Une fois tous à table, ils se servirent et firent tourner le plat.
-On fait quoi cet après-midi ? demanda Elisa.
-Nous avons une communication avec la Terre à 17 heures, mais sinon vous faites ce que vous voulez, répondit Jeremy.
-N’oubliez pas de faire un peu d’exercice ! intervint Gabriel, en bon Responsable du sport.
-D’ailleurs, conseilla Alice, tu pourrais faire un programme pour savoir qui doit s’entraîner quand et faire quoi.
-Ça pourrait être une bonne idée, mais c’est un peu difficile à suivre non ? Parfois, on n’est pas motivé, et je ne voudrais obliger personne à faire du sport.
-Oui, mais il faut bien en faire, pour qu’on reste en bonne santé. En plus, j’ai étudié des rapports, et il parait qu’on perd des muscles plus vite dans l’espace.
-Je sais, j’en ai été informé. Je vais essayer, au pire on ne suivra pas le programme.
Alice lui sourit et se concentra sur son assiette. Aaron, toujours plein d’énergie demanda à Gabriel :
-Si tu fais un programme, tu peux mettre que je dois faire du jeu de sport tout les jours ?
-Et moi de la danse, au moins deux ou trois fois par semaine ? renchérit Marie.
Gabriel hocha la tête et nota tout dans un coin de son esprit.
-D’autres réclamations ? demanda-t-il à toute la table.
Personne ne lui répondit, alors il prit cela comme un « non » général. Le repas se poursuivit dans le silence, tous étaient trop occupés à manger. Quand le plat de pâte fut terminé, Lucas le rangea dans le lave-vaisselle, puis se tapa le front.
-Ach ! s’exclama-t-il, son côté allemand reprenant le dessus, J’ai encore oublié de faire le dessert !
-Tu veux que j’aille cueillir des fraises avec Jessica ? demanda Elisa.
-Cela pourrait être très gentil !
-Je vous aide ! s’écrièrent Alice et Victoire en même temps.
Elles rirent et les quatre filles allèrent dans le potager, récupérer des fruits pour tout l’équipage. Victoire et Alice n’étaient pas de trop, les astronautes étant nombreux, dont la plupart en pleine croissance, ils mangeaient donc beaucoup et il fallut trois paniers pour qu’il y ai assez de fruits pour rassasier tout le monde. Mais les filles discutèrent beaucoup et la récolte prit plus temps que prévu.
À table, on s’impatientait, surtout Aaron, qui ne savait pas attendre. Il fit part de son mécontentement à Gabriel, qui en rit.
-Avec tout ce que tu as mangé, tu as encore faim !
Peu importe le fait qu’il n’y ai que quatre ans d’écart entre les deux garçons, Gabriel se sentait grand et mature par rapport à Aaron, qui était encore, malgré tout, un petit garçon.
-Bah, oui ! Tu sais, je suis en pleine croissance !
-Je grandis plus que toi, l’informa l’adolescent.
-Mais non ! Tu as déjà atteint ta taille adulte !
Gabriel, qui était loin d’avoir atteint sa taille définitive, rit et secoua la tête.
-Ah non, pas du tout ! J’en suis loin ! Il faut donc que je mange plus que toi pour y arriver ! Désolé, Aaron…
Le garçon fit mine de bouder, mais reprit le débat moins d’une seconde après.
-Je m’en fiche, je vais manger toutes tes fraises.
-Je ne te crois pas !
Ils continuèrent leur fausse dispute, tandis que les filles revenaient du potager. Elles déposèrent les paniers sur la table, et des mains plongèrent dedans. Il ne resta vite plus rien. On rangea la table et chacun partit faire ce qu’il voulait. Mais Alice les retint au dernier moment.
