* Martin
Quand à 14h pile, Emilie sonne à ma porte. Je suis plein d’entrain, prêt à passer du bon temps. Par passer du bon temps, je ne parle pas de sexe mais de quelque chose de tout aussi stimulant : embarrasser Emilie à propos de sexe. Mais n’importe quel autre sujet fera aussi l’affaire !
Je perds un peu de ma contenance lorsque j’ouvre la porte. Elle porte un jean moulant taille haute et un chemisier noir bien échancré. Elle porte très peu de maquillage. Elle n’en a pas besoin pour que je la trouve attirante. Son joli visage innocent fait tout le travail. Non que certaines femmes en aient besoin pour être belle, pas du tout, mais c’est tellement peu courant de voir une femme de mon âge sans maquillage. On en finit par oublier la beauté brute, naturelle, sans aucun artifice.
Elle me salue chaleureusement, et lorsqu’elle me fait la bise, son parfum envahit mes narines et me fait perdre pied. Cette odeur … c’est enivrant. Comment fait-elle ? A chaque fois que je crois avoir le contrôle sur elle, elle trouve un moyen de me déstabiliser.
- On s’y met ? demande-t-elle naturellement.
L’après-midi se passe presque normalement. Elle est intelligente. Et j’adore débattre avec elle. Seule la première demi-heure est un peu chaotique pour moi. J’ai dû mal à me concentrer sur autre chose que son décolleté et ses cheveux ensoleillés, qui ont la chance de caresser sa gorge. Je repense à ce qu’elle a fait hier soir chez elle, lorsque nous étions au téléphone, et ça rend mon jean inconfortable. Emilie ne s’en rend bien sûr pas compte, ou alors joue extrêmement bien les innocentes. Mais elle est plutôt du genre à ne pas se rendre compte de l’effet qu’elle fait.
Mais, au bout d’un moment, je finis par être pris d’intérêt par notre étude. Le féminisme est un sujet intéressant pour nous deux, étant donné notre conflit d’expérience en termes de sexualité. Elle serait presque de la vieille école. J’ai parfois l’impression d’être le plus féministe de nous deux.
- Tu trouves ça mal que les femmes prennent le pouvoir sur leur sexualité ? Qu’elles puissent être libres d’écouter leur désir ? Les hommes font ça depuis la nuit des temps. Je trouve ça juste que les femmes puissent en faire autant.
- Je sais pas, j’ai l’impression que la gente féminine se perd à trop vouloir être moderne dans ses relations sexuelles justement.
- C’est-à-dire ?
- C’est bien que les tabous se brisent et qu’on puisse en parler plus librement, mais je trouve qu’on désacralise trop la sexualité. Que ça perd de son charme, de son érotisme, de son pouvoir fort, et que ça devient juste un instinct primitif sal et dégoûtant.
Je la regarde, intrigué. Quelle drôle de réflexion.
- Si je ne m’abuse, la sexualité est quelque chose de parfois repoussant à tes yeux. Comment est-ce qu’on peut en arriver à une telle représentation ?
Elle entrouvre la bouche comme si elle allait répondre, mais rien ne vient. Un court instant, j’ai l’impression de l’avoir perdue.
- Je pense qu’on devrait revenir à notre travail. Envisager la sexualité comme sujet de notre oral me paraît trop hasardeux non ?
Elle me sourit mais ce sourire sonne faux.
- Un autre sujet en tête ? je lui demande.
Vers 18 h, on a bien avancé sur notre projet. C’est passé vite. Et étrangement je n’ai pas eu l’occasion de l’embêter. On a même été très sérieux. Je ne sais pas trop pourquoi. Ce n’était pas déplaisant pour autant. C’était différent …
Quand elle se lève pour prendre congés, son corps se rappelle au mien, comme une âme sœur. Mon désir reprend le dessus. Elle se dirige vers la porte et je l’attrape soudainement par les hanches pour murmurer à son oreille « Pourquoi tu as mis ce décolleté ? ». Je la vois frissonner. Son poids s’affaisse légèrement sur moi. Je prie pour que mon corps ne me trahisse pas alors qu’il est collé à elle ! Puis elle se reprend:
- Je sors ce soir.
Merde. Je ne m’attendais pas à une telle réponse.
- Tu as …un rencard ?
Elle se retourne et me regarde.
- Hum, fit-elle pour acquiescer.
- Je suis un peu étonné, je finis par dire.
Elle me scrute, comme si elle cherchait à voir si je mens.
