Okay, je suis arrivé devant ce qui est censé être le studio photo.
C’est en fait un bâtiment gris, tout à fait anodin, qui pourrait très bien abriter des logements. Qui en abrite sûrement, vu la diversité de rideaux que je distingue de l’extérieur des fenêtres.
Après tout c’est une séance photo à petit budget, donc nous serons sûrement pris en photo devant un fond vert, puis placés dans le décor numérique créé par Michael, via un ordinateur ou une tablette graphique.
En fait je n’y connais rien…
Je suis dans les temps, le rendez-vous est dans dix minutes donc je suis même en avance.
On ne m’a pas indiqué s’il fallait que je sonne à l’interphone, je ne sais que faire. Et je ne connais pas le numéro de l’appartement de toute façon. Aucune étiquette ou plaque ne mentionne un studio photo ou le nom du photographe, seule information que je possède.
Je ne vais quand même pas déranger tous les habitants de l’immeuble en essayant tous les noms indiqués sur l’interphone.
S’il ne se passe rien, dans quinze minutes j’appelle Michael c’est lui qui m’a donné tous les renseignements par SMS, il me donnera bien le numéro du photographe.
Ah quelqu’un s’approche. Ce pourrait être un passant, mais la personne ralentit et s’arrête devant moi.
- Bonjour ! Tu es Dave ?
C’est une jeune femme rousse et très grande qui me fait face, ce doit être l’amie mannequin de Vic. Elle a un visage fin mais très souriant avec de beaux yeux bleus et pas du tout la mine sombre et effrayante du cliché du mannequin, enfin celui que j’ai en tout cas. Ce qui n’est sûrement pas correct et encore moins représentatif ! Physiquement la jeune femme correspond assez à l’image que j’ai d’Agatha dans le roman, mais en plus maigre.
- Oui enchanté, et vous êtes ?
Je ne connais pas son nom, ou l’aurais-je oublié ? Souviens-toi…souviens-toi… non je ne le connais pas, ses nom et prénom n’ont pas été mentionnés chez l’éditrice.
- Je suis Emma, on peut se tutoyer tu sais. Dans le milieu de la mode, c’est une habitude à prendre. Il n’a pas le temps de se vouvoyer !
- Ah d’accord autant pour moi.
- Alors comme ça tu es anglais et tu as écrit un livre que tu publies en France ?
- Oui voilà, on pourrait résumer simplement de cette façon.
Elle regarde l’heure sur son téléphone.
- Bon il nous reste quelques minutes à attendre, vas-y explique moi rapidement ce qu’il se passe dans ton bouquin.
C’est une personne plutôt directe et rapide, presque trop rapide pour moi. Visiblement elle n’as pas de temps à perdre. Mais elle est sûrement pressée ; doit se rendre à d’autres engagements dans la journée. De plus elle est ici gratuitement pour rendre service donc elle a totalement le droit d’être en hâte. Comme elle l’a elle-même dit, dans la mode il n’y a pas de temps à perdre. Je lui explique donc sommairement ce qui se déroule dans mon roman.
- Ok ok si j’ai bien compris, Agathe, que je vais représenter, c’est une toubib, une femme indépendante, sûre d’elle et de ses capacités ?
(Je suppose que le mot ‘toubib’, que je n’ai jamais entendu, désigne un médecin ou un acteur du milieu médical.)
- Oui voilà, tu as tout compris.
- Je vais essayer de faire ressortir ça dans les photos alors !
- Ça serait vraiment parfait, merci d’être là et gratuitement. Tu es d’une grande aide !
- Franchement après ce que Vic a fait pour moi je suis étonnée qu’elle m’en demande si peu. Non en fait pas tant que ça, c’est une personne tellement généreuse, je pense que si cette occasion ne s’était pas présentée elle ne m’aurait rien demandé en retour… Donc être là c’est le moins que je puisse faire.
Je suis intrigué… quel type de service Vic a-t-elle rendu à Emma qui soit si important encore aujourd’hui à ses yeux ?
