“Il fut un temps où les humains étaient des titans. Pas des êtres puissants ou dominateurs, non. Ils étaient simplement là, debout, foulant la terre naturellement, sans effort. Une terre vaste, immense, où les plaines s'étendaient sous leurs pieds comme de simples tapis d'herbes. Ils vivaient en harmonie avec le monde, un monde où la nature leur offrait le vent pour les guider, la terre pour les porter, l’immensité du ciel pour rêver.
Ces anciens humains ne parlaient pas encore. Ils communiquaient par couleur, parfois en l’arborant, parfois en l’offrant sous forme de feuilles, de fleurs ou de cailloux. Ces titans ne ressentaient qu’une seule émotion à la fois. Chacune avait une place et un moment. La joie, la tristesse, la peur, la colère, le dégoût et la surprise flottaient dans les airs comme des petits pompons colorés. Tels des étoiles, ils scintillaient, veillant sur le cœur des vivants depuis la nuit des temps.
Prenant la forme de petites boules lumineuses, elles dansaient sans cesse dans le ciel, à portée de bras, de pattes ou de bec. Les jaunes étincelantes de joie, toujours pleines de chaleur, flirtaient avec les bleues, tristes et profondes. Les rouges, ardentes