— Omar —
Confinement J-4
Ça y est ! Elle a parlé ! Nous avons eu un semblant de conversation. Gabrielle semble sortir doucement de sa coquille.
Je l’ai entendu hier avec son fils au téléphone. Quand elle lui parle, elle semble tellement différente, tellement, elle. C’est de ce que j’ai pu voir une excellente mère. Elle chérit son fils. Et elle a même réussi en cette période de folie à lui souhaiter son anniversaire. J’ai tout d’abord été un peu frustré qu’elle me bouscule dans le couloir sans raison. Mais j’aurais accepté d’être ainsi bousculé des dizaines de fois pour voir la joie qu’elle a eue l’instant d’après, en voyant son fils sur cet écran. Sidney est pareil avec ses deux filles. Et je dois dire, que je ferais m’importe quoi pour mes nièces.
Hier, notre conversation a été plutôt un monologue de ma part. Elle a posé la question fatidique : « vous avez de la famille ? » et malgré moi je n’y peux rien, cette question engendre des heures de discours. Je deviens comme lors d’un plaidoyer, je m’exprime avec entrain et assurance, une pointe de fierté dans la voix.
Pour avoir une famille, j’en ai une. Et cela devient vite très compliqué à comprendre.
Pour faire simple, j’ai quatre sœurs, un petit frère et un demi-grand frère.
Mon père a eu d’un premier mariage mon demi-frère : Yao. Ensuite mon père a épousé ma mère qui est australienne. Et ils ont ma sœur aînée Sidney.
Vint ensuite ma naissance, je suis le deuxième de la fratrie. Sont nées après mes deux autres sœurs : Juliana et Malaïka. Mes parents ont eu un autre petit garçon, Ethan. Et la petite dernière Mia. Quand on s’arrête aux enfants, cela reste plutôt simple. Tout se complique quand on ajoute les petits enfants et mes nièces.
Ma sœur aînée Sidney a deux enfants April et Daya. Elle est mariée à Antonio.
Ma deuxième sœur Juliana est enceinte et elle est mariée avec Julien.
Malaïka est célibataire et elle enchaîne les aventures sans lendemain.
Ethan n’a pas de copine, il semble ne s’intéresser qu’aux études, il a bien le temps, à 19 ans on a toute la vie.
Et enfin Mia, elle, a un copain, Mathias, il faut préciser que leur histoire à l’air de tenir, ma sœur semble plus douée que moi avec les relations humaines.
J’écris tout cela sans doute pour me libérer la tête ou ne pas me perdre. Cela ne fait pourtant que quatre jours que nous sommes confinés et Dieu sait combien de fois pendant des journées de grand « speed », j’aurais souhaité pouvoir rester tranquillement chez moi sans bouger, mais visiblement cela ne doit pas comporter que des avantages.
Quand Gabrielle a écouté ma tirade sur la famille, elle a eu l’air de comprendre, ou tout du moins elle fait très bien semblant. Je lui ai tout raconté dans le désordre et maladroitement. Je réalise en écrivant ces lignes que j’aurais pu être plus clair. Mais je ne sais pas pourquoi quand je lui parle une part de petite angoisse s’empare de moi et j’ai du mal à trouver les mots qui se trouvent dans ma tête, à croire qu’elle m’impressionne. Le comble de l’ironie c’est qu’elle doit l’être autant si ce n’est plus par moi.
Cela fait déjà plusieurs jours que j’étire au maximum le travail que j’ai pour le faire durer, mais je commence à arriver au bout, de ce qui me rester à faire. Les affaires sont reporter les uns après les autres. Les riches entreprises ont comme arrêté d’essayer d’arnaquer le système.
Contrairement à moi, Gabrielle a l’air beaucoup plus occupée. Il est presque 11 heures et je suis dans le hall sur le fauteuil, dos à la fenêtre qui donne sur le jardin, je commence à croire que c’est devenu mon lieu de prédilection. Un lieu entièrement réservé à mon ennui, lieu de méditation et de recueillement sur ce que nous sommes en train de vivre. Mon petit coin à moi.
Je décide d’abandonner mon travail. Les effets de confinement commencent à se faire sentir. Cela fait quelques jours que je repousse le moment où je dois appeler Juliana. Je veux essayer de la raisonner, son engagement pour son travail à des limites. Julien m’a encore envoyé un message suppliant hier soir pour que j’essaie de la raisonner. Mon père n’a jamais eu la moindre autorité sur elle, ma mère est trop loin quant à Sidney, elle a déjà tout essayé. Alors le dernier espoir semble passer par moi. Je n’ai pas beaucoup plus d’influence, mais je compte jouer la carte de la sincérité avec elle. Je cherche sa photo de profil sur mes conversations WhapApps. Je crois me souvenir qu’à 11 heures elle est en pause.
Je lance l’appel vidéo, espérant que le WiFi tienne.