- Qu’est-ce qu’elle a fait pour te rendre service qui soit à ce point important et méritant une redevance ? Si ça n’est pas trop personnel, pour l’aborder avec un inconnu.
Elle hésite, je n’aurais pas dû, c’est sûrement quelque chose de privé voire sensible, dont elle ne veut pas parler, si c’est si important.
- Bon je pense que je peux te le dire, ce n’est pas comme si tu étais mon boss ou ma mère, en plus tu n’habites même pas ici alors je suppose que je ne risque rien. Et au pire quand je serai connue ce sera une anecdote marrante à raconter lors de mes interviews…
Elle part vraiment loin, alors que je ne sais encore rien, et puis ce n’est absolument pas mon genre de colporter des rumeurs. Au contraire, cacher des secrets étant vital pour ma survie ce serait franchement égoïste de révéler ceux des autres.
- Bon tu m’écoutes mais tu ne m’interromps pas avant que j’aie fini, je déteste ça ! De toute façon si ça se trouve tu ne vas même pas trouver cela intéressant.
Bon elle va la raconter son anecdote un jour ou non…
- C’était il y a deux ans, j’avais un gros event, un défilé, important pour ma jeune carrière. Le soir juste avant j’étais hyper excitée et stressée, donc pour fêter ce qui allait être un tremplin pour ma carrière, j’ai bu, avec quelques potes. On s’est bu quelques bouteilles, et l’une entraînant les autres, j’ai beaucoup trop bu. Je ne vais pas m’attarder sur ça, c’était incroyablement bête de ma part, j’ai assez honte comme ça.
Je me suis réveillée le lendemain à l’autre bout de Paris complètement déchirée, sans beaucoup de souvenirs fiables de ce qui s’était passé la vieille.
Je tiens très mal l’alcool, je me connais, alors quand je me suis rendue compte de mon état lamentable qui allait nécessiter plusieurs heures de rétablissement, et aussi au vu de ma situation géographique, j’ai vite compris, même avec mon esprit dans le brouillard, que j’allais avoir du mal à me présenter au défilé compte tenu de l’heure qu’il était.
Même si par miracle j’arrivais à temps, je savais très bien que je ne pourrais pas marcher droit, encore moins avec des talons et j’allais probablement vomir sur le podium ou pire sur le public.
Je ne pouvais clairement pas me présenter au défilé comme ça, j’allais ruiner ma carrière. Mais d’un autre côté, ne pas se présenter à un défilé de haute couture quand on a l’honneur d’avoir été sélectionnée pour y participer c’est comme la peine de mort dans le milieu. Donc j’étais bien dans la merde.
Je ne sais pas trop pourquoi, je n’avais pas les idées claires, mais j’ai appelé Vic.
Hormis le fait qu’elle habite à côté du lieu du défilé, je ne me rappelle pas du tout pourquoi je l’ai appelée elle, surtout qu’on ne s’était pas parlé depuis plusieurs mois.
Il était huit heures du matin, un samedi, mais heureusement pour moi elle était réveillée. Cette folle est toujours levée très tôt, même pendant les week-ends.
Je lui ai expliqué que j’avais un défilé pour une assez grande maison.
Elle a commencé à me féliciter pour cette évolution dans ma carrière et tout le blabla, mais je l’ai coupé au milieu de sa phrase.
J’ai dit qu’elle devait m’y remplacer, pour quelles raisons et qu’en se dépêchant elle y serait sûrement à l’heure.
Je crois me rappeler qu’elle a répondu un truc du genre : ‘Sérieusement !? Tu te moque de moi !?’
Puis quand elle à compris que j’étais sérieuse, elle a commencé à me gronder comme si j’étais une petite fille irresponsable. Petit à petit malgré ma gueule de bois j’ai commencé à comprendre à quel point mon plan était risible. Elle me disait : ‘ Déjà, je ne suis pas mannequin, c’est un métier ça ne s’improvise pas.’
Elle avait totalement raison.
