Chapitre 10

Par Froglys

Cela faisait maintenant cinq mois que j’avais pris la décision de continuer la magie. J’étais entrée en première année du second cycle depuis presque deux mois, et malgré mes efforts, la vie me semblait toujours aussi monotone. Chaque journée se fondait dans la suivante, marquée par les cours, les révisions et les essais de sorts.

Les journées se suivaient, inlassablement semblables. Le bruit des pages tournées à la bibliothèque, le cliquetis des couverts à la cantine et le murmure des incantations emplissaient mon quotidien. Parfois, je me surprenais à espérer que quelque chose, n’importe quoi, vienne bouleverser cette routine.

Aujourd’hui, assise à une table de la bibliothèque, je tentais de me concentrer sur un grimoire de sorts de protection. Mais mes pensées dérivaient sans cesse. J’avais besoin de quelque chose, n’importe quoi, pour apporter un peu d’animation à ma vie. Léoni, Thalion et les jumeaux étaient diplômés. De même que cet étrange individu à l’apparence fantomatique qui m’avait longtemps intriguée.

Autour de moi tout était si calme.

— … éa ? Anthéa, tu m’écoutes ?

Je relevai les yeux pour voir Céleste assise à ma table un peu plus loin, une expression de légère exaspération sur le visage. Ses longs cheveux noirs attachés en une queue de cheval haute, elle avait une allure stricte de professeur. Du haut de ses seize ans, elle n’avait que peu changé. Son visage s’était à peine amincis, prenant des traits d’adulte. 

— Désolée. Je suis un peu dans la lune aujourd’hui.

— Aujourd’hui ? Tu es ailleurs depuis des semaines, répondit-elle en se décalant en face de moi.

Je poussai un soupir. Elle avait raison, bien sûr. Depuis que j’avais décidé de continuer mes études de magie, je m’étais encore plus plongée dans les livres et les exercices pratiques, espérant y trouver une échappatoire. Mais la routine m’étouffait. Parfois je me surprenais à penser que j’aurais préféré que cet assassin revienne.

Je secouai la tête.

— Je suis fatiguée, soupirai-je, espérant que cela excuse mon comportement.

En plus, les vacances commençaient bientôt et j’allais me retrouver chez Albin à ne pas savoir quoi faire. Heureusement que l’anniversaire des vingt ans de Thalion approchait également à grands pas.

— Peut-être que tu devrais prendre une pause, proposa-t-elle d’une voix monotone.

— Une pause ? Je ne peux pas. Les premiers examens approchent et je ne me sens pas prête.

— Ce qui te manque, c’est un peu de clarté d’esprit. Sors un peu, change d’air.

Je la regardai, sceptique. Céleste n’était pas du genre à prodiguer des conseils chaleureux. Elle était pragmatique, souvent distante, mais je savais que ses paroles étaient sincères. Et souvent très utiles. Pour le peu qu’elle parlait, il fallait bien.

— Tu as peut-être raison, admis-je à contrecœur. Mais je ne sais pas quoi faire.

Elle haussa les épaules, comme si la réponse était évidente.

— Fais quelque chose d’inattendu. Parle à des gens que tu ne connais pas. Fais une excursion en dehors de l’académie. Change d’air.

Ses idées me tentaient, seulement, je ne savais pas comment m’y prendre.

— Je vais y réfléchir. Merci…

Elle hocha la tête, puis se replongea dans son propre livre, me laissant à mes pensées. Je refermai mon livre et me levai, décidée à prendre sa suggestion au sérieux.

En sortant de la bibliothèque, je sentis une brise fraîche caresser mon visage. Je pris une grande inspiration, savourant l’air extérieur. Peut-être que Céleste avait raison. Peut-être que j’avais besoin de sortir de cette routine étouffante.

Je me dirigeai vers un jardin de l’académie, un endroit où les étudiants allaient rarement à cette heure de la journée. C’était calme, paisible, je m’assis sur un banc, laissant mes pensées vagabonder.

 

Quelque temps plus tard, vexée parce que Léandre venait de me narguer avec sa note en magie pratique, je détournai les talons en direction de ma chambre pour rejoindre Clémie. Bien que nous ne partagions plus la même, elle avait pris l’habitude d’en profiter même quand je n’étais pas là.

Pour cette nouvelle année, nous avions tous dû investir une nouvelle chambre dans la partie de Clerfort destinée aux étudiants du second cycle. Au moins était-elle uniquement la mienne malgré que je ne possédais plus mon merveilleux jardin en contrebas.

J’allais passer un dernier après-midi entre premières années, bien que Léandre ait préféré rester avec Liam et les autres. Il les connaissait depuis bien plus longtemps et en était d’autant plus proche. Nous devions retrouver Kay, Céleste et Félix dans le jardin aux roses. Souvent, alors que j’y passais un temps calme, certains me rejoignaient, sachant très exactement à quel point j’aimais cet endroit.

Je frappai à la porte avant d’entrer. Clémie m’accueillit en un bond joyeux et s’écriait.

— J’ai trop trop hâte ! C’est les vacances, Anthéa !

Ses mains sur mes épaules, elle sautillait sur place, un sourire éclatant sur le visage.

— Oui, oui… marmonnai-je. Allez, tu veux bien te calmer un peu ?