Au bout de plusieurs longues sonneries alors que j’avais désespéré qu’elle réponde, je vois son visage apparaître à l’écran. J’ignore si ce sont les pixels ou si c’est son visage qui semble si fatigué. Sans doute, un mélange des deux. Je débute la conversation :
— Hey, Ju comment tu vas ?
— Omar, tu as de la chance c’est ma pause, par contre elle est plus courte que d’habitude on commence à être débordé ici.
Elle voit que je m’efforce de prendre un ton plus grave :
— Ju, si je t’appelle c’est que…
Elle me coupe :
— Omar, pitié, tu ne vas pas faire comme Sidney ou Julien. Je pense que toi tu peux comprendre mon engagement envers ces gens.
Je rassemble mes pensées pour être sur de ne pas la braquer :
— Juliana, tu fais un travail remarquable, tu aimes ton métier, tu aimes les gens et tu sais combien c’est tout à tout honneur et combien je suis fière de toi. Mais ma sœur, tu n’as pas une responsabilité qu’envers ces gens. Juliana ce n’est pas moi qui vais t’apprendre la dangerosité de ce virus. Tu ne peux ignorer la raison du pourquoi nous sommes aussi inquiets. Tu vas avoir un bébé, et cela peut être dangereux pour lui d’être exposé à ce virus, tu le sais. Ce que je sais aussi c’est la justification que tu vas employer, tu n’aie pas en contact direct avec les patients covid-19, mais c’est dangereux, quand même. Je ne suis pas en train de te faire la leçon, et je ne t’appelle pas uniquement parce que Sid et Julien ont échoué à te convaincre, je t’appelle parce que je suis inquiet pour toi. Juliana, tu sais que jamais je ne te dicterais ta conduite, mais il y a sûrement un moyen pour que tu continues d’exercer sans être sur place.
Elle met du temps, mais elle me dit :
— Omar, on t’a déjà dit que tu ferais un bon avocat
Et nous rions tous les deux. C’était sûrement mes talents d’avocats que Sid voulait que j’utilise, mais c’était aussi ceux de frère, même si je ne suis pas sûr d’avoir un talent particulier pour ce dernier.
Elle poursuit :
— Omar, c’est compliqué de soigner des patients en wifi, je ne peux pas vraiment faire de télétravail moi.
Je réfléchis à quoi lui répondre pour essayer d’asseoir mon plaidoyer :
— Juliana, il y aurait des solutions, tu dois juste me promettre que tu vas y penser sérieusement, et que tu vas arrêter de te disputer avec Julien à cause de ça. Que tu vas réellement écouter son point de vue.
Elle paraît courroucer par la dernière phrase :
— Écoute Omar, j’ai promis d’arrêter de me mêler de tes histoires de couples et d’arrêter d’essayer de te caser alors s’il te plaît ne te mêle pas du mien.
Je ne me vexe pas de sa remarque, elle a raison, je lui fais donc savoir :
— Je suis désolé Ju tu as raison. Mais, promets de penser à une alternative.
Elle paraît se radoucir :
— Oui je vais y penser. Je te promets mon grand frère. Bon, il faut que j’y aille c’est la fin de ma pause. Bisous
Et elle raccroche. J’entends des pas dévaler aussitôt l’escalier : Gabrielle.
Je ne sais pas s’il elle a entendu ma conversation, cela y ressemble puisqu’elle a bougé juste à la fin de mon appel.
Arrivée en bas, elle annonce rapidement :
— Je vais cuisiner.
Puis elle disparaît dans la pièce de repas.
De nouveau mon téléphone s’actionne, tiens c’est Owen qui appele :
— Allô, Omar, ça va mon pote. Je suis désolé, j’ai un peu fait le mort, mais en ce moment avec l’installation du télétravail, je t’explique pas le boulot qu’on a.
— Salut, Owen. Tu m’étonnes, tu dois plus savoir, où donner de la tête.
— Et toi, tu plaides toujours, ou monsieur se la coule douce à la maison.
Je ris, il a ce don depuis toujours de mettre la personne avec qui il parlait de bonne humeur.
Je réponds à sa question :
— Je suis dans un Airbnb, mon appartement à eu un problème d’eau, j’ai réussi à convaincre un plombier de réparer, le problème maintenant ce qu’on ne pas quitter son lieu de quarantaine. Donc je suis coincée à Marray. Le tribunal a mis à l’arrêt toutes les affaires concernant le non pénal. Donc je ne plaide plus. Je prépare quelques affaires à droite à gauche, mais rien de bien transcendant. Et toi, Lila, Raphaël, ils vont bien ?
— Raph ne vas plus à l’école, donc lui tu sais tout va bien, bon faut se battre pour le faire bosser à la maison, et puis le temps manque un peu pour le suivre comme il faut. Lila est débordée aussi. Tu sais les femmes ne s’arrêtent pas d’accoucher parce que le covid arrête le monde. Évidement elle flippe de ramener cette cochonnerie à la maison. Et toi Ju et Mia ça va à l’hôpital ?
