Chapitre dix

Par Oriane

Le masque sur son visage la dérangeait. Elle s'était peut-être un peu trop habituée à ne plus le porter. Lorsqu'elle l'avait repris des mains d'Elvire à son retour, ses mains avaient tremblé. Elle aurait voulu le jeter par la fenêtre, le faire disparaître. Ce n'était plus le cas. Dès le lendemain, elle était à nouveau la Kharmesi, la Déesse Rouge parmi les Hommes.

Anneke renifla à peine assez fort pour qu'elle soit la seule à l'entendre. Si les Mères n'étaient pas au courant de son échappée, elles avaient tout de même quelque chose contre elle. Sûrement le changement de tempérament à son retour. Elvire était bien trop gentille. Alara supposait qu'elle avait promis quelque chose un peu trop vite et qu'elle ne lui en avait pas encore parlé. Elle devrait élucider ça. Elle n’avait pas la moindre envie de devoir quelque chose à Mairenn et sa clique sans l’avoir elle-même décider.

Elle commençait à regretter de ne pas être rester avec les troupes dans la campagne. Elle y aurait été plus au calme que dans ce salon.

— Si vous avez quelque chose à me dire, faites-le. Je ne supporte plus vous entendre renifler, s’exaspéra soudain Alara.

Anneke leva les yeux de son ouvrage. Elle fixa la jeune femme avant de se replonger dans sa broderie. Elle tentait de mettre les nerfs d’Alara à rude épreuve.

Elle y arrivait parfaitement.

— Cela fait deux jours que vous ne dites rien et vous contentez de renifler. Je sais très bien ce que cela vous dire, Anneke. Alors, crachez le morceau, criez-moi dessus et au moins, je pourrais me replonger dans mon travail.

— Tu as désobéi, Alara, finit par dire Anneke.

La Kharmesi leva les yeux vers la Mère, surprise. Anneke ne pouvait tout de même pas savoir ? Qui aurait pu lui dire qu’elle était partie avec Enric de Lordet ? Elle respira profondément, calma autant qu’elle put l’angoisse naissante et demanda d’une voix claire :

— En quoi ?

— Nous t’avions demandé de ne pas te mêler de ce qu’il se passe à la frontière. Il me semblait pourtant que nous avions été claire sur ce point. Et toi, qu’as-tu fait ? Tu as envoyé ta garde personnelle avec le seigneur Enric sans nous en parler. Tu es sans protection par caprice.

— Ce n’était pas un caprice. Le jeune de Lordet a besoin de plus d’hommes pour mener à bien sa campagne. L’hiver sera bientôt à nos portes. Voulez-vous vraiment que notre peuple meure de faim ?

— Les de Lordet n’ont pas besoin de notre aide, Alara.

— Notre peuple, si !

Alara laissa le parchemin qu’elle tentait de lire sur le fauteuil et se leva. Elle aurait mieux fait de rester à la frontière. Son retour ne servait pas à grand-chose. Elvire s’était alarmée pour rien. Elle ne faisait rien de plus ici à part attendre.

— Il ne sert à rien de t’énerver, tenta Anneke. Ce n’est pas ainsi que tu feras quelque chose.

— Alors comment ? Dites-moi.

— Demain, tu recevras le comte Aymeric de Lucin. Il souffre lui-aussi des pilleurs. Tu dois réussir à le relier à notre cause.

— Lucin est de l’autre côté de la frontière. Les pillards viennent de chez lui, fit-elle remarquer.

— Ce n’est pas ce qu’à rapporter l’archiviste du comte de Lordet. Rien n’indique que Lucin soit le cerveau de la bande.

— Rien n’indique le contraire non plus.

Elle était bien placée pour le savoir. Marco aussi. Elle avait vu les pillards, elle en avait même tué. Ils n’avaient pas le moindre signe distinctifs sur eux. Ce pouvait être n’importe qui. Une bande mieux organisée que les autres, ou l’armée anonyme d’un voisin en quête de plus d’espace. Cela s’était déjà vu par le passé.

— Effectivement. C’est pour cette raison que je te demande de le recevoir comme tu le ferais pour n’importe qui. Il est potentiellement notre allié. Ne le mets pas mal à l’aise. Ne dis rien qui pourrait faire penser que tu te méfies de lui. Qui sait, peut-être nous aidera-t-il.

— Ou peut-être vient-il vérifier que son plan est parfait et me prendre pour la pauvre cruche qu’il suppose.

— Dans ce cas, je suis sûre que tu t’en rendras compte. Maintenant, si nous pouvions reprendre ce que nous faisions ? Ma broderie ne se finira pas seule.

Alara se rassit en pestant. Anneke avait tord. C’était une mauvaise idée de recevoir de Lucin. Il ne pouvait être l’allié de Lordet, ou de la Maison des Mères. Il ne supportait pas que la Kharmesi se trouve hors de son comté. Aymeric de Lucin faisait partie de ces hommes pour qui le pouvoir était tout. Ça lui montait à la tête. D’ailleurs, si elle se souvenait bien, les premiers pillages avaient eu lieu peu de temps après leur première rencontre. N’était-ce pas un signe ? Elle en aurait mis sa main à couper.

