Chapitre 9. Départure

Par Moje
Notes de l’auteur : Yup! Chapitre 9 mis à jour!
Ce que j'ai horreur de relire les chapitres pour en corriger les fautes! Cela me prouve à chaque fois à quel point je n'y connais rien en grammaire. Je pourrais bien tenter de réapprendre les règle, mais sincèrement, c'est aussi agréable pour moi que si j'avais à laver la salle de bain d'une maison de vacance à la brosse à dent.
Je ne sais pas si vous lisez les snotes de début et de fin de chapitre (c'est déjà pas mal de lire le chapitre!), en tout cas sachez que les notes de fin ont été écrites du temps de la première publication du chapitre avant sa réécriture. Donc normal que certaines choses ne soient pas bien cohérantes!
Sur ce, bonne lecture!
*******
                Assise dans les escaliers, la tête dans les mains, Arka regardait tout le monde s’activer. Il avait été convenu qu’elle partirait après le déjeuner, mais pour le moment, elle observait le va et viens des serveuses entre les tables du salon. Leurs sourires devenaient coquets lorsqu’elles s’approchaient des messieurs bien habillés près de la véranda, et se faisaient plus affable quant elles servaient les petites vieilles. Quelques jeunes femmes venaient également prendre le thé en ces lieux, mais généralement plus en début d’après-midi.

 

Ses affaires étaient prêtes, et elle avait décidé de se diriger vers l’ouest. Festive lui avait parlé de la grande bibliothèque de Martonn, à trois jours de marche, et elle avait décidé d’y jeter un œil. Un bâillement manqua de lui décrocher la mâchoire. Après les évènements de la veille, elle n’était pas franchement dans les meilleures conditions pour repartir sur les routes, mais elle n’avait pas le choix. Tôt ce matin, un nouveau malaise l’avait surpris. Elle en était ressortie tremblante, tous les sens en alerte, par terre sous son lit et n’avait pas pu se rendormir. Et c’était sans parler des questions qui l’avaient taraudées quant au départ de l’homme à tout faire ! Son inquiétude ne s’était effacée qu’en voyant Albert revenir à l’heure où commençait son travail, la mine hagarde. Il l’avait à peine salué de la tête avant de partir faire les courses pour la boutique, et son seul soulagement avait été de constater que le Noir avait retrouvé sa place habituelle, caché sous son col.

Peu après, c’était Silvester, le persan de Festive, qui était venu s’asseoir à côté d’elle.

« La Maîtresse commence à se douter que quelque chose va de travers avec Albert. » lui avait-il apprit.

-Tu ne le lui as pas dit ? s’étonna Arka qui voyait toujours l’animal fourré dans les bras de sa maîtresse. Je pensais que tu étais ses yeux et ses oreilles dans la boutique !

« La Maîtresse ordonne, elle murmure, elle conseille, mais elle n’écoute pas. Peu de gens écoutent, en vérité, et nous ne sommes capable de parler qu’à ceux-là. Peut-être que toi tu écoutes parce que tu es seule et que tu n’as personne à qui parler ? »

Arka secoua la tête. Dit comme cela, on aurait pu la prendre pour une pauvre fille désespérée. Ce que, en dépit des circonstances, elle refusait d’être.

-Tous les chats parlent-ils ?

La réponse mit un temps à venir. Les chats étaient des animaux qui prenaient toujours leur temps, et ne faisait ce qu’on leur demandait que quand ils le voulaient bien.

« Non. À l’instar des humains et des sorciers, certains chats le peuvent, d’autre non. Certains peuvent même lancer quelques sorts, mais en général c’est qu’ils ont déjà été sorciers. Il arrive que des humains deviennent chats par malédiction ou accident ».

Les poings fichés dans les joues, Arka jugea qu’elle était peut-être arrivée ici par accident, elle-aussi. Quelle misère …

La maladie d’Albert était peut-être due à un accident, elle aussi. Arka avait passé une partie de la soirée à essayer de calmer sa démence, puis avait dû se résoudre à le chasser.

-Écoutes, si tu restes ici, Madame Festive va finir par découvrir ce qui se passe. C’est trop dangereux ! Tu… n’aurais pas de la famille, des amis chez qui aller pour la nuit ? lui avait-elle demandé.

Ses mots avaient semblé trouver un écho favorable dans la tête du souffrant.

