Chapitre 9 — Une aide impérieuse

Par Luru

Démétria s'accorda une pause. L'interrogatoire ne menait nulle part. Elle n'identifiait aucun mensonge dans les paroles de l'artificier, bien qu'il restât évasif sur certaines questions, notamment celles de la mort de son ami.

— Juré craché devant Rhamée que je vous dis la vérité ! s'exclama Moji en crachant un long filet de bave qui restait suspendu à ses lèvres.

La paladine se massa le front en soupirant. Cette voix stridente et pénible accentuait son mal de tête, à tel point que chaque mot prononcé bloquait sa respiration.

— Comme je vous l'ai dit, il vaut mieux que ces affaires soient entre de bonnes mains !

L'écho des paroles de Moji retentissait dans la rue et il reniflait entre chaque phrase.

— Puis ce n'est pas du matériel militaire, regardez !

Il se frotta la bouche à l'aide d'un mouchoir crasseux.

— Il n'y a pas d'emblème gravé sur cette boîte métallique ! Jamais, au grand jamais je n'aurai l'audace de voler l'Ordre du Bouclier ! Je suis quelqu'un d'honnête et de respectable moi ! C'est pour cette raison que je trouvais dommage de laisser tous ses outils ici, alors que je pourrais les ramener à mon atelier. Vous savez, on a jamais assez de boulons et les instruments de travail sont chers. Et comme je ne roule pas sur l'or, ça aurait été idiot de ma part de ne pas les prendre !

Moji fouillait dans une caisse avec énergie. Le déplacement des objets produisaient des sons métalliques qui résonnaient bruyamment.

— Je peux aussi vous assurer que Rufus aurait été d'accord pour me les léguer et... Oh !

Il s'interrompit et se retourna brusquement vers la paladine avec un large sourire. Il brandissait une clé à molette avec fierté, comme s'il s'agissait d'un trophée.

— Regardez-moi cette petite merveille ! Je la lui avais offert pour...

Moji se figea. Son sourire se décomposa quand il vit les traits déformés et les grands yeux de la paladine le fixer.

— J'aimerais que vous vous taisiez, articula froidement Démétria. J'ai besoin de réfléchir. Me suis-je bien fait comprendre ?

Il hocha la tête frénétiquement. Les paladins n'étaient pas connus pour leur sympathie et il préférait éviter de la mettre en colère. Ce n'était jamais une bonne idée de les contrarier. Les guerriers saints n'hésitaient pas à punir ceux qui leur manquaient de respect. Les plus chanceux s'en sortaient avec quelques membres cassés ou en moins, quant aux autres... il ne préférait pas y penser.

La fatigue rendait Démétria irritable, plus qu'en temps normal, et pour ne pas arranger les choses, la voix criarde de Moji qui tonnait comme un marteau dans sa tête ne l'aidait pas à se sentir mieux.

Épuisée, elle s'assit sur des décombres et passa une main dans sa longue chevelure platine. Il lui fallait de la tranquillité pour analyser la situation.

L'artificier ne lui avait apporté aucune information utile, mais l'apparition fugace de la Lumière ressentie plus tôt l'intriguait. La magie sacrée ne se manifestait jamais sans raison ni sans appel.

Après leurs récentes découvertes, Démétria était convaincue que les villages n'avaient pas été pas ciblés par hasard. Lors des investigations, ils n'avaient rien découvert de suspect ni trouvé de rapports liés aux mystères qui frappaient la région, mais un point commun reliait tous ces villages visités : ils possédaient tous un laboratoire d'ingénierie, appartenant à l'Ordre du Bouclier.

Les scientifiques du Sanctum utilisaient les cristaux de psynergie pour développer de nouvelles armes technologiques, afin de renforcer la domination de la Matriarche et d'assurer la sécurité du royaume. Certains ateliers se trouvaient isolés et dissimulés des infrastructures militaires, dont seuls les plus hauts dirigeants connaissaient l'emplacement.

