Extrait de communications :
Un homme accusé de lycanthropies va être jugé sous peu. Suspectons un Porteur de l’A-L.
Demande d’enquête urgemment.
Demande approuvée.
Archives de l’Apsû, branche Allemande, 1589
Sacha pousse une porte sur le côté de la pièce, nous donnant accès au reste du rez-de-chaussée.
Alors que je lui emboîte le pas, Inès geint derrière moi : « On ne va pas à l’étage ? »
« Non. » Lui répond le maître des lieux, catégorique, sans même prendre la peine de se retourner.
À sa suite, nous gagnons ce qui a dû être un garage à une époque, comme en témoigne la large porte en bois bleu écaillée sur le côté, mais qui a été aménagé pour devenir un long salon, parsemé de toujours plus de meubles vieillots envahis de bibelots, alors que les murs sont décorés de masques aborigènes, de tableaux de paysages et de cartes du monde.
« Voyageurs, dans la famille ? » Je risque.
Mais notre hôte ne me gratifie que d’un pauvre : « Oui. »
Sacha nous fait prendre place dans un sofa mauve vin, face à une table basse, où se trouve un ordinateur portable ouvert, qu’il allume.
« J’ai déjà fait quelques recherches, histoire que nous gagnons de temps. »
C’est ainsi que nous finissons par commencer à travailler, encadrés par un coussin aux motifs persans et un guéridon où trône une boule à neige contenant une statue de la liberté.
De temps à autre, Inès tente une allusion peu subtile à son amour des animaux, dans le but d’amadouer notre partenaire et d’ainsi recevoir la convoitée autorisation de caresser le chaton… mais en pure perte.
L’exposé avance à pas lent, mais de façon suffisamment régulière pour ne pas de devenir frustrante.
Près d’une heure s’écoule, avant que le portable d’Inès ne se mette à jouer une musique de piano, vite interrompue par la concernée qui décroche vivement.
« Maman ? …Quoi, déjà ? Mais… c’est-à-dire qu’on travaille encore… Oh, bon, d’accord… À tout de suite, oui… »
Elle raccroche avant de nous annoncer plaintivement qu’elle doit partir maintenant, car ses parents ont invité des amis à manger !
« Désolée ! Vraiment désolée ! » répète-t-elle en boucle alors qu’elle range ses affaires, se rechausse dans l’entrée, puis claque précipitamment la porte derrière elle !
J’ai à peine eu l’occasion de la rassurer et de lui dire que l’on partagera avec elle ce que l’on aura fait sans elle…
« Bordel, c’est tranquille d’un coup, sans ce caniche... » Lâche Sacha dans un demi-marmonnement grincheux, « Heureusement que la souris est plus calme… »
Il a prononcé les derniers mots entre ses dents, plus pour lui-même… sauf que je l’ai entendue, puisqu’assise juste à côté de lui.
« Mais franchement, ça ne t’arrive jamais d’être autre chose que désagréable ? »
Le regard outré qu’il m’assène m’informe que je viens de penser tout haut.
« …Je te demande pardon, la puce ? Tu as dit quoi ? »
« J’ai dit… je t’ai demandé si ça t’arrivait de ne pas être désagréable ! Voilà ce que j’ai dit, espèce de discolored-hateful ! Tu es content ?! »
Je plaque mes mains sur ma bouche ! Mince, c’est sorti tout seul ! Je peux presque voir une aura de colère noire se former autour de mon camarade…
« Espèce de sale petite… »
C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de ma patience, me faisant exploser : « Mais tu as fini de me traiter tout le temps de petite ? »
Je me lâche à présent. Je n’en peux plus de cet exaspérant crétin !
« Tu ne peux donc pas être un minimum agréable une seule minute, sérieusement ? Tu crois qu’Inès et moi on a choisi de faire ce crappy exposé avec toi ? Non ! Inès est parfois lourde, je te l’accorde, et moi non plus je ne suis pas la personne la plus facile à vivre du monde… mais ce n’est pas une raison pour te comporter comme tu le fais ! »
Il reste bouche bée un instant, trop surprit pour réagir !
C’est alors que s’opère le switch.
Une seconde avant, je suis persuadée que c’était un garçon, et la seconde d’après c’est désormais une fille !
J’avais déjà bien compris que Sacha était ce que l’on appelle un gender-fluid, mais c’est la première fois que j’assiste au changement en direct… et que je m’aperçois que je vois réellement la différence !
Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il y a des variations physiques, bien qu’extrêmement subtiles… Tellement subtiles que je n’arrive même pas à les lister ou les définir, en réalité !
Elle est juste… passé du masculin au féminin.
Cette transformation me perturbe dans mon énervement, qui flanche.
« Sors de chez moi. » Me crache Sacha.
« Je… »
« Dégage ! »
Je rassemble maladroitement mes affaires, avant de quitter le salon, lui jetant des coups d’œil indécis.