Albert s’était alors levé, simplement vêtu d’une chemise ouverte et d’un pantalon, puis s’était approché de la fenêtre ouverte en boitant bas.

-Mère…, avait-il balbutié. Je… Mère, je… dois aller… voir… Si je meurs, je…

Des larmes noires avaient ruisselé sur ses joues. Un pas de plus, et il s’était retrouvé au bord de la fenêtre. Un regard à la lune, et d’immenses ailles noires étaient apparues dans son dos. Il avait sauté, et n’était pas réapparut. Seul l’absence de bruit semblait indiquer qu’il ne s’était pas écrasé en bas. « Bonne chance, Maurice », avait murmuré le chat. Arka avait laissé échapper une larme. L’injustice s’était-elle accrochée à ses basques pour la poursuivre ainsi ?

Pour le moment, Arka déprimait ferme. Une impression de vide s’était installée en elle durant la nuit, son corps lui semblait si léger qu’elle aurait pu s’envoler d’un moment à l’autre.

Peu avant midi, Mélusine apparut par la porte. Elle trouva une Arka somnolant dans un marasme de pensées confuses et dut l’appeler plusieurs fois pour lui remettre les pieds sur terre.

-Festive te cherche, elle a à te parler.

Sans un mot, Arka se leva. Un vertige la fit tanguer, mais elle se rattrapa mollement à la rampe. Pff, fichue nuit ! pensa-t-elle en alignant un pied devant l’autre. Elle retrouva la patronne de la boutique dans son bureau. Elle prenait le thé avec une autre femme, Silvester pelotonné sur les genoux.

-Bonjour, fit la jeune fille à l’attention de la femme qu’elle pensait avoir déjà vu lors de la réunion de la Consoeurie.

-Mon enfant, la salua poliment la sorcière aux joues exagérément poudrées de rose et au nez retroussé, une expression intriguée sur le visage.

-Arka, Belle-Anne et une autre de nos sœurs sont partis hier dans la soirée. Elles ont ramené le… le corps de ma sœur qui sera inhumé dans le cimetière de la ville demain matin, avec notre seule famille, fit Festive d’une voix serrée. Nos… nos sœurs ont retrouvé la trace de ceux que tu appelles les précurseurs.

-Oui, enchaîna Belle-Anne. Il apparaît que ces hommes se regroupent autour de Coeurfendre. Nous allons continuer de mener l’enquête.

Coeurfendre… ce mot ne lui était pas tout à fait inconnu. Il la ramena dans un wagon sombre et rempli de sorcier à l’avenir incertain. Et à une cheville tordue.

-J’ai entendu un sorcier parler de Coeurfendre, quand j’étais prisonnière du train. Il disait… Il parlait du Roi des Ombres, d’un certain seigneur vampire qui vivrait là-bas, je crois. Mais… les précurseurs venaient juste de m’arrêter en pensant que j’étais moi-même un vampire, alors peut-être qu’il a tout mélangé ?

Les deux sorcières se regardèrent un instant, interdite.

-Toi, un vampire ? C’est complètement idiot ! s’esclaffa Belle-Anne.

-Mais rappelles-toi : lors de l’épisode des Clameurs, certains sorciers arrivaient à utiliser les pouvoirs de vampires alors qu’ils n’en étaient pas eux-mêmes. Leurs maîtres partageaient leur magie de l’Ombre. Et comme les précurseurs semblent également capable de faire appel à des invocations, alors ils sont certainement dans ce cas de partage de pouvoir, et il ne serait pas idiot de leur part de supposer que d’autres qu’eux en soient capables !

Arka n’avait entendu l’échange que d’une oreille distraite : l’espace autours d’elle s’était remis à tanguer.

-Arka, tout va bien ? la questionna Festive en voyant son air hagard.

La main sur l’estomac, elle avait l’impression d’être sur un bateau emporté dans un siphon. Même le parquet devenait mou, et ses pieds s’enfonçaient dedans.

La voix de la patronne la rappela sur terre.

-Heu… oui. Oui, ça va.

Belle-Anne se leva. Remerciant Festive pour le thé, elle prit congé en prétextant devoir faire son rapport auprès de leurs Consoeurs.

En attendant le repas, Arka monta jusqu’à la chambre qui lui avait été prêté. Elle avait déjà lavé les draps ce matin mais son baluchon s’y trouvait toujours. Elle le redescendit.

