L’odeur entêtante de la sève toute proche de ses narines.
Le contact rugueux du bois sur sa joue.
Une douleur sourde à l’arrière du crâne.
Un souffle continu et tumultueux en arrière-fond.
Kiaraan s’accrocha à la réalité de ces sensations. Son esprit encore ennuagé oscillait entre l’inconscience et l’éveil. Un souvenir fusa dans sa tête, Oksa avait crié son nom, quand elle avait repris brièvement connaissance. Et elle avait cru voir l’un des leurs s’enfuir. Était-ce vrai, ou seulement une vision provoquée par l’espoir fou de ne pas être l’unique survivante de ce désastre ?
*
Kiaraan ouvrit les yeux à grand-peine. Elle ne comprenait pas pourquoi elle voyait le monde renversé. Elle lutta pour faire le point sur son environnement. Était-ce Oksa, cette silhouette qu’elle croyait deviner devant elle ? Son regard décrocha et se perdit dans les rainures du plancher de bois foncé. Un vertige la saisit. Un froissement de vêtements la fit tressaillir et elle releva la tête. Un éclair de douleur fusa à l’arrière de son crâne. Péniblement, Kiaraan se redressa et s’adossa à la cloison derrière elle. Il fallait qu’elle sache où elle était. Un affreux pressentiment lui hérissait la peau. Où étaient les autres ? Qui avait provoqué le bruit qu’elle avait entendu, comme le frottement d’une étoffe ? Quand sa vision s’éclaircit enfin, son intuition se confirma. Elle était complètement seule. Son cœur se mit à battre à grands coups.
― Il y a quelqu’un ? dit-elle sans pouvoir s’en empêcher.
Sa voix était rauque, sa gorge sèche et crépitante comme un feu de brindilles. Elle toussa et se retint d’appeler une nouvelle fois. Qu’était-il arrivé aux autres ? Son corps se couvrit d’une sueur froide. D’abord, savoir où elle était. Ensuite, s’échapper et retrouver ses compagnons. La cabane où elle se trouvait ne devait pas dépasser les six mètres carrés. Des planches toutes neuves couvraient les brèches et les trous. À sa gauche, là où elle était auparavant allongée, s’étendait une paillasse d’herbes et de fougères. Une écuelle et une outre étaient posées à côté. Kiaraan constata avec surprise que la gamelle contenait quelques fruits fraîchement cueillis et que la gourde était pleine. Elle ne toucha pas à la nourriture mais se désaltéra à grands traits, l’eau coulant sur son menton tellement elle était assoiffée. En dehors de cela, la cabane était complètement vide, les murs nus mais propres. Elle ne devait pas être utilisée souvent. Une branche d’arbre d’une circonférence invraisemblable traversait le coin au-dessus de la paillasse. Une autre paraissait soutenir le toit dans toute sa longueur. À la droite de la jeune fille se trouvait une porte branlante. Incrédule, Kiaraan ferma les yeux et les rouvrit. Une porte. Ça ne pouvait pas être aussi facile. Le rythme de son cœur s’accéléra, cette fois sous l’effet de l’excitation.