‘ En plus je ne te ressemble pas, laisse-moi te rappeler que tu es rousse et moi brune, que tu mesure un mètre quatre-vingt-cinq, moi un pauvre mètre soixante-treize, et puis je n’ai aucun de tes papiers d’identité ni même ton contrat qui peut justifier que je suis toi. Quand bien même, je ne sais absolument pas défiler ! ’
Elle avait encore raison bien sûr.
Je l’ai supplié de m’aider à trouver une solution, je n’étais pas assez lucide pour trouver moi-même et je refusais de planter mon avenir à cause de cette bêtise.
Vic était très embêté pour moi, elle s’est mise à réfléchir. Pendant que j’essayais de reprendre mes esprits en me passant sous la douche (heureusement entre temps j’ai découvert que j’avais dormis chez une connaissance et je pouvais me le permettre), elle, toujours au téléphone, réfléchissait à une solution.
Au bout de cinq minutes, elle m’a demandé si j’étais toujours là, je me suis dépêchée pour sortir de la douche et lui dire que oui, que j’étais là et je l’écoutais.
Et elle a commencé à m’expliquer son plan. Non seulement elle avait trouvé une solution à peu près crédible mais en plus ça tenait du génie ! Ou plutôt de la folie en fait. Mais je n’avais rien d’autre sous la main.
A ce moment la porte de l’immeuble s’ouvre et un homme qui se présente comme étant le photographe nous fait entrer. Emma me fait signe qu’elle me racontera la suite après.
Nous entrons donc, je n’oublie pas de le saluer, ainsi que la costumière qui se présente en fait comme la sœur de Michael, qui est en école de couture. Ce faisant elle a accès à des costumes d’époques pas trop mal faits et nous les mets à disposition avec en prime son aide pour faire des ajustements. Je la remercie immédiatement de l’aide qu’elle m’apporte dans mon projet, puis la séance commence.
Nous sommes dans un petit salon au milieu duquel un grand fond de toile verte a été installé.
Je suis encore à moitié plongé dans le récit d’Emma si bien que la séance photo passe assez vite. Je ne peux m’empêcher de réfléchir à cette solution que Vic aurait trouvée pour aider Emma, ma curiosité a été piquée.
J’enfile le costume de soldat, qui par miracle est parfaitement à ma taille. Ensuite je suis les ordres du photographe et les conseils d’experte d’Emma en me plaçant devant le fond vert.
And, my godness ! That was strange! Devenir mannequin pendant quelques instants. Mais je me suis senti dans la peau de mon personnage, comme si j’avais pris sa place. Vu le temps que j’ai passé à l’écrire pas étonnant que je le connaisse si bien. Les photos se sont donc faites rapidement.
Il en va de même pour Emma, très professionnelle, elle a été impeccable.
Le résultat me plaît beaucoup, j’en ai une copie sur clé USB et les autres ont été envoyées à Michael pour finaliser la couverture du livre. Je suis assez serein quant au résultat. Je pense que Michael a bien saisi ce que Sarah et moi voulions pour la couverture.
J’ai également proposé à Emma qu’elle récupère sa photo pour l’ajouter à son book. Je n’y connais absolument rien donc je suis peut-être complètement à côté de la plaque. Mais elle a quand même accepté, certainement pour ne pas me vexer.
Je remercie le photographe, la sœur de Michael, et avant de partir je promets de leur envoyer un exemplaire du roman dès sa sortie (je ne suis pas sûr que je puisse me le permettre, but anyway, je payerais de ma poche s’il le faut).
Encore une fois je me retrouve à la porte d’un immeuble dans les rues de Paris après une série d’événements que je croyais ne jamais vivre, mais cette fois je suis avec une autre personne. Je me tourne vers Emma.
- Merci beaucoup pour la séance, tu m’as rendu un sacré service. Mais avant de partir j’aimerais vraiment connaître la fin de ton histoire si c’est possible. Please please please.
J’essaie de lui faire ma meilleure tête de chien battu. J’espère qu’elle n’est pas membre de la team chat.
