Il fallut quelques secondes à Solaë pour sortir de ce souvenir douloureux et traumatisant. Son corps répondait de nouveau aux stimuli envoyés par son cerveau. Ses capacités sensorielles étaient déjà en train d’analyser la situation. Personne ne semblait avoir remarqué ce moment de faiblesse. Instinctivement, la jeune femme vérifia l’intérieur de sa botte gauche, en feintant un nettoyage rapide. Sa précieuse dague attendait patiemment, bien à sa place.
La dénommée Lolie pleurait à chaudes larmes dans les bras d’une grand-mère. Le visage endolori et la lèvre entaillée. La vieille dame, protectrice, la réconfortait du mieux possible en lui massant le dos. La seconde femme âgée insultait copieusement le père de la petite.
— Vous n’êtes qu’un bon à rien ! S’en prendre à une jeune fille sans défense. Vous croyez-vous fort maintenant ? Demanda la femme aux cheveux grisonnants.
— Tais-toi, vieille dame, ou je te corrige également.
— Si mon mari était encore de ce monde, croyez-moi, il vous aurait appris la bienséance de gré ou de force.
— Ferme donc ton clapet, harpie. Toi et ton mari, allez au diable ! vociféra l’homme fortement alcoolisé.
Le géniteur de Lolie se leva d’un coup. Tenant toujours sa fiole vide du bout des doigts. L’autre main lui servait à se maintenir à l’armature du chariot. Depuis plusieurs minutes, le véhicule roulait sur des pavés, rendant le voyage fort désastreux.
— Redit un seul mot et je te fais goûter de ma bienséance… répliqua-t-il en la foudroyant du regard.
La vieille dame s’apprêtait à répliquer quand, à l’avant, une petite trappe en bois s’ouvrit.
— Nous sommes arrivés, mesdames et messieurs. Veuillez descendre ! annonça le cocher, las de tous ces voyages.
C’était à ce moment précis que les guerriers ouvrirent les yeux. Tous dévisagèrent le fauteur de trouble. Ils ne laissèrent planer aucun doute sur leur intention. Le père de Lolie affolé, sortit prestement, oubliant complètement les grands-mères et sa fille. Les deux dames âgées prirent chacune la main de la fillette et disparurent, bien déterminées à retrouver la maman. Quant aux trois individus armés, ils partirent l’un après l’autre. En scrutant avidement les formes de Solaë. Quand le dernier passa devant la tueuse, il sourit et chuchota.
— À bientôt, mon ange ! nous allons se revoir, crois-moi !
Solaë refréna une pulsion meurtrière. L’envie de lui briser quelques doigts déferla en elle. Heureusement pour eux, sa traque primait le reste.
***
La tueuse décida de procéder de la même façon pour retrouver sa proie. Elle devait se rendre au centre névralgique de ce bourg, connu de tous. En règle générale, les halls des braves se trouvaient au centre de la ville ou du village. Ils étaient toujours proches d’une taverne et d’une auberge. Sur le continent humain, les aventuriers avaient une place particulièrement importante dans la société.
La journée se termina pour les commerçants en place. Certains rangeaient les articles de leurs échoppes, alors que d’autres continuaient de converser avec les clients. Malgré le déclin du soleil et le vent frais, la foule était joyeuse. Les gardes de la ville commencèrent d'allumer les grosses lampes à huile accrochées aux murs. Solaë décida de baisser sa capuche, permettant de couvrir la moitié de son visage. Jamais ses pieds n'avaient foulé ce sol. Pourtant, elle souhaitait totalement rester anonyme. Pour un tueur, l'absence de visibilité ou de reconnaissance était la clé.
La jeune femme parvint à se frayer un chemin au sein de cet attroupement composé de peuples et de sexes variés. Elle marchait en serpentant entre les passants. Sa taille moyenne constituait un avantage, car Solaë était suffisamment perceptible pour éviter d'être bousculée, mais aucun autre aspect ne se distinguait particulièrement. À quelques enjambées devant, sur sa gauche, il eut un mouvement de foule déclenché par une bagarre entre badauds. Une femme aux cheveux roux, poussée par-derrière, perdit l’équilibre et chuta vers l’avant. La tueuse, agissant par instinct, accéléra son pas et dans un mouvement fluide attrapa la malheureuse. Elle l’aida à se relever et l’observa longuement.
