Le soir, autour du repas préparé à partir du butin récolté par la bande, le chevalier annonce que lui et Copine vont repartir ensemble. Ils sont touchés par l’offre de se joindre aux brigands, et la décision n’a pas été facile à prendre, mais il leur faut tenter leur chance et trouver qui un dragon, qui un objet magique. Plus tard, peut-être…
Un silence atterré accueille cette déclaration. Contre toute attente, c’est le Piaf qui se manifeste le premier matraquant son écuelle de sa cuillère en secouant la tête avec force.
Le capitaine enlève son couvre-chef et essaie d’en couvrir la tête du chevalier en s’écriant :
— S’il te plait, Chevalier, dis pas qu’tu nous abandonnes ici. Pour sûr que t’étais celui qu’on attendait ! Moi, j’t’avais juste gardé la place au chaud, mais j’suis pas un vrai capitaine, et même pas un faux.
— Sans te manquer de respect, Capitaine, t’as raison, on a besoin d’un vrai chef et, Chevalier, vous faisiez bigrement l’affaire ! argumente la Bûche. Et comment on va faire sans toi, magicienne, qui nous comprend, qui sait nous parler !
— Et puis, renchérit Sans Blague, cette fête, c’est votre idée, vous devez en être, nous vous la dédions…
Devant tant de résistance sincère, le chevalier se retrouve à cours d’argument. Surtout, l’empressement que montrent les brigands à son encontre lui réchauffe le cœur et il est prêt à tout pour ne pas les décevoir. Un regard à Copine lui confirme qu’elle est dans le même état d’esprit : ils ne peuvent pas abandonner ainsi leurs nouveaux amis !
Quant au cheval, il ne leur est d’aucune aide : il broute tranquillement à l’autre bout de la clairière et ne semble en aucun cas concerné par la situation.
Copine propose de resservir tout le monde, puis :
— Nous pourrions rester le temps de trouver un endroit pour votre fête, vous aider à l’organiser et en profiter aussi ; mais ensuite…
Le musicien fait caqueter une rafale de cailloux sur la marmite puis, enlevant subitement son capuchon, il improvise une petite gigue qui fait éclater de rire toute l’assemblée.
— D’accord, s’écrie le capitaine, on va se faire comme qui dirait une nouba d’enfer, et après, on en reparle !
— Ce n’est pas ce qui j’ai dit, marmonne Copine.
Ses mots sont noyés dans les hourras des brigands ravis et elle ne peut s’empecher de sourire quand le chevalier lève les yeux au ciel et pince les lèvres en une grimace de fausse exaspération.
La Comtesse propose de faire du café et les discussions reprennent bon train.
Alors qu’il est en train de fouiller dans son sac à la recherche de ce qu’il lui reste de grain à moudre, le chevalier voit le cheval s’avancer vers lui.
— Alors comme ça, Cow-boy, tu t’installes ici ?
— M’installer ? Non, pas du tout ! Cette bande de bras cassés à juste besoin d’un petit coup de mains et ensuite…
Le cheval pousse le sac d’un coup de naseaux, découvrant le paquet de café qui était dessous.
— C’est vrai qu’à eux tous, ils forment la bande de brigands la plus étrange que j’ai jamais rencontrée ; d’ailleurs, je ne suis pas certain qu’ils aient un grand avenir dans le brigandage ! C’est sûr, ils apprécient votre compagnie et vos conseils, et ils ne voient pas pourquoi tu ne resterais pas avec eux. Ce que je ne vois pas, moi, c’est ce qui te fait croire qu’ils changeront d’avis après la fête.
Le chevalier, qui, tout en écoutant le cheval, fixait le paquet de café qu’il était sûr d’avoir rangé dans son sac un peu plus tôt, le ramasse et se lève :
— On n’est pas à quelques heures près, et cette Forêt Interdite…
— Interdite, interrompt le cheval, parce qu’on y rentre à ses risques et périls ! Et qu’on n’en sort pas si facilement !
— Des messes basses ? demande Copine qui s’est approchée sans bruit.
— Mon fidèle destrier se demande si nous faisons bien de nous incruster.
— J’étais même en train de suggérer, My Lady, que c’était une très mauvaise idée. Pour vous comme pour notre chevalier préféré, car votre destin est tout autre.
— Mais les brigands… s’inquiète Copine.
— À mon avis, avec les trésors en ressources humaines que cette forêt recèle, ils trouveront tôt ou tard de quoi se tirer d’embarras.
Le chevalier tourne et retourne son paquet de café et murmure :
— Tu penses à la Maison en Pain d’Épice et sa nouvelle propriétaire, qui a besoin de compagnie et d’aide qualifiée pour entretenir sa maison ?
— Entre autres, confirme le cheval.