Elle sourit :
- C’est bon, je vais te le dire, je vois bien que tu meurs d’envie de connaître le dénouement, écrivain que tu es. Et non pas parce que Vic t’attire et que tu veux en savoir le plus possible sur elle.
Cela ne m’arrive pas souvent mais je rougis, démasqué de ce que je ne savais même pas avoir de caché. Enfin je ne m’étais pas autorisé à en prendre conscience.
Emma me regarde avec un sourire au coin des lèvres, et enfin reprend son histoire face à mon mutisme :
- Bien alors ou en étais-je…
Ah oui ! Elle m’explique son idée.
En gros, elle ne comptait pas se faire passer pour moi. Elle irait au défilé parmi les mannequins, prétendant être venue le « gatecrasher ».
Tu vois gatecrashing ça veut dire en quelque sorte s’incruster pour gâcher un évènement important, souvent poussé par des revendications précises.
- Je suis au courant. Permets-moi de te rappeler que je suis bilingue… Et que ceci est un terme anglais.
- Pas d’interruption j’ai dit !
Alors son idée était de se faire passer pour une activiste féministe qui venait dénoncer le manque de diversité dans la représentation des femmes au travers de la mode. Elle voulait débarquer et défiler en maillot, en n’étant ni maquillée, ni épilée, les cheveux en bataille, avec des boutons etc… En gros tout ce que le monde de la mode chercher à faire disparaître, comme si ces éléments ne faisaient pas tout simplement parti du corps de tous les êtres humains.
Je lui ai alors fait remarquer qu’elle n’avait presque pas de boutons. (Vraiment, je n’ai jamais vu cette fille avec ne serait-ce qu’un seul point noir sur le visage !)
Elle s’est arrêtée de parler deux secondes et a dit qu’elle avait mieux, que le jour d‘avant elle avait fait une vilaine chute et avait plein de gros hématomes sur le corps.
Je me rappelle avoir levé les yeux au ciel, même si elle ne pouvait pas le voir.
Bref je ne savais plus qui de nous deux était saoul.
Mais elle était lancée et au fur et à mesure qu’elle me l’expliquait son plan prenait forme et se solidifiait dans sa tête, si on peut dire ça. Je sentais qu’elle commençait à s’exciter de l’aventure à venir.
Elle me ferait passer pour la victime, en faisant comme si elle m’avait appelée pour dire que le défilé était déplacé, que je devais rendre ma convocation par la poste pour en recevoir une autre à la bonne date. Qu’étant novice et sachant que les dates de ce type d’évènement changent souvent je me serais laissé convaincre.
En plus à l’époque je n’avais pas encore d’agent donc je n’avais personne auprès de qui je pouvais vérifier ses dires, donc il était plus facile pour moi de tomber dans le panneau.
Puis je me suis aussi mise à y réfléchir. C’est vrai qu’il y a encore aujourd’hui un vrai manque de diversité, on a encore beaucoup de marques qui n’emploient que des mannequins longilignes, blanches, avec des peaux parfaites sans aucun ‘défaut » apparent. Comme si elles étaient passées à la javel et à la tondeuse laser avant d’être prises en photo. Avant que tu ne me juge laisse-moi te dire que j’ai bien conscience que je fais partie des personnes du métier qui rentre assez bien dans ce moule. Mais j’ose espérer qu’avec une couleur de peau ou une morphologie différente j’aurais quand-même eu la possibilité de travailler dans ce domaine et de me voir offrir autant d’opportunité.
Je m’écarte sur ma propre controverse la, revenons à mon histoire : C’était tout à fait probable que quelqu’un essaie de faire bouger les choses, de faire passer un message, de manière un peu surprenante.
Son plan m’écartait de tous soupçons, personne n’apprendrait que je m’étais bourrée la gueule et que je n’étais pas au rendez-vous manquant à mes obligations, au pire je serais réprimandée pour ma naïveté et jugée crédule. Mais si Vic y arrivait vraiment et gâchait le défilé personne ne s’occuperait de mon cas, il y aurait plus grave à prendre en charge avant de compter tous les mannequins présentes.
