Chapitre deux

Par Oriane

La Mère Anneke, petite blonde entre deux âges, ouvrit la porte aux trois hommes attendant dans le couloir. Ce n'était pas trop tôt. Encore une fois, la Kharmesi les faisait attendre sans le moindre ménagement. Pourtant, aucun des trois n’en fit la remarque aux femmes présentes dans la salle, Marco encore moins que les deux autres.

L'archiviste entra en dernier dans la pièce. Il salua d'un signe de tête les deux Mères et s’inclina devant la Kharmesi. Elle ne le remarqua même pas, ou fit mine de ne pas le voir. Il savait que ce n'était pas le cas. Elle ne perdait pas une seule miette de ce qu'il se passait devant elle. Jamais.

Il prit place derrière le comte et son fils, Enric, son carnet sur les genoux, prêt à écrire. Les deux nobles attendaient que les Mères prennent la paroles. On ne parlait pas s'en y être invité à la Kharmesi. Même lorsque vous lui apportiez des nouvelles attendues depuis longtemps. Il profita du silence et du calme ambiant pour observer la femme au masque. Elle semblait ailleurs, une fois de plus. Elle fixait un point droit devant elle, sans prêter attention aux personnes attablées. Ses ongles s'enfonçaient régulièrement dans ses paumes. Il se demandait quelle expression pouvait se lire sur son visage.

— J'espère que vous venez m'annoncer de bonnes nouvelles, lança-t-elle sans préambule.

Tout le monde se tourna vers elle. Elle changea totalement de comportement. Plus d'ongles dans les paumes, plus de regard dans le vide. Elle en imposait soudain d'avantage que les deux femmes autour d'elle.

— Ma Dame, j'aimerais beaucoup vous satisfaire sur ce point, commença Alan de Lordet.

— Mais ce n'est pas le cas ? le coupa-t-elle.

Le comte baissa la tête. Non, effectivement, les nouvelles n'étaient pas bonnes. L'archiviste attendit que le comte reprenne la parole, la pointe de son crayon contre le papier.

— Mes espions ne me rapportent que rarement de bonnes nouvelles, ma Dame. Et cette fois ne fait pas exception.

— Nous vous écoutons.

Il était toujours aussi étrange de voir Alan de Lordet parlait avec déférence, presque peur parfois, à cette femme. C’était un homme intransigeant, qui ne laissait rien passer. Ses coups de sangs étaient connus dans tout le comté. Mais, à cette table, il était un enfant face à ses parents. Un gamin ayant fait les pires bêtises et ne les assumant pas. L'aura de la Kharmesi y était pour beaucoup. Tout le monde se sentait petit face à elle. Le masque presque entièrement rouge inspirait la peur tout autant que son attitude froide.

Le comte exposa la situation, de plus en plus préoccupante. Ce n'était pas la première fois que Lordet était la cible de pillards. Sauf que cette année, tout le monde avait l'impression qu'ils étaient plus nombreux et plus téméraires.

La Kharmesi écouta en silence, toujours aussi droite sur sa chaise. Au milieu de l'exposé, elle se leva sans rien dire. Elle se mit à faire les cent pas sous les regards curieux. Le comte ne se laissa pas perturber, cela arrivait souvent. La femme ne tenait pas en place durant les réunions, comme si elle réfléchissait mieux debout. Il continua. Lorsqu'il eut fini, elle se rassit. Le silence s'installa alors, pesant.

— Merci, mon seigneur, finit-elle par dire. Je sais que la période est compliquée. Malheureusement, si vos nouvelles sont mauvaises, les miennes ne sont pas meilleures. La Maison des Mères ne pourra pas vous aider.

Le comte baissa une nouvelle fois la tête. Il s'y attendait. La nouvelle fut plus dure à encaisser pour son fils. Enric tapa du poing sur la table, faisant sursauter les deux Mères. La Kharmesi planta son regard dans le sien. Elle semblait plus intriguée qu'en colère. Cela restait difficile à dire.

— Vos soldates pourraient se joindre aux nôtres. Vos pisteuses sont peut-être les meilleures ici, tout comme vos archères. Vous n'avez qu'un mot à dire pour qu'elles se joignent à nos hommes ! s'indigna Enric.

— Et je ne le dirai pas.

Marco releva les yeux de sa feuille, intrigué. La jeune femme brune fixait Enric. Les ombres sur le masque donnait presque l'impression qu'elle souriait. Ce n'était pas le cas, devina l'archiviste. Pour la première fois depuis qu'il assistait à ces réunions, une émotion transpirait dans la voix de la Kharmesi, la rendant soudain terriblement humaine. Cette impression disparut dès qu'elle continua.

A nouveau, ils avaient face à eux la froide Déesse Rouge.

— Les soldates de la Maison des Mères ne sont pas assez nombreuses pour se joindre à vos hommes et pour assurer en même temps notre sécurité ici. Notre mission n'est pas de réprimer les raids et les pillards.

— Votre mission... Ces gens sont vos fidèles autant que votre peuple !

Enric ne se rendait pas compte de ce qu'il se passait à l'autre bout de la table. Marco, en tant que spectateur et rapporteur de la rencontre, avait l’œil sur tout. Plus particulièrement sur les Mères et la Kharmesi. Il ne sut pas si c'était le regard presque horrifié de la Mère Anneke ou bien le poing se refermant de la femme masquée qui lui donna l'alerte. Voyant que cela risquait de dégénérer, il laissa tomber son crayon par terre.

— Veuillez m'excuser, murmura-t-il.