-Il y a là les quelques affaires que Dacha portait sur elle avant… bref. Maintenant, elles vous appartiennent.

Elle eut un peu honte en pensant au contenu de la bourse qu’elle avait caché dans l’une des poches de sa jupe, mais elle en aurait certainement besoin. Récupérer la carte aurait également pu être utile, mais cette dernière ne représentait que la région qu’elle avait déjà traversée et dont elle préférait s’éloigner.

Festive sortir un petit livre de cuir du baluchon. Celui que sa sœur avait volé ? Les sourcils froncés, elle l’examina. Arka vit que ses lèvres bougeaient, mais elle n’entendit rien. Le malaise avait repris, et elle avait l’impression que bien qu’immobile son corps s’étirait dans toutes les directions à la fois, se contorsionnait, se penchait selon des angles improbables au vu de la gravité. L’air était aussi pesant que du flan, c’était à peine si elle arrivait à respirer. Sa vue se brouilla un instant.

La seule sensation tangible était un bras qui serrait le siens. Et sa tête, renversée vers l’arrière. Elle se doutait bien que cette position n’était pas normale : elle restait lucide malgré tout. Juste… que son corps était comme paralysé. Elle mit une poignée de secondes à revenir à elle, cela lui parut des siècles.

-Arka ?! Arka… ?

Arka papillonna des yeux. Au-dessus d’elle, le visage affolé de Festive. S’asseoir fut si difficile qu’elle hésita un instant à rester allonger, mais cette position lui donnait l’impression qu’elle allait s’endormir. Peut-être était-ce dû à sa mauvaise nuit, peut-être au malaise, mais dans tous les cas, elle se sentait extrêmement fatiguée, et son esprit était comme… englué. À un tel point que la panique qu’elle sentait poindre en elle ne montait pas.

-Je… je vais bien, finit-elle par articuler.

Son regard croisa celui de Silvester, étrangement brillant.

« Hum… » entendit-elle dans sa tête. « Nous n’étions pas sûr. Maintenant, nous le sommes ».

-Hein ? Sûr… sûr de quoi ?

Festive la regarda comme si elle était cinglée, puis dévisagea son chat.

-Qu’y a-t-il ? Silvester … ?

« La petite vient de l’autre monde, et elle n’est pas passée par la case départ », dit-il simplement. D’après la tête que tira Festive à la suite de ces quelques mots, Arka déduisit qu’elle aussi entendait le chat.

-De l… ?! s’étrangla-t-elle.

Penaude, Arka regardait ses pieds.

Sa voix s’était faite aigue, ce qui mettait la jeune fille très mal à l’aise.

-C’est vrai, dit-elle en haussant les épaules. Je ne sais pas comment je suis arrivée là, mais je viens d’un autre monde. Je… je crois que je dormais.

Quelques images de sa débauche alcoolisée lui revinrent en mémoire, mais elle préféra passer sous silence ce moment aussi peu glorieux qu’agréable.

Festive se laissa tomber sur le siège qu’avait occupé Belle-Anne peu avant, éberluée.

-Je… n’arrive pas à y croire. C’est… tellement… improbable ! Tu es sûr ?

Le minet ne répondit pas, mais il s’agissait là d’une pure question rhétorique. Ombre lui avait dit qu’il ne fallait pas que les habitants de la Lande apprennent ses origines, pour rien au monde. Pourtant Arka voyait mal Festive se ruer sur elle pour la tuer à coups d’ongles.

-C’est vraiment si grave ? demanda au hasard l’intéressée.

Vu les réactions que la nouvelle provoquait, elle aurait bien aimé savoir ce qu’on lui reprochait. Mais Festive se levait déjà, l’attrapa par la manche et la traina derrière elle. Aïe, qu’est-ce qu’elle va me faire ? Faut-il que de m’échappe ? Que je fuis ? Pourtant, la tentation d’en apprendre plus sur le problème que posait ses origines était grande, et elle se laissa entrainer.

D’un petit pas rapide et étriqué, la Dame aux Chats l’emmena dans sa maison et l’assit à la table de la cuisine. Silvester les avait suivis.

-Arka, commença-t-elle la plus sérieusement du monde. Il n’y a plus d’êtres du Grand Monde dans la Lande depuis des décennies. Pour protéger la Lande et le secret de son existence, tous les passages ont été fermés. Il est donc impossible de passer d’un monde à l’autre !