Puis, comme les deux jeunes gens le regardent, encore hésitants, il décrète en s’ébrouant :
— Aller annoncer la bonne nouvelle à nos brigands : vous leur avez trouvé de l’aide. Et la mauvaise aussi : nous partons demain à l’aube.
Depuis des heures, les voyageurs avancent dans la forêt, dans l’air frais du petit matin. Copine, perchée sur le cheval, s’est plongée dans la lecture de son livre, le visage complètement dissimulé derrière ses boucles cuivrées pendant que le chevalier marche à côté pour ne pas fatiguer sa monture. L’œil et l’oreille aux aguets, il se demande quand même s’ils sont sur le bon chemin. Ne devraient-ils pas déjà être sortis de la forêt ?
— La signalisation n’est pas le point fort du coin, lui glisse le cheval, tu ne trouveras pas de panneau pour te rassurer, alors détend-toi et profite du paysage. On est bon, je le sens !
Petit à petit, la forêt s’éclaircit et, au moment où le soleil apparait au-dessus des premières cimes, les voyageurs se lancent à l’assaut de ses contreforts. Toute la journée, ils marchent à travers un paysage qui se fait de plus en plus escarpé et sauvage.
Finalement, en fin d’après-midi, le chevalier propose :
— Allons jusqu’à l’auberge que m’a indiquée le majordome, on pourra y passer la nuit : elle ne peut plus être très loin et les aubergistes sont en général des mines d’informations, je suis bien placé pour le savoir.
— Pourquoi ne pas dormir à la belle étoile, plutôt, demande Copine qui marche maintenant à côté de lui. Il fait si doux… Je n’ai aucune envie d’aller m’enfermer dans une chambre à la propreté douteuse. Et je n’ai pas toujours été bien accueillie dans les auberges !
— Récapitulons, propose le cheval: nous sommes à la recherche d’un dragon et d’un Objet Magique, pas forcément dans cet ordre. Nous avons besoin de renseignements, d’une piste… mais nous ne devons pas effrayer les populations en étant trop directs.
— Si je me déclare en tant que magicienne, je vais forcément attirer l’attention, et pas forcément celle qu’on veut.
— Quant à toi, Cow-boy, si tu n’as pas une bonne excuse pour rassurer les gens, on pensera, évidemment, que tu es à la recherche de quelques monstres à occire, comme tout chevalier qui se respecte.
Le chevalier fronce les sourcils et repousse in extremis ses lunettes en équilibre sur le bout de son nez :
— Vu comme ça ! Ce qu’il nous faut… oui ! J’ai suivi une option obligatoire, à HEC sur les missions secrètes. Et la première règle, fondamentale, dit qu’il ne faut jamais admettre ni son statut d’Agent Secret ni la teneur de la mission. Ensuite, il ne faut jamais s’enquérir directement de l’objet des recherches, mais amener l’informateur à donner le renseignement sans qu’il s’en doute…
— Ce qui est la deuxième règle du parfait agent secret ? demande le cheval.
— Non. C’est la troisième. La deuxième prescrit une couverture crédible, facile à mettre en œuvre et à prouver, qui permette de se fondre dans le décor, mais utile pour trouver ce qu’on cherche.
Le cheval laisse échapper un long soupir :
— On n’est pas sorti de l’auberge !
— Faut-il encore qu’on y arrive ! marmonne Copine.
Puis, au chevalier :
— Et comme couverture, qu’est-ce que tu proposes ?
— J’avais pensé à chasseurs de trésor. S’il y a un trésor, on a des chances de trouver un dragon pas loin.
— À part que vous n’avez pas le physique de l’emploi, Cow-boy. Ce sont le plus souvent de bandits sans foi ni loi, de pillards, qui n’ont ni ton jeune âge, ni tes bonnes manières. Et ils ne se promènent jamais avec une jeune fille. Donc, pour la crédibilité…
Copine, qui s’était remise à feuilleter son livre, s’arrête sur une image qu’elle se met à détailler avec attention.
Contrarié par ce manque d’intérêt manifeste, le chevalier l’interpelle :
— Tu n’aurais pas une idée, toi ? C’est ta quête autant que la mienne, il me semble ?
La jeune fille lui lance un regard exaspéré, puis elle lui montre l’illustration :
— Ça ne te rappelle rien, ça ? Cette ligne de pics ? Qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle-ci, dit-elle en pointant un doigt devant eux vers les cimes. Et sur l’image, il y a une source…
— La Source sacrée ! s’exclame le chevalier. Celle dont m’a parlé le majordome, en rapport avec une bataille sanglante et qui est devenue un lieu de pèlerinage !
— Une source consacrée ? s’enthousiasme copine. Sais-tu que les objets magiques ont une affinité particulière avec ce genre d’endroit ! Si elle existe, il faut y aller d’urgence !
