Les journées se suivaient sans surprise. Les attaques contre les pilleurs se multipliaient, toujours de la même manière. Les éclaireuses trouvaient les petits groupes puis les amenaient vers le gros de la troupe, en embuscade. L'armée d'Enric de Lordet avançait, triomphante.
A chaque bataille, Alara restait à l'arrière, accompagnée de Marco et de trois gardes. Harken ne voulait plus la laisser seule. Elle s'y était faite, ce qui ne manquait pas de l'étonner. A croire que la vie en plein air lui faisait un bien fou. A moins que la présence de l'archiviste n'y fusse pour quelque chose.
Il était toujours à ses côtés. Après la nuit dans les champs de blés, ils s'étaient rapprochés. Les deux jeunes gens ne pouvant pas se quitter, ils en profitaient pour se connaître un peu mieux. L'exercice était compliqué pour Alara. Plus d'une fois, elle avait failli révéler son identité, passer de la messagère, qu'elle jouait presque à la perfection, à la Kharmesi. Mais si Marco se doutait de quelque chose, il n'en disait rien.
Ils se tenaient devant l'entrée de la tente de la jeune femme lorsqu'une des gardes de Harken s'approcha. Elle tendit une lettre à Alara. Elle reconnut le sceau dans la cire, des flammes figurant un visage féminin. Cela venait d’elle, enfin, d’Elvire. Elle attendit que la garde s'éloigne, tournant et retournant le bout de papier dans ses mains. Elle hésitait à l'ouvrir. La missive n’annonçait rien de bon, elle en aurait mis sa main à couper.
— Quelque chose ne va pas ? demanda Marco.
— Je n'en sais rien. Peut-être... Elvire ne m'écrirait pas si tout allait bien.
Elle se mordit la lèvre en se rendant compte de ce qu’elle venait de dire. Tant pis. Tout ce qui importait se trouvait dans la lettre qu'elle n'osait pas encore ouvrir. Elle avait ordonné à Elvire de ne lui écrire qu’en cas de problème. Qu'est-ce que son amie allait lui annoncer ?
— Pourquoi ne pas en avoir le cœur net ? l’incita-t-il.
Parce qu'elle avait peur de ce qu'elle pourrait trouver. Et si Elvire lui annonçait que les Mères avaient découvert qu'elle était là ? Elle imaginait sans peine le désastre que cela induirait. Elle voyait déjà Mairenn ou Anneke, voire les neufs Mères, débarquer dans le campement, demandant à ce qu'on leur rende leur foutue Kharmesi. Un beau bordel dont elle ne voulait pas.
— Alara ?
Elle ne pouvait pas rester comme ça à regarder cette enveloppe sans rien faire. Prenant son courage à deux mains, elle brisa le sceau et déplia le papier.
Elle parcourut rapidement la missive avant de reprendre une seconde fois sa lecture. Elvire lui demandait de revenir au plus vite. Elle s'y reprit une troisième fois pour comprendre le message entre les lignes. Son amie n’était pas la plus douée à ce petit jeu. Elle froissa la feuille avant de la jeter dans le petit feu devant elle.
Marco n'avait pas bronché. A présent, il la regardait avec une drôle d'expression. Elle tenta un sourire qui n'eut pas l'effet escompté. Au lieu de le rassurer, il s'inquiéta un peu plus.
— Tout va bien ?
— Je dois rentrer à la Maison des Mères. Aujourd'hui.
Le dire l'aida à prendre conscience de ce qu'il se passait. Elvire annonçait que sa présence, celle de la vraie Kharmesi, était plus que souhaitable.
Elle se leva, rentra dans sa tente, oubliant totalement l'archiviste. Elle regroupa quelques affaires qu'elle jugeait importantes. Elle n'avait pas de temps à perdre. Elle pourrait laisser sa tente et le plus gros de son matériel. Lara Harken ferait le nécessaire pour que l'on s'en charge. Il fallait d'ailleurs prévenir la capitaine. Elle attrapa son arc et son carquois en même temps que son sac. Sans un regard en arrière, elle sortit de la tente.
Elle se cogna contre Marco. Il s’était levé et lui bloquait le chemin.
— Vous êtes toujours ici ?
— Qu'êtes-vous en train de faire, Alara ? s'inquiéta-t-il.
— Je dois partir. Maintenant.
Elle se faufila entre le battant de toile et lui. Il ne s'interposa pas. Elle crut même qu'il n'allait pas la suivre. C'était mal le connaître. Il lui emboîta le pas. Elle ne le remarqua pas, prise par ce qu'elle dirait à Lara en la trouvant.
Ils traversèrent le campement jusqu'à son centre. Ils ne furent pas arrêter, pas même en arrivant devant la tente de la capitaine. Les deux gardes saluèrent à peine Alara qui entra sans attendre. Elles ne laissèrent toutefois pas passer Marco.
Lara leva la tête de ses cartes à l'entrée d'Alara. La capitaine passa une main dans ses cheveux bruns repoussant quelques mèches échappées de son chignon. Elle salua la Kharmesi d’un sourire enjoué. La jeune femme se planta devant elle, posa les deux mains sur la table de campagne, envoyant par la même occasion des rouleaux sur le tapis de sol. Le sourire disparut.