Je l’intimais du regard à me laisser un peu d’espace. Elle s’écarta mais continua à sauter partout. Puis elle revint se planter devant moi alors que je venais tout juste d’arriver au centre de la pièce. Quelle fut ma surprise lorsqu’une tête bien familière apparut au loin derrière elle, grimpant par la fenêtre.

— Anthéa ?

Je reposai mes yeux dans ceux de mon amie. Merde. Elle ne devait absolument pas le voir. J’avais réussi à garder les visites de Fallon secrètes pendant deux ans. Ce n’était pas maintenant que ça allait foirer. Je saisis Clémie par les épaules et la poussai délicatement vers la porte.

— Je vais me doucher, j’ai super chaud ! prétendis-je.

Elle me reluqua et fronça les sourcils.

— Tu as un débardeur et nous sommes en octobre. Il ne fait pas si chaud.

— La chambre des garçons est une véritable fournaise !

Je revenais de chez Liam et Anthone, et enfermés à six il faisait vite chaud.

Allez Clem ! Crois-y !

— Tu nous rejoins après ?

— Bien sûr, je me dépêche.

J’ouvris la porte et la fis sortir en m’assurant qu’elle ne voit pas mon ami à poils. Elle me lança un regard de reproche.

— Je t’avais attendue exprès pour qu’on y aille ensemble, fit-elle d’une voix calme qui lui était rare.

Je me mordis l’intérieur de la joue. J’étais à deux doigts d’envoyer Fallon balader mais je le voyais trop peu souvent pour cela. J’avais besoin de lui pour découvrir ma vérité.

Je regardais Clémie sans lui répondre. Qu’aurais-je bien pu lui dire de tout façon ? Elle détourna le regard et se tourna, prête à s’éloigner.

— A tout à l’heure.

Je soupirai. Vivement que ces années d’étude se terminent et que j’obtienne mon dernier diplôme.

Je retournai dans ma chambre, me sentant légèrement coupable et découvrit Fallon assis sur mon lit, près de la fenêtre toujours fermée. Avec le temps j’avais appris à ne plus réfléchir aux choses étranges qu’il faisait souvent. Comme entrer dans une chambre verrouillée depuis l’intérieur.

— Bonjour Anthéa, j’espère que je ne t’ai pas trop manqué.

Je roulai des yeux. Jamais je n’acquiescerais à ça. Il n’empêchait que oui, j’avais récemment eu hâte de me retrouver avec lui.

— Tu sembles en avoir rêvé en tout cas, répliquai-je en m’avançant vers lui.

Il affichait le sourire délicat et emplit de bienveillance qui était le sien C’était agréable d’être en sa présence même si souvent il venait m’annoncer des faits importants qui menaçaient le royaume. Cela m’empêchait au moins de me sentir seule entre tous ces complots.

— Pour venir me voir alors que j’avais de la compagnie, c’est que ce que tu as à me dire est urgent.

Son visage perdit de son sourire.

— Quelque chose de trame. Les rebelles sont beaucoup plus silencieux et l’Ombre a perdu contact avec des agents placés à la Cour, expliqua-t-il en appuyant son regard par ses sourcils froncés. Aujourd’hui je suis venu pour te dire de rester en dehors de ça pour un temps.

— Qu’est-ce que…

— Tant que tu n’as pas retrouvé tous tes souvenirs, ce serait trop dangereux pour toi, me coupa le demi-homme.

Je réfléchis. Fallon m’apportait des informations depuis deux ans pour que je sois au courant de ce qui se tramait, et j’avais une terrible envie d’y prendre part.

— Ma priorité est la magie.

Pour le moment. Je guettais évidemment la moindre occasion que pourrait m’apporter une nouvelle aventure. Mais il tenterait autant que possible de m’écarter de toute animation. Et ça, il en était hors de question.

L’expression dans ses yeux s’adoucit, il semblait presque attristé. Il fouilla ses poches et en sortit une enveloppe. Elle ressemblait beaucoup à celle qui m’avait tant perturbée. Celle que m’avait donné un certain dieu. Je la saisis presque tremblante. Qu’allait-il m’annoncer cette fois ?

Je la lançai sur mon lit, près de lui, souhaitant remettre ce problème à plus tard.

— Il voudrait que tu prennes tes précautions.

Sa voix était chevrotante et précipitée. Je lui renvoyai un regard dérouté.

— Je… je veux dire que… bégaya-t-il avant de saisir le papier et de me le remettre entre les mains. Tu devrais le lire maintenant, c’est important.

— Et moi, j’ai des amis qui m’attendent. Les mystérieuses affaires d’un dieu ne m’intéressent pas pour le moment.

Je plissai les yeux m’attendant à ce qu’il réplique quelque chose mais le demi homme resta muet. Il pinçait ses lèvres et fronçait les sourcils, mes paroles semblaient l’irriter. A un autre moment j’aurais sûrement pris plus de temps pour comprendre mais les vacances avaient commencé et je comptais bien en profiter. Et puis, chercher à contrarier un dieu n’était-il pas un moyen de troubler un quotidien monotone ?

— Dis-lui de venir me voir en personne au lieu de t’utiliser comme messager, lui confiai-je avant de m’élancer vers la sortie, verrouillant derrière moi, mon ami toujours à l’intérieur.

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