Sur un ton que je ne voulais pas trop dramatique, je lui réponds :
— Ju ne veut pas démordre qu’il faut qu’elle arrête de s’exposer comme ça. Et Mia j’ai pas trop de nouvelles, je crois qu’elle doit prêter main forte comme tous les étudiants en médecine. Je t’avoue que la savoir là bas même s’ils disent que les jeunes risquent moins, ce n’est pas terrible…
Bon sinon, si tu veux que je gère Raph, je peux lui donner un coup de main à distance. De toute façon ce n’est pas le temps qui va me manquer. Le programme CM1 je crois que je peux gérer.
— Sérieux, ça serait vraiment cool. Et puis, après tout tu es son parrain, donc…
— Ça va j’ai compris, je vais l’aider ton fils, gros malin.
Et je ris encore une fois au bout du fil. Les fous rires n’ont lieu qu’à distance maintenant. Je ne peux rire avec ma sœur ou avec mon meilleur ami que par procuration du téléphone. Ce petit appareil rectangulaire est le seul lien que j’entretiens avec l’extérieur, il est passé d’outil de travail à objet le plus précieux en ce temps de confinement.
Owen doit finalement me laisser :
— Bon, j’ai des clients qui s’agacent sur le téléphone, j’ai eu moins 4 appels en absence depuis le début de ce coup de fil je te laisse.
— Ok, bonne journée Owen.
Et il raccroche. Gabrielle est toujours dans la cuisine, ça commence à sentir bon.
Quelques minutes plus tard, elle sort et me lance :
— C’est prêt.
Je me lève et me dirige donc vers ce repas confectionné avec soin par ma colocataire. Je m’assois, elle a mis à table et préparé quelque chose qui sent drôlement bon, je crois que c’est un risotto.
Je lui lance :
— Risotto ?
— Oui.
Je décide de la détendre un peu et de faire preuve de courtoisie :
— C’est à l’air drôlement bon.
— Merci.
Je veux en savoir plus sur elle et cette fois pas question que je parte dans un monologue, je décide de la lancer sur elle et sa vie :
— Tu ne m’as pas dit tu fais quoi comme métier ?
Elle paraît hésiter avant de répondre puis se lance :
— Je suis développeuse de jeux vidéo pour téléphone.
— Mais c’est génial comme métier, ma colocataire à un métier super cool et je ne le savais même pas. Mais alors depuis ces quelques jours vous passez des heures sur un jeu, cloîtrer dans votre chambre, mais c’est trop cool. Et les jurons c’était parce que vous n’arriviez pas à faire sauter Mario ?
Je sens que ma blague ne l’avait pas faire rire, aïe, j’ai gaffé. Je tente de me rattraper :
— Je suis désolé, ce n’était pas méchant, j’y connais pas grand-chose en jeu vidéo. Je ne joue qu’à Mario pour ainsi dire.
— Inutile de t’excuser, tu ne connais pas, c’est normal.
Je décide de me rattraper :
— Je veux absolument voir ça, tu n’aurais à un jeu que tu as développé à me montrer.
— Non désolée… Tout est à Paris.
Je sens dans sa phrase comme une demi-vérité, elle semble se cacher derrière cette excuse pour par timidité ne pas me montrer son talent. Je persiste :
— Alors, montre-moi, sur quoi tu travaillais hier ?
Elle hésite et se sent piégée, mince. Ce n’était pas mon but. Je rajoute :
— Si tu ne veux pas ce n’est pas grave, il ne faut pas te sentir obliger. Si tu me demandais de réciter une plaidoirie devant toi, je pourrais bien être intimidé. Tu es intimidante comme femme.
Elle rigole, ouf ma tentative pour détendre l’atmosphère marche à demi.
Le restant du repas, je décide de la laisser tranquille. Je l’ai un peu forcé à parler, je peux bien la laisser manger la fin de son risotto tranquille.
Après le repas, je fais mon tour de vaisselle et quand je remonte l’escalier, je la vois qui sort de sa chambre avec son ordinateur dans les mains, puis elle tourne l’écran vers moi et m’aborde :
— Voilà sur quoi, je travaille, un pantalon de barbare, pour un futur jeu. C’était pour ça les jurons.
Je vois le pantalon s’animer et je trouve cela tout simplement trop cool.
Je lui réponds :
— C’est tout bonnement génial. Mon filleul adorerait te rencontrer, il adore les jeux vidéo et en ce moment il a tendance à les privilégier au devoir.
Elle rit et ose me dire :
— Mon fils est pareil.
Puis elle retourne s’enfermer pour travailler.
Moi je sortis sur le devant de la maison m’asseoir à la table de jardin. Mes yeux se posèrent sur l’horizon, se demandant quand tout cela prendrait fin. Une envie de liberté m’envahit.