Les laboratoires inspectés n'avaient rien de particulier, mais les paladins avaient une piste à suivre à présent. L'apparition d'un l'élémentaire de feu ainsi que cette espèce de dragon noir n'annonçaient rien de bon. Il était urgent d'élucider le mystère qui les entourait, avant que le pire ne puisse arriver.

La province de Pecunia, reconnue pour être fertile et verdoyante, devenait aride et provoquerait une crise importante dans la région. Cette sécheresse augmenterait et entraînerait des conséquences dramatiques pour les personnes vulnérables, en particulier les enfants. Les familles infortunées se retrouveraient coincées dans le piège de la pauvreté et cela créerait des conflits et la guerre.

Par expérience, Démétria pouvait prédire le sombre avenir qui attendait Pecunia si le problème n'était pas rapidement résolu. Les divergences perturberaient la production agricole. La population devrait être déplacée et cela conduirait à des situations d'urgences alimentaires. La nourriture deviendrait une arme et une nouvelle ressource, que seuls les plus riches sauraient se procurer.

Pour garder le contrôle de la situation, l'Archonte devrait affamer ses opposants, détruire les marchés locaux, miner les champs et contaminer les points d'eau. Une fois ses ennemis vaincus, il pourrait réinvestir dans l'agriculture sans craintes, et avec le temps tout rentrerait dans l'ordre.

Du moins, c'est ce qu'elle aurait fait pour préserver son titre et tenir la situation en main, si elle y avait été confrontée.

Bien sûr, cette catastrophe toucherait les provinces voisines et obligerait les Archontes à fermer les frontières face à l'arrivée massive de réfugiés, pour éviter que les soucis ne s'étendent à travers le royaume. Le temps de résoudre le problème à la racine.

Le temps...

Un luxe dont elle ne disposait pas.

Avant toute chose, elle devait avertir la Matriarche de la menace. Alors qu'elle s'apprêtait à prendre son communicateur, elle se rappela que celui-ci avait été endommagé et qu'elle n'avait plus de moyen pour contacter Sa Sainteté.

La situation ne peut pas être pire, pensa-t-elle.

Son regard se posa sur la carcasse fumante du reptile. Cette créature ne se trouvait pas dans son milieu naturel. Sa manifestation demeurait encore une énigme pour la paladine.

Elle se mit alors à réfléchir à tous les scénarios possibles et plus elle y pensait, moins elle arrivait à se concentrer. La douleur continue dans sa tête se propageait. Elle payait sa consommation abusive du fénétyllium.

Depuis le temps qu'elle en prenait, et malgré son addiction, elle ne s'était jamais habituée à son effet dévastateur. Elle avait besoin de calme. Une tranquillité que refusaient de lui accorder des gargouillements incessants qui commençaient à l'agacer.

Elle leva les yeux et vit Moji se tortiller dans tous les sens. Il se balançait sur la pointe des pieds et affichait une grimace en se mordant les lèvres. Il ouvrit la bouche comme s'il voulait parler, mais il se ravisa quand leurs regards se croisèrent.

— Qu'y a-t-il ? demanda-t-elle excédée.

— Dites, si vous n'avez plus de questions, articula difficilement l'artificier pris entre deux spasmes, puis-je aller au petit coin ? Je crois que ma diarrhée aiguë n'est pas encore guérie. Je pensais qu'en mangeant des choux ça irait mieux, mais j'ai l'impression que ça empire...

Une série de petits pets bruyants vinrent ponctuer sa phrase.

D'un mouvement sec, elle lui fit signe de s'en aller. Il l'horripilait ! Ce n'était pas le moment de l'importuner !

Moji s'éloigna à toute vitesse courbé vers l'avant. En apercevant son maître partir derrière une maison, Dux le suivit et relâcha la caisse en bois qu'il tenait en main. Celle-ci retomba lourdement sur le sol et la moitié de son contenu s'en échappa. Le fracas de la boite irrita Démétria qui appuyait de toutes ses forces sur ses oreilles.

