— Sérieusement, tu vas pouvoir vivre plus longtemps et avec nous, déclara un certain blond qui venait tout juste de fêter sa majorité moins d’un mois plus tôt.
— Comment ça plus longtemps ? Je ne comptais pas mourir !
Il me dévisagea comme si je racontais une bêtise.
— Admets que tes projets pouvaient ressembler à un suicide.
Ce dernier mot me glaça le sang.
— Tu aurais fait vivre à ton frère une deuxième fois ta mort. C’était purement égoïste.
Son ton était calme, presque compatissant envers moi, pourtant ses paroles étaient glaçantes, pleines de reproches.
Je me mordis la lèvre inférieure. Au fond de moi, je savais qu’il avait raison. Et qu’il voulait que je l’admette.
— Ça l’était peut-être, mais vous ne comprenez rien à rien !
Je commençais à m’énerver. Leurs remarques incessantes, leurs reproches, leurs leçons de morale.
— Vous ne savez pas ce que ça fait d’avoir perdu la mémoire ! De vivre une vie à laquelle vous ne comprenez que la moitié de ce qu’il vous arrive !
Des larmes coulaient sur mes joues. J’avais ce don de pleurer alors que j’étais en colère. J’avais envie de taper sur n’importe quoi. Pourvu qu’il se taise !
Mais il continuait de me regarder de la même façon. Les yeux emplis de pitié, de regret et d’inquiétude. J’avais l’impression de devenir folle.
— Écoute. De toute façon, il est mort, et tu ne peux plus rien y faire. Alors maintenant réfléchis simplement à ce que tu veux faire de ta vie.
Son regard se durcit alors que je m’apprêtais à rétorquer.
— Et ressaisis-toi, Anthéa Valberton ! hurla-t-il en frappant sur le bureau.
Le son fort et soudain me fit sursauter. Je le regardai effrayée, le cœur battant à tout rompre. Les yeux grands ouverts à la suite de cette rencontre fracassante entre son poing et le bois.
Il m’avait sacrément bousculée. Mes sourcils levés vers le ciel, figée, je venais de me prendre une claque. Léandre ne criait pas. Il n’en avait pas besoin. Son titre ou son physique suffisait généralement à faire taire les autres. Et il parvenait sans mal à s’imposer dans une discussion. Sûrement un art qui lui avait été enseigné en tant que prince.
Il soupira, se frottant l’arrête du nez.
— Je te propose de continuer tes études à Clerfort. Puis tu réfléchiras à ce que tu veux faire. Peut-être n’était-ce pas vraiment ton rêve de devenir mage ?
— Je ne sais pas… marmonnai-je si bas que je doutais qu’il ait entendu.
Il resta un moment silencieux, me fixant intensément. Puis, il se leva et se dirigea vers la porte. Juste avant de sortir, il se retourna.
— Ca te dit qu’on révise ensemble pour le temps qu’il nous reste avant les examens ? ajouta-t-il doucement.
Instinctivement et avec raideur, je hochai la tête. Encore surprise par sa réaction brutale à mon caprice.
Et puis, il était parti. Je restai seule, le silence de la chambre étouffant mes pensées chaotiques. Je me laissai retomber sur mon lit, fixant le plafond sans le voir. Les larmes continuaient de couler, silencieuses, marquant le chemin de ma douleur.
Le lendemain matin, je me réveillai les yeux gonflés et cette sensation constante de vide dans le cœur. L’idée que ma vengeance ne se réaliserait jamais me laissait un goût amer. Je me traînai hors de mon lit et me préparai pour la journée, mes gestes mécaniques, dénués de réelle volonté.
À l’académie, tout le monde semblait continuer à vivre normalement. Les étudiants se préparaient pour les examens, discutaient dans les couloirs, riaient. Mais moi, je me sentais comme un fantôme, errant parmi eux sans véritable but. Les mots de Léandre résonnaient encore dans ma tête.