Tu vas te dire, c’est injuste pour tous les employés qui ont travaillés dur, les gens qui se sont déplacés pour assister à l’évènement et cætera et cætera.
Mais après tout, ces revendications étaient totalement légitimes.
Même si à la base c’était juste pour me sauver la peau, le message que ferait passer Vic était et est toujours important pour beaucoup, Vic et moi y comprises. Alors je lui ai dit que j’étais d’accord. Puisque de toute façon elle était déjà à fond dans son idée, et que je ne pensais pas pouvoir l’arrêter si elle décidait de se lancer sans mon accord juste pour l’adrénaline.
Et elle y est allée. Elle a tout fait si rapidement, qu’encore aujourd’hui je me demande comment elle s’y est prise.
Cette meuf est dingue, elle a créé une fausse adresse électronique pour m’envoyer des messages, m’a appelée avec son vrai numéro pour quelle apparaisse dans mon historique d’appel en me demandant de l’effacer de mes contacts pour qu’il ne soit pas identifié sous son nom. C’est flippant.
Elle regarde vraiment trop de films d’espionnages.
J’ai juste eu à lui envoyer mes papiers et convocations que par miracle j’ai en format numérique enregistré dans mon téléphone portable. Puis je n’ai pas eu de ses nouvelles pendant plusieurs heures. Je flippais. En plus j’étais en train de décuver donc j’étais vraiment très mal. Je craignais d’avoir fait une grosse bêtise en impliquant Vic, elle est parfois un peu trop intense et à fond dans ses projets. Le stress me rendait d’autant plus malade, l’attente sans rien savoir devenait insupportable.
Dans l’après-midi j’ai reçu un appel.
C’était une autre mannequin, on était en contact car on avait déjà fait plusieurs shootings ensemble et notre carrière suivait la même évolution. Elle participait à ce défilé justement.
J’ai donc décroché, elle m’a demandé si j’étais au courant que quelqu’un avait pris ma place au défilé et me demandais pourquoi je n’étais pas venue.
Je lui racontai donc l’histoire du changement de date avec je l’espère ma meilleure performance d’actrice. Elle a commencé à me plaindre en me disant qu’ils avaient compris j’étais tombée dans un piège, qu’une activiste avait tout manigancé pour prendre ma place. Donc elle appelait pour savoir où j’étais, elle avait été mandatée par notre responsable sur l’évènement trop occupée avec toutes les autres filles.
Bref elle ne m’apprenait rien si ce n’est que Vic avait réussi à prendre ma place et faire croire que je n’y étais pour rien, donc ma carrière était, à première vue, sauvée et j’étais loin de tout soupçons.
J’étais tellement soulagée et un peu dessaoulée également.
Mais j’étais curieuse et un peu inquiète aussi, car je ne savais pas ce qui était arrivé à Vic. Elle aurait pu se faire arrêter et la marque pouvait très bien porter plainte, autant d’inconnues au tableau des évènements qui ne manquaient pas de refaire monter ma tension. Donc, toujours au téléphone avec ma collègue, je lui ai demandé de me raconter ce qu’il s’était exactement passé.
Je ne vais pas tout te ressortir mot pour mot ce qu’elle m’a dit mais en résumé cela s’est passé comme ça, du point de vue de cette mannequin.
Au début, personne ne s’est rendu compte de la présence de Vic, c’est normal, dans le rush du défilé on vérifie juste ta convocation et on t’envoie te préparer en quatrième vitesse.
Elle a donc dû se préparer avec les autres filles, sachant que la plupart ne se connaissent pas entre elles sa présence n’est pas apparue comme louche.
Le défilé a commencé, elle est passée en cinquième et en fait au moment de monter sur le podium, Vic a enlevé ses talons, défait ses cheveux en un éclair, barbouillé son maquillage et avant que l’on puisse l’arrêter elle s’était élancée sur le podium. Avec sa belle robe mais tout le reste qui dénotait par rapport aux autres.