Le silence retomba. Elle inspira longuement et profita du moment présent. Un bref instant de tranquillité interrompu par un pet tonitruant, comme le tonnerre, venu du coin de la rue. Ses membres se crispèrent et une envie de meurtre l'envahissait. Et comme si ça ne suffisait pas, une terrible puanteur d'une flatulence vint l'agresser. Moji ne cessait de geindre, et tout à coup un éclat similaire à celui d'un volcan en irruption retentit.

C'en était trop ! Elle bondit sur ses pieds et s'éloigna pour rejoindre Remak, avant de perdre le contrôle de ses nerfs.

Démétria l'aperçut en compagnie d'Hadvar. Les deux hommes étaient installés sur un muret délabré. Une lueur blanchâtre rayonnait des mains du paladin qui soignait les plaies du milicien. Quand le monstre lui avait planté ses griffes dans le dos, elle ne pensait pas qu'il y survivrait. C'était un miracle qu'il soit en vie.

— C'est tout ce que je peux faire, s'excusa Remak. Vous garderez les stigmates de cette rencontre.

Il referma son grimoire et le rangea, avant de se relever.

— Comment vous sentez-vous ?

— Mieux. La douleur a presque disparu, merci.

L'expression d'Hadvar ne laissait aucun doute sur son anxiété. Il restait immobile le regard dans le vide, comme s'il était figé dans le temps. Le monde ne lui avait jamais semblé aussi hostile et imaginer que de tels monstres puissent exister le terrorisait.

— Ne soyez pas si sombre, Hadvar. Vous êtes vivant, exprimez votre enthousiasme mon brave ! Vous avez la chance de pouvoir retourner auprès de votre bien aimée ! Voyez les choses du bon côté, vous allez pouvoir vous en vanter !

Il lança un coup d’œil discret derrière lui, puis il poursuivit avec une voix plus basse.

— Entre nous, avec une telle marque vous auriez du succès auprès des Vierges. Je suis bien placé pour savoir de quoi je parle, se vanta-t-il en gonflant sa poitrine.

Il donna une tape amicale dans le dos du milicien qui faillit perdre son équilibre.

— Si vous le dites, répondit Hadvar avec un léger sourire en coin en s'imaginant exhiber sa blessure à Rachel.

Il lui répéterait ce que le paladin venait de lui dire pour l'impressionner ! Il savait qu'elle admirait ces combattantes et si ça pouvait jouer en sa faveur, il commençait à se dire que ce n'était pas une mauvaise chose. Il se demandait comment Rachel réagirait après lui avoir raconté cette terrible histoire, qu'il oubliait presque que cette mésaventure avait été traumatisante.

Il fut sorti de ses pensées en apercevant la paladine se diriger vers eux d'une extrême lenteur. Elle avançait avec difficulté, comme si une partie de ses membres refusaient de lui obéir.

— Elle n'a pas l'air d'être dans son assiette, remarqua Hadvar.

— Ça lui passera, répondit Remak contrarié. C'est une vraie tête de mule et maintenant elle paie les conséquences de ses actions irréfléchies ! Elle a juste besoin d'un peu de repos.

Le paladin observait son amie avec un regard désapprobateur. Sa témérité lui causait beaucoup de soucis. Des fois, il se demandait si c'étaient des actes de bravoure ou de bêtise, mais il reconnaissait que son manque de prudence leur avait permis de faire face à des situations difficiles. Cependant, il craignait qu'un jour sa négligence ait raison d'elle.

Remak s'inquiétait en voyant son état. Il doutait de ses paroles. Un cachet de fénétyllium ne devrait pas avoir autant d'effet sur elle, mais était-ce peut-être l'utilisation de ses puissants sorts qui l'affaiblissait ainsi. Elle n'y avait pas été de main morte pour vaincre le monstre.

