Chapitre 9

         Cérian se réveilla alors que le jour était levé, dans une chambre qu’il ne connaissait pas. Son premier réflexe fut de foncer droit sur la porte d’entrée qui refusa de s’ouvrir. Il s’y attendait, néanmoins il poussa quand même un gémissement de dépit en posant son front contre le battant.

         On ne l’avait pas jeté dans une cellule de prison, mais ça restait un emprisonnement.

         Le jeune homme se retourna en examinant les lieux. La pièce n’était pas désagréable, loin de là. Elle était spacieuse, plus grande que sa chambre dans sa maison, et très lumineuse. Le sol rosé ressemblait à du quartz poli, les murs étaient des branches claires si étroitement entrelacées entre elles qu’aucun filet de lumière ne filtrait. En appuyant dessus avec sa main, fasciné malgré son inquiétude quant à sa situation, Cérian lui trouva la solidité d’un mur de briques. Deux imposantes ouvertures en arches, sans vitres, faisaient office de fenêtres et donnaient sur un immense balcon.

         Bien entendu, il se précipita sur ce dernier. Bien entendu, ses geôliers avaient pensé à l’installer dans une pièce en hauteur d’où il ne pouvait s’enfuir à pied. Par l’extérieur en tout cas.

         Le balcon voisin était trop loin. La façade en bois était trop lisse pour qu’il puisse enjamber la rambarde et escalader le mur jusqu’en bas.

         Cérian frissonna de froid, il se résigna à rentrer. Pour le moment il portait toujours son short en guise de seul vêtement.

         Son regard balaya le reste de la pièce. De longs voiles transparents aux reflets cuivrés faisaient office de rideaux, ils bruissaient sous la brise légère. Son lit, circulaire, présentait des draps vert sauge, faits d’un tissu qui lui rappela l’espèce de soie portée par le Roi. Maintenant qu’il avait dormi dedans, il savait que l’éclat des étoffes s’accompagnait d’une texture proche d’un coton chaud.

         Il observa les rideaux, puis sa literie, avant de secouer la tête. Même en nouant le tout, il n’arriverait pas à obtenir une corde qui lui permettrait d’aller jusqu’en bas.

         Dépité, le jeune homme continua de regarder autour de lui. En temps normal, il aurait adoré un tel endroit. Tout était calme, au cœur de la nature. Une agréable odeur planait dans l’air, mélange de feuilles d’automne et d’aiguilles de pin, avec une subtile touche de sève. C’était charmant et chaleureux. On lui avait mis à disposition une grande table, des chaises, quelques livres, un bureau…

         En s’approchant d’un comptoir, à moitié dissimulé par un paravent, il découvrit un évier lui rappelant une coquille de noix géante, des verres en terre cuite peints et gravés d’arabesques feuillues. Des noix et noisettes, différentes baies et une variété de fruits séchés occupaient plusieurs pots en verre, fermés par un bouchon de liège. Tout avait été cassé ou émietté pour être plus facile à manier par les mains des Fées. Donc il avait de quoi boire et grignoter. Il n’allait pas mourir de faim. Le jeune homme s’empressa d’ouvrir l’un des bocaux, prit une poignée de noisettes, puis les porta à sa bouche. Elles étaient plus tendres que ce à quoi il s’attendait, avec un subtil goût floral qu’il ne parvint pas à identifier.

         Curieux, il retourna dans la partie chambre pour découvrir la penderie. Bien qu’elle soit en bois, elle était massive et lourde, comparée à la délicatesse du lit. Ce meuble se serait parfaitement fondu dans le décor d’une maison d’humain, là où le reste démontrait une vraie harmonie et un rappel constant à la nature. Des habits étaient pendus à l’intérieur. Après une seconde d’hésitation, il attrapa une tunique marron accompagnée d’un pantalon assorti et un sous-vêtement. Il les posa sur son bras en continuant à fureter.

         La porte d’entrée étant verrouillée, il l’ignora pour se diriger vers une autre. À moitié certain de faire chou blanc, Cérian fut étonné lorsque la poignée de cette dernière tourna sans difficulté dans sa main, lui donnant accès à une salle de bain.

         Sa bouche s’entrouvrit de stupeur en découvrant la superbe baignoire de la forme d’une très grande coquille Saint-Jacques, bien que plus profonde et plus spacieuse. Un lavabo, identique, mais avec des proportions plus réduites, occupait les lieux avec une pile de serviettes.

         En s’approchant de la baignoire, il constata la présence d’une bonde et d’un robinet. Ayant remarqué que l’évier sur le plan de travail et le lavabo en avaient aussi, il haussa les sourcils. Les Fées étaient donc équipées en eau courante avec un système équivalent à celui des humains. Ceci dit, il n’allait pas s’en plaindre.

         Cérian tourna les poignées. De l’eau jaillit sans encombre du bec et commença à remplir le coquillage. Elle était claire, bien plus douce et pure que celle qu’il connaissait. Émerveillé, il découvrit qu’elle scintillait d’une façon différente selon comment il réglait la température.