- Samedi prochain, même heure, même endroit ? demande-t-elle finalement, un sourire d’ange sur le visage.
Wahou, elle est très forte. Je crois que je me suis encore mépris à son sujet.
« Alors, ce date ? » je ne peux m’empêcher de lui écrire, quelques heures plus tard.
Je soupire. Si je ne me connaissais pas mieux, je pourrais penser que je suis jaloux.
« Tu veux savoir quoi ? Et toi, qu’est ce que tu as fait de ta soirée ? »
Merde. Pourquoi ça me contrarie autant qu’elle ait eu un rencard ? J’oublie parfois que c’est une femme désirable pour les autres hommes de cette planète aussi. Est-ce que c’est ça qu’elle a ressenti quand j’ai couché avec Sylvia ce jour là ? Ça fait …mal. Je ne sais pas comment je dois réagir.
« Raconte ! »
« None of your business ☺ »
Putain! Ça me tue de pas savoir. Est-ce que quelqu’un d’autre est en train de penser à elle, de fantasmer sur elle ? Est-ce qu’il l’a embrassée ? Touchée ??
Est-ce que cette personne sait qu’elle est toujours vierge ? J’en fais vraiment toute une histoire. Moi qui lui reprochais de faire ça, je finis par comprendre l’importance que ça a pour elle. Parce que ça commence à être important pour moi aussi. Je n’ai pas envie que sa première fois soit banale ou bâclée. Elle mérite mieux. Ca y est je deviens mielleux. Elle m’a contaminé.
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*Emilie
« Fais attention à toi, d’accord ? »
« Dis-donc c’est presque perturbant que tu sois gentil avec moi…Tu me demandes pas ce que je porte ? :p »
« Pas ce soir. Bonne nuit l’innocente. »
« Bonne nuit crétin féministe. »
La vérité c’est que ce rencard était une erreur.
Après ce qui s’est passé l’autre soir avec Martin…je ne voulais vraiment pas lui laisser le loisir de me tourmenter ou d’avoir un quelconque pouvoir sur moi. Donc quand cet étudiant m’a abordée à la fac et qu’il a voulu m’offrir un café, j'ai accepté. La seule solution que j’avais trouvé pour ne plus être un jouet c’était de prendre les rênes, pour une fois. Je ne pensais pas qu’un simple décolleté le perturberait autant. Je ne comprends pas toujours pourquoi il est attiré par moi comme ça. Bien sûr que j’ai conscience de plaire à certains hommes. Mais c’est différent avec lui. Et il me fait me sentir tellement vulnérable et en sécurité à la fois, c’est à n’en plus savoir si c’est désagréable ou non ... En tout cas, je voulais effacer ce sourire suffisant de son visage. On peut penser que ma prise de pouvoir a quelque chose de jouissif. Mais ce n’est pas si évident. Le voir déstabilisé, fragile presque, ça le rend touchant, attachant. A mes yeux, ça le rend encore plus beau. Je pourrais l’admirer pendant des heures. Mais il a conscience de sa beauté et je déteste ça. Rester impassible face à lui me demande toute ma force et ma volonté. J’adore voir que je suis capable de le soumettre à moi, tout comme je frissonne quand c’est lui qui prend le pouvoir. Et je déteste ça aussi. Parce que je sais que tout ça est un jeu pour lui. Il a peut-être bien une certaine affection pour moi, mais ce ne sera jamais la même chose que ce que je ressens pour lui.
Je suis bien trop naïve d’avoir développé des sentiments pour lui. C’est un total cliché que la fille inexpérimentée s’amourache du garçon qui est son contraire. Je me sens honteuse. Il faudra bien que je mette un terme à tout ça au bout d’un moment. Ça ne pourra que mal finir. Spécifiquement pour moi. Lui, le pire qui pourrait lui arriver, ce serait de ne pas coucher avec moi.
Est-ce que Martin s’intéresse à mon soi-disant date simplement parce qu’il a peur que quelqu’un d’autre que lui soit pour moi le premier homme ?
Dans tous les cas, j’ai dû mettre fin à ce rencard rapidement parce que je n’arrivais pas à me concentrer sur ce gentil garçon qui était avec moi. Mes pensées étaient entièrement capturées par l’autre crétin. J’étais désolée pour ce pauvre étudiant à qui j’avais fait perdre son temps.
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*Martin
Le lundi matin, sur mon trajet pour aller à la fac, j’aperçois Emilie. Elle marche à une vingtaine de mètres devant moi.