Son intervention peu discrète eu le mérite de calmer un peu les esprits. La Mère Supérieure en profita pour faire dévier la conversation vers un sujet moins tendu. Le comte s'engouffra dans la brèche, trop heureux d’éviter une dispute entre son fils et la femme au masque.

A partir de cet instant, ni la Kharmesi, ni Enric ne prirent la parole.

Marco continua de prendre des notes. Il n'écoutait plus que d'une oreille. Ils en étaient au moment ennuyeux de la réunion, celui où ne s'échangeait que des banalités. Les plus âgés appréciaient le calme relatif qui régnait à cet instant. Ce n'était pas le cas de la Kharmesi. Elle donnait l'impression de s'ennuyer autant qu'Enric. Le jeune comte, avachi sur sa chaise, ne la quittait pas des yeux. Elle faisait comme si de rien n'était, évitant délibérément son regard.

La réunion se finit peu de temps après. Marco rangea ses affaires tandis que le comte et son fils se levaient. Les Mères les saluèrent sans bouger. La Kharmesi se leva presque en même temps qu’eux. Elle prit tout le monde au dépourvu en se dirigeant vers la porte. Elle salua d'un signe de tête le comte et marcha sur Enric. Marco était assez prêt pour entendre ce qu'elle murmura au jeune noble :

— Cette nuit, sur la plage.

Elle n'attendit pas, sortit de la pièce. Marco questionna Enric du regard. Il n'obtint pas de réponse. Son ami était aussi surpris que lui par cette sortie. Que pouvait-elle bien vouloir au jeune comte ? C'était bien la première fois qu'elle prenait les devants ainsi, qu'elle donnait un rendez-vous sans l'accord des Mères et hors de la Maison. Un début d’émancipation qui ne présageait rien de bon pour les femmes qui l'entouraient. Si la Kharmesi passait outre les avis de la Mère Supérieure, cela ne pouvait qu'être explosif. Marco avait terriblement envie d'être le témoin de ce qu'il voyait déjà comme une rébellion de la part de la femme au masque.

Il devait convaincre Enric de l'accompagner.

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TheRedLady
Posté le 02/02/2022
politique et religion ne font pas bon ménage, décidément, je n'envie pas la position d'Alana.
J'aime bien l'idée de l'archiviste qui assiste et retranscrit tout, un peu comme les historiens en corée, ça ajoute une touche culturelle très appréciable, vu que pour le moment, on est dans le flou concernant l'époque et les influences culturelles de ton histoire.
J'aimerais bien savoir à quoi ressemble ce masque, qu'il soit décrit, ainsi que les habits de la Kharmesi. ça donnerait plus de corps à ton récit !

petite remarque : Marco a l'air de "lire au travers" du masque d'Alana. ça me dérange un peu, parce qu'il est censé dissimuler le visage et donc les expressions du personnage, mais tu dis qu'il voit où se dirige son regard, et du coup, ça casse le mystère. quand tu dis qu'il voit ses mains bouger et qu'il en déduit l'ennui/la frustration, ça je valide, et c'est un bon point pour lui, il est très observateur n_n
Oriane
Posté le 03/02/2022
Oh, je ne connaissais pas les historiens en Corée. Je vais me renseigner dessus. Sur le coup, mes Archivistes, c'est juste que j'apprécie l'idée que tout soit répertorié (et que ça aura son importance dans un autre roman des Archives qui arrivera bien plus tard et qui se passera justement dans la ville d'origine des Archiviste). Pour le masque, j'ai un dessin de celui-ci que j'ai fait mais c'est vrai que maintenant que tu le dis, à part qu'il ait du rouge, je crois que je ne le décris jamais réellement. Il est en fait basé sur les masques vénitien, très couvrant, la moitié inférieure est blanche avec une bouche bien rouge, la supérieure est donc rouge avec une bande noire, le tout est rehaussé d'un peu de dorée (je vais inclure quelque part je crois)
Merci pour la remarque. C'est un détail qui ne m'avait pas sauté aux yeux.
Edouard PArle
Posté le 25/08/2021
Très bon 2e chapitre, les personnages du comte et de son fils semblent très intéressants. Hâte d'en savoir un peu plus sur la "Kharmesi" et sur tous les personnages en général.
Petites fautes :
"Alan de Lordet parlait avec déférence" -> parler
"Son intervention peu discrète eu le mérite" -> eut
Oriane
Posté le 01/09/2021
Merci beaucoup pour ton passage.
Je prend note pour les fautes.
Ella Palace
Posté le 10/07/2021
Bonjour Oriane,

jolie chapitre, agréable à lire, fluide et aussi intriguant que le premier. Il y a vraiment tout un mystère autour non pas seulement de la femme au masque mais de tous les personnages et de ce qui les entoure. Ca suscite ma curiosité!

Petites remarques "techniques" (toujours si cela va pour toi):

-« Ma Dame, j'aimerai beaucoup vous satisfaire », j’aimerais.
-« Il était toujours aussi étrange de voir Alan de Lordet parlait avec déférence, presque peur parfois, à cette femme », parler avec déférence ?, presque avec peur parfois ?
-« ce n'était pas la première fois que Lordet était la cible…. ce n’était pas la première fois que cela arrivait », redondance « ce n’était pas la première fois ».
-« « s'indigna Enric », oublié le point en fin de phrase.
-« Et je ne le dirais pas », dirai.


Au plaisir
Oriane
Posté le 12/07/2021
Bonjour Ella,

Merci beaucoup pour ton passage.
N'hésite pas pour les remarques techniques. J'ai beau l'avoir lu plusieurs fois, je continue à ne pas voir certaines fautes ou les répétitions.
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