Elle n’était donc pas épilée et avec ses jambes couvertes de bleus qu’elle avait cachées jusqu’au dernier moment elle faisait clairement tache au milieu des autres modèles.
Mais là encore on pouvait croire que cela faisait partie du spectacle, enfin si on connaît cette maison de couture on se doute que ce n’est absolument pas le style de la créatrice.
Et là le clou du spectacle, elle s’est assise au bout du podium et a commencé à parler.
Les gens ont compris qu’elle ne faisait pas partie du programme.
Elle disait : « Alors comme ça vous aussi vous n’aimez qu’une partie de la population ! Ça vous fait quoi de savoir que vous contribuez à coincer femmes et hommes dans des cases ? A cause de vous, vous tous là, nous ne sommes pas libres, on est obligés d’être maigres, rasées et lisses comme des œufs. Pas trop sexy, pour ne pas déconcentrer ces pauvres hommes mais un minimum féminines quand même faut pas abuser. Et quand on vous dit ça, vous nous dites : « Mais n’importe quoi faut arrêter de vous prendre pour des victimes, aujourd’hui les femmes sont libres. » Ah oui, parce que pour vous ça c’est la liberté. On est libre de se faire reluquer sans arrêt de se faire prendre en photo en secret, oui, on vous voit faire ça. On est libre de ne pas être prise pour un job parce qu’on ne ressemble pas à ‘l’image de la boite’. C’est vrai qu’avoir la liberté de se faire agresser dans la rue sans raison c’est super. De se faire siffler quand on porte une jupe, ou se faire critiquer quand on est en jogging... »
Là elle a été stoppée en plein milieu de son discours car deux vigiles l’on attrapée et portée dehors.
Étonnamment elle s’est laissée faire.
Une fois sortie un gros silence s’est installé dans l’immense salle, les mannequins, ne savant pas quoi faire, étaient restées sur place comme figées, sans expression.
Mon amie n’a pas revue Vic mais elle était sur scène et a observé ce qui s’est passé ensuite dans le public.
Clairement les gens étaient confus et ne savaient comment réagir. Certains commençaient à se plaindre que le défilé avait été stoppé et qu’ils perdaient leur temps. Quelques-uns se sont mis à dire qu’elle avait raison que tout ça était honteux. Mêmes deux ou trois célébrités présentes ont acquiescé. Chacun y allait de sa remarque et de plus en plus fort.
Ça partait en cacahuète si on peut dire poliment.
Et là un des responsables de l’événement est monté sur scène et a exhorté tout le monde d’oublier ce qui c’était passé que cela n’était pas prévu, ils ne connaissaient pas cette femme et qu’ils n’étaient en rien responsable de ses actes. Il s’est excusé au nom la maison, a invité tous les invités au prochain évènement de la maison avant de les inviter à partir.
Derrière, dans les coulisses, les mannequins étaient elles aussi priées de ne parler de ça à personne, de ne rien poster sur les réseaux sociaux etc.
Toutes les vidéos et photos ont été supprimées. Et c’était comme si rien ne s’était passé. Les employés de la marque ont réagi super vite. Peut-être avaient-ils l’habitude.
- Mais et Vic ? Comment cela s’est fini pour elle ?
- Ah ça je l’ai su juste après. Elle m’a téléphoné, morte de rire à l’autre bout du fil. Elle venait de tout raconter à son frère et ils n’en pouvaient plus de rire devant l’audace et la bêtise de son action.
- Je suppose donc qu’elle n’a pas eu d’ennuis ?
- Elle aurait pu, mais elle avait encore une fois tout prévu. Elle te le raconterait sûrement mieux que moi et avec ses impressions. Néanmoins ce qu’elle m’a dit, c’est que les deux agents de sécurité l’ont emmené dehors. Elle s’est laissé faire, parce qu’elle n’avait rien contre eux, ils faisaient juste leur job. Une fois dehors ils l’ont fait attendre et une responsable de la communication est venue. La dame était furieuse, la big boss venait sûrement de lui mettre la pression. Elle a annoncé que la marque allait porter plainte, qu’ils allaient lui faire payer, et qu’elle allait devoir rembourser les pertes de gains causées par l’arrêt du défilé. Bref ils la mettaient dans la merde pour qu’elle ne puisse pas faire un scandale et pour se venger de l’humiliation.