Elle comprenait mieux pourquoi Elvire s’inquiétait. Son amie savait qu’elle n’aurait pas était de taille contre lui. Mais le serait-elle, elle ? Ce n’était pas dit.

— Au fait, sais-tu ce qu’il se passe entre Elvire et l’archiviste ? Demanda soudain la Mère. Je trouve qu’ils sont souvent ensembles depuis son retour de la frontière.

Alara soupira. Elle ne voulait pas parler de Marco. Pas avec Anneke.

— Ils ont du se rapprocher, je suppose.

— Lucia m’a rapporté avoir vu passé des messages entre eux.

— En quoi cela me concerne-t-il ? s’énerva Alara.

— En rien. Enfin, il me semble. Mais dès que nous parlons de l’archiviste, tu donnes l’impression de, je ne sais pas, être en colère. Je me demandai s’il ne s’était pas passé quelque chose, c’est tout.

La jeune femme ne répondit pas. Sous son masque, elle rougit. Elle se félicita de ne pas l’avoir quitté. Elle n’arrivait pas à démêler ses sentiments envers Marco. Depuis leur retour, elle ne l’avait pas vu. Elle l’évitait malgré les multiples demandes du jeune homme pour la voir. Il faudrait bien qu’elle finisse par répondre à ses messages. Elle refusait même de lui écrire. Son amie faisait le tampon, incitant le jeune homme à patienter encore. Cela ne pouvait pas durer. Les Mères finiraient bien par se rendre compte de quelque chose.

— Toute cette situation me fatigue, murmura-t-elle.

— C’est toi qui en as voulu ainsi, je te rappelle. Si tu ne t’étais pas mêlée des affaires des hommes…

— Les affaires des hommes, répéta-telle. Voilà bien quelque chose que je ne pensais pas vous entendre dire. Je suis la Kharmesi, je n’ai pas d’autre choix que de me mêler de leurs affaires. Surtout quand elle touche les gens qui prient chaque jour la Déesse Rouge.

Anneke sourit à son ouvrage. Elle était fière de voir sa protégée enfin prendre son rôle un peu plus au sérieux. Il était plus que temps. Pourtant, elle réprima une forte envie de calmer la jeune femme. La Kharmesi devait certes s’inquiéter des affaires humaines, elle n’était qu’un simple avatar. Elle n’avait pas tous les droits sur terre. Elle n’en eut pas le temps.

— J’ai besoin d’air, l’informa Alara.

Elle se leva, laissant tomber son livre. Elle le ramassa et le jeta sur son fauteuil. Elle salua la Mère d’un simple mouvement de menton et traversa la pièce. Elvire l’attendait dans le couloir, une nouvelle missive dans les mains. Elle la prit sans un mot, la parcourut rapidement et la rendit à son amie.

— Dis-lui que c’est d’accord, dit-elle avant de se mettre en marche.

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Ella Palace
Posté le 08/11/2021
Coucou Oriane,

Je vois ce chapitre comme une transition vers une action plus importante. Ici, j’ai l’impression que tu poses les pions.
Ton écriture reste cohérente, c’est important 😊 et ça se lit toujours avec fluidité.

Quelques remarques :

-« Lorsqu'elle l'avait repris des mains d'Elvire à son retour, ses mains avaient tremblé », redondance de « mains ».
-« Elle aurait voulu le jeter par la fenêtre, le faire disparaître. Ce n'était plus le cas », ça ne va pas, il faudrait alors écrire « Elle avait voulu… ».
-« sans l’avoir elle-même décider », décidé.
-« Je sais très bien ce que cela vous dire », veut.
-« que nous avions été claire sur ce point », claires.
-« alarmée pour rien. Elle ne faisait rien de plus ici à part attendre.
— Il ne sert à rien de t’énerver, tenta Anneke », un peu trop de « rien ».
-« Tu dois réussir à le relier à notre cause », le rallier.
-« Ce n’est pas ce qu’à rapporter l’archiviste du comte de Lordet », ce qu’a rapporté.
-« Alara se rassit en pestant. Anneke avait tord », tort.
-« Je me demandai s’il ne s’était pas passé quelque chose, c’est tout », demandais.
-« La Kharmesi devait certes s’inquiéter des affaires humaines, elle n’était qu’un simple avatar », je pense qu’il faudrait un « mais » à la place de la virgule.

Bien à toi !
Oriane
Posté le 02/12/2021
Bonjour Ella
D'abord, pardon pour le retard de réponse, j'avais NaNo en novembre et j'ai un peu tout mis en plan pour le faire... Merci beaucoup pour tes retours. Ca me fait toujours plaisir de les voir. Contente de voir que ça te plait toujours !
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