Démétria trébucha sur des décombres et faillit perdre son équilibre. L'expression qui déformait son visage témoignait les douleurs persistantes qu'elle subissait. Elle s'adossa contre le mur d'une maison délabrée et se laissa glisser pour s’asseoir.

Un malaise profond la submergeait. Ses maux de têtes intenses l'irradiaient et elle éprouvait des difficultés à respirer. Sa vue devenait trouble et tout ce qui l'entourait devenait confus.

J'ai mal. Cette douleur est insupportable. Tout devient noir, que m'arrive-t-il ?

Soudain, elle tomba brutalement sur le côté en produisant un petit cri aigu. Son corps fut pris dans une violente série de spasmes. De l'écume se libérait de sa bouche et de longs filets de bave dégoulinait sur son menton.

Remak sentit tout son corps se raidir quand il la vit s'écrouler. Elle faisait une crise !

 

* * * * * * * * * * *

 

L'état de Démétria se stabilisait. Sa respiration était redevenue régulière et sa température avait baissé. Le cœur de Remak devint plus léger, la potion s'avérait efficace.

Ses pouvoirs n'avaient pas été suffisants pour lui venir en aide et ça l’inquiéta. Sa consommation du fénétyllium devenait trop dangereuse, il ne pouvait pas se permettre qu'elle meure d'une surdose. Il fouilla les poches de la paladine à la recherche de la drogue et en retira un petit tube blanc.

Remak enleva le capuchon et compta le nombre de cachets restant. Sa mâchoire se serra. Il dut se contenir pour ne pas exploser de colère. Cette inconsciente avait ingurgité la moitié de son contenu ! Sur les dix cachets, il n'en restait que cinq.

Il avait toléré son utilisation jusqu'à maintenant, mais cette fois-ci Démétria avait dépassé les limites. Il ne voulait plus voir ce poison entre ses mains. Elle était une paladine, une fière et puissante défenseure du royaume de Sancturia. Si elle devait mourir ça serait au combat et non à cause d'une dose mortelle d'une drogue utilisée par les lâches.

Irréfléchie. Arrogante. Obstinée et rétive aux conseils. Elle n'avait guère évolué avec les années. Elle se croyait invincible et son avis ne changerait pas après avoir vaincu ce monstre. Il était temps de lui faire comprendre que son ancienne vie était révolue.

Remak jeta le contenu du tube à terre et piétina avec rage les comprimés n'en laissant que de la poussière. Désormais, elle n'en aurait plus besoin.

Bien sûr, cela ne plairait pas à Démétria, et sa colère serait à son paroxysme. Dans ces moments, il ne valait mieux pas discuter avec, mais depuis trop longtemps il se retenait de lui exprimer son fond de pensée pour éviter les conflits. Cette fois, il comptait bien lui dire ses quatre vérités.

Son attention fut soudainement attirée par des bruits sourds. L'artificier se dirigeait vers eux accompagné de son golem de bronze.

Alors qu'il passait à côté du cadavre de la créature, Moji y jeta à peine un regard avant de se figer. Il ajusta ses lunettes sur son nez, puis dit quelque chose d'incompréhensible à Dux en montrant du doigt le monstre.

Sans les quitter des yeux, Remak se demandait ce qu'ils étaient en train de faire. Il vit le golem s'approcher de la bête, lever un bras et l'abattre sur son crâne de toute ses forces. Le coup avait été si puissant, que le corps du mastodonte s'était soulevé et il avait senti le sol vibrer sous ses pieds.

Il ne restait plus qu'un tas de bouillie de la tête. Dux se retourna vers son maître et émit un son métallique résonnant pour le rassurer.

Moji s'agenouilla près du cadavre et commença à fouiller les tripes à la recherche de quelque chose qu'il convoitait. Il plongea son bras dans la créature jusqu'à l'épaule et tira la langue en guise d'effort.