-Attendez ! Il faut faire du nettoyage ! La capsule n’est plus propre du tout, et ça ne fait que deux jours que nous vivons ici. Gabriel et Aaron, vous allez faire briller tout ça. Ulysse et Elisa , récupérez le linge sale, puis vous le donnez à Marie, pour qu’elle le lave. Tous les autres, vous allez dans vos capsules, vous libérez le sol, vous faites vos lits, vous rangez tout, puis Jeremy déclenchera depuis les commandes le mode nettoyage et on n’ira pas dans les dortoirs pendant 30 minutes. On en profitera pour déclencher l’aspiration de l’humidité et la modification des déchets. C’est parti !
Après avoir entendu les consignes, l’équipage passa à l’action. Les filles et les garçons se répartirent dans les dortoirs. Ulysse et Elisa, chacun dans leur chambre, récupérèrent le linge sale. Il y avait moins d’une tenue par personne, mais ils étaient quatorze, cela faisait donc beaucoup de linge !
Elisa et Ulysse s’approchèrent chacun de tous leurs colocataires et prirent leur linge. Il ne manquait plus que les affaires de Théodore car il devait se doucher d’abord, puisqu’il avait gardé les même vêtements que la veille. Il dut apporter lui-même son linge sale à Marie. Il arriva donc dans la capsule des eaux, où la machine à laver se trouvait.
-Désolé pour le retard, voilà mes affaires sales.
-Merci, répondit laconiquement Marie.
-Ça va ? s’inquiéta Théo.
-Oui, tout va bien.
-Tu n’as pas l’air très bien.
-Je t’ai dit que ça va ! s’écria la jeune femme.
Puis elle soupira et s’excusa :
-Pardon, je suis un peu sur les nerfs. Non, ça ne va pas très bien, tu as raison.
-Pourquoi ?
-J’ai hâte de parler à ma mère, et en même temps je ne sais pas quoi lui dire pour ne pas l’inquiéter.
-L’inquiéter ?
-Oui, elle voyait ce voyage comme une mauvaise chose. Tu étais là quand Bastien est… mort. Enfin… il n’est jamais vraiment né non plus…
Les larmes lui montaient aux yeux mais elle continua :
-Après ça, ma mère et mon père ont fait une dépression, puis mon père a trompé ma mère avant de partir avec son amante. Là, ma mère était vraiment mal, c’est moi qui l’ai aidé à sortir de sa tristesse, et depuis elle se repose entièrement sur moi. Elle avait peur de s’effondrer si je partais. Mais je suis majeure, et je voulais vraiment le faire. Faire enfin une chose qui soit pour moi. Elle l’a mal pris et je ne sais pas si elle va vouloir me parler.
Théo l’écouta d’une oreille attentive avant de lui dire :
-Je suis sûr qu’elle te comprendra. C’est ta mère. Ne lui en veux pas pour avoir eu un moment de faiblesse et d'égoïsme.
-Moi, je ne lui en veux pas, mais j’ai justement peur qu'elle m’en veuille !
-Je sais. Mais ne t’inquiète pas, avec le temps, elle a dû y réfléchir et je suis certain qu’elle te soutiendra. C’est ta mère et elle t’aime.
-Merci.
Théodore avait trouvé les mots juste pour réconforter Marie. Celle-ci lui en était reconnaissante et ils se tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Marie s'écarta la première et dit nerveusement :
-Il faut que je démarre la machine.
-Je peux t’aider ? déclara automatiquement Théo.
La jeune femme le regarda bizarrement et lui répondit :
-Heu… Non. Non, merci, je me débrouille ne t’inquiète pas.
-Ok.
Théodore quitta la pièce, traversa le dortoir et arriva dans la capsule commune, où Aaron et Gabriel s’activaient pour nettoyer.
-Ah ! Théo ! s’écria le plus grand, viens nous aider !
-Non. Non merci, je passe.
Sa réponse fût accompagnée d’un grognement de Gabriel, mais il l'ignora et redescendit dans sa chambre, préférant le calme au cris aigus des deux garçons. Il fit son lit, termina de ranger ses affaires et prit un livre, en attendant que le temps passe. Les garçons restés dans leur chambre étaient calmes.
Quand les deux plus petits eurent terminé de nettoyer la salle commune, ils dirent à Jeremy que l’on pouvait y aller, pour pouvoir lancer le mode nettoyage depuis le cockpit. Tout l’équipage se rassembla dans la capsule principale.