— Que veux-tu qu’on aille faire là-bas ? demande le chevalier, on n’est pas des pèlerins !
— Mais ça ferait une excellente couverture, offre le cheval en se remettant ostensiblement en marche. Avec une excuse plausible pour entreprendre ce pèlerinage, nous sommes parés.
— Par exemple, muse Copine en fermant son livre et en le remettant dans sa sacoche, nous venons chercher de cette eau miraculeuse pour rétablir notre mère malade.
Le chevalier ajoute :
— On peut dire que nous sommes partis tous les deux, en espérant rejoindre un groupe de pèlerins… qu’on n’a pas encore trouvé.
— Excellente histoire, approuve le cheval, et juste à temps.
En effet, les voyageurs arrivent en haut de la côte, d’où ils découvrent une longue vallée. La route principale se dirige vers un col, loin dans une barrière de roches grises que le soleil couchant enflamme.
— Bel endroit pour une embuscade, en effet, commente le cheval.
— Ce serait encore plus parfait si on trouvait notre auberge, répond le chevalier.
Par chance, l’auberge est la première maison du bourg. Après avoir confié le cheval au palefrenier en faction devant le portail, le chevalier et Copine s’installent dans une grande salle claire où seules quelques tables sont occupées.
Un gros hôtelier jovial se précipite à leur table, qu’il astique d’un vigoureux coup de torchon en demandant à ses visiteurs s’ils ont fait bon voyage, d’où ils viennent, où ils vont, pourquoi, combien de temps ils comptent rester dans la région, s’ils en connaissent les principales attractions…
— Bref, conclu-t-il, si vous avez besoin du moindre renseignement, n’hésitez pas à demander !
— Justement, lance le chevalier, nous sommes des pèlerins à la recherche de votre source…
— Ah ! La Source de l’Olifant, bien sûr. Excellent choix, que vous ne regretterez pas : le site est splendide et l’eau… l’eau est souveraine pour un nombre incalculable de maux variés et divers, n’en doutez pas ! Quel dommage que les pèlerins se fassent si rares. Hélas, vous l’aurez remarqué, nous avons un problème d’accessibilité : la Forêt Interdite, que peu de gens osent braver, nous isole de fait. Ce qu’il nous faudrait, si vous me permettez un avis, c’est un aqueduc pour l’enjamber, d’où on aurait une vue imprenable sur cette région, tout en évitant les mauvaises rencontres et autres imprévus. Et qui permettrait d’accéder rapidement et en toute sécurité à nos belles montagnes. Mais je cause, je cause… au lieu de vous apporter de quoi vous désaltérer !
L’aubergiste tourne les talons et repart en trottinant. Les voyageurs ont à peine le temps d’échanger quelques regards surpris qu’il est de retour avec un pichet de bière claire et deux gobelets qu’il place devant les jeunes gens, en reprenant son monologue exactement là où il s’était interrompu :
— Car cette région aurait beaucoup à offrir, à toute sorte de gens. Oui, d’ici, des siècles d’histoire vous contemplent ; nous avons des sites mémorables, des ruines d’une valeur inestimable ! D’ailleurs, étant moi-même féru d'histoire, j’organise des visites et des conférences qui vous replongent au cœur des grandes batailles du passé. Et c’est sans parler des possibilités sportives de la région.
— Notre but premier est de nous rendre à la source, intervient Copine avec un sourire, mais nous sommes aussi des amoureux de la nature, désireux de découvrir la faune et la flore de vos montagnes ; la faune en particulier, dans ce qu’elle a d’exceptionnel…
Le chevalier lui fait les gros yeux : pourquoi ne demande-t-elle pas carrément si le climat est propice aux dragons, tant qu’elle y est !
Mais l’aubergiste répond avec un grand sourire :
— Nous avons des bouquetins, des marmottes… et quelques beaux spécimens d’aigles et de vautours !
Il leur verse à chacun une bonne rasade du liquide jaune, tout en leur jetant un regard interrogateur avant de reprendre :
— Nos montagnes sont sûres et bien entretenues, du moins jusqu’aux environs de la Source. Au delà, jusqu’à la frontière, la région est nettement plus sauvage. Les histoires de dragons qui nous viennent de là ne sont que des manigances commerciales pour attirer les touristes. Ce qui est sûr, c’est que cette région est aussi beaucoup moins fréquentée, le passage du col entre les deux royaumes s’étant pratiquement… non, je dirais complètement arrêté.
— Des histoire de dragon ? ne peut s’empêcher de répéter le chevalier.
— Ne vous inquiétez pas, ce ne sont que des rumeurs. Pour ce qui est de la source, bien qu’aucun groupe de pèlerins ne soit passé depuis longtemps, vous pouvez y aller seuls : continuez à grimper en direction du col ; c’est à une petite journée de marche d’ici, vous la trouverez facilement, c’est indiqué.