Hadvar et Remak échangèrent un regard interrogateur. Que pouvait bien chercher l'artificier ?

Son bras semblait coincé. Moji s'aida de ses pieds pour se dégager. Il poussa de toutes ses forces, se libéra d'un coup sec et retomba sur le dos après avoir fait une culbute arrière.

Un objet de forme arrondie, englobé d'un sang sombre et visqueux, se trouvait dans sa main. Après un court instant, ses braillements similaires à des cris de joie retentissaient dans les rues, provoquant l'envol des corbeaux perchés sur les toits des maisons.

Qu'est-ce qu'il a bien pu trouver ? se demanda Hadvar.

Une idée fugace lui passa à l'esprit, mais il la balaya rapidement. Cela ne pouvait pas être ce qu'il pensait, ça serait absurde.

Démétria se redressait avec difficulté sur ses coudes. Les beuglements de Moji l'avait réveillée et cela ne la ravit pas. Elle affichait une affreuse grimace.

— Par la Sainte Virginia (1), va-t-il la fermer ? Ou dois-je m'en occuper moi-même ? gronda-t-elle.

Ses yeux d'assassin, injectés de sang, donnèrent un frisson à Hadvar tandis que Remak en tirait une petite satisfaction personnelle. Il dut se retenir pour ne pas sourire. Il en aurait pris pour son grade.

Moji gesticulait, ses mouvements se composaient de rythmes saccadés lents et fluides, accompagnés par les rebonds de son ventre.

Cette fois-ci, Remak ne put se contenir. La drôle de danse de l'artificier s'expliquait par une joie profonde qui arracha également un léger sourire à Hadvar.

Seule la paladine restait insensible. Elle fixait cet énergumène d'un air mauvais.

— Qu'avez-vous trouvé qui vous mette de si bonne humeur ? demanda Hadvar.

— Une pierre de psynergie !

Tout le monde se figea, excepté Moji.

— Si on m'aurait dit que j'en trouverais une dans les tripes d'une créature, je ne l'aurais pas cru ! Je me demande bien comment elle a pu atterrir là, mais qui s'en soucie, hein ?

Il sortit de sa poche son chiffon crasseux et commença à nettoyer le sang qui la salissait. Une faible, et à peine perceptible, lueur orange en émanait. Une fissure parcourait le cristal de bas en haut et celle-ci s'assombrissait doucement.

— Oh, non ! Non. Non, non ! Elle est inutilisable ! Quel gâchis...

Toute sa bonne humeur disparut subitement pour laisser place à de la tristesse.

— Faites-moi voir, demanda Démétria qui s'était relevée.

Elle se servait du bras de Remak comme appui.

— Cette pierre a été raffinée, répondit Moji, et elle est brisée. Vous ne pourrez rien en tirer.

— Donnez-la-moi.

Le ton de sa voix avait été plus agressif qu'elle ne le souhaitait.

Moji lui tendit la pierre avec hésitation. Il craignait recevoir un mauvais coup.

— Puis-je la récupérer quand vous en aurez terminé ? osa-t-il demander.

La paladine lui arracha le cristal des mains sans lui répondre. Elle le tourna dans tous les sens, cherchant la moindre anomalie ou indice.

L'artificier avait raison. C'était bien une pierre raffinée dont les propriétés avaient été modifiées. La faible énergie qui en émanait, était identique à celle ressentie plus tôt. Pourquoi ce monstre avait-il cette chose en lui ?

— Ceci est à l'origine de ce que nous avons découvert sous l'église.

Elle s'adressait à Remak.

— Alors nous devons avertir la Matriarche de nos découvertes, s'empressa-t-il de dire.

— Nous ne pouvons pas.

— Qu'est-ce vous racontez ? Sa Sainteté doit être avertie au plus vite de la menace !

— Ne m'interrompez pas quand je parle et parlez moins fort ! s'énerva-t-elle.