Gênée, Arka retira ses gants. En-dessous, ses mains étaient blanches, immaculées. Celles de Festive, elles, étaient noires jusqu’au poignets. Selon les normes landiques, c’était preuve d’une vie très rangée !

Festive leva les yeux au ciel d’un air ahuri.

-Remet tes gants tout de suite, veux-tu ! Comment es-tu arrivée dans la Lande ?

-Je vous l’ai dit ! Je crois que je me suis endormie, et quand je me suis réveillée, j’étais… dans un train. Je n’étais pas seule, il y avait aussi un sorcier très bizarre, je crois que je l’ai vu dans mon monde avant de m’endormir. Mais… il m’a fait peur, j’ai essayé de m’enfuir et… c’est là que les dignitaires m’ont attrapé. Ils ont cru que l’invocation venait de moi, alors que c’était le sorcier qui…

-Es-tu en train de me dire qu’un vampire t’aurait fait passer ?!

Son ton outré fit rentrer la tête dans les épaules à la jeune fille. Elle n’en savait rien, n’y était pour rien, ne comprenait rien, voulait juste rentrer chez elle. Pas sa faute.

Devant son air penaude, Festive se détendit quelque peu.

-Comme tu dois l’avoir compris, la Lande est un monde de magie. Je ne connais guère précisément ton monde, mais la magie n’y existe pas, n’est-ce pas ? À la place, vous posséder une floppée d’inventions dépassant de loin les notre, à ce que l’on raconte, et… il a parut plus prudent d’éloigner les deux mondes, afin que les votre n’aient pas connaissance de la Lande et qu’aucun risque de mouvement de panique où … de volontés belliqueuses ne se présente.

Son égo s’en sentait blessé, mais elle devait bien admettre que les siens pourraient, s’ils apprenaient accidentellement la menace que représente un autre monde rempli de sorciers, vouloir le supprimer, le dominer, le… elle ne préférait pas imaginer.

-De ce fait, les gens de… de l’autre monde ne sont pas tolérés ici. C’est pour cela que ta présence est absolument impensable ! De plus, aucun sorcier ne devrait être capable de faire passer un humain de l’autre monde, contre sa volonté qui plus est.

Ombre en avait pourtant été capable. Il avait même dit avoir utilisé un passage, ce qui signifiait qu’ils n’étaient pas tous fermés, en réalité. Mais elle préféra ne rien dire là-dessus.

« Le véritable problème pour toi », intervint Silvester, « c’est que peu de temps après la fermeture des passage la décision à été prise à la capitale de créer un sortilège qui ferait disparaître tous les humains de ton monde mettant les pieds dans la Lande. C’est assez incompréhensible, mais il semblerait que tu commences seulement à en ressentir les effets. »

-Qu… comment ? Est-ce que… ça veut dire que…

Arka regarda ses mains d’un air incertain. Elles avaient pourtant l’air bien réelles, loin de disparaître !

-… que je vais mourir ? souffla-t-elle.

-Non ! s’exclama Festive, un peu trop fort pour être rassurante. Certainement pas ! Il y a sûrement une solution, n’est-ce pas, Silvester ? Ce qui est fait peut-être défait…

« Tu fais bien des manières pour une petite que tu viens à peine de rencontrer, Festive. Surtout pour une petite de l’autre monde ».

La remarque choqua un peu Arka, qui ne dit rien. Festive lui lança un regard désolé et réconfortant.

-Personne ne mérite de disparaître purement et simplement, tout simplement parce qu’un vampire écervelé à choisi d’enfreindre les règles ! C’est injuste !

Ce mot rappela à la petite voyageuse à quel point sa vie avait une propension à l’injustice, ces derniers temps. Ce qui n’était pas vraiment réconfortant.

« Et bien… De ce que je sais, ce sortilège a été lancé par le maître de la Lande lui-même alors… inutile de lutter contre. Le meilleur moyen pour elle de ne pas y passer serait de retourner dans son monde au plus vite ».

-Si j’avais su comment faire, siffla Arka, je n’aurais pas perdu mon temps à courir devant une armée de précurseurs pour sauver ma peau !

-Combien de temps avons-nous ? demanda Festive.