         Ce n’était pas parce qu’il était prisonnier qu’il devait se lamenter en PLS sur son lit. Un bon bain ne serait pas du refus. La veille, il avait sué comme un porc en déplaçant ses meubles et en rangeant ses cartons. Pas une seconde, il n’était passé à la douche.

         De toute façon, là tout de suite, il ne pouvait pas s’échapper. À part attendre que quelqu’un daigne venir le voir, il ne pouvait rien faire. S’il essayait de se montrer un minimum docile, voire résigné, peut-être qu’on lui accorderait ensuite assez de liberté et qu’il pourrait s’enfuir…

         D’autres petits flacons en verre, au bouchon de liège, étaient alignés sur une étagère, avec un pain de savon parfumé au tilleul.

         En attrapant une fiole, Cérian se rappela l’époque où il allait au lycée. Certaines camarades de classe fabriquaient des pendentifs où elles mettaient des petites pierres. Même sa mère avait confectionné des grigris, qui rencontraient un très grand succès, avec des mini bouteilles à porter en collier. Il se demanda s’il s’agissait des mêmes produits, à l’origine. De ce qu’il se souvenait de leur taille, ça pouvait correspondre à ce qu’il avait dans les mains.

         Il huma les différentes parfums, sans savoir s’il avait à faire à des shampoings ou des bains moussants. Finalement, Cérian décida qu’il s’en foutait puisque les deux avaient pour but de le laver de toute façon, donc il versa une partie de celle à la senteur de miel dans l’eau qui moussa aussitôt. Ses doigts dérapèrent sur le bouchon de liège lorsqu’il le referma, manquant de lui faire lâcher prise. Il les serra brièvement pour calmer le tremblement qui les agitait et qu’il préférait ignorer.

         Ensuite, Cérian récupéra son collier dans sa poche arrière, le posa sur ses habits propres, puis se débarrassa de son short.

         En se glissant dans l’eau, il poussa un soupir de bien-être. Pour un type enfermé dans un lieu inconnu, pour des raisons toute aussi inconnues, il s’en sortait pas trop mal. Néanmoins, les problèmes restaient en suspens.

         Durant un moment, le parfum du miel l’apaisa, mais l’angoisse quant à son avenir refit bien vite surface.

         Où était-il, exactement ?

         En allant sur le balcon, il n’avait pas examiné les alentours. Il ignorait combien de temps avait duré le trajet puisqu’il s’était endormi. Et où était Kael s’il n’était un ami du deuxième groupe ? Quel était le conflit qui opposait les Fées ? Quel était son rôle à lui dans tout ça ? Voulait-on l’utiliser pour faire pression sur son petit copain ?

         Et lui, comment les choses allaient se passer, dans le monde humain ? Demain ce serait lundi. Il allait rater son travail, n’avait pas du tout son téléphone avec lui et ne pouvait envoyer personne pour prévenir sa patronne. Les Fées ne lui apporteraient surement pas son mobile, s’il le leur demandait. En plus, il ne serait pas forcément utile… Est-ce qu’il y avait du réseau dans cet endroit ?

         Peut-être qu’il pouvait quand même faire la requête ? Pour essayer. Pour montrer qu’il était conciliant et prêt à jouer le jeu.

         Comment allait Pippin ? Avait-il assez d’eau et de croquettes ? Si sa mémoire ne lui faisait pas défaut, la porte vitrée donnant sur le jardin était restée ouverte avant qu’il ne parte. Dans le pire des cas, il devrait pouvoir chasser à l’extérieur…

         Son absence lui pesait. Il crevait d’envie de serrer la boule de poils dans ses bras, de l’entendre ronronner…

         Pour l’heure, Cérian comptait sur une potentielle visite. Peut-être Lyr ? Le vieux Mage paraissait l’avoir apprécié un peu. Ou du moins, semblait compatir un minimum. S’il pouvait au moins obtenir des explications… En tout cas, à coup sûr, Zéphyra ne serait pas la première à se pointer, il en mettrait sa main au feu.

         Mais si personne ne venait… ? Si on le laissait moisir ici… ?

         Dans ce cas, il n’aurait qu’à tambouriner sur la porte jusqu’à énerver tout le monde et qu’on débarque pour lui dire de se calmer. Ou alors, il pourrait beugler depuis le balcon.

         Il espérait toutefois ne pas avoir besoin d’en arriver à ces extrémités.

         Un long moment, il barbota dans son bain, les pensées de plus en plus moroses. Lorsqu’il sortit de l’eau, ce fut à peine s’il s’étonna de réaliser que les serviettes étaient exactement comme chez les humains, en tissu éponge.

         Cérian se sécha, s’habilla, puis retourna dans sa chambre en trainant des pieds.

         Maintenant, il allait prendre un truc à grignoter dans le coin cuisine, puis se rendre sur le balcon pour étudier l’environnement extérieur. Après… Après, il inventerait un plan abracadabrant pour s’évader. Le genre de plan qui ne fonctionnerait que dans une série ou un film à gros budget, mais qui aurait le mérite de l’occuper. Peut-être qu’en imaginant n’importe quoi, il aurait une véritable bonne idée dans le lot. Mieux que celle qui consistait à crier depuis le balcon.

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