— Elle aurait pu être ma cible, se dit-elle mentalement. Même couleur de cheveux, même couleur de peau, seuls ses yeux étaient différents de la description que lui avait donnée Palicron. Sa proie avait les iris couleur ambre.
— Mille mercis pour votre aide, jeune demoiselle ! prononça la dame sauvée, d’une voix suave et chaleureuse.
Solaë plongea son regard dans le sien et songea que cette femme dissimulait sa véritable nature. Elle produisit un bruit avec sa gorge en guise de remerciement et continua sa route.
La jeune femme arriva devant le hall des braves, enleva sa capuche et prit un air jovial et souriant. Comme toujours, un homme et une femme aux allures de soldats étaient présents. Ce fut le fils d’Adam qui commença la conversation.
— Bonsoir, ma mignonne, que puis-je pour vous ? questionna-t-il, en lissant sa moustache.
— Bonsoir, monsieur, excusez-moi de vous déranger à une heure si tardive. Chuchota presque Solaë, malgré une nouvelle envie de meurtre pressante. J’aimerais savoir s'il y a des quêtes pour des sorcières aguerries dans votre ville ?
— La vieille apothicaire au sud-est du village a besoin d’une aide particulière. Elle recherche de la chair d’un dragon de roche vivant dans les montagnes du nord. Par ailleurs, j'ai dit la même chose, il y a quelques minutes, à votre consœur sorcière. Vous avez certainement dû la croiser dans la rue. Impossible de la louper, elle ne passe pas inaperçue !
— Lurdio, tais-toi ! répliqua la femme assise devant le bureau. Il est formellement interdit de donner des informations personnelles. Encore moins des remarques déplacées. Veuillez l’excuser gente dame. Si vous vous rendez au magasin de l’apothicaire, la maison rouge, vous pourriez faire un partenariat avec votre consœur. À vous de voir.
— Merci beaucoup pour vos précieuses informations. Vous n’imaginez pas à quel point cela me fait plaisir ! avoua-t-elle, tentant de réfréner un sourire carnassier.
Solaë sortit du hall à pas mesurés, telle une jeune femme bien éduquée. Le soldat venait de lui dire qu’elles s’étaient probablement croisées. Se pouvait-il que la personne qu’elle avait sauvée de la chute soit en réalité sa proie ? Le destin lui avait joué un vilain tour. La tueuse savait l’endroit précis où se rendait Eulalie. Dix petites minutes les séparaient l’une de l’autre. Elle fit fi de la discrétion et partit en courant. Tous ses sens à l’affût, tel un prédateur chassant. Le sang allait couler avant la fin de la nuit. La faucheuse blanche était en marche.
***
Élancée dans une course effrénée, Solaë scruta la foule clairsemée. Elle ralentissait uniquement pour observer les dernières boutiques encore allumées. Son long entraînement portait ses fruits. Pas l'ombre d'une goutte de sueur, pas même un essoufflement. La jeune femme quitta la place principale et s’engagea dans un dédale de rue. La maison rouge de l’apothicaire se trouvait au sud est. Elle jeta un coup d’œil rapide aux étoiles naissantes, pour l’aider à se diriger.
Solaë avait largement comblé son retard. Sa cible ne devait se trouver qu'à quelques mètres devant. Au détour d’une ruelle sur sa droite, un homme massif apparut subitement.
— Tu te souviens de moi, ma belle ? souffla-t-il, l’œil lubrique.
La tueuse freina brusquement et fit un pas en arrière. Elle examina derrière son épaule. Deux autres complices apparurent, armés. Les trois guerriers, endormis dans le chariot, venaient réclamer leur dû.
— Pas maintenant ! Pas eux… jura-t-elle mentalement.
Solaë n’avait plus le choix, sa proie allait de nouveau attendre. Une rapide inspection des lieux lui permit de résoudre le problème. La jeune femme bifurqua sur la gauche en courant. En face, se trouvait une venelle peu éclairée. Elle accéléra l’allure sur plusieurs mètres tout en faisant apparaître son arme dans sa dextre.
— Je connais cette ville comme ma poche. Elle vient de prendre la seule ruelle qui finit en impasse ! prononça un homme, le sourire aux lèvres. Elle nous facilite la tâche, cette donzelle !
