restez avec votre chef d’équipe. Des questions ? »
Personne n’osa demander quoi que ce soit. Hugo prit une feuille et la remplit pendant une minute puis Koney prit le relais :
« Bien, si vous avez soif, vous buvez un coup et on y va. »
* * *
À l’extérieur, le soleil réchauffait le sol encore recouvert de rosée. Seth marchait à côté de Ash qui regardait le décor derrière son masque. Il semblait émerveillé en voyant les machines diverses qui suspendaient des coques de bateaux, découpaient des planches ou meulaient des pièces métalliques à l’utilisation mystérieuse. Jin parlait avec Ludo mais ils étaient trop loin pour que Seth entende le sujet de leur conversation. La troupe guidée par Koney arriva sur le flanc d'un des trois plus grands hangars.
L'espace intérieur du hangar numéro I était aussi grand que sa silhouette extérieure le laissait deviner. Seth jugea le plafond si haut qu'il aurait fallu dix hommes debout les uns sur les autres pour en atteindre les structures voûtées qui le soutenaient. Plusieurs navires de guerre se tenaient au centre du hangar, en suspension sur d'immenses pièces de bois. Les Mésanges suivirent Koney jusqu’à l’avant du hangar, ouvert sur l’extérieur et face à l’océan, et Seth comprit à quoi les rails servaient quand il vit que les bâteaux étaient suspendus au-dessus. Le garçon pensait aux mises à l’eau des embarcations tsokubiennes quand Hugo les rejoignit. Le Première-Classe récupéra l’attention du groupe en levant la main pour capter leur regard puis il haussa la voix pour être entendu par dessus les bruits de perceuse, de découpe et de jet d’eau sur les coques de bâteaux :
« Les vaisseaux qui sont devant vous sont ceux de la Légion. Ils ont été construits dans ce hangar même et partent en général trois à huit mois en mer. Ils servent de campement mobile, d'armes de défense contre les créatures des océans, et surtout d’un outil d'exploration inouïe ! Parmi la flotte de la Légion, nous avons des bâtiments dont les anciennes versions ont servi durant la Jashin-Croisade il y a plusieurs centaines d’années ! Alors imaginez ce dont les nouvelles sont capables. »
Il finit sa phrase en montrant les deux énormes bâtiments dressés derrière lui. Et arbora un sourire satisfait lorsqu’il vit les yeux émerveillés des recrues. C’était la troisième fois qu’il accueillait les recrues de la Sélection sur site et il savait apprécier l’instant d’admiration des nouveaux devant ces chefs d'œuvres de construction navale. Ça ne manquait jamais, ils étaient tous émerveillés. Son regard glissait sur les yeux écarquillés des recrues quand il croisa ceux, si particuliers, d’Onyx. D’un noir profond empreint de deux pupilles rouge.
- Des lentilles ?
Il vit ensuite les traces sous ses yeux.
- Un adorateur du culte des Jashins ? Voilà qui est particulier.
Ses yeux se posèrent sur Ladvard juste derrière l’enfant.
- Et un deuxième membre des Sept Perles, pour le même groupe… sacrés veinards. Ils ne doivent même pas se rendre compte qu’ils ont la crème des Première-Classes comme chefs d’équipe.
Il fut rappelé au moment présent par une claque de Koney sur le dos qui sembla lui déplacer les poumons.
« Merci Hugo ! Allez les Mésanges, on s’magne le cul autour de moi, on va récupérer vos affaires. annonça-t-elle. »
On les mit aléatoirement en groupe pour faciliter la distribution des équipements. La consigne était assez claire :
« Passez par deux dans les différents boxs, récupérez ce qu’il faut et ressortez. »
Ludo et Seth furent les premiers à passer. Ils récupérèrent d’abord trois combinaisons grises pliées et on leur demanda d’ôter leurs vêtements et d’en enfiler une. Ludo commença à enlever son débardeur avant de regarder Seth qui mit quelques secondes à comprendre la demande implicite. Il rougit et se tourna aussitôt avant d’ôter son kimono. Il vit malgré lui, mais un peu parce qu’il avait regardé quand même…
Note :
Old - Quel style. Un régal pour les yeux ! Si tu veux pas que j’intervienne, fais bien mon travail.
Young - Oui oui c’est bon…
Il aperçut le dos de Ludo et eut à peine le temps de lui trouver une féminité attirante qu’il se surprit en train de faire quelque chose de peu honorable, lui rappelant quelques souvenirs volés avec Jin derrière les bains publics de Ryoto, son domaine natal. Il se retourna.
Seth prit la combinaison grise et la revêtit. La matière était douce et légère, et le vêtement parfaitement ajusté à sa taille. Il sentit la main de Ludo se poser sur son épaule pendant qu’il accrochait le fourreau de son sabre à ses hanches. Elle lui fit signe qu’elle avait fini de se changer et ils remercièrent les Utilitaires avant de passer aux second box pour laisser les deux prochaines recrues prendre leurs combinaisons. En marchant derrière Ludo il vit qu’une immatriculation était cousue sur son dos : « 56 - M - 38 ».
« Attends, Ludo, peux-tu me dire ce qu’il y a écrit dans mon dos ?
- Oui, c’est 56 - M - 10. Tu sais ce que ça veut dire ?
- Je me demandais. »
Dans le nouveau box, on les fit asseoir sur une chaise, dos à dos. Un Utilitaire se mit devant Seth et lui demanda sur quelle oreille il souhaitait porter l’Oricom. Seth répondit l’oreille gauche et entendit Ludo donner la même réponse. Chacun vit l’Utilitaire devant eux prendre une aiguille et la frotter dans un tissu blanc. Puis ouvrir une boîte sombre pour en sortir une boucle d’oreille ornée d’une gemme bleue. Le jeune tsokubien sentit une piqûre sur son lobe et entendit un Clip. Puis c’était fini. Ils remercièrent les Utilitaires avant de quitter le second box tandis qu’il voyait derrière eux Richard et Jin y entrer, vêtus de leurs nouveaux habits.
Le troisième box semblait plus grand et était vide en son centre. Tous les murs étaient recouverts de panneaux portant des armes en tout genre, du couteau à coquillages au fusil d’assaut en passant par de simples boucliers. L’unique Utilitaire, dans son uniforme noir, semblait avoir attendu que les deux recrues aient posé leur regard sur tous les objets avant de prendre la parole :
« Vous avez sur les murs de cette salle un échantillonnage des différentes armes auxquelles vous aurez accès durant votre service à la Légion. Je vous souhaite d’y trouver votre bonheur et d’en prendre soin. (il regarda la hanche de Seth et poursuivit) Bien que certains aient apporté leur propre outillage, ou possèdent déjà leurs propres techniques, la Légion souhaite offrir à tous une équité dans l’entraînement de ses recrues. Ainsi, cette salle vous offre la possibilité de choisir une arme, de façon gratuite et pérenne, pour vos débuts en tant que légionnaire. Des questions ? »
Les deux recrues se regardèrent puis répondirent à la négative dans un hochement de tête synchronisé.