-On fait quoi ? demanda Mathilde, en s’éternisant sur la dernière syllabe, je m’ennuie ! C’est trop nul de rien faire !
-Ouais, renchérit Aaron, c’est trop trop énervant !
-Du dessin ? suggéra Leah.
-Ah, non ! On en a déjà fait ce matin ! protesta Théodore.
-Pas du dessin, confirma Mathilde.
-Oh ! se souvint Leah, tu as du travail, on pourrait s’en débarrasser, non ?
-Non, annonça Mathilde avec une moue peu convaincue, après.
Elisa et Victoire s’étaient concertées et déclarèrent en même temps, avant d’éclater de rire :
-Pourquoi pas un « devine la chanson » !
-Oh, oui, je suis trop fort à ce jeu ! s’enthousiasma Gabriel.
-Oui, bonne idée
-Cela… signifie quoi ? balbutia Jessica en français, peu sûre d’elle.
Elisa lui expliqua dans la langue de Shakespeare :
-On fait deux équipes. Puis un maître du jeu met de la musique, et l’équipe qui devine gagne un point. La première équipe qui a 10 points remporte la partie.
-Mais si il y a un maître du jeu, les équipes ne seront pas égales. Il y en aura une avec un avantage.
-Oui, mais je suis sûre que Mathilde ne connaît pas le nom des chansons.
Elisa avait murmuré ça en anglais. Jamais elle n'aurait pris le risque de le répéter à portée des oreilles de la petite, elle craignait trop son courroux.
Jeremy se désigna comme maître du jeu et on composa les équipes. Elisa et Victoire en était les « chefs ». Celle d’Elisa comportait Leah, Mathilde, Lucas, Jessica, Aaron et Daniel. Et celle de Victoire comprenait Alice, Ulysse, Marie, Théo et Gabriel. On démarra la musique. C’était « Chaque parcelle de mon coeur » de Romantique Lover. Victoire trouva le titre dès les premières notes de l’intro. Ce fut le seul point, de toute la partie, accordé à l’équipe de celle-ci, “les Victoirieux”. La seconde équipe, nommée “les Elisabêtes”, gagna largement, grâce à Mathilde ! En effet, la petite fille était incollable, et connaissait toutes les chansons. Victoire ne cessa de pester, protestant qu’elle avait le titre « sur le bout de la langue ».
A la fin du jeu, Leah s’approcha de Mathilde et lui dit :
-Maintenant qu’on a bien joué, et gagné, il faut travailler !
La petite soupira, mais elle savait que Leah avait raison, et qu’elle ne pouvait pas y échapper. Aaron, Gabriel, Elisa, Victoire, Jessica, Ulysse, Alice, Marie et Théo soupirèrent. Ils savaient qu’eux aussi, ils devaient travailler.
Ils allèrent donc chercher leurs cahiers d’activité et se lancèrent dans une longue et fatigante besogne. Chacun avait choisi une matière principale différente. Elisa devait faire beaucoup de mathématiques et un peu d’art plastique et Victoire faisait majoritairement de la science mais aussi de l’histoire. Gabriel avait préféré technologie et physiques, Jessica anglais et français, Ulysse chimie et espagnol, Alice français et espagnol, Marie français et latin et Théodore anglais et théâtre.
Mathilde était en première classe et Aaron en quatrième classe, ils faisaient donc autant de travail dans chaque matière, ils ne choisiraient leur sujets principaux qu’au moment de l’entrée au collège, la sixième classe.
Elisa et Victoire s’installèrent sur la table, face à face, toujours en pleine discussion. Leah aidait Aaron et Mathilde dans leurs devoirs, en bonne Responsable famille. Les jumeaux s’asseyèrent sur le canapé déjà plongés dans leurs leçons, contrairement à Gabriel qui, au lieu d’étudier sa physiques se baladait en suivant Théodore.