En s’appuyant à la cloison de bois, Kiaraan se leva. Elle attendit quelques instants. Parfait, elle ne vacillait presque pas. Sans prêter attention aux protestations de son corps, elle clopina jusqu’au seuil. Là, elle patienta encore un moment en tendant l’oreille. Elle n’entendait qu’un souffle tumultueux, venant de partout à la fois, accompagné de bruissements ténus, comme des feuilles que l’on froisse. Kiaraan expira un grand coup et tira la porte. Celle-ci s’ouvrit sans la moindre résistance. Une puissante bourrasque s’engouffra alors dans ses cheveux, souleva la paillasse et manqua la faire tomber. Une myriade de feuilles d’un vert profond, larges et rondes comme des assiettes, frémissait jusque sous ses pieds. Les murs et probablement le toit de la cabane en étaient recouverts. En levant la tête, Kiaraan distingua une branche énorme, assez épaisse pour que deux hommes y marchent de front, qui jaillissait du faîte de la cahute pour aller rejoindre un tronc démesuré. Kiaraan chercha des yeux une corde, en vain. Il était exclu qu’elle puisse y grimper sans aide. En face d’elle, un tronc absurdement large s’élançait sans fin vers les hauteurs. Bouche bée, Kiaraan se pencha légèrement pour mieux appréhender cet incroyable environnement. Son cœur lui remonta dans la gorge et elle eut un haut-le-corps. Un vide béant ouvrait sa gueule juste à quelques centimètres de ses pieds. En proie au vertige, Kiaraan chancela. Elle tituba en arrière en fermant très fort les yeux, la respiration hachée. Elle ne se calma que lorsque son dos toucha le mur de la cabane. Les Lupus n’auraient pas pu trouver meilleur moyen de la retenir prisonnière. Jamais elle ne pourrait sortir de là sans être paralysée par le vertige. Mais si elle n’approchait pas trop près, peut-être pourrait-elle au moins comprendre où elle se trouvait. Elle serra les dents et se dirigea lentement vers la porte. En ignorant de son mieux la nausée qui nouait sa gorge, elle examina l’environnement. Mais elle ne vit ni branche, ni liane, ni quoi que ce soit qui pourrait lui permettre de quitter cet endroit. Aucun point d’appui d’aucune sorte. C’était la mort assurée si elle tentait quoi que ce soit pour s’évader. Elle était prisonnière, même si cet accès à l’extérieur lui donnait une trompeuse impression de liberté. Mais si elle était captive, pourquoi l’avait-on nourrie ? Et qui était la personne qui avait provoqué le bruit de vêtements un peu plus tôt ? La surveillait-on ?
― N’avance pas plus, dit une voix grave, rocailleuse, au-dessus d’elle. Ce serait dommage que tu disparaisses maintenant alors que nous avons eu tant de mal à te sauver.
Kiaraan sursauta et leva la tête. Accroupi sur la branche qui surplombait la porte, un jeune homme en pourpoint de cuir la surveillait attentivement, les yeux plissés.
― Me sauver ? s’indigna-t-elle. Il me semble plutôt que vous m’avez poursuivie, moi et mon amie ! Où est-elle ? Et mes compagnons ?
― Oh, ils se portent à merveille. Ils sont juste devenus nos esclaves à tout jamais. Nous attendions ton réveil pour t’enchaîner avec eux.
Déconcertée, Kiaraan scruta le garde plus attentivement. Est-ce qu’il se moquait d’elle ? Elle l’aurait parié, mais sous ses longs cheveux noirs retenus en arrière, son visage aux traits anguleux — pommettes saillantes, sourcils arqués et mâchoire volontaire — arborait une expression tout à fait sérieuse. Il ne semblait pas beaucoup plus vieux qu’elle, pourtant il émanait de lui une incontestable autorité. Ses yeux mordorés au regard pénétrant restaient fixés sur elle sans ciller.
― C’est parfait, tu as l’air en pleine forme, dit-il en se penchant un peu plus vers elle. J’ai quand même envoyé chercher notre GuériSage, pour être sûr que tu es opérationnelle pour ce qui t’attend.
― C’est-à-dire ?
Kiaraan se maudit d’avoir laissé paraître son inquiétude. Elle ne pouvait pas envisager qu’il soit sérieux, et pourtant… Le Lupus esquissa un sourire énigmatique et sauta sans prévenir sur le seuil, en manquant de la heurter.
― Pas d’initiative déraisonnable, d’accord ?
Exaspérée, Kiaraan se projeta en avant et le poussa de toutes ses forces. Pas le moins du monde troublé par sa réaction, le garde se réceptionna souplement sur une branche un peu plus bas. Il la toisa d’un air à la fois amusé et appréciateur. Kiaraan le regarda partir, en courant de branche en branche, bondissant des unes aux autres, sans jamais hésiter ni se tromper. Il finit par disparaître derrière le tronc monstrueux. Quel était donc ce peuple, vivant dans les arbres et capable de telles prouesses physiques ? Kiaraan resta là, immobile, les poings serrés sur les montants de la porte. Elle n’avait rien compris à ce qui venait de se passer, mais ce n’était pas important. Elle devait trouver un moyen de s’échapper. Ses souvenirs de la bataille étaient flous, mais en revanche, elle revoyait parfaitement les corps de ses compagnons à terre, avant qu’elle ne prenne la fuite. Elle se sentit brûler de rage. Qu’avaient fait d’eux les Lupus ? Leur avaient-ils au moins fourni une sépulture décente ? Et pourquoi, par la Mère, les avaient-ils attaqués sans aucune sommation ?