« Bien, je vous laisse donc choisir. conclut l’Utilitaire. »
Après avoir scruté du côté des lames, Seth ne voyant pas de wakizashi, il prit un tanto, une sorte de petit couteau traditionnel de Tsokubo, et attendit que Ludo fasse son choix pour quitter la pièce. Le visage penché de la jeune fille était caché par ses cheveux blonds mais Seth vit qu’elle était du côté des armes à feu. À sa surprise, elle prit un fusil à verrou avec une crosse amovible. Le jeune tsokubien avait appris à reconnaître les armes pendant son entraînement et savait que ce n’était pas un mauvais choix, à condition d’avoir déjà de l’expérience dans le domaine du tir.
« Excusez-moi, demanda Ludo.
- Je vous écoute, répondit l’Utilitaire immobile.
- J’aimerais savoir si des munitions sont fournies lorsque l’on choisit une arme à feu. Il n’y a pas de chargeur dessus.
- Pour le fusil Tikka T3x ARCTIC modifié que vous venez de prendre, vous pouvez prendre l’un de ces deux chargeurs, lui dit l’homme en prenant deux chargeurs strictement identiques en tous points.
Après quelques petites secondes, Ludo pointa celui de droite et l’homme eut un léger sourire.
- Celui-ci, lui dit Ludo.
-Formidable ! Vous avez raison. »
L’homme, voyant que Seth était légèrement perplexe, se tourna dans sa direction pour lui montrer les deux chargeurs :
- Voyez-vous, le Tikka que madame a choisi peut avoir un chargeur grande capacité (il mit en avant le chargeur de droite), à dix cartouches, ou bien un chargeur classique (il mit en avant le chargeur de gauche), à cinq cartouches. Les deux chargeurs sont identiques car ils ont été conçus pour une parfaite synergie avec le poids et la tenue de l’arme. Je voulais voir si madame ferait la différence car j’ai vu le soin avec lequel elle avait évalué l’outil. (il se tourna vers Ludo) La Légion vous fournit un chargeur plein. Vous aurez donc dix cartouches. »
Une fois sortis, Seth et Ludo discutèrent un peu. Ludo donnait l’impression d’être très heureuse d’avoir gagné un fusil. Koney les attendait.
« C’est bon ? Comme vous êtes beaux dans vos petites combinaisons !
- Tu parles, répondit Seth.
- Mais si je t’assure, t’es trop beau dedans. Toi c’est Ludo c’est ça ? Tu as pris quoi comme arme ?
- Un fusil à verrou, Madame.
- Tranquille, appelle moi Koney, je t’appelle bien Ludo !
- Mais vous êtes une Première-Classe… répondit Ludo, un peu gênée.
- C’est Koney, faudra s’y habituer, lui fit remarquer Seth.
- Ha… Okay. répondit-elle sans trop savoir comment réagir à cette déclaration. Vous vous connaissez depuis longtemps ? demanda la jeune fille.
- C’est mon cousin ! Tu ne vois pas d’où il tire cette gueule de beau gosse ? répondit Koney avec un grand sourire.
- Aaah d’accord. Ça doit être sympa d’avoir un visage familier.
- Euh, oui, répondit Seth, gêné.
-Y’a quoi de prévu pour la suite ? demanda Ludo pour changer de sujet.
- Quand tout le monde aura pris une arme, vous allez vous tatouer le nom de votre guide donc K-O-N-E-Y pour qu’on puisse vous différencier. Mais ne vous inquiétez pas, ça sera sur la fesse de votre choix donc pas très douloureux. »
Un instant de silence s’installa entre les deux recrues et la Première-Classe, parfaitement sérieuse.
« Euh.. finit par dire Ludo. On…
- Mais elle se paye ta tronche Ludo ! pouffa Seth.
- Pourquoi tu lui as dit ! ria la Première-Classe à gorge déployée. Tu aurais vu ta tête ! dit-elle à Ludo.
- Oh putain vous m’avez fait peur ! se lâcha Ludo qui commençait à se sentir plus à l’aise.
- T’es vraiment grave Koney, c’est ça que tu fais à la Légion en fait, tu proposes à des recrues de se tatouer ton prénom ? gloussa Seth.
- Je savais que tu ne te ferais pas avoir mais j’me suis dit que même si les chances étaient proches de zéro, elles n’étaient pas complètement nulles ! le charria Koney. Mais tu pourrais pas me refuser ça si je te le demande gentiment ?
- Ya qu’un seul tatouage qui m’intéresse, tu l’sais. »
À ce moment, Richard et Jin sortirent du dernier box. Seth distingua un marteau à deux mains dans le dos de Richard. Jin tenait dans chacune de ses mains une poignée, solide et légère, dotée d’une lame courbe similaire à celle d'un croissant de lune à l'extrémité, en forme de faucille.
« Je vois que t’as opté pour des kamas, lui dit Seth.
- Tu devrais poser ça, tu vas te blesser, se moqua Koney.
- Ouais bien vu Seth, répondit son cousin. T'as pas trouvé de wakizashi ? demanda-t-il à Seth. Et toi, ajouta-t-il à l’intention de sa sœur, t’as juste peur que je te blesse.
- Non, j’ai pris un tanto à la place. »
Peu après, le binôme suivant sortit, puis le suivant, jusqu’à ce que le groupe soit au complet. Koney activa son shakti sur le lobe de son oreille et l’Oricom s’illumina légèrement.
« UN DEUX, UN DEUX, vous m’entendez ? »
Seth entendait la voix de Koney dans le creux de son oreille. Et il n’était visiblement pas le seul.
« Vous êtes pas obligé de gueuler ! »
Avait répondu la voix de Domran, manifestement capable d’utiliser lui aussi le dispositif.
« Bien, répondit Koney. J’invite chacun de vous à vous concentrer sur le Shakti au niveau de votre oreille pour activer la gemme de l’Oricom. Une fois qu’elle sera active, parlez normalement. »
Charlotte ferma les yeux et porta ses doigts contre l’Oricom. Elle y imprégna du Shakti et dit :
« Vo-us m’ent-endez ?
- C’est pas mal, essaie de garder une constante dans ton Shakti, il faut qu’il soit stable pour qu’on puisse t’entendre clairement. conseilla Koney.
- Est-ce que c’est mieux ?
- Parfait.
- Vous attendez quoi pour essayer les autres ? demanda Domran qui s’impatientait. »
Chacun essaya. Après un moment de brouhaha, Koney se leva de la caisse sur laquelle elle était assise et utilisa l’Oricom pour que chacun l’entende : « En ligne devant moi les oisillons. »
Comme elle se tenait devant eux, il y avait un léger écho dans ses paroles. On entendait à la fois le son au creux de l’oreille et venant de devant. Ceux qui s’étaient assis se mirent debout et tous formèrent une ligne devant la Première-Classe. Elle souleva le couvercle de la caisse derrière elle et en sortit une paire de bracelets épais, sertis chacun d’une bille transparente.
« Décidément ils kiffent donner des bijoux à leurs recrues, dit Jin à voix haute.
- T’appelles ça des bijoux… répondit Damien, une des recrues à côté de lui, avec mépris. Encore un paysan qui n’est pas à sa place ici, j’en ai bien peur, fit-il semblant d’adresser à lui-même.