Démétria frappa l'épaule de Remak avec le peu de force qu'elle disposait. Pourtant, même affaiblie son coup fit reculer le paladin d'un pas.

— Le communicateur a été endommagé lorsque l'église s'est écroulée, reprit-elle. On ne peut plus entrer en contact avec la Matriarche.

Elle posa ses yeux argentés sur Moji.

— Je vais garder cette pierre. Ceci est une preuve du danger qui plane sur cette région, dit-elle d'un ton ne permettant aucune contestation.

— Attendez, et si la même chose se produisait que dans les sous-sols, contesta Remak. C'est trop dangereux Démétria.

La paladine secoua la tête.

— Elle se vide de son énergie. On ne risque rien.

Elle montra le cristal raffiné qui s'assombrissait.

— Hadvar, ne m'aviez-vous pas dit avoir sauvé l'enfant dans une forêt proche d'ici ?

— Si, pourquoi ?

Il ne comprenait pas où elle voulait en venir. Quel rapport avec le cristal ?

— Vous avez également mentionné la présence d'esprits de bois qui rôdaient près de l'endroit où vous l'avez trouvé.

— Oui, et ? Qu'est-ce que ça à voir ? dit-il agacé.

— Pendant que nous étions dans le laboratoire, j'ai ressenti une puissante énergie identique à celle perçue, lorsqu'un élémentaire de feu a tenté de se matérialiser. Je suis persuadée que ces pierres raffinées permettent d'invoquer des créatures dangereuses d'un autre monde dans le notre après avoir absorbées assez d'énergie. Quelqu'un cherche à nous nuire et nous avons besoin d'en savoir plus. L'enfant devait en avoir une sur lui et ce monstre en possédait une également. Heureusement pour nous, la pierre a été fracturée... car si mon sort avait été absorbé, je n'ose pas imaginer ce qui aurait pu se produire, continua-t-elle pour elle même.

Les deux hommes sentirent leur estomac se nouer. Hadvar et Moji la regardèrent avec incrédulité. S'ils n'avaient pas croisé ce monstre reptilien, ils auraient eu du mal à croire à cette histoire. Néanmoins, la paladine n'avait aucune raison de mentir.

— J'aimerais que vous nous conduisez à cette forêt.

La respiration d'Hadvar se bloqua. Voulait-elle vraiment aller dans cet endroit hanté après tout ce qu'il lui avait raconté ?

— Vous nous montrerez l'endroit où vous avez trouvé l'enfant.

Démétria comprit que l'idée ne plaisait pas au milicien. Elle s'avança vers lui en chancelant. Remak l'agrippa et l'aida à se redresser. Ses maux de tête étaient toujours présents et son corps restait faible.

— Et si je refuse de vous suivre jusqu'à cette forêt, vous allez me tuer ?

— Non, répondit calmement Démétria.

Remak la regardait surpris. Il s'attendait à un sursaut de fureur de sa part. Ce n'était pas dans ses habitudes de se montrer clémente face à un refus.

— Je ne vous obligerai pas à nous suivre, mais vous ne pourrez vous en prendre qu'à vous même si un malheur s'abat sur votre village. Votre aide pourrait préserver la vie de ceux qui vous sont chers. Et je sais aussi que vous ne me dites pas tout.

Ses lèvres formèrent un petit sourire en coin.

Dans d'autres circonstances, elle n'aurait pas hésité à lui ôter la vie pour cette rébellion. Cependant, son compagnon et elle étaient bien trop affaiblis pour lutter contre un golem, si son propriétaire lui ordonnait de se retourner contre eux. La violence n'était pas la solution. Elle devait se montrer plus maligne. Puis, avoir un automate de ce gabarit à ses côtés la rassurerait le temps qu'elle récupère ses forces.