La tueuse attendit d’apercevoir ses assaillants pour commencer à manipuler son mana. L’énergie magique afflua rapidement dans son corps. Quand le premier guerrier plongea sur elle, dans le but de l’attraper, Solaë fit un grand saut en arrière et libéra son pouvoir. Rien ne se passa. L’ombre ne l’avait pas happé. Elle resta figée une fraction de seconde. Incrédule. Le rire d’un second soudard résonna avec écho.
— Pensais-tu vraiment qu’on allait s’attaquer à toi, sans prendre de précautions ? Vous les sorcières, êtes-vous toutes idiotes ? gronda l’homme caché dans l’obscurité. Je te présente mon Mange-Mana, un artefact absorbant la magie environnante.
— Maintenant, laisse-toi faire, gentiment, et tu pourras repartir en vie ! annonça le troisième homme qui venait de les rejoindre. Je passe le premier cette fois, les gars !
La jeune femme ne perdit pas de temps en discussion futile. Elle était dépourvue de son don, mais pas de ses autres talents. Solaë relâcha progressivement le mana, qui ne lui servait plus actuellement. Une petite vague de nausée déferla dans son organisme. Le contrecoup fut léger, sûrement dû à l’artefact. Solaë raffermit sa prise sur la dague pointant vers le bas et s’élança. Elle surprit ses assaillants grâce à sa vivacité. À mi-parcours, la tueuse entendit le vrombissement d’une corde. Le fils d’Adam au crâne rasé venait de lui tirer dessus avec son arbalète.
La tueuse piqua vers l’avant et se réceptionna à l’aide d’une roulade. Quand ses pieds dépassèrent la verticale, elle se propulsa énergiquement avec les bras. L’homme au visage lacéré reçut le coup en plein plexus. Il recula sous l'effet de l'impact, mais ne chuta pas. Avide d’en découdre, le guerrier attaqua à son tour. Son épée bâtarde brandit. L’arme fondit vers le flanc de sa victime. Le coup porté avec ardeur ne toucha pas sa cible et finit sa course sur les pavés. Une gerbe d’étincelles apparut avec heurt et fracas. Solaë qui avait anticipé le mouvement esquiva en roulant sur elle-même. La jeune femme, dans un mouvement fluide, planta sa dague dans la botte de son assaillant. Celle-ci s’enfonça avec facilité, sectionnant deux orteils nets. Le dénommé Ragasty lâcha son épée et hurla de douleur. Son cri rompit le silence de la nuit.
Solaë toujours accroupie, se plaça en face du guerrier estropié, obstruant l’axe de tir de l’arbalétrier. L’air était chargé d’une odeur de cuivre. Elle en profita pour reprendre sa respiration. Dans son dos, le bretteur aux deux lames courbes tentait de la contourner. Difficile de réfléchir correctement dans le feu de l’action, mais une chance de survivre venait de lui apparaître. La tueuse saisit sa dague de jet et la lança puissamment. Le poignard fusa au-dessus de Ragasty et alla se planter dans l’épaule droite du tireur. Un second hurlement prouva que la cible avait été atteinte. L’homme lâcha involontairement son arbalète et le carreau partit quand l’arme toucha le sol. Il fila vers le sol puis rebondit sur un pavé. Sa course se termina dans un volet, non loin de leur ami encore valide.
— Mais vous foutez quoi ? braya-t-il violemment. Bande de bon à rien ! Tuez la bordel !
La jeune femme se remit debout et s’apprêta à charger. La main ensanglantée de Ragasty saisit sa botte et la maintenue fermement. Déstabilisée dans son mouvement, elle se retrouva à genoux. Le temps lui manquait. Son instinct prit le dessus et tout s’enchaîna rapidement. Solaë enfonça sa dague dans le crâne de l’homme au visage lacéré et tourna brusquement d’un quart de tour. Un bruit spongieux et le relâchement complet du corps sonna le glas de sa victime. Pas le temps de regarder l’étincelle quitter les yeux de Ragasty. La tueuse se rua vers l’homme le plus dangereux, le porteur de l’artéfact.
— Elle a tué Ragasty cette traînée ! Massacre-la, Jorkil ! hurla-t-il, en cherchant à tâtons son arme au sol.
Jorkil sortit lentement ses deux lames jumelles de derrière son dos. Ce fils d'Adam présentait une apparence élancée, avec ses cheveux longs ramenés en arrière par un catogan. Sa posture défensive prévenait quiconque de prendre garde en s’approchant de lui. La jambe de devant légèrement fléchie, celle de derrière était tendue. Prête à donner l’impulsion au moment venu. Les deux épées courbes se croisaient au niveau de sa poitrine.