- Mais c’était pour la blague.. lâcha Jin déconcerté. Il est con ou il le fait exprès ? »
Koney enclenchait les bracelets sur les poignets des recrues tandis qu’elle commença son explication :
« Ces bracelets sont une merveille du département de Recherches Techniques et Améliorations et ont été initialement conçus pour servir de menottes.
- Je me disais bien que la forme était anxiogène, se permit Ash, faisant rire Domran, son binôme, qui étouffa un gloussement.
- Tiens-toi tranquille si tu veux pas qu’ils retrouvent leur utilité première, lui répondit Koney.
Après avoir provoqué la peur chez l’enfant, elle reprit :
« Ces menottes sont incrustées de ce que nous appelons communément une gemme vierge. Cette gemme va se remplir lentement en consommant votre Shakti grâce aux bracelets. Et ce, proportionnellement à votre utilisation. Ce qui va grandement vous ralentir, je vous l’accorde. Il vous sera néanmoins facile d’utiliser la Perception dans la mesure du possible. Mais gardez à l’esprit que vous ne devrez pas utiliser votre shakti en excès car cette énergie est vitale. Et tout comme le sang, à force d’en perdre vous pourriez ressentir certains des symptômes suivants : vertige, perte de connaissance, tremblements, sueurs, troubles de la conscience ou de l’orientation, et même éventuellement si vous poussez trop (elle marqua une pause) tomber dans le coma. Est-ce que vous avez des questions ? elle vit Ludo qui levait la main. Oui Ludo ?
- Ces menottes nous empêchent d’utiliser la seule chose que vous venez de nous apprendre ?
- C’est bien ça.
- Mais…
- Pour la faire simple, continua Koney, la semaine qui va suivre est une semaine de remise à niveau. Comme vous le savez, la Sélection attire beaucoup de profils différents.
Les mésanges n’avaient pas besoin de se regarder pour confirmer. Sans parler de leurs différences d’âge, il y avait aussi un écart dans leurs cultures, leurs expériences et leurs capacités.
- Alors dans un souci d’équité, elle installe une semaine de “remise à niveau” (marqua-t-elle de guillemets à l’aide de ses doigts). Cette semaine se déroule sous mes ordres et j’ai pour mission de tamiser les recrues comme le sable afin d’aplanir les niveaux. Autrement dit, plus vous êtes à la ramasse, plus vous allez en chier. Des questions ? »
Ne voyant personne prendre la parole, elle leva la main et gesticula un demi-tour du bout de l'index avant de tourner les talons pour quitter le hangar numéro I. Après avoir reposé leur casque au vestiaire cubique, les Mésanges quittèrent la zone portuaire. Cette fois, habillés de rangers, d’une blouse immatriculée et portant dans leurs bras une arme de leur choix et des blouses de rechange.
Il devait être autour de sept heures et demie du matin et les rues de la Zone II commençaient à s’animer. Les passants étaient assez nombreux mais surtout composés de légionnaires pour le moment, et à l’exception des bars, la plupart des commerces étaient ouverts.
* * *
De retour au réfectoire, plusieurs dizaines de Légionnaires se tenaient à table pour festoyer sur un petit déjeuner que Ash n’aurait même pas imaginer pour la royauté Oldanienne. Mais le groupe passa à côté sans s’asseoir et continua vers le fond du réfectoire. « Mmmm… Dommage » pensa Seth. Il n’eut pas de regrets très longtemps car Koney invita son groupe à venir s’installer autour d’une table ronde, entourée de onze chaises. Elle était recouverte de mets délicieux dont le petit samouraï reconnaissait pour certains la provenance. Des saladiers de céréales d’Oldan où Seth reconnut le sarrasin, le gruau d’avoine et sa préférée : le blé. On en trouvait à Tsokubo, mais les températures d’Oldan rendaient la céréale plus goûtue et lui offraient une jolie couleur d’or. Elles étaient mélangées à des fruits que Seth ne reconnut pas forcément parce qu’ils étaient coupés en petits dés et que la peau et les pépins avaient été retirés. Des paniers de viennoiseries avec de la confiture venant d’Oldan, des fruits et des galettes aux oeufs enrobées dans de la pâte de riz venant de Tsokubo, des épices et le saumon emblématique du nord de Nivisky, du brunost (une sorte de fromage caramélisé, lui aussi de Nivisky), des charcuteries et pâtés, du lait, du café et bien d’autres choses qui donnaient à cette table un aspect féérique et encombré. Mais comme les autres recrues, Seth fut subjugué par un item en particulier. En exactement onze exemplaires sur la table, devant chaque chaise, dans chaque assiette, un énorme œuf rouge d’environ quarante-cinq centimètres de hauteur se tenait debout.
Koney s’assit et chacun fit de même. Ash lança une main hasardeuse que la Première-Classe stoppa dans sa course :
« Ash, si tu touches ne serait-ce qu’une molécule de nourriture sur cette table, j'ordonne à Jin sur ta droite, de te couper la main.
Ne sachant pas ce qu’était une molécule, mais connaissant les capacités de Jin, Ash ne préféra pas risquer son membre.
« Devant vous se trouve un oeuf de Ractor. reprit-elle. Pour l’ouvrir il vous suffit de prendre le cerceau sur votre gauche (elle ramassa le sien) et de le poser sur la coquille. Vous imprégnez ensuite une petite quantité de Shakti dans le mécanisme et… Klack. Voilà. (elle souleva le chapeau de l'œuf, parfaitement découpé, et le posa sur le cerceau qui lui servit de support) Vous devez manger cet œuf en entier avant de vous servir du reste, c’est la seule condition de ce repas. Bon appétit. »
Tandis que chacun ramassait son anneau pour le poser délicatement sur la coquille rouge, Ludo hésitait. Le premier à infuser son Shakti dans l’anneau fut Onyx. Au même moment, la bille de son bracelet prit une légère teinte bleuté. Après le son croustillant de l’ouverture de l'œuf, il souleva le capot et trempa sa main jusqu'à l’avant bras, tous deux recouverts de bandages, pour chercher une bonne lampée au fond de la tendre chaire. Il en sortit un nectar orange qu’il versa directement dans sa bouche. Ludo prit la parole :
« Je… Je peux ne manger que la partie blanche ? Je suis désolée mais je n’aime vraiment pas ça… Mes frères ont toujours mangé les jaunes pour moi.
- Non Ludo. J’ai été claire. Ce sont vos premiers jours en tant que recrues et je le prends en compte, donc tu ne seras pas sanctionnée cette fois, (elle s’adressa à présent à toute la table) mais gardez bien à l’esprit que vous faites maintenant partie de l’armée. Quand un supérieur vous dit quelque chose, c’est sans exception un ordre. Je vous le dis autant pour moi que pour n’importe quel autre supérieur en rang, un refus équivaut à de l’insubordination et sera puni comme tel.
Le silence s’étant établi, elle poursuivit :
- Les œufs de Ractor coûtent au plus bas prix dans les huit cents quatre-vingt Gramms à l’unité.