Kiaraan se mit à faire les cent pas. Dans l’espace restreint de la cabane, ce n’était pas chose aisée, mais elle s’en moquait. Elle ne pouvait pas rester sagement assise. Elle fouilla du regard son environnement. Elle arriverait bien à trouver quelque chose qui pourrait lui servir d’arme. Là, une planche vermoulue sur le mur ferait parfaitement l’affaire. Elle l’attrapa et tira dessus de toutes ses forces, mais le bois était tellement friable qu’elle ne récolta que des miettes inutiles. En poussant un grognement de frustration, elle jeta les morceaux par le trou qu’elle avait fait, en espérant qu’ils atterriraient sur la tête de son garde et l’assommeraient. Elle administra un traitement similaire à trois autres planches et tenta même de grimper sur la branche du toit, mais sans succès. Fulminante, Kiaraan finit par frapper du poing sur la cloison de toutes ses forces en criant. La douleur qui en résulta la fit grincer des dents et s’ajouta à sa colère. Comme si elle avait besoin d’un grief supplémentaire ! Elle se laissa tomber sur la paillasse et se prit la tête entre les mains. Sa révolte était stérile et ne ferait pas avancer les choses. Ça ne l’aiderait pas à sortir de là. Ne pas agir n’était pas dans sa nature, mais si elle gardait ses forces, elle pourrait peut-être obliger le GuériSage annoncé par son garde à la délivrer. Une fois ce plan arrêté, Kiaraan s’autorisa à relâcher ses muscles et à souffler un bon coup. Et les autres, qu’étaient-ils devenus ? Peut-être que certains avaient survécu et étaient eux aussi prisonniers ? Elle se promit d’obtenir l’information de la prochaine personne qu’elle verrait. Ce ne fut qu’un long moment plus tard — la chevelure de Kiaraan formait un halo d’éclairs autour de sa tête et la peau autour de son tatouage était toute rouge — que le garde revint. Kiaraan se renfrogna en le découvrant, mais il n’était pas seul. Une jeune femme s’introduisit à sa suite dans la cabane. Ses cheveux gris foncé étaient noués en une tresse dont la pointe retombait sur son épaule et se confondait avec le tissu noir de sa tunique. Elle tenait à bout de bras une lanterne en bois où reposait une boule luminescente, dont l’aura empêchait de distinguer totalement ses traits.
― Je suis Lorel, déclara la nouvelle venue. La GuériSage de Nevadis. Comment te sens-tu ? Largo m’a dit que tu avais apparemment récupéré toutes tes capacités. Je suis navrée de ne pas avoir été là pour ton réveil.
Elle avait un timbre un peu voilé qui accentuait le mystère se dégageant de sa personne. En sa présence, Kiaraan se sentait étrangement apaisée. Pour autant, elle ne comprenait rien à ce qu’elle lui racontait. Elle était navrée ? Pour elle ? Pourquoi autant de prévenance, de gentillesse alors qu’elle était totalement à leur merci ? Visiblement, se moquer d’elle était le nouveau sport du coin. Kiaraan serra les poings et ne répondit pas. Derrière l’épaule de la GuériSage, le garde — Largo ? — la fixait, l’expression soigneusement maîtrisée. Le contraste avec son attitude un peu plus tôt lui ôtait les mots. Sans se formaliser de son silence, Lorel s’approcha alors et Kiaraan put distinguer son visage. La finesse de ses traits était fascinante, mais la jeune fille fut immédiatement happée par l’étrangeté de son regard. L’un de ses yeux jaunes était recouvert d’un voile blanc translucide, qui donnait à sa pupille la couleur et la clarté des reflets de l’aurore sur l’eau. L’autre était plus foncé, ambré comme ceux de Largo. Elle posa sur le sol un gros sac en tissu renflé, qu’elle portait en bandoulière. La GuériSage l’ouvrit et en sortit une petite boîte ronde ainsi qu’une fiole d’argile. Kiaraan haussa les sourcils en reconnaissant le parfum de laurier. Avait-elle l’intention de la soigner ?