Ils s’attendaient à la voir paniquer ou s’excuser mais elle est restée calme et sérieuse.
Cette fille est une malade. Elle a un de ces culots !
Vic leur a dit que légalement ils ne pouvaient rien lui faire payer et encore moins la faire arrêter.
Parce que premièrement, elle ne travaillait pas pour eux donc n’avait pas de compte à leurs rendre.
Ensuite le défilé se déroulait dans un lieu public donc ils ne pouvaient pas lui reprocher sa présence, puisque seuls les VIP avaient une invitation, les autres places étaient libres et n’importe qui pouvait les prendre il suffisait juste de venir super tôt, faire la queue des heures et bien voir de loin pour assister au défilé.
Après pour ce qui est de la création que j’étais sensée porter mais dont Vic s’était retrouvée affublée, elle ne l’a pas endommagée. Si la robe s’est retrouvée un peu froissée c’était uniquement à cause de l’intervention de la sécurité.
Par rapport à l’argent perdu à cause de l’arrêt du défilé, et son annulation elle leur a rétorqué qu’elle n’y était pour rien, et que techniquement c’est la personne qui a décidé d’arrêter l’évènement qui est responsable des pertes budgétaires.
Là, la big boss qui avait tout entendu, et visiblement était très énervée que Vic leur démontre qu’ils ne pouvaient rien lui faire, a dit qu’elle allait la poursuivre en justice pour diffamation.
Pour le coup, ça ils pouvaient le faire, parce qu'avec ce qu’elle avait dit sur le podium Vic avait porté atteinte à l’image de la marque.
Mais une fois encore notre amie avait des arguments pour se défendre.
Elle a simplement expliqué à cette grosse pointure de la mode que si elle la poursuivait pour diffamation, déjà ça allait forcément être médiatisé, elle ferait tout pour que cela le soit, de plus cette affaire attirerait l’attention d’associations féministes, luttant pour la liberté et l’inclusion de tous.tes. Ces dernières se rangeraient sûrement du côté de Vic et dénonceraient l’injustice et le manque d’ouverture du milieu de la mode, sachant que techniquement Vic n’avait rien fait de mal et enfreint aucune loi. La marque serait donc vue comme rétrograde et anti-diversité ce qui forcément ternirait son image et entraînerait nombreux effets négatifs dans le futur. De plus le fait qu’ils essaient de cacher et oublier ce que Vic a dit pendant le défilé associé au fait qu’ils l’ont fait faire sortir par la sécurité utilisant la force, peut-être vu comme une atteinte à la liberté d’expression voire une agression physique.
En gros ils avaient tout à perdre à lui chercher des embrouilles, et elle leur a bien fait comprendre.
La seule personne qui pouvait poser problème c’était moi, je pouvais porter plainte pour usurpation d’identité. J’ai pensé à le faire, pour rendre le tout plus crédible. Mais je me suis dit que faire comme si je ne voulais pas risquer d’abîmer ma future carrière avec une histoire d’usurpation, était tout aussi crédible.
Ce qui en un sens est vrai, surtout si un jour quelqu’un d’autre découvre toute la vérité.
- Promets-moi de n’en parler à personne ! No one must know!
- Your english accent is quite good! Mais bon, let’s switch back to French. Cette histoire est incroyable, tout ne peut pas être vrai ! Faire tout ça juste parce que tu as la gueule de bois, pour t’éviter d’être renvoyé, c’est complètement absurde.
- Voilà un mot qui définit bien Vic, eheh.
C’est vrai que c’est une drôle de façon de procéder, mais elle m’a évité le blâme d’une marque prestigieuse qui m’aurais empêchée d’obtenir d’autres contrats. Et aujourd’hui, je dois dire que j’ai gagné en notoriété dans le domaine, ma carrière évolue comme je l’ai rêvé et c’est un peu grâce à ce que Vic a fait.