L’éclairage de l’impasse suivait le caprice du vent. La grosse lanterne suspendue au milieu de la rue proposait sa lumière de façon aléatoire. Le manque de visibilité des combattants rendait leurs sens exacerbés, mais la tension était réellement palpable. Solaë profita d’un mouvement de lumière dû à une rafale pour aller à contresens. Elle devint subitement invisible aux yeux du bretteur. La jeune s’écarta sur le côté et fit le tour d’un amas de caisses en bois, remplies de légumes avariés. La lanterne revint vers sa position. Elle s’abaissa et expulsa l’air de ses poumons à plusieurs reprises. Son pouls s’accélérait dangereusement, la transpiration rendait ses mains moites.
— Où es-tu, sale garce ? Viens jouer avec moi, ma douce ! susurra-t-il en frottant ses armes l’une contre l’autre.
La tueuse chargea sur le flanc droit. Elle lança sur sa cible une tomate molle et juteuse. Jorkil se protégea le visage en remontant juste une lame. La pulpe s'échappa dans toutes les directions, y compris les yeux du bretteur. Grâce à sa jambe fléchie, il fit un bond en arrière et mit un coup d’épée à l’aveuglette. Solaë, surprise, esquiva sur le côté, i extrémiste. La lame courbe passe à quelques centimètres de sa rétine. Une mèche de ses cheveux retardatrice fut coupée net.
En se retirant rapidement, le bretteur ne remarqua pas que la chaînette et son bijou étaient visibles au-dessus de sa chemise. L’artéfact pulsait d’une aura maléfique. Le pendentif avait l'apparence d'une bouche animée, en or rouge, ornée de deux paires de canines, qui aspirait le mana environnant. La jeune femme devait absolument le détruire pour retrouver son plein potentiel.
Jorkil, un œil fermé, passa à l’action. Il plongea l’arme dans sa dextre vers l’abdomen de la tueuse. Elle dévia l’assaut du revers de sa dague. Le bretteur enchaîna en essayant de lui trancher la gorge. La jeune femme esquiva d’un petit bond en arrière. Le guerrier, perdant patience, fondit sur elle et tenta une double estocade. Solaë attendit la toute dernière seconde et se baissa, puis fit un pas vers l’avant. Elle était entre son agresseur et ses lames courbes. Face à face, la tueuse vit la peur se lire sur son visage déformé par la haine. La jeune femme exerça une torsion dans ses épaules et transperça l’artéfact et le cœur de sa seconde victime simultanément.
Le temps se figea, l’air autour du bijou grésilla et l’intégralité du mana fut libéré, disloquant le corps de Jorkil. Solaë fut propulsée contre le mur. Perdant instantanément connaissance.
Chapitre intéressant. Elle est très proche d'Eulalie mais les trois "pervers" avaient bien un rôle à jouer aha
Le combat est plutôt sympa, l'utilisation d'un outil contre-mana, pour bien mettre en scène son talent de tueuse est vraiment chouette. Elle détruit le collier et maintenant que va-t-il se passer :)
Quelques retours :
"La main ensanglantée de Ragasty saisit sa botte et la maintenue fermement." -- "la maintint" plutôt
"La jeune s’écarta" -- manque "femme"
"Solaë, surprise, esquiva sur le côté, i extrémiste." -- "in extrémis" je suppose
A la prochaine :)
Toujours fidèle à mon histoire, je vais finir par croire que tu l’aimes ! Rire !
Faire une scène de combat est vraiment intéressant. Je me suis vite pris au jeu. J’ai orchestré d’abord le combat en faisant de petits dessins. Ensuite, j’ai essayé de rester réaliste, en utilisant le terrain, la fatigue potentielle et les capacités propres à chacun.
Pour l’artéfact, c’était effectivement pour montrer ses talents d’assassin plutôt que son pouvoir ( qui, pour l’instant, doit être très flou pour vous ).
Je n'ai pas pu résister à vous faire languir sur la course poursuite. Ainsi, elle est toujours à deux doigts de l’attraper, sans jamais y arriver.
Pour les trois « pervers », il fallait leur donner une bonne leçon ! Mouahahahahahah !
Merci pour les coquilles, je les corrigerai prochainement.
Zao