― Je suppose que mon frère ne t’a rien dit ? Oui, cela explique pourquoi tu te méfies à ce point de moi. Mais je ne suis pas ton ennemie. Personne ici ne l’est.
― Me dire quoi ?
― Dès que tu te sentiras prête, nous t’emmènerons devant le Conseil qui pourra t’informer mieux que nous.
― Je ne comprends pas. Ne suis-je pas prisonnière ? Pourquoi suis-je enfermée ici, isolée de mes compagnons ? Que leur est-il arrivé ?
Kiaraan serra les poings. C’en était assez. Elle ne saisissait rien à ce qui se passait ! Du coin de l’œil, elle aperçut le soldat se rapprocher de Lorel et lever une main vers l’arme accrochée dans son dos. Croyait-il qu’elle allait attaquer ? Cette défiance la blessa. Était-ce vraiment l’image qu’elle donnait ? Ne savait-elle réagir que par l’agressivité ou la violence ?
― Paix, Largo. Recule, s’il te plaît.
― Je ne préfère pas, non, fit-il de sa voix rocailleuse. Tu ne l’as pas vue à l’œuvre. Moi, si.
La jeune fille reporta son regard sur lui. Il n’y avait aucune trace de sarcasme dans son expression, cette fois-ci. Kiaraan ne savait pas si elle devait se sentir flattée ou offensée qu’il la croie si dangereuse. Et soudain, elle comprit le comportement du garde. En un flash, une image d’elle-même se jetant sur un Lupus en pleine bataille lui revint. Ce Lupus, c’était Largo.
― Je pense qu’elle souhaite simplement des réponses aux questions bien légitimes qu’elle se pose.
― En effet !
À nouveau, Lorel tourna la tête vers elle. Sa facilité à la situer stupéfia Kiaraan.
― Eh bien, je peux déjà te rassurer au sujet de l’autre jeune fille qui a été capturée en même temps que toi. Oksa, c’est ça ? Elle va bien et attend comme toi d’être présentée au Conseil
― Pourquoi n’est-elle pas avec moi ?
― Parce que tu es à l’infirmerie. Enfin, juste à côté. Ton amie n’avait pas besoin de soins, toi oui.
― Où sont mes autres compagnons ? demanda Kiaraan d’une voix dure. Le visage de la jeune Lupus se ferma et elle hésita un instant avant de répondre.
― Certains…
― Lorel, non, l’interrompit Largo. Lyria veut lui expliquer elle-même ce qui s’est passé.
― Certains ont survécu et sont avec ton amie, poursuivit-elle sans tenir compte de l’intervention. Mais pas tous. Je suis navrée.
Kiaraan chancela. Elle avait vu leurs corps. Elle n’aurait pas dû être aussi surprise. Aussi bouleversée. Et pourtant, son cœur lui faisait mal, son sang battait à ses tempes, et une douleur soudaine lui indiqua qu’elle se mordait les lèvres jusqu’au sang.
— Pourquoi ? proféra-t-elle d’une voix tremblante. Nous… ils étaient… ils n’étaient pas là… en ennemis ! Pourquoi ?
Kiaraan plaqua une main sur sa bouche avant de se mettre à crier. Tout son corps la brûlait, son sang se ruait dans ses veines, galvanisé par son chagrin et sa révolte. Une part d’elle-même réclamait vengeance et se préparait à prendre possession de sa conscience. Elle reconnaissait cette présence grondante et instinctive. Son cœur se mit à battre à grands coups. Les yeux écarquillés, elle recula jusqu’au mur de la cabane. Non ! Ils mourraient tous les trois si elle la laissait prendre le contrôle ! Et malgré tout ce qui s’était passé, ou peut-être à cause de cela, elle refusait de leur faire du mal. L’idée même de blesser encore quelqu’un lui répugnait. Soudain, Lorel fut à son côté, si proche qu’elle percevait son souffle sur sa joue. Elle lui empoigna les bras et son regard dissemblable happa le sien.
— Tu as le droit de les pleurer, souffla la GuériSage à voix basse. Je comprends ta peine et ta rage. Mais attends de connaître la vérité avant de réclamer vengeance. Beaucoup de choses dépendent de toi.