— Vous pourriez faire un minimum attention, marmonna Lara. Que puis-je pour vous ?
— Je vous informe que je rentre à la Maison des Mères. Une affaire de la plus haute importance m'y attend. Je n'ai pas le temps de vous en dire plus. Je dois y être le plus rapidement possible.
— Vous ne pouvez pas repartir comme ça. Je dois mettre en place une protection, prévoir votre retour…
Harken quitta sa table de travail. Elle fit deux pas vers la sortie. Alara l’attrapa par les épaules et la repoussa en arrière. Elle n’avait pas de temps à perdre.
— Je n'ai pas besoin de protection, capitaine. J'ai besoin d'être rapide.
— Vous ne partirez pas seule ! s’énerva la capitaine
Alara ouvrit la bouche et la referma aussitôt. Lara n'avait jamais levé la voix contre elle. Pas de cette manière. La jeune femme oscilla entre la remettre à sa place et presque la remercier d'enfin la voir autrement que comme la Kharmesi.
— Des gardes me ralentiraient. Et vous avez besoin de tout le monde ici. Je sais parfaitement me défendre.
Elle amorça un pas vers la sortie. Elle avait déjà perdu assez de temps.
— Vous n'irez nulle part, ma dame, lui lança la capitaine. Il ne saurait jamais dit que la Kharmesi aura disparu alors qu'elle était sous ma garde !
Elle élevait de plus en plus la voix. Alara arrêta son geste, se tourna vers elle. Elle ne bougea pas, ne montra pas la moindre trace de colère. Elle toisa sa capitaine.
Dans le brasero au fond de la tente, les braises rougeoyèrent, faisant naître des flammes.
— Je suis la Kharmesi, vous me devez obéissance ! Vous avez prêté serment. Je pars dès à présent. Seule. Ma décision ne serait être remise en cause. Suis-je claire ?
La chaleur augmenta dans la pièce lentement. Alara ne la ressentait pas. Tout ce qu'elle vit, c'était une sorte de peur dans les yeux de sa capitaine. Une peur qu'elle connaissait bien pour l'avoir déjà vu chez les Mères. Elle sut alors que Harken ne dirait plus rien. Elle obéirait.
— Je vous ferai parvenir un message lorsque je serai à la Maison des Mères, continua-t-elle. D'ici là, faites honneur à mon nom.
La capitaine baissa la tête. Elle n'objecta pas. Alara la salua et poussa le rideaux servant de porte.
Dans le brasero, les flammes moururent.
Elle tomba une nouvelle fois nez à nez avec Marco, se souvenant soudain de sa présence. Il la fixait avec des yeux ronds, incapable de dire quoique se soit. Il avait tout entendu. Il savait qui elle était. Au moins, elle n'aurait plus à se cacher avec lui. C'était déjà ça.
— Vous...
Il ne savait trop comment finir sa phrase. Elle ne lui en donna pas l'occasion :
— Vos ordres sont toujours de rester avec moi, quoiqu'il se passe, si je me trompe ?
— Heu, oui.
— Suivez-moi, alors.
Sa capitaine ne voulait pas qu’elle parte seule et il avait déjà prouvé qu’il savait se servir d’une arme. Il ferait l’affaire. Sans oublier que comme ça, elle serait sûre qu’il ne dévoilerait pas son identité à tout le campement.
Elle se dirigea vers l'enclos où les chevaux reposaient. Il suivit en silence. C'était pour le mieux, elle ne se sentait pas de lui donner des explications. Elle lui promit juste de faire savoir à Enric de Lordet qu'il était avec elle. De toute manière, Harken surveillait son départ depuis le devant de sa tente, se rongeant déjà sang et ongles à l'idée de la voir partir seulement accompagné de l’archiviste. Elle avertirait bien assez vite le jeune noble de leur départ.
Un revirement de situation intéressant, j'attends de voir les conséquences qu'il va avoir. Qu'est-ce qu'il y avait écrit exactement dans la lettre ? Ca m'intrigue. En tous cas, je suis re-rentré dans cette histoire hyper facilement^^
Une petite coquille :
"Ils ne furent pas arrêter" -> arrêtés
Un plaisir,
A bientôt !
Merci pour la coquille !
J'espère que la suite te plaira toujours.
Chouette chapitre où tu nous tiens dans le suspense de ce qui pourrait arriver sur le chemin de retour et une fois rentrée. Je m’attends à de la surprise, peut-être un revirement de situation…
Quelques remarques :
-« Elle voyait déjà Mairenn ou Anneke, voire les neufs Mères, débarquaient », débarquer.
-« Elle regroupa quelques affaires qu'elle jugeait importante », s à importante.
-« Il ne saurait jamais dit que la Kharmesi aura disparu alors qu'elle était sous ma garde », conjugaison à revoir.
-« La chaleur augmenta dans la pièce lentement », la chaleur augmenta lentement dans la pièce conviendrait mieux, il me semble.
-« Je vous ferais parvenir un message lorsque je serais à la Maison des Mères, continua-t-elle », je vous ferai… je serai.
-« Elle se dirigea vers l'enclos où les chevaux reposer », reposaient.
A bientôt ! 😊