Comme Ash posait déjà sa cuillère sur la table, elle ajouta :
- Ici il est évidemment offert. Et il vous est imposé pour une autre raison : le Ractor est un Akar de type gallinacé qui se nourrit essentiellement de jashinia et d’autres Akars. Ses œufs, en plus d’être riches en protéines, possèdent des qualités nutritionnelles excellentes qui vous aideront à récupérer de votre entraînement que ce soit sur le plan physique ou shaktique. »
Ludo acquiesça d’un air dépité en infusant du shakti sur l’anneau. Koney voulut vérifier que l’information était bien passée pour tout le monde mais les autres recrues savouraient déjà le goût de cet œuf qu’elle connaissait bien. Elle regarda dans la direction de son petit cousin pour voir sa réaction. Seth était, comme les autres autour de cette table, complètement émerveillé. Même Ludo, qui venait de prendre sa première bouchée, semblait très agréablement surprise. Koney trempa une louche dans son œuf et se servit une bonne assiette avant de porter une cuillère à sa bouche. Elle sentit la texture délicate et crémeuse s'épanouir sur sa langue. Ce plat, caractérisé par un centre liquide mais légèrement épais, se mariant harmonieusement avec le blanc encore moelleux qui l'entoure, avez un goût riche et onctueux. Son cœur orange se mêlait à une douceur agréable provenant du sucre naturel qu’il contenait, et qui adoucissait légèrement sa saveur, créant un équilibre gustatif qui rassemblait les membres de cette table ronde dans une expérience sensorielle unique, proche d’une transe collective.
Note :
Old - Sacrebleu, on voit que tu adores ça.
Young - Je dois avouer, que l'œuf de Ractor reste à ce jour une de mes meilleures expériences gustatives.
Une fois le premier plat terminé, la plupart d’entre eux n’avaient plus faim. La Première-classe continuait de se servir des différentes denrées disposées sur la table sous les yeux ébahis des recrues.
« Ch’est dommache qu'on n'ait pfas l’troit à deux oeufs, mâcha-t-elle. Cha fa très bien avech le chaumon.
Note :
Old - Comprenez par là : “C’est dommage qu’on ait pas le droit à deux œufs. Ça va très bien avec le saumon.”
Young - Oh ! Tu fais quoi là ! C’était très clair.
Old - Je fais mon trava…
Young - Voooiiilà. Ce petit morceau de scotch te va à ravir.
Elle avala sa dernière gorgée de jus de palmaco, avant d’ordonner :
- Finissez vite, on va commencer la journée. »
* * *
Sur les coups de neuf heures du matin, la troupe avait débarrassé le réfectoire et avait rangé leurs combinaisons de rechange dans leur sac. Puis le groupe avait marché jusqu’à la gare au nord de la Zone II, celle en direction d’Oldan.
« Lad, tu nous accompagnes encore ? lui avait demandée Koney
- Oui, j’ai pas le choix.
- Ordre d’en haut ? ironisa-t-elle.
- Ordre de Shawn… répondit le rouquin.
- Oh merde. Effectivement t’as pas le choix. Bon ben allons-y !
Les deux Première-Classes s'étirèrent alors tandis que Koney donnait les consignes :
« Les ponts qui joignent l’Olympe aux tairikus font moins d’une centaine de mètres de large, annonça-t-elle aux Mésanges. À ça, vous pouvez enlever trente mètres pour les rails des trains, plus la distance de sécurité sur chaque bord ainsi que l’espace réservé aux marchandises et voyageurs pédestres. Nous ne voulons pas gêner la circulation donc nous avancerons en file indienne. De plus, la plupart des marchands se baladent en Akar, pouvant aller jusqu’à plus de quatre-vingt kilomètres à l’heure. Autant vous dire que je ne veux pas en voir un seul sortir du rang. Ladvard sera à l’avant et je serais juste derrière vous. Nous allons voir combien de kilomètres vous pouvez réaliser en trois heures ! Lacez vos bottes ! »
À peine eut-elle fini que Ladvard sautillait sur place. Et peu de temps après, il commença à courir en direction du flanc piéton. Koney leur fit signe de le suivre en ajoutant :
« Ah ! Et si j’en rattrape un, je vous balance tous à la flotte. »
Ainsi, chacun se mit à la course avec ardeur, de peur de finir à l’eau en hiver après une chute de plus de trente mètres.
Les trente premières minutes furent plutôt dures pour Ash mais il semblait être le seul à avoir autant de mal. La plupart des recrues se portaient plutôt bien, la course réchauffant leur corps. Les trentes minutes qui suivirent, Seth commençait à apprécier le paysage. Ash était à bout de souffle.
« Je suis… pas… bien…
Taewon ne répondit pas.
- Mais je… pense que je… m’en sors mieux… que toi… enchaîna Ash.
- Je crois pas, non.
- Tu fais le mec… Mais… Si on te rajoute vingt kilos… Tu tombes…
- Non.
- Haha… cape de… me porter ?
- Débrouille… toi, répondit le tsokubien, qui avait presque perdu son rythme de respiration.
- Tu parles… d’une élite… Haha.. ha.. »
À l’aide d’une provocation, l’enfant masqué réussit à se faire porter par Taewon, qui accepta surtout pour s’entraîner, durant une heure pleine. Il devait être aux alentours de onze heures à présent. La température sur le pont ne dépassait pas les neuf degrés, et avec le vent maritime qui le traversait, le froid était terrible. La plupart des marchands et autres voyageurs portaient des manteaux en fourrure et des chapeaux molletonnés pour se protéger. Seth ne sentait pas tellement le froid, si ce n’est sur ses joues qui avaient pris la couleur rose-rouge des pêches. Ladvard, en tête de peloton, semblait imperturbable dans son débardeur léger.
Des hommes et des femmes se tenaient de façon tout aussi imperturbable tous les cinquante mètres environ, debout, assurant la sécurité dans leur uniforme de milicien. On appelait ceux d’entre eux chargés de la protection civile les Sentinelles. Richard, une des recrues parmi les Mésanges, semblait en admiration totale à chaque fois qu’ils passaient devant l’un d’entre eux.
Le groupe avait fait demi-tour depuis une trentaine de minutes maintenant et Seth estimait qu’il leur restait plus d’une heure de course. Il avait remarqué que la cadence de la course n’avait fait que s’accélérer depuis leur départ de l’Olympe. Il en avait eu la désagréable impression au bout de quinze minutes mais son hypothèse avait été confirmée par Ash qui s’était plaint en descendant du dos de Taewon. « Mais vous êtes encore plus rapide, je vais jamais suivre ! On se croirait à l’examen hunter ! » avait-il dit. Depuis, il avait progressivement perdu en terrain et se rapprochait dangereusement de Koney.
« Seth, tu penses qu’il va s’en sortir ? demanda Jin qui maintenait le rythme de sa respiration tout en parlant.
- J’en sais rien. lui répondit son cousin qui ne voulait pas perturber le sien, au cas où la course n’en serait encore qu’au début.
- Je sais. Mais regarde.
Seth jeta un bref coup d'œil en arrière.
- Aucune chance. Yeux rouges. Souffle irrégulier. Bras ballant.
- En plus…
- Je sais, le coupa Seth. On accélère…
- On va finir à l’eau… ironisa Jin.