En effet, Théodore devait réciter des textes de théâtre et il se promena dans toute la capsule, déclamant des parties très célèbres. Marie aimait beaucoup le théâtre, mais ne l’avait pas choisi dans ses matières principales. Elle avait pris des cours quelques années auparavant et connaissait de nombreux textes, grâce à son excellente mémoire. Lorsque Théo déclamait, elle marmonnait les passages dans sa barbe, et murmurait les répliques. Alice finit par s’en rendre compte et demanda à Marie :
-Pourquoi tu ne lui propose pas de travailler ensemble ?
-Parce que j’ai regardé ses textes, répondit la jeune femme, et le prochain est une scène de Roméo et Juliette !
-Mais ça veut rien dire ! C’est que du théâtre, après tout !
-Tu as raison.
Au moment où Théo entamait la nouvelle scène, Marie se leva, et commença à jouer le rôle de Juliette. Les deux déclamaient sans erreurs, et en adoptant le parfait comportement, en suivant les didascalies qu’ils avaient tout les deux appris.
-Elle parle ! s’écriait Théo. Oh ! Parle encore, ange resplendissant ! Car tu rayonnes dans cette nuit, au-dessus de ma tête, comme le messager ailé du ciel, quand, aux yeux bouleversés des mortels qui se rejettent en arrière pour le contempler, il devance les nuées paresseuses et vogue sur le sein des airs !
-Ô Roméo ! Roméo ! pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer, et je ne serai plus une Capulet, déclarait Marie. Ton nom seul est mon ennemi. Tu n’es pas un Montague, tu es toi-même. Qu’est-ce qu’un Montague ? Ce n’est ni une main, ni un pied, ni un bras, ni un visage, ni rien qui fasse partie d’un homme… Oh ! sois quelque autre nom ! Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s’appellerait plus Roméo, il conserverait encore les chères perfections qu’il possède…
Mais, à la dernière réplique, Marie se trompa de prénom :
-Théo, renonce à ton nom ; et, à la place de ce nom qui ne fait pas partie de toi, prends-moi tout entière.
Les deux adolescents étaient mortifiés. Personne n’avait rien remarqué, alors ils firent semblant que ce lapsus ne s’était pas produit. On les félicita chaleureusement pour leur prestation. Ils remercièrent leurs admirateurs puis se remirent au travail. Théo ne refit plus de théâtre pour ce jour.
Les étudiants continuèrent d’étudier puis rangèrent leur affaires. Mathilde termina son travail scolaire la première et Elisa la dernière.
Après avoir posé les livres et les cahiers à leur place, la petite alla dessiner avec Elisa et Victoire. Théo s’installa à côté d’elles et fit un peu d’origami. Il plia longuement une feuille en forme de cœur et le mit dans sa poche avant d’aller jouer aux jeux vidéos en compagnie d’Aaron. Marie se glissa dans son lit et regarda un film sur sa tablette. Leah ne tarda pas à la rejoindre, les deux femmes ayant plus ou moins les mêmes goûts littéraires et cinématographiques. Gabriel, encouragé par Alice, se mit à côté des filles et de Théo, pour avancer sur le programme de la salle de sport :
-Vous êtes sûrs que vous ne n’avez aucune demande ?
Puis il ajouta, sûr de son effet :
-Ça inclut les consoles. Mais les jeux sportifs, évidemment !
Les têtes de Théodore et Elisa se relevèrent brusquement et ils répondirent :
-Bon, d’accord. On veut bien pouvoir y jouer un peu tous les jours. C’est bien pour notre santé, alors on va se forcer...
-Seulement après un peu de sport sur les machines ou les tapis, les raisonna le Responsable de la salle de sport.
-Combien de temps ?
-Hum...une demi-heure et vous pourrez y jouer autant que vous voulez.
-Ok, on prends !
Alice, après avoir motivé Gabriel dans la rédaction du planning, s'était installé dans un fauteuil et lisait un peu.
Jeremy sortit quelques secondes plus tard du cockpit et annonça :
-C’est l’heure de parler aux parents !
Tous se ruèrent au poste radio, dans la salle à manger.