Point de vue : lui
«... mes condoléances. »
Les gens viennent vous voir. Famille et amis du club de bridge ou de scrabble. Je ne sais pas. Ce n'est peut-être même pas du tout ce genre de club, je n'en ai pas la moindre idée. Et puis, l'accordéoniste et l'homme du 45 rue des cerisiers. La vieille dame du numéro 13. Le peintre et l'écrivaine. Puis, aussi, des gens que je ne connais pas, dont je n'ai ni vu le visage et dont je n'ai jamais entendu parler. Personne pour me les présenter. Pas le courage ni l'envie de faire le premier pas pour endurer les remarques et tout le putain de bordel qui va avec. Encore une fois. A vrai dire, je m'en fous un peu. Ils ne cessent pas de vous répéter cette phrase, comme s'il n'y a que ça à dire dans ces circonstances. Comme si on ne peut être que désolés de ce qui nous arrive.
On est le 29 février. Mamie est morte la semaine dernière. On l'enterre aujourd'hui. C'est mon anniversaire aussi. J'ai 19 ans aujourd'hui. Pas une seule fois on ne me l'a souhaité. Pas une seule fois j'ai entendu le mot « anniversaire ». Mais qu'importe puisque aujourd'hui, c'est pour mamie qu'on est là. Parce qu'on est là pour pleurer quelqu'un qu'on ne verra plus et qui ne nous verra plus non plus. On est là pour quelqu'un qu'on n'a pas réellement connu. Quelqu'un dont on n'était pas vraiment proche. On n'a pas vraiment eu le temps d'apprécier les moments passés avec elle non plus. Enfin, dans mon cas. J'ai pas eu l'occasion de beaucoup la voir, mais je m'y suis un peu attaché.
Mais ça devient lourd, ça devient chiant. D'entendre les mêmes choses, de voir les mêmes expressions sur chaque visage que l'on croise. Et ça, les gens ne s'en rendent pas compte. Ils vous font une tête de chien battu, ou alors comme s'ils venaient de perdre leur maître. Tout ça, pour seulement nous dire qu'ils sont là, qu'il nous faut faire preuve de courage pour surmonter cette épreuve alors qu'on sait très bien qu'on leur fait juste pitié. Qu'on est un souffre douleur à leurs yeux. Je brûle d'envie de leur dire en face mais je n'ose même pas imaginer tout ce qu'on dirait dans mon dos si je le faisais. Dire ce genre de choses. En public, vous imaginez ! Au moins, ça mettrait de l'animation dans tout ça.
J'ai juste envie de me casser loin d'ici, loin de tous ces gens, de toutes ces larmes et de tous ces sanglots. Parce que ça m'exaspère profondément. Juste prendre la voiture, fumer une clope, la fenêtre ouverte et m'arrêter où je veux, quand je veux. Sans but précis, juste comme ça. Pour un peu plus de fun dans cette journée. Mais je suis coincé ici, entre ces murs, ce cercueil en face de moi. Et puis, tous ces gens, toutes ces vies que le noir a englouti.
Depuis que cet homme en blanc murmure ses paroles incompréhensibles, mon esprit divague. Je ne cesse de penser à ma vie, à demain et à plus tard. Je n'ai pas de rêves parce que je ne rêve pas. Je n'ai pas d'envie, pas de passion et probablement pas d'avenir non plus. Je ne cherche pas tellement pour ne pas mentir. Je ne sais pas quoi faire de ma vie. Pas encore. J'ai beau essayer de dessiner des chemins, aucun n'a l'air de me convenir. Pas de métier qui semble me correspondre sur le long terme, aucun dans lequel je pourrais éventuellement m'épanouir.
Quand on me pose la question, je réponds que je n'en ai aucune idée. Juste après, on me demande comment je vais. Avant, on ne me demandait pas d'explication, ça ne fait qu'une semaine. Histoire de vérifier que le décès de ma grand-mère n'avait pas été un trop grand choc et que je ne m'étais pas perdu quelque part dans tout ce chaos. Parce que les gens croient que notre vie s'arrête et qu'elle doit s'arrêter quand un de nos proches meurt et qu'il s'en va pour toujours. Le truc, c'est qu'il n'y a que deux possibilités qui s'offrent à nous : soit, en effet, on laisse tout de côté pour pleurer toutes les larmes de notre corps et ne se préoccuper que de ça, soit, on pleure un peu, histoire de faire genre qu'on est tout de même touché par cet évènement, et on continue d'avancer. Bien souvent, les gens préfèrent la première solution, parce qu'elle paraît plus simple au premier abord. Sauf qu'il est bien plus difficile de reprendre quelque chose qu'on a arrêté pour pleurer que d'avancer et de cohabiter avec la peine.