- Toi, peut-être. se moqua Seth »
Jin semblait réfléchir quand Seth vit devant lui, le garçon aux cheveux bouclés et aux tâches de rousseurs faire demi-tour :
« Pas sous les yeux (il respira fort) de Richard (respira de nouveau) Moretti !!! cria-t-il »
Les deux cousins le regardèrent s’éloigner en direction de Ash. Il avait ouvert sa combinaison pour attacher les manches à sa taille ce qui dévoilait un jeune buste bien bâti, parsemé de grains de beautés.
« Quel con, pouffa Jin.
- Haha, me fais pas rire du con ! J’ai mal… Haha… Point de côté ! »
Richard prit Ash par la main qui voulut sortir une vanne mais manqua de vomir à la place. Il le mit sur son dos avant de reprendre la course.
* * *
De retour à l’Olympe, Ladvard arrêta de courir en arrivant à l’entrée de la gare nord. Il s’essuya le front d’un revers de débardeur et se retourna pour constater les troupes. Les Mésanges s’écroulèrent à ses pieds. Certains s’allongèrent. Après dix petites minutes de récupération, Koney les avait rattrapés. Elle n’était pas essoufflée, à peine transpirante.
« C’est pas beau de commencer sa journée comme ça ?! dit-elle enjouée. Vraiment courir avec une vue pareil c’est génial ! Bien, il est midi trente, je propose qu’on aille manger ! »
Richard s’évanouit sur le sol.
« Ben merde alors qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? s’étonna la Première-Classe »
Domran regarda Ash qui leva les yeux au ciel, l’air innocent.
« Bon, on va dire que c’est la course qui l’a épuisé alors, conclut-elle. »
Elle murmura indistinctement et quelques minutes plus tard, des Utilitaires avec l’uniforme noir prirent Richard, qui s’était réveillé, pour l’emmener à l’infirmerie.
Après une douche chaude dans les vestiaires de la salle commune (qui servait de réfectoire-dortoir), Koney salua son équipe de mésanges pour leur première course à pied en reconnaissant leurs efforts. Ils mangèrent tous, sans aucune restriction, ce qu’ils désiraient. La cheffe d’équipe leur laissa quartier libre en les sommant simplement d’être à l’heure pour la reprise de l’entraînement.
À quatorze heures, ils se réunirent dans la Zone I dans un grand gymnase. De multiples machines en métal y étaient rangées et ordonnées. Réunis à nouveau par groupe de deux, mais cette fois sur la base de leurs compétences physiques, Koney fournit à chacun des binômes une série d'exercices de musculation précise en fonction de leurs besoins. Comme personne n’était de son gabarit, Ash n’avait personne de son niveau. Et en raison de sa situation particulière, il en était de même pour Onyx. Donc ils furent mis ensemble. L’après-midi s’écoula assez rapidement pour le reste de l’équipe. Autour de seize heures, le renforcement musculaire était fini et tous partirent prendre une douche froide. Une fois fait, les Mésanges rejoignirent les autres groupes d’oiseaux pour nettoyer la salle commune durant une bonne heure.
« Mes poussins. c’était la voix de Koney qu’ils entendaient dans leur oreille. Ne répondez pas. Je vous apprendrai plus tard à diffuser des messages à fréquence personnelle. Pour le moment, contentez-vous de me rejoindre dehors quand vous aurez fini vos tâches. »
C’était la voix de Koney qui avait résonné au creux des oreilles de tous les membres des Mésanges. Elle était douce et autoritaire. Personne n'essaya de répondre et après une dizaine de minutes, le petit groupe de recrues était déjà au complet devant la baie vitrée de la grande salle.
La Première-Classe guida ses “poussins”, comme elle les appelait, vers les écuries de la Légion. Au fond d’un grand pâturage se trouvait un grand bloc de pierre, comparable à un rocher de plusieurs dizaines de mètres. Il était recouvert de trous de différentes tailles. Koney s’approcha d’un des mangeoires au pied du rocher et y prit un morceau de viande. Elle siffla dans ses doigts ce qui fit sortir une masse difficilement distinguable dans la faible clarté du crépuscule. Les recrues virent un triangle aux angles arrondis dépasser. Puis la tête s’avança en tirant derrière elle un long buste, de plus en plus large, auquel se greffaient les deux pattes avant, d’une épaisseur colossale. L’animal les posa sur la paroi du mur et entama une descente avec une lenteur singulière. Il s’arrêta, le corps à moitié en suspension, collé au mur, pour regarder le groupe. Damien, une des Mésanges, recula d’un pas. D’un mouvement vif, la créature se projeta au sol, apportant son corps et ses deux pattes arrière à la lumière. Les recrues reculèrent d'un pas sous la surprise. Damien tomba par terre. Seule Koney n’avait pas bougé. La première chose que Seth sentit, avant même de voir la bête, fut son souffle : il était froid. Ses fines narines en amandes frémissaient devant le morceau visqueux que Koney tenait à pleine main. Son visage anguleux était incrusté de deux yeux ovales et profonds. Inexpressifs. Pourtant, tous ressentaient son envie de dévorer l’encas. Et Koney lui en donna l’autorisation en jetant sa récompense en l’air avec force. La bête se dressa sur ses pattes arrières, puis sur sa queue palmée, afin d’attraper la viande en vol. Les Mésanges furent témoins de la longueur du corps de l’animal devant eux. Ils eurent l’occasion de découvrir la peau écaillée et rugueuse de la bête, dressait habilement sur sa queue palmée. La fente qui lui servait de bouche s’ouvrit assez large pour y mettre un enfant de quelques années tout entier, dévoilant des dents pointues et une langue fendue. Il attrapa le morceau de chair et retomba sur ses quatres pattes. Koney posa la main sur le flanc froid de l’animal.
« Voici Tchanko, déclara-t-elle. J’ai pensé que ça vous ferait plaisir de découvrir quelques trucs avant le début de votre semaine d’entraînement donc je vais vous présenter les deux espèces de Zakars que la Légion utilise le plus.
- Le début ? s’interrogea Ash.
- Tchanko est un Zakar, donc un Akar génétiquement modifié, et plus précisément c’est un Razor. Quelqu’un sait à quoi servent ces superbes bébêtes ? Oui, Charlotte ?
- Les Razors sont les Zakars des Sentinelles car ils ont un certain nombre d’avantages : ils ne présentent aucune animosité envers les humains et sont très mobiles.
- C’est exact, la félicita Koney, en plus d’être d'adorables créatures, leur vitesse de course peut atteindre les soixante-dix kilomètres à l’heure, ils appartiennent à la famille des reptiles et peuvent grimper aux murs. Leurs écailles hydrophobes leurs permettent de nager à une vitesse supérieure à vingt-cinq nœuds mais aussi de se camoufler dans certains environnements. Et pour la petite anecdote, elles permettent aussi leur thermorégulation.
- Leur quoi ? demanda Ash.
- Les écailles leurs permettent de ne pas transpirer et de garder leur température corporelle. Elles se vendent assez cher sur le marché de l'Éclipse sous forme de manteaux ou de revêtements. Dernière information mais pas des moindre : leur salive est paralysante ! Vous comprenez pourquoi j’ai jeté sa bouffe en l’air ! Ils sont exclusivement utilisés par ma Faction, la Milice, donc vous avez peut-être croisé des Sentinelles ou des membres du Groupe d’Intervention sur leur dos.