Il y a un mystère ici que j’ai envie de résoudre, mais la propriétaire me repousse de son expression incendiaire.
Ne regardant pas correctement où je vais, je heurte alors un meuble duquel tombe une liasse de feuilles.
Par réflexe, je tente de les rattraper, mais je me fige en voyant les dessins qui les recouvrent…
Outre qu’ils sont magnifiques, parmi les portraits d’inconnus, je trouve un croquis d’une main, avec une bague. Et la bague elle-même reproduit en plus grosse à côté…
Deux serpents entrelacés d’un réalisme invraisemblable, une pierre enchâssée entre leurs deux gueules…
Sacha me bouscule violemment, ramassant toutes les feuilles pour les serrer contre lui.
Ses yeux lancent à présent des éclairs de rages.
« Je t’ai dit de te casser de chez moi. »
C’est à ce moment que je vois la chaînette à son cou. D’habitude, elle doit la dissimuler sous sa chemise, mais, car elle s’est vivement penchée pour ramasser les dessins, le pendentif s’est échappé de sa cachette.
Au bout, pend le véritable bijou.
Fait, visiblement, en argent, avec les deux serpents et la pierre, elle d’un vert foncé aux motifs noirs arrondis…
Ma camarade veut la remettre sous son t-shirt, mais j’interromps son mouvement en saisissant sa main ! J’admire la bague, subjuguée !
C’est incroyable cette profusion de détails ! Je peux distinguer les minuscules écailles, les crocs affilés refermés sur la pierre, les infimes courbures du corps des reptiles…
« Lâche-moi ! »
Elle se dérobe sans difficulté à ma prise.
Je crois que Sacha vient d’atteindre un stade d’énervement rare…
Sans réfléchir, je sors ma chevalière de ma poche, l’exhibant devant ses yeux !
J’ai alors la surprise de voir ma camarade se figer, les sourcils froncés sous l’étonnement.
Serait-ce possible que… ?
« Tu… tu sais ce que c’est ? »
« Ouais… Je ne savais pas que tu étais une Porteuse… »
Quoi ? Qu’est-ce que ça signifie ?
« Une "Porteuse" ? De quoi parles-tu ? »
Elle s’arrache à la vision de mon propre bijou pour me dévisager.
« Sérieusement ? Tu ne sais vraiment pas ? »
« Non… »
Apparemment, elle a oublié notre dispute… mais à vrai dire, moi aussi, maintenant. Est-ce que je tiendrais, enfin, une piste ?!
« Bon. » Sacha se gratte la tête, puis soupir, « …Comment as-tu deviné que ça me ferait réagir ? »
« Je n’ai pas réfléchi, en vérité… J’ai agi par instinct ! …Ta bague m’a fait penser à ma chevalière, c’est tout. »
« Mouais, je vois. Ok… Je ne peux pas te laisser te balader avec un Anneau sans savoir de quoi il s’agit, je suppose. Ce serait trop dangereux… Pour toi comme pour moi. »
Mais au lieu de m’expliquer quoi que ce soit, elle sort son téléphone de sa poche, avec lequel elle appelle vivement quelqu’un.
Après un temps, son correspondant décroche et sans un bonjour Sacha annonce un : « La microbe à un Anneau. Reviens, s’il te plaît ! …Non je ne sais pas lequel c’est ! »
Elle se tourne vers moi, sans me permettre de m’offenser de la manière dont elle m’a appelée, m’aboyant de lui remontrer ma chevalière, ce que je fais, encore trop choquée.
« Alors… en métal, avec une pierre verte tachetée de blanc… et il y a un motif d’épée dessus… »
Le « QUOI ?! » choqué, qui retentit à l’autre bout du fil est si tonitruant que je l’entends distinctement ! La voix ne m’est pas étrangère…
Mais Sacha raccroche, sans me laisser l’occasion de réfléchir davantage.
« Il ne devrait pas tarder. »
En effet, à peine deux minutes après, la porte d’entrée s’ouvre sur un Mathieu qui respire bruyamment d’avoir couru !
« Doucement, vieux frère ! » s’écrit Sacha, alors qu’elle se précipite pour soutenir son ami.
« Merci… c’est… bon ! »
Affirmation que détrompe le soupire de profonde aise qu’il pousse quand il s’écroule dans le canapé…
Son souffle enfin à peu près retrouvé, il se tourne vers moi, la curiosité et une forme d’appréhension dans les yeux.
« Alors c’est vrai ce que m’a dit Sacha ? Tu as… ? »
Il ne finit pas sa phrase, puisque je lui présente la chevalière de mon père, serrée entre mon pouce et mon indexe.
Il l’observe sous toutes les coutures qui lui sont possible, bien que sans la toucher, clairement émerveiller.
« L’Anneau d’Excalibur, incroyable ! »