A la réflexion, il est clair que si je devais le refaire je ferais autrement.
Enfin, je ne peux pas prévoir ce que l’alcool va me faire faire, et qui j’appellerais à la rescousse. Mais ça m’a servi de leçon, je ne bois plus de façon aussi impulsive et irresponsable et certainement pas quand je travaille le lendemain.
- Mais si je comprends bien tu as quand même eu sacrement de la chance de tomber sur Vic, enfin c’est plutôt toi qui lui es tombée dessus.
- C’est clair ! Qui eut cru qu’elle trouverait une idée si farfelue pour me sortir de là ! Et que cela marcherait, par-dessus le marché !
Franchement je pense que c’est rare de demander de l’aide à une ancienne camarade de classe que tu n’as pas vu depuis deux ans, et qu’elle s’investisse à ce point dans ton problème. Mais je ne le referais pas pour autant, je ne veux pas réveiller la folie de cette femme. En plus maintenant j’ai un copain, un mec super intelligent, si j’ai besoin d’aide je lui demande et il a toujours des solutions, des solutions plus raisonnables.
Elle s’arrête, pensive et regarde l’heure sur son écran de téléphone encore une fois. Elle relève la tête et s’exprime avant que je ne puisse dire ou faire quoi que ce soit.
- Ah ! Je regrette mais je dois te laisser Dave ! Bon courage pour la publication de ton livre. Et merci de m’avoir écouté ! J’adore raconter ma vie, je pourrais y passer des heures mais je vais être en retard.
Elle s’éloigne vers la station de transport la plus proche.
- Bon courage à toi pour la suite de ton parcours ! Et encore merci !
Je n’ai pas eu d’autre choix que de le crier étant donné la distance. Heureusement pour moi cela n’aura pas été en vain. Emma se retourne et m’accorde un sourire, signe qu’elle m’a entendu, avant de disparaître dans la station de métro.
Je vais rentrer à pied, pour profiter de mes derniers instants à Paris, économiser un ticket de métro au passage et prendre le temps de digérer toutes ces informations.
Pendant que j’arpente les rues de la capitale française pour rejoindre mon studio, je laisse mes pensées vagabonder.
Je suis vraiment impatient de voir mon livre être publié et vendu en librairie ou n’importe qui pourra l’acheter et le lire. C’est un rêve qui se réalise. J’ai vraiment beaucoup de chance que mon roman ait attiré l’attention d’une éditrice. Énormément de chance d’avoir croisé la route de Vic.
Je repense à cette histoire de défilé. Est-ce vraiment arrivé ?
Je pense que oui, le récit d’Emma était vraiment trop détaillé et naturellement dit pour que cela soit une invention.
But what a story !
Cette Vic est vraiment…. Surprenante.
Quel destin l’a, littéralement, placé sur mon chemin ?
Cette jeune femme est toute une histoire, un roman dont j’aimerais vraiment connaître chaque chapitre.
Je suis curieux de savoir ce qui la pousse à aider les gens de la sorte, comme elle l’a fait pour Emma, moi-même et je suis sûr avec d’autres personnes.
Et comment la mannequin et elle se sont-elles rencontrées, elles étaient camarade de classe, mais depuis la maternelle, le collège ou s’agit-il d’études supérieures ?
Maintenant que je dois quitter cette ville, je crois qu’une part de moi est un peu triste.
Qui sait quand je pourrais revoir Vic et en apprendre plus sur ce personnage absurde.
A la réflexion... Je pourrais provoquer cette rencontre.
Mais je crains de l’importuner. Je ne la connais tout de même pas vraiment.
Oh come on Dave ! Qui ne tente rien n’a rien !
(Est-ce le bon sens de cette expression ?)
Cette jeune femme et sa façon d’être m’intéressent ! Pourquoi passer à côté ?
En plus j’ai son numéro de téléphone, c’est trop facile de nos jours…
Oui je pourrais essayer quelque chose.
Je crois même que je viens d’avoir une idée.