Les mains de la GuériSage diffusaient une chaleur apaisante. Kiaraan s’accrocha à ce contact, aux yeux de la GuériSage. Lorel bougea, elle attrapa quelque chose dans une de ses poches et lui mit un flacon à l’odeur douceâtre sous le nez. Kiaraan inspira. Instantanément, son rythme cardiaque ralentit, le grondement de son sang s’atténua. Peu à peu, la conscience de son environnement revint, le bourdonnement dans ses oreilles reflua, et elle se retira enfin, ne laissant sur sa peau qu’un fourmillement de puissance. Kiaraan cligna des yeux et se redressa. Elle n’avait même pas réalisé qu’elle s’était accroupie. L’air parfaitement à son aise, Lorel inclina la tête à droite et à gauche et recula un peu. Son œil valide la fixait avec une satisfaction mêlée de curiosité.
— Te revoilà parmi nous. Tu as plus d’une corde à ton arc, n’est-ce-pas ? En tout cas, je suis… particulièrement ravie de faire ta connaissance.
Kiaraan ne sut quoi répondre. Que venait-il de se passer ? Et pourquoi Lorel faisait-elle comme si de rien n’était ? La GuériSage se détourna gracieusement et rejoignit un autre garde resté au-dehors. Kiaraan se tourna vers Largo. Le jeune homme la fixait d’un air inquisiteur.
— Qu’est-ce que… que m’a-t-elle fait ? Comment a-t-elle pu …
— Je crois que tu trouveras toi-même la réponse à ta question. Demande à ton instinct, fit-il en appuyant sur le dernier mot.
Il passa la main dans ses cheveux, ramenant en arrière une mèche plus claire que les autres et lui fit un clin d’œil. Elle remarqua une fine cicatrice blanchâtre sur l'arête de son nez.
― Je reviendrai te chercher dans une heure, ajouta-t-il en esquissant un sourire devant l’air perdu de la jeune fille.
Il s’éclipsa, sans laisser à Kiaraan le temps de lui demander ce qu’il avait voulu dire. Elle secoua la tête et se recroquevilla dans un coin de la cahute. Elle avait une heure pour se préparer à ce destin qu’elle avait cherché et qui lui revenait aussi brusquement, aussi violemment que le vent des montagnes.
La température à l’intérieur de la cabane suivit le déclin de la lumière. Kiaraan grelottait sans vraiment y prêter attention. De toute façon, elle ne pouvait rien faire pour changer cela, ou quoi que ce soit d’autre. Les rafales et l’attente mettaient ses nerfs à rude épreuve. À chaque craquement de branche, son pouls caracolait dans ses veines. Son regard était fixé sur la porte, mais elle ne la voyait pas vraiment. Dans sa tête s’entrechoquaient le visage de sa sœur en larmes à l’annonce de son trépas et des images de ses camarades tombés, comme des éclairs de souffrance. De temps à autre, cependant, penser à Diorann lui rendait son courage. Sa sœur ne lui pardonnerait jamais de s’être laissé terrasser par les conséquences de sa propre stupidité, et elle se promettait de tout faire pour s’en sortir et revenir lui demander pardon à genoux. Alors que le simple souvenir des taches de rousseur de Diorann menaçait de déchiqueter son cœur, une autre vision lui donna un peu de répit. Elle se revit, pendant les grandes chaleurs, se baigner dans un petit lac qu’ils avaient débusqué dans les hauteurs de Long'Ombre avec Diorann et ses cousins. Elle se remémora les parties de jeu d’Awali-Rig qui les faisaient courir dans tout le village. À mesure de leur croissance, ses amis et elle plaçaient leur totem de plus en plus loin, et l’émulation se mêlait à l’exaltation de l’inconnu. C’était il n’y a pas si longtemps, pourtant Kiaraan avait l’impression qu’une vie entière s’était écoulée entre-temps. Elle se rendit compte qu’elle avait vécu une enfance et une adolescence relativement insouciante et protégée des réalités du quotidien, jusqu’à la disparition de sa mère tout du moins,. Il y a quelques années encore, la Mue et ses dangers ne les atteignaient pas autant qu’aujourd’hui. À cette époque, la Mue était bien présente, souvent crainte, mais on ne redoutait pas qu’à chaque départ, les gens ne reviennent pas.
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