Voyant les recrues partagées entre la peur et l’admiration, elle leur offrit quelques instants pour décider d’une des deux émotions.
- On va voir les Lupsars ? »
Le soleil s’était couché mais aucun ne souhaitait rater cette occasion.
Un peu plus loin, devant un enclos grillagé, Koney marqua une pause. Il était aux alentours de dix-huit heures et le soleil était couché à présent. Seule la faible lueur des gemmes bleues suspendues le long des chemins se reflétait sur les bracelets de métal des recrues. Derrière la clôture, qui entourait toute la zone, se dressait une grande forêt opaque et sombre.
« Avant que nous entrions dans l’enclos, quelqu’un veut nous rappeler les spécificités du Lupsar ? »
Encore moins sûr d’eux que pour le Razor, les recrues ne semblaient pas se bousculer pour prendre la parole. Heureusement, Charlotte rompit le silence.
« Ce sont des Zakars aussi. De la famille des canidés, j’ai entendu dire qu’ils ressemblaient à d'énormes loups. Leur vitesse est faramineuse, je crois qu'ils peuvent atteindre plus de cent kilomètres à l’heure.
- Tout à fait, avec un bon entraînement ils arrivent à atteindre cent-quarante kilomètres par heure, confirma Koney. Tu connais d’autres choses ?
- Non.
- Bien, c’est déjà pas mal.
- Moi j’ai entendu dire qu’ils avaient un très bon odorat, est-ce que c’est vrai ? demanda la voix de Richard depuis l’arrière.
- Tout à fait, confirma Koney. Les Lupsar sont le plus généralement attribués aux Limiers pour ces avantages. Leur travail consistant à traquer et récupérer des cibles, ce sont des montures parfaitement adaptées. Ils ont une très bonne endurance par exemple.
- Et ce sont des combattants hors pair… ajouta Domran.
- Parfaitement. confirma Koney. Ce sont des bêtes redoutables en combat. Le point important que je voulais évoquer avant que l’on entre dans leur enclos c’est que les Lupsars sont des Zakars qui restent malgré les modifications apportées, des êtres de caractère. Ils sont très intelligents et compensent leurs faiblesses grâce à ça. Il est nécessaire de les dresser dès leur plus jeune âge pour éviter les accidents mais le risque zéro n’existe pas. Ainsi je vous invite à être sur vos gardes et surtout à éviter tout geste brusque ou autre comportement alarmant qui pourrait les exciter. »
La tension venait de monter d’un cran. Mais les recrues se tenaient droites en attendant les indications de Koney, qui commençait à ouvrir la grille. Les premiers pas de Seth dans l’enclos étaient lents et réfléchis, il était sur ses gardes. D’ordinaire, le jeune garçon n’avait aucun mal à se balader en forêt, même de nuit. Nonobstant, à l’inverse des fôrets tsokubiennes, l’enclos des Lupsars se trouvait dans la Zone I. Les lumières de l’Olympe cachaient les étoiles et accentuaient les ombres des arbres, rendant l’espace encore plus noir. Il reconnut l’état d’alerte de Jin, dont les mains se tenaient à proximité de ses deux faucilles. Koney leur fit signe de s’arrêter d’un revers de main. Elle siffla et Seth vit Ash et son cousin sursauter en même temps.
- J’ai du raté quelque chose… se dit-il avant de se concentrer sur son ki.
Rien de nouveau n’était dans les environs. Il se concentra et infusa du shakti dans ses yeux, là, il vit une aura bleue abondante tout autour du corps de Koney. Le Shakti, similaire à des effusions denses et bleues, donnait l’impression de s’évaporer du corps de sa cousine vers le ciel. Plusieurs formes se déplaçaient dans les ténèbres. À l’aide du ki, il perçut cette fois la présence d’une dizaine de bêtes autour d’eux. Aucun bruit ne l’indiquait, mais Seth le sentait. Koney paraissait exhiber son Shakti en attendant une réaction. Elle l’obtint assez vite puisque l’une des ombres s’approcha pour dévoiler un museau au groupe.
L’animal le plus avancé dévoila un corps touffu de poil gris. Tout comme l’avait dit Charlotte, les formes de la tête et des épaules qui se dévoilaient à leurs yeux avaient tout de celles du loup que Seth avait l’habitude de croiser dans les montagnes tsokubiennes. La différence se faisait dans la taille démesurée de l’animal. Ses deux yeux noirs sondaient l’âme des recrues. Du moins c’est ce qu’il se dit. Un peu plus perspicace, Jin comprit qu’il sondait plutôt leur Shakti. Et dans ce domaine, Koney s’imposait de toute évidence en maître.
La Première-Classe chuchota dans l’Oricom :
« Ils ont une très bonne vision nocturne, mais surtout, ils voient le Shakti. J'exhibe le mien pour le dissuader de s’en prendre à vous. Les Lupsar fonctionnent en meute et répondent à un Alpha. Pour eux, je suis votre Alpha. Et si leur chef me considère assez puissante, il vous laissera tranquille même si nous sommes venus sur leur territoire. »
Ladvard, qui avait quitté le groupe il y a un moment, revint à ce moment-là. Le Lupsar baissa le museau jusqu’à hauteur de hanches, puis disparut dans la pénombre. La voix de Koney ricana dans l’oricom :
« Parfois c’est nécessaire de montrer qu’on a la plus grosse. T’en es où Lad ?
- Il arrive. répondit-il simplement. »
Ladvard tendit son bras et disparut dans le noir.
Surpris, les Mésanges sursautèrent. Après quelques secondes de silence religieux, un énorme Lupsar surgit, langue pendue, face à Koney. Son pelage soyeux avait la couleur de l’ardoise. Il portait sur son dos le grand corps de Ladvard mais il restait assez de place pour qu’un autre le chevauche. Seth aperçut une cicatrice sur l’une de ses pattes quand Ladvard descendit de sa monture pour le présenter aux Mésanges :
« Je vous présente Lonas. Elle est mon compagnon de chasse depuis plus de deux ans maintenant. Si vous finissez par devenir Limier comme moi, on vous demandera d’en dresser un. Et autant vous dire que ce n’est pas une épreuve facile ! »
Il finit sa phrase en grattant énergiquement le poil de la bête qui avait l’air heureuse de l’attention. Puis il lui donna quelque chose à manger et congédia l’animal d’un simple mot : « File ! ».
* * *
De retour au dortoir, Koney donna à son groupe une liste de choses à avoir pour la semaine d’entraînement qui allait suivre. Tout était fourni, il s’agissait de ne pas oublier de tout mettre dans son sac. Chacun en vérifia alors le contenu : un kit médical, des blouses de rechange, deux gourdes, un tube en métal strié, une couverture et la liste continue mais c’est pas super utile de tout vous dire donc je vais zapper.
Note :
Old - Par souci de rigueur je vous mets ici le reste de la liste, en m’excusant encore pour son comportement : de la corde, un manteau imperméable, une bouteille d’huile, un chapeau, un récipient pour la cuisson et une gamelle, une boussole, une paille filtrante, une carte du Landau, une gemme à faible lueur, des gemmes vierges de rechange pour leurs bracelets, des bâtons de feu.