« Hum… ». Assis sur une chaise en bout de table, le persan lorgnait une boite en métal. « Je peux avoir un gâteau ? », demanda-t-il a l’intention de sa maîtresse. Celle-ci poussa un soupira exaspéré, ouvrit la boite et lui donna un biscuit sec à la fleur d’oranger. Il le grignota du bout des dents pendant que les deux femmes restaient silencieuses dans une attente insupportable.

« Normalement, cela prend à peine quelques heures. Mais je te l’ai dit : tu as déjà survécu remarquablement longtemps. Je ne peux donc pas tirer quelque conclusion que ce soit. Mais… si vous tenez tant que cela à trouver une solution, peut-être l’un de mes amis qui vit au Fauxbourg d’Argent pourra nous éclairer sur la chose ? Il a travaillé en temps que Haut Secrétaire au Palatinium à La Cavale, la capitale. C’était avant que sa femme jalouse ne découvre son infidélité et le condamne à passer le restant de ses jours sous la forme d’un chat de gouttière… »

Ainsi dit, ainsi fut fait. Le soir après la fermeture du salon, alors qu’Arka revenait d’avoir été cherché les deux filles de Festive à leur cours de piano, la Dame aux Chats passa une longue cape noire sur ses épaules et prit Silvester dans ses bras.

-Le Fauxbourg n’est pas loin de Grumeau, nous devrions être revenus en début de soirée. Si nous sommes trop long, n’hésite pas à aller te coucher.

Dans un souffle de brise, ils disparurent. Arka manga donc une fois de plus avec Barbarette et Mélusine, dont les remarques quant à sa présence prolongée se faisaient de plus en plus acerbes. Albert, lui, avait fui la civilisation pour la nuit, et personne ne savait où il était aller trouver refuge. Arka pria pour que le jour se lève à nouveau pour lui et que cette nuit ne fut pas sa dernière en tant qu’être humain. Elle trouvait paradoxal que Festive se démène à ce point pour elle alors que l’un de ses propres employés se mourrait !

« Elle est au courant, pour Albert », lui dit l’un des chats, alors qu’elle s’était installée dans les escaliers après le repas. « Elle ne comprend pas ce qui se passe, mais elle sait qu’il n’en a plus pour longtemps. Toi en revanche, il reste un espoir. La Maitresse a beau se montrer inflexible, intransigeant, elle ne supporte pas les malheureux. Son cœur est tendre, et elle sait que si elle ouvre la porte à l’un d’entre eux, elle ne pourra la refermer pour les autres. Tu as vraiment de la chance d’être arrivée jusqu’ici. Moi a sa place je t’aurais poussé dans un fossé. »

Les chats avaient leur façon bien à eux de gérer les problèmes, et la jeune fille se félicita que ce ne soit pas eux les maîtres de maison !

Ce ne fut que plus tard dans la soirée, alors que la fatigue avait presque pris le dessus sur elle, qu’Arka entendit Festive revenir. Sans un bruit, elle suivit la femme jusqu’à la cuisine du personnel. Les deux serveuses étaient parties boire un verre en ville, Albert n’était pas là : personne ne pourrait les entendre.

-Bon. Nous n’avons pas de solution miracle, et notre seule chance réside dans un « pourvu que ».

« Sa seule chance. Nous nous restons ici, n’est-ce pas ? »

Ah oui, les chats étaient aussi égoïstes.

-Oui, oui, Silvester. En fait, il existerait deux moyens : aller à La Cavale et trouver les Hauts Dignitaires pour les convaincre de te fournir un laisser passer -ce que je ne te conseille guère : s’il aurait été dur d’en obtenir un du temps de l’ancien dirigeant, son successeur est un fou qui n’hésitera pas à te tuer ! L’autre moyen consiste à retrouver Guiving lui-même, le créateur de la Lande. C’est un pari risqué : personne ne l’a vu depuis plus d’un an ! Mais en plus d’être le seul à pouvoir arrêter la malédiction, il a également le pouvoir de te renvoyer chez toi.

Dans un monde de sorciers, Arka s’était attendu à une solution à base de remède miracle, potion magique, ou encore sacrifice de grenouilles. Au moins, cela lui aurait laissé une chance.

-Tout à l’est, de quelques jours de cheval au sud de la Peinombre se trouve un petit village, nommé Umbra. Il est situé au pied d’une montagne, Pourpre-Pic, réputée pour abriter l’une des maisons de Guiving.