— Et ressaisis-toi, Anthéa Valberton !
Fallon essaya de m’approcher plusieurs fois, mais je l’évitais. Je ne pouvais pas affronter sa culpabilité ni sa pitié. À chaque fois que je le voyais, ma colère et ma déception revenaient en force. J’avais besoin de temps, d’espace pour comprendre ce que je ressentais vraiment. Parce que je commençais à comprendre que ma réaction était absolument injuste envers lui. Malheureusement, je n’arrivais pas encore à me défaire de mes émotions. Quelque temps supplémentaires me seraient nécessaires pour calmer ma rancune trop importante pour la petite erreur qu’il avait commise.
Quelques jours plus tard, je me retrouvai à la bibliothèque, tentant de me concentrer sur mes révisions. Les mots dans les livres ne faisaient aucun sens. Mon esprit était ailleurs, perdu dans un labyrinthe de pensées sombres.
— Anthéa ?
Je levai les yeux pour voir Léandre debout devant moi, une expression douce mais résolue sur le visage.
— Tu m’aides avec les runes ? me conjura-t-il en s’asseyant en face de moi. Tu es douée et je n’ai aucune envie d’aller voir Odile.
Ses yeux me fixaient en une supplique qu’il était dur d’ignorer. Je baissai les miens vers le bouquin que j’essayais tant bien que mal de lire depuis une demi heure.
— Je n’ai que ça à faire de toute façon, murmurai-je en refermant l’énorme livre qui contenait toutes sortes de données historiques. Je suis au point mort en histoire. Je n’arriverai pas à retenir plus de choses.
Après une bonne heure à lui expliquer pourquoi telle ou telle rune ne fonctionnait pas sous quelles conditions, une main vint décoiffer mes cheveux, faisant tomber l’élastique qui les maintenait en place. Je grognai en me retournant et trouvai le charmant Léoni derrière moi. Aussitôt, mon humeur fut plus calme. Comme apaisée par un rayon de soleil chaleureux.
A côté de moi, j’entendis Léandre pouffer. Je lui lançai un regard noir. Saleté…
— Vous lisez quoi cette fois encore ?
Il se pencha au-dessus de nous et posa l’une de ses grandes mains sur la planche en bois.
— J’ai vraiment l’impression que vous passez votre temps à ça. Vivez, les gars ! Ce ne sont que des examens, fit-il en se moquant de nous. Regardez, moi, je ne révise pas et je m’en sors très bien. Suivez donc l’exemple de votre aîné si parfait.
— Tellement parfait que tous tes professeurs ne veulent plus jamais te revoir, rétorqua le télépathe.
Il nous offrit un sourire charmeur en réponse.
— Ils ne veulent pas passer pour des incompétents qui n’ont pas su reconnaître mon génie avant le directeur.
— Ça va ? Pas trop fatigué de porter un fardeau aussi lourd ? répliquai-je, amusée de son petit jeu.
— Je me porte comme un charme, ma petite Anthy !
Il s’assit à nos côtés tandis que la conversation continuait et divergeait de ce sujet. Après un moment, une vague de détermination me traversa. Peut-être que je ne pouvais plus me venger de cet homme, mais je pouvais encore me battre et vivre des aventures. Après tout, ma vie n’était pas aussi banale qu’elle me semblait l’être. Mes amis étaient chacun si uniques et divertissants que jamais je ne pourrais perdre envie de rester à leurs côtés.
Je trouve tout d'abord que tu as bien amené les sentiments d'Anthéa par rapport au fait que son but ait été détruit. J'aime beaucoup comment semble avancer la relation entre Léoni et elle...
C'est un chapitre vachement court quand même ! Mais ta plume est toujours bien ^^
A plus !
Déjà merci beaucoup pour ton commentaire, ça me fait très plaisir !
J'espère que la suite te plaira tout autant !
Bonne lecture !