Une fois le contenu des sacs vérifié, chacun mit en place sa couchette et partit prendre sa douche. Les quatres équipes étaient visiblement épuisées. On leur offrit quartier libre jusqu’à vingt-deux heures.
Bien que quelques murmures à propos de cette journée circulaient encore dans le dortoir à l’heure du couvre feu, les recrues étaient toutes couchées. Toutes, sauf une. Ayant passé les deux dernières heures dans les vapeurs des douches chaudes, Ash contemplait les plis de la pulpe de ses doigts tout fripés.
- On dirait que j’ai deux-cent ans ! se disait-il.
Il enfila une de ses blouses de rechange très confortable après s’être à peine sécher. Le tissu collant à sa peau ne le dérangeait pas. Au moment de sortir des douches, il se rendit compte qu’il était encore le seul debout et l’idée lui vint de partir découvrir le reste du bâtiment. De toute manière, il lui était presque impossible de s’endormir à cette heure-là. Il prit le plus grand soin à passer derrière les chariots de distribution alimentaire sans se faire remarquer puis sortit sans difficulté dû à l’absence de porte. L’enfant fit le tour du bâtiment assez rapidement. Le réfectoire comme pièce principale, il ne restait à l’étage que des placards poussiéreux.
Il sortit alors pour s’aventurer dans la Zone I. En traînant les pieds dans ses rangers noirs, il arriva jusqu’à un grand bâtiment de plusieurs étages. Au-dessus de l’entrée principale se tenait un panneau mural en bois gravé du mot « Dortoirs ». Il reconnut assez vite le jeune homme en imper en train de fumer sous le porche, adossé contre le mur.
« À ben tiens, si c’est pas mon pédo-kidnappeur préféré ! Je te cherchais, tu as deux minutes de ton temps à offrir à une ancienne victime ?
- Oh putain pas lui… déclara Jack. Comment t’as fait pour survivre sérieux ? T’es l’enfant élu c’est ça ? Le héros d’une grande aventure pour gosse ?
- Incroyable, t’as appris à parler entre hier et aujourd’hui ou t’es juste en train de sacrifier ton salaire pour me dire des choses ?
- Putain laisse moi tranquille Bill, t’as pas une nounou qu’est sensée vous donner des trucs à faire ?
- On a quartier libre, répondit l’enfant avec assurance.
- Recrue Bill-Pierrick, matricule (il lu sur la blouse de Ash en récitant) 56-M-11, en temps que Première-Classe, moi Jack Feder, je vous ordonne de dégager de ma vue.
- J’peux pas j’ai plein de questions. Déjà je voudrais savoir au bout de combien de temps je serais payé si je reste…
- Si tu restes ? demanda Jack, surprit.
- Si je reste concentré, se rattrapa Ash maladroitement avant d’enchaîner : Et quand est-ce qu’on a des piaules dignes de ce nom ? Et est-ce que ce qu’on a demandé à avoir dans nos piaules on va vraiment l’avoir ? Et comment …
Jack le coupa.
- Stop.
Il ralluma sa cigarette en tirant dessus puis prit une grande bouffée de fumée qu’il expira sur le masque du jeune garçon. S’amusant de le voir tousser, puis reprit :
- On va se calmer deux minutes. Je répondrai pas à tout. Mais je veux bien répondre à une seule de tes questions pour te récompenser d’avoir mis la honte à Ladvard pendant le Cocon. Alors choisis bien. Je t'écoute.
Après avoir baissé la tête une petite dizaine de secondes pour se concerter avec ses pieds, Ash demanda :
- Quand est-ce qu’on apprend à avoir des pouvoirs ?
- Tu gâches vraiment ta question et mon temps gamin… T’as déjà commencé, triple couillon.
- Non mais je te parle pas d’intérioriser des objets, je te parle d’un vrai truc comme le Genkidama, le Panzer Kunst ou le fruit liberté, un truc qui déboite quoi !
Il pensa aux prouesses de son amie Cécilia et l’emballement dans sa voix se tarit, pensant qu’elle s’inquiétait probablement pour lui.
- Parce que si vous apprenez l’intériorisation à des recrues le premier jour, reprit-il, j’ose pas imaginer à quoi ont droit les Seconde-Classes.
- J’avais dis une question p’tit gars, lui répondit Jack en tournant les talons pour rentrer dans le bâtiment.
- Je t’ai pas vu m’inscrire sur le registre des criminels participant à la sélection. l’arrêta Ash. Je me suis inscrit moi-même en tant que civil avant d’entrer dans l’arène. Soit je suis pas un criminel, donc tu as abusé d’un citoyen oldanien, soit je suis considéré comme tel et tu as failli à ton rôle d’enquêteur en ne m’inscrivant pas sur le registre. Alors réponds à ma question sinon je te balance, annonce l’enfant en redressant son masque.
- Putain de p’tit con. Ça m’étonnerait que ce soit toi qui ait fait cette conclusion tout seul.
- J’ai des contacts à la Légion, dit l’enfant en voulant paraître mystérieux.
- Sans déconner, répondit Jack, tire-toi avant que je fausse les résultats de la sélection en te faisant disparaître.
- Si tu pouvais me buter tu l’aurais déjà fait. Je sais pas ce qui te retient mais tu peux visiblement pas.
- Je pourrais juste te dénoncer maintenant comme criminel, rétorqua le Première-Classe en s’avançant vers lui. Tu deviendrais un Baroudeur et tu tiendrais pas dix minutes dans leurs rangs. J’imagine bien le tableau : que des criminels assoiffés de sang frais, et toi, enfant grande gueule, haut comme trois pommes, mort anonymement avec ton petit masque et tes grands airs.
- Je vais parier sur le fait que tu ne vas pas avouer tes erreurs à tes supérieurs, répondit l’enfant en tentant de maîtriser sa voix légèrement vacillante. Et puis j’aurais pu mourir pendant la sélection ou même ce matin en tombant dans la mer, alors c’est juste un autre pari.
- Putain… T’en as pas l’air avec ta voix tremblante mais t’as des couilles pour faire chanter un enquêteur gamin, ça je te l’accorde, même si c’est encore un peu négligé comme technique. File moi ton masque je vais satisfaire ta curiosité.
- J’ai aucune envie de satisfaire la tienne, vieux pervers.
- J’ai dix-neuf ans et aucune envie de voir ta sale tronche p’tit merdeux !
- Ça peut faire l’affaire ? demanda Ash en tendant une pomme qu’il avait volé au ref.
Jack s’en saisit et lui expliqua :
- Il n'y pas de “grands pouvoirs” comme tu dis. Enfin plutôt y a pas de petit pouvoir. On vous enseigne les bases d’un tout qui vous permet de faire ce que vous voulez. Tu sais déjà ce qu’il te faut en fait. T’es juste trop con pour t’en rendre compte. Regarde.
Il jeta la pomme en l’air de sa main gauche et de son autre main tendit son index. Après un peu moins d’une dizaine de mouvements rapides, il rattrapa les morceaux coupés de la pomme.
- Matérialisation, flux, densification, dit-il simplement en donnant la pomme à Ash. Il se recoiffa avant de tourner les talons.
- Eh attends ! Tu m’as rien expliqué là ! cria Ash, outré.