« Pas l’une des maisons. La maison », rectifia Silvester d’un air important.

À coup sûr, il s’agissait encore d’un truc du genre « attelage » et « attelage ». Arka ne posa pas de question. De toute façon elle s’en fichait pas mal : si c’était là sa seule piste, elle irait.

Si la malédiction chargée de la faire disparaître lui en laissait le loisir.

Le temps était compté. L’idéal pour se rendre à Umbra dans les plus brefs délais était de prendre le train partant de Grumeau pour La Cavale, puis faire La Cavale-Oldbarn. C’était aussi le trajet le plus risqué, car la capitale était un lieu très fréquenté, mais Arka était prête à courir le risque. Restait le prix du ticket de train, que les quatre pièces d’argent dans sa poche ne suffiraient peut-être pas à couvrir.

Lorsqu’elle évoqua le problème, Festive la rassura :

-Les trains sont très peu cher, dans la Lande. Surtout pour des trajets aussi courants que ceux passant par La Cavale. Et s’il en manque, ne t’inquiète pas, je t’aiderais.

N’ayant pas de bagages, Arka fut vite prête. Gare n’était qu’à une dizaine de minutes à pieds, la nuit l’avait vidée. Le guichetier les accueillit de l’air somnolent de celui qui n’a pas vu un chat depuis des heures et qui va bientôt être relevé par un collègue.

-Un allé simple à La Cavale ? Trois sous, s’il vous plait. Le train passe toutes les heures paires, il ne devrait plus tarder.

Arka ne connaissait pas la valeur des pièces de la Lande et vit seulement Festive tendre trois pièces d’argent à l’homme. Cela voulait donc dire qu’elle-même possédait tout au plus quatre sous. Serait-ce suffisant pour rejoindre Umbra ?

En attendant le train de campagne, Arka proposa à la Dame aux Chats de rentrer chez elle, arguant qu’elle en avait déjà bien assez fait pour elle, mais la femme refusa. Selon elle, laisser une gamine seule sur le quai d’une gare en pleine nuit ne se faisait pas.

Comme l’avait dit l’homme du guichet, le train ne fut pas long. Il entra en gare sans un bruit, ayant visiblement déjà coupé les vapeurs depuis un moment pour laisser l’inertie lui faire atteindre son but. Semblable à celui dans lequel Arka s’était réveillé, il devait toutefois être un peu plus petit. La lune se reflétait sur le métal noir, lui donnant presque l’air d’une bête vivante. Il était magnifique, quoique dans un genre un peu lugubre. Bien loin en tout cas de la forme de vers oblongue des trains de son monde et de son époque.

-Par train, tu devrais avoirs quelques trois jours de trajet, mais je ne suis pas sûre qu’une gare se situe à proximité d’Umbra. Il te faudra alors prendre un cheval, une diligence, ou bien marcher.

Marcher, Arka savait le faire. Son seul problème était la course contre la montre dans laquelle elle s’engageait. En montant dans le train, elle eut un regard pour Festive, cette femme qui comme sa sœur l’avait prise sous son aile et aidé. Finalement, il n’était pas impossible que la chance soit, tout comme l’injustice, son lot quotidien. Deux puissantes entités qui ne cessaient de se contrebalancer.

-Merci beaucoup, Madame Festive. Pour tout. Et… bon courage pour demain.

-Merci, petite Arka. Et merci d’être venue me prévenir, pour Dacha. Sans toi elle pourrirait encore dans cette lugubre ruine !

Le lendemain aurait lieu l’inhumation de la sorcière vagabonde. Arka ne pouvait que lui souhaiter de reposer en paix. Et que ses meurtriers soient mis hors d’état de nuire.

-C’est un adieu, il me semble. Alors adieu, bon vent et bon retour chez toi, petite !

La patronne du salon de chat resta jusqu’à ce que le train se mette en branle. Depuis la fenêtre, Arka voyait Silvester se frotter aux jambes de sa maîtresse, insistant manifestement pour monter dans ses bras. Pour respecter le sommeil des habitants de Grumeau, les coups de sifflets furent remplacés par une accolade amicale entre le contrôleur en chef et le guichetier, puis le départ donné. D’un dernier signe de la main, Arka salua la sorcière. Un adieu, oui je l’espère bien. Avec un peu de chance, dans quatre jours je serais chez moi !

 

 

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