En lui faisant ressentir de la culpabilité, il se sentirait obligé d'aller dans la direction qu'elle voulait qu'il prenne. Et cela fonctionnait. Le milicien réfléchissait et cherchait le soutien de Moji qui haussait les épaules.

Hadvar soupira et à contrecœur, il accepta de guider les paladins jusqu'à la Forêt des Spectres. Il se répétait sans cesse qu'il ne le faisait pas pour les habitants de Bourg-d'Argent. Non, il le faisait pour Rachel, son précieux rayon de soleil.

C'était la seule chose qui lui importait.

 

* * * * * * * * * * *

 

Peu de temps après le départ des gêneurs, les charognards s'étaient jetés sur le cadavre de la créature vautré au milieu de la rue, formant un amas noir de plumes. Ils avaient dû attendre des heures avant de pouvoir y toucher.

Ils se goinfraient tous de ce repas béni. Le monstre avait déjà été bien entamé, car une partie de ses côtes dévoilaient de longs os.

Un puissant croassement retentit. Un grand corbeau se posa au milieu de ses congénères qui s'écartèrent. Aucun n'osait s'en approcher. De son impressionnante taille, il tenait en respect ceux qui oseraient le défier. Son bec noir était plus épais et légèrement courbé, tandis que son cou massif était recouvert de longues plumes ébouriffées teintées d'un bleu sombre.

Il vociféra en direction de ceux qu'il estimait encore trop près en déployant ses longues ailes. Un éclat passa dans son iris brun foncé. Il était le plus fort. Il le savait et en profitait pour s'approprier une plus grande part du festin qui l'attendait.

Oh, comme il avait hâte de commencer...

Il becqueta cette chair appétissante et se gava, apaisant ainsi la faim qui l'habitait depuis des jours.

Soudain, il rencontra quelque chose de dur sous les tissus du cadavre. Une lueur orange en émanait. Sa curiosité le piquait au vif, qu'il en oublia son appétit et fut attiré par cette lumière.

Il dégagea la pierre cristallisée coincée entre les os. Un faisceau jaunâtre à l'intérieur du joyau la parcourait de haut en bas. D'autres corbeaux se retournèrent et s'avancèrent. Le charognard ne leur prêtait pas attention, il se trouvait hypnotisé par la beauté de ce bijou.

Il donna plusieurs coups de becs. Son intérêt pour ce mystérieux joyau s'agrandissait. Une douce chaleur s'en dégageait et la lumière émise grandissait lentement.

Puis, tout à coup, elle brilla comme un soleil. Les corbeaux prirent brusquement leur envol, saisis par le flash. De nombreux filaments rouges s'en échappèrent, frappant tous les oiseaux qui tentaient de fuir. Aucun n'avait pu parcourir assez de distance pour s'éloigner de ce piège.

La pierre se nourrissait de leur essence vitale et quand elle eut assez d'énergie, les liens magiques se dissipèrent dans une poussière rougeâtre. Les corps des oiseaux retombèrent dans la boue, telle une pluie noire.

La pierre lévita à quelques mètres du sol. Elle bouillonnait d'énergie. Des fissures s'étendaient sur sa surface lisse et une lumière jaunâtre s'en dégageait. Une explosion retentit lorsque le cristal se brisa. Une brèche apparut à travers la réalité. Elle formait un disque doré, s'étirant sur ses deux extrémités qui fouettaient l'air.

Une silhouette humanoïde à la peau rouge, dont la moitié du visage était brûlée et stigmatisée par un symbole complexe, en émergea. Ses cheveux, d'un noir profond, étaient assemblés en une longue queue de cheval qui retombait sur son épaule. Il ressemblait aux humains. Mais ce qui le différenciait, outre la couleur de sa peau, étaient ses petites cornes en forme de lyre sur le front, ses longues oreilles et ses yeux jaunes.

La faille rétrécissait et se refermait derrière lui, avant de disparaître dans un grondement à peine perceptible.