— Parfait ! déclare Copine. Nous repartirons demain au petit matin.
Le chevalier ouvre un œil. Une lumière très pâle encadre le rideau de la fenêtre, éclairant faiblement chambre : il doit être encore très tôt.
Il se relève doucement sur un coude pour ne pas réveiller Copine qui dort sur le lit qu’elle a tiré à l’autre bout de la pièce.
Qu’est-ce qui l’a réveillé ? Tout en dressant l’oreille, sa conversation avec l’aubergiste lui revient à l’esprit : il y a bien été question de dragon ? Pas d’infos précises, mais une piste et il a hâte de l’explorer.
Le chevalier sursaute tout à coup : devant la fenêtre, il distingue une silhouette à peine plus sombre que le rideau. À la masse ondulée qui lui tient lieu de tête, il reconnait sa compagne de voyage : elle est assise en tailleur, droite, immobile, face à la fenêtre. Devant elle, sur son foulard, sont disposés son livre noir, une fleur, un cristal et des cartes colorées.
Le chevalier se lève doucement et tire le rideau d’un coup sec. Dans la clarté blafarde du tout petit matin, Copine le regarde en clignant des yeux.
— Mais qu’est-ce que tu bricoles ? lui demande le chevalier en se plantant devant elle, les poings sur les hanches.
Copine baisse les yeux sur son autel de fortune et commence à en ramasser les objets. Finalement, elle murmure :
— Je… je m’exerce à développer cette conscience intérieure qui est la marque d’une grande magicienne. Ça ne vient pas tout seul, tu sais, et ce n’est pas si facile !
— Franchement, déclare le jeune homme en ramassant ses lunettes, nous n’avons pas de temps à perdre. Plus vite nous partirons, plus vite nous saurons à quoi nous en tenir, quand à ses histoires de dragons.
Copine ne répond pas, mais son sourire disparait. Les dents serrées, et sans grande hâte, elle rassemble ses affaires et fait son sac. Mieux organisé, le chevalier est prêt avant elle :
— Je vais préparer le cheval, je t’attends dans la salle pour le petit déjeuner, déclare-t-il finalement.
En guise de réponse, Copine lui lance un regard noir.
« Qu’est-ce que j’ai encore dit » se demande le chevalier ?
Son fidèle destrier, à qui il se plaint de l’incompréhensible réaction de copine, ne semble pas aussi dérouté :
— Ce que fait notre jeune amie, même si c’est assez mystérieux pour toi, Cow-boy, n’en est pas moins essentielle pour elle. Bien sûr, votre quête est importante, mais Copine a peut-être des choses à te faire découvrir. Moi, ce que j’en dis…
Le cheval est bien sage, et il ne se laisse pas distraire comme les jeunes gens. C'est vraiment un personnage qu'on se plait a suivre!
L'histoire que raconte l'aubergiste est intéressante, mais un peu noyée par les propos types "Office du Tourisme" ("La région a tant a offrire", "c'est bien dommage que les pelerins ne viennent plus", etc.). N'en abuse pas, c'est drole quelques secondes mais cela détourne vite de l'objet principal: donner des informations sur un potential dragon, etc.
La encore, le chevalier n'est vraiment pas tres sympathique avec Copine: il est impatient, la critique, il passerait presque pour misogyne car il ne cherche pas a la comprendre, ou a comprendre ce qu'elle fait, ou pourquoi c'est si important pour elle. Si j'étais a la place de la princesse, en apprenant tout ca, je préfererais rester célibataire et magicienne...
On le laisserait bien au bord de la route pour lui apprendre la compassion et la patience, et on continuerait avec seulement Copine et le cheval!
Et puis, renchérit Sans Blague, cette fête, c’est votre idée, vous devez en être…, nous vous la dédions…
— À mon avis, avec les trésors en ressources humaines que cette forêt recèle, ils trouveront tôt ou tard de quoi tirer se tirer d’embarras.
une manière de spécialiste ??
— Nos montagnes sont sures et bien entretenues,
J'attends la suite avec impatience ! Merci Cathy !!! De doux souvenirs de lectures me sont revenus en mémoires...et même les lire à distance et par moi-même ont cet effet !!!
Juste pour vérifier : qu'est ce qui t'as gêné dans : Et puis, renchérit Sans Blague, cette fête, c’est votre idée, vous devez en être…, nous vous la dédions… ????
Et pour Nos montagnes sont sures et bien entretenues, c'est : sûres ?
C'est fou ces coquilles, on a beau relire, il y en a toujours une qui s'échappe...
Bon, le voilà, le chapitre 10. Bonne lecture.