Les gens sont là, encore et toujours, un mouchoir dans une main, essuyant les pleurs de l'autre. Les paroles de l'homme en blanc se confondent et se faufilent entre larmes et reniflements, tout s'emmêle et se perd on ne sait où. Ces petits bruits m'énervent, ils me stressent. J'aimerais en étriper quelques uns, parce que ça m'agace au plus haut point. Je vais devoir faire avec, parce que je n'ai pas vraiment le choix.
Je m'assois sur le bord, assez loin de mamie, là où personne ne s'est encore installé, pour avoir un minimum de recul. Les mains dans les poches, un peu avachi, j'essaie malgré tout de penser à mamie parce que tout le monde le fait et que c'est pourquoi je suis ici. Papa et maman tiennent aux convenances.
Je tente de dérober les quelques bribes de souvenirs qu'il me reste d'elle. J'essaie d'atteindre le fin fond de ma mémoire. Un goûter avec des crêpes, du sucre et du Nutella. Les rideaux en dentelle blanche du salon. Le son de sa voix, son visage et son sourire. Et même si je n'ai pas pu beaucoup la connaître, si je ne peux pas parler de moments marquants avec elle, mes yeux me piquent. Un sanglot s'échappe. La fatigue arrive à grand pas, elle se fait de plus en plus grande. Le sommeil me noie, petit à petit, lentement. Doucement. A pas de loup.
J'émettrais néanmoins un petit bémol sur la fin : je trouve que l'endormissement du personnage arrive précipitemment, il me manque une petite transition. (Mais ce n'est qu'un avis personnel.)
Très belle écriture, jeu de style intéressant.
Le premier chapitre donne envie de lire la suite, bravo c'est une réussite !
Je vais lire la suite tout de suite.
On s'attache tout de suite à votre personnage.
A bientot ...
Merci beaucoup pour ces belles remarques !
A tres vite :)
Je plussoie complètement le commentaire d'alienorlx.
Le personnage d'Andrew est bien décrit et très juste.
Hâte de lire la suite.
A bientôt ;)
Merciii ! Je suis super heureuse que ça te plaise, merci beaucoup !
A bientôt :)
A niveau de la plume, il y a à mon sens des tournures de phrases trop répétitives et semblables, ce qui bride un peu la fluidité, mais rien que ne soit pas corrigeable
Je note pour la réécriture ! Merci beaucoup pour l’encouragement !
Le rythme est un peu inégal entre phrases ultra courtes et longues tirades.
Une ou deux formulations maladroites à lisser et ça roulera comme sur des roulettes :)
Je note pour le rythme :)
Pourrais-tu me donner les formulations que tu trouves maladroites (pour que je puisse changer ça) s’il te plait ?
Merci pour les encouragements, ça me fait super plaisir ! :)
Je t'avoue que j'ai été totalement conquis par ton style ! Le tout est très musical, les phrases sont étudiées avec soin, le rythme est percutant, on est vraiment happé dans le schéma de pensée de ton personnage. Je vais de ce pas lire la suite !
Merci beaucoup, ça me touche énormément !
J'espère qu'elle sera à la hauteur !
C'est un plaisir de découvrir le premier chapitre de ton histoire et ton style d'écriture ! :) J'ai hâte de continuer ma lecture !
Merci beaucoup ! Je suis heureuse que ce premier chapitre t'ait plu :)
J'espère que ta lecture sera agréable :)
Je viens voir ta petite histoire et le style du premier chapitre m'a immédiatement plu. La narratrice te balance ses vérités à la gueule, d'autant plus dures qu'elle vit un enterrement. C'est très bon.
En plus de ça, je ne te le répéterai pas sous tout tes chapitres mais le style est vraiment très bon et ça colle très bien avec le fond.
Ca sonne très juste pour ce qui est du traitement du deuil. Quand on perd quelqu'un de proche mais pas trop, c'est vraiment dur de savoir quelle réaction est la plus appropriée. Faut toujours continuer à aller de l'avant, ta narratrice a 100% raison sur ce point.
Bref, hâte de voir où l'histoire va m'emmener mais le premier chapitre est prometteur.
A bientôt !
Merci beaucoup, ça fait super plaisir ! Je suis tellement contente que le style de plaise et que ça sonne juste !
J'espère que la suite sera à la hauteur !
J'aime bien le ton. Ce personnage, je sais tout de suite qui il est émotionnellement, son paysage intérieur un peu. Et de le voir face à ce grand vide qu'est le "futur", ça m'intrigue, parce qu'il a l'air de n'avoir vraiment aucune idée d'où il va, et c'est souvent quand il y a cet état d'esprit que des choses intéressantes commencent à se produire.
Merci beaucoup ! Je suis très heureuse que ce « futur » titille ta curiosité…j’espère qu’il ne sera pas décevant !