L'individu regarda autour de lui pour savoir dans quel endroit il avait atterri. Il ne semblait guère surpris. Il balaya d'un revers de main la poussière qui s'était posée sur son manteau pourpre. Une odeur de putréfaction vint agresser son odorat et il ne put s'empêcher de grimacer.

Quelle est donc cette odeur répugnante ? se demanda-t-il.

Il se retourna et aperçut le cadavre du monstre reptilien, autour duquel gisaient les corps sans vie de nombreux corbeaux. La mort de ces animaux n'était pas un mystère pour lui. La pierre avait siphonné leur énergie vitale afin de lui offrir un passage vers ces terres. L'attente avait été longue, mais cela en avait valu la peine.

Leur sacrifice lui permettait de continuer la mission que son maître lui avait confié.

Il sortit du village pour être hors de portée de l'odeur nauséabonde que dégageait le cadavre. L'individu sortit de sa veste une vieille carte de la région ainsi qu'une boussole pour connaître son emplacement.

Une rivière traversait le village. Au nord des terres arides qui l'entouraient, se situait une chaîne de montagnes qui s'étendait vers l'est. L'individu soupira. Sa destination se trouvait à six jours de marche.

Parcourir ce monde avec cette apparence effrayerait les habitants et sa quête nécessitait de la discrétion. Se balader parmi les humains ne posait aucun problème. Il n'aurait qu'à leur donner une perception fausse de la réalité.

Et ça tombait bien, car c'était justement le domaine dans lequel il excellait !

Il sortit de sa bandoulière un masque arlequin qu'il mit sur son visage. Un voile translucide et flouté l'entoura brièvement, le temps de donner une nouvelle apparence qui lui seyait.

Celle d'un modeste humain.

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Halycanth
Posté le 13/10/2019
(paragraphe 21, tu as écrit "un l'élémentaire de feu", sinon j'ai rien vu d'autre)

Bon ben je vais faire un seul commentaire pour les deux derniers chapitres, ce sera plus simple ^^
Déjà j'ai du mal à comprendre la relation hiérarchique entre Remak et Demetria, mais j'imagine que soit ça finira par être plus clair des qu'ils croiseront une autorité soit mes armées de la Matriarch n'ont pas un système classique de hiérarchie. Mais c'est pas choquant, leur relation est tout à fait compréhensible quand même.

Ensuite, ton bestiaire s'agrandit de façon exponentielle, c'est chouette ! Tu as le chic pour donner vie à des créatures toutes plus cauchemardesques les unes que les autres.

Par contre, Demetria m'a l'air vachement solide pour pouvoir faire des raisonnements de géopolitique alors qu'elle est entrain de faire une overdose 😆

Sinon rien à redire, à part que ça commence à faire longtemps qu'on ne parle plus de Rachel 😶 J'espère qu'après tout ce qui lui est arrivé elle n'est pas morte en hors-champ...
Luru
Posté le 18/10/2019
Bien vu pour la faute ! Je vais aller corriger ça.

La relation entre les deux paladins peut sembler ambiguë si tu n'as pas lu la nouvelle. Mais pas de panique, au fur et à mesure de ta lecture, tu apprendras à mieux les connaître !

Content que tu apprécies le bestiaire, celui-ci va continuer doucement à s'agrandir, mais pas trop. ^^ Je ne souhaite pas submerger le lecteur avec un bestiaire digne d'une encyclopédie, héhé.

Concernant Démétria, elle parait solide, mais intérieurement je peux t'assurer qu'elle le paie cher. Il va lui falloir du temps avant d'être à nouveau entièrement sur pieds.

Quant à Rachel, ça tombe bien car j'ai pu finir le chapitre 10 pour aujourd'hui ! Je vais publier la première partie de celui-ci, car il est un peu plus conséquent que les autres chapitres.

Encore merci pour ta lecture et ton assiduité, ça me fait extrêmement plaisir ! ^^
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