- Chuuuut ! Tu vas réveiller tout le dortoir !
- Explique-moi ! chuchota l’enfant.
- Putain mais lâche moi… Écoute, on a tous la même chose, les cinq principes du Shakti. Après c’est à toi de t’en servir. Je viens de matérialiser mon shakti au bout de mon doigt et j’ai utilisé le flux pour rendre ce shakti fin et d’une vingtaine de centimètres de long. Après, j'avais plus qu’à le densifier pour le rendre aussi résistant et tranchant que la lame que j’imaginais. Pas compliqué. T’es pas un imbécile. T’aurais pu comprendre toi-même.
- Putain mais c’est mortel !
- Parle mieux, p’tit con.
- Dit-il ! C’est pas mal pour vol… planquer des trucs, mais l’intériorisation c’est rien quand on maîtrise vraiment bien le Shiki en fait !
- Shakti. Mais attends, t’es vraiment une andouille ou quoi ? Sans intériorisation t’ouvres pas l’accès à ton monde intérieur, sans ça, pas de Shakti. T’es obligé de maîtriser ça si tu veux avancer.
- Donc si je m’améliore de ouf je pourrais utiliser mon Shakiti pour arrêter le temps et tout genre ?
- Shakti putain ! Pourquoi tu voudrais faire ça ? T’as déjà des problèmes d’éjaculation précoce à ton âge ? se moqua Jack. Mais non. Déjà, tu auras accès aux domaines du shakti…
- La matérialisation, le flux, la densif..
- Oui oui oui, c’est ça, fit l’enquêteur agacé. Grâce à ça, tu vas renforcer ton corps et acquérir de meilleures capacités. Et en combinant ces domaines comme je viens de le faire, tu vas créer des habiletés, comme ma lame à l’instant.
Il prit un morceau de pomme dans la main d’Ash et le mangea.
- Donc on peut pas arrêter le temps.
- Tais-toi et laisse-moi finir, mâcha Jack.
- Ça fera cinq Gramms pour la bouffe que tu viens de me voler.
- Jamais j’te file un seul Gramm.
- Si c’est comme ça que tu te comportes avec les filles, je comprends que tu sois seul à fumer dehors…
- Je fume seul parce qu’elles sont endormies, et on ne réveille pas les dames, surtout après trois rounds. Tu veux que je t’explique ou pas ?
- Beurk… Non !
- Je parle du Shakti.
- Oui !
- Il y a trois stades, poursuivit l’Enquêteur sans relever la réaction enfantine. Le premier c’est la maîtrise des domaines. Le second stade c’est la création d’habiletés à l’aide de ces domaines. Et le troisième stade s’impose à toi. Passé un certain niveau de maîtrise, ou en fonction d'événements ou de ta volonté parfois, un pouvoir se manifeste. On dit qu’il “traverse la porte” contre notre grès. On appelle ça l’ascension. Et ce pouvoir n’a aucune limite, si ce n’est les conditions avec lesquelles il s’impose.
- Okay donc il faut l’ascension pour devenir hyper fort.
- Ne fais pas ce raccourci. Beaucoup ne maîtrisent pas l’ascension et sont extraordinaires. Et beaucoup d’autres ont voulu forcer leur ascension et en payent le prix pour le reste de leur vie.
Ash regarda ses pieds de nouveau d’un air pensif.
- Eh tu … »
Jack avait disparu. Ash regarda en haut, sur les côtés, il tourna sur lui-même. Seule la porte de l’immeuble se refermait doucement.
- Ben merde alors. se dit l’enfant.
Ses doigts dans l’entre-bâillement de la porte, il maintint l’ouverture assez longtemps pour entrer dans le grand hall. À peine entré, l’enfant sentit le froid d’un canon sur sa tempe et entendit le bruit d’une allumette craquer.
« Bouge pas, imposa une voix rauque.
- Vous déconnez pas avec la politesse… Bonjour, vous n’auriez pas vu un enquêteur passer par là ?
- C’est une blouse de recrue, poursuivit la voix qui expirait un jet de fumée à l’odeur de cannelle. Qu’est-ce qu’une recrue fait dans les dortoirs ?
- J’ai posé ma question en premier !
Dans l’ombre, l’homme tira sur le chien de son arme jusqu’au “clic” menaçant.
- Du calme c’est pas non plus un refus d'obtempérer ! Je me baladais simplement, je m’suis perdu !
La lumière du feu vint éclairer la vision périphérique de Ash, incapable de tourner la tête.
- Il me dit quelque chose ce masque… Tu peux peut-être m’aider si ça fait un moment que t’es là, continua l’homme sans baisser le canon de son arme. Je cherche un grand blond aux yeux bleus, en imper d'enquêteur.
Ash, commençant à reconnaître la voix, comprit à qui il avait à faire. L’homme vit les morceaux de pommes dans la main de Ash.
- Donc tu l'as vu. Et t’as même vu son habilité alors que t’es ni une nana, ni mort. Intéressant.
- C’est toi Clyde ? demanda l’enfant. Attends, quoi ?
- Toi t’es le gosse que Jack a ramené d’Oldania n’est-ce pas ?
- Oui, t’es son équipier c’est ça ?
- C’est quoi ton nom ?
- Je m’appelle Robert Nestash. Mes amis m’appellent Bob.
Quelqu’un pouffa dans le noir.
- Pour un gars qui porte un masque, tu dévoiles vite ton identité, enchaîna Clyde.
- Pour un gars avec un flingue sur la tempe, je trouve que j’ai pris mon temps.
Clyde posa son cigare entre ses lèvres et sortit un autre flingue avant de tirer dans le vide.
Jack apparu en s’étalant sur le sol, la jambe ensanglantée.
- Aaarrgh ! Mais quel putain d’enfoiré ! hurla-t-il.
- Arrête de jurer devant les enfants, répondit calmement Clyde.
- Putain d’merde mais pourquoi tu m’en veux ! Tu vois bien que le gosse existe, c’était pas une excuse !
- Cette fois, rétorqua Clyde.
- J’ai l’impression que je dérange donc je vais vous laisser hein… tenta Ash.
- Toi tu bronches pas ! répondirent les deux enquêteurs en même temps.
Le stress éclata en fou rire chez Ash.
- En fait vous êtes pas bon flic, mauvais flic, mais mauvais flic et très mauvais flic !
Jack voulut se relever et mit du sang partout.
- Allez, ramène toi, je vais t'emmener à l’infirmerie, lui proposa Clyde.
- Mais comment t’as pu lui tirer dessus pour de vrai… constata Ash. Could you be loved ?
- Parle normalement ou je t’en mets aussi une, dit Clyde.
- Ça suffit les bavures policières non ?
- Allez, casse toi avant que je change d’avis, annonça Clyde en rangeant son pistolet. Et je ne veux pas te revoir dans les parages Nestash.
- Il s’appelle Pierrick, l’informa Jack en pinçant ses lèvres.
- Vous battez pas pour des faux noms… lâcha Ash, accompagnant ses mots par un clin d’oeil par-dessus son épaule en quittant l’immeuble.
- Ce gosse va finir par me butter, dit Jack en s'allumant une cigarette.
- Fallait y penser avant de le ramener à la Légion. »