Je la rattrape discrètement en trottinant. Elle a des écouteurs dans les oreilles et semble complètement habitée par ce qu’elle écoute.
Je me place doucement à ses côtés et marche en l’observant. Wouah! Son esprit est tellement loin d’ici. Je souris, amusé. Je décide de l’embêter un peu et pose ma main dans le creux de son dos.
Elle sursaute de peur en se rendant enfin compte de ma présence.
Elle se tourne vers moi à moitié amusée à moitié en colère et me tape l’épaule pour me réprimander.
- Crétin ! J’ai cru mourir de peur !
Je rigole et finalement, elle rit aussi. Nous reprenons la route l’un à côté de l’autre.
- C’est la première fois que je te vois sur ce trajet, dit-elle.
- Oui je suis partie de bonne heure, c’est assez déstabilisant.
- Peut-être que c’est moi qui ai de l’influence sur toi désormais. »
-Tu aimerais bien, hein ? »
On se tait quelques instants. Elle se frotte les mains pour se réchauffer. J’emprisonne sa main droite dans la mienne et les mets toutes les deux dans ma poche. Elle ne dit rien. J’ai fait ça instinctivement mais c’est bizarrement …agréable. Sa main est minuscule dans la mienne, et douce. J’aimerais la garder ainsi indéfiniment. Mais soudain je repense à son rencard.
- Emilie.
- Hum ?
- J’ai … besoin de savoir comment s'est passé ton rencard. Est-ce qu’il va y avoir une suite ?
Je vois du coin de l’œil qu’elle esquisse un sourire.
- Est-ce que ça t’a préoccupé ?
Je décide de jouer la franchise, comme à mon habitude.
- Oui. Beaucoup.
Elle laisse ses poumons se dégonfler et m’explique :
- Il n’y aura pas de suite. Je n’en avais pas envie.
Je ne peux m’empêcher de lâcher un soupir de soulagement et de sourire. Elle le remarque.
- Martin Gaillard serait-il jaloux ?
C’est dangereux d’être complètement honnête à ce sujet.
- Ne te méprends pas, c’est une question de fierté. Tu m’as éconduit, j’aurais été vexé que tu te donnes à un autre.
- Intéressant. Je t’ai éconduit, ou c’est toi qui m’as éconduite ?
- Je suppose qu’on a quatre heures pour répondre à cette problématique ?
- A ta place, je ne ferais pas le malin, parce que je suis très douée en dissertation.
- Voilà que Madame Aubry gagne en assurance, on dirait que j’ai vraiment une mauvaise influence sur toi …
Elle rit. Je lui caresse le dos de la main avec le pouce. Ce simple contact me paraît délicieux. Emilie est redevenue très sérieuse. Et silencieuse.
- Désolé, tu veux récupérer ta main ?
- Non …ça va …I am …fine.
Je tourne la tête vers elle mais elle paraît perdue dans ses pensées.
On arrive devant la fac en même temps que Bastien. Il salue chaleureusement Emilie, me fait un signe de tête et remarque que sa main et la mienne sont toujours dans ma poche. Il me toise une seconde, puis sourit à Emilie et la prend par le bras sous prétexte de quelque chose à lui dire. Quand sa main me quitte, je ressens un vide qui m’était inconnu, un fucking manque.
Je les regarde s’éloigner en direction de notre classe. Et une soudaine rage se place sous ma cage thoracique. J’ai l’impression qu’il vient de me voler quelque chose. Quand a-t-il perdu sa timidité avec elle ?
Jaloux … et maintenant possessif ? On dirait que j’ai un beau panel de qualités à mon actif. Je ne veux pas être son copain, il serait temps que j’assume mes choix. Je ne peux pas la garder sous ma coupe. Elle finira bien par avoir un mec. Cette pensée me révulse. Bordel mais qu’est ce qu’elle m’a fait, cette fille ?! Pourquoi je ressens tout ça ? Je mets ça sur le coup de mes hormones. La meilleure des pires idées fait son apparition dans ma tête : si je couche avec elle, j’arrêterai d’être obsédée par elle. C’est aussi simple que ça. C’est la première nana que je fréquente sans avoir de rapports sexuels avec elle. Forcément qu’elle me rend fou, ça paraît tellement logique. Il faut juste que j’arrive à lui montrer que le sexe, y a pas de quoi en faire tout un plat. Que c’est un acte naturel et d’une simplicité sans nom. Elle verra qu’elle s’est trop pris la tête et moi je verrai qu’elle n’a rien de plus que les autres. Et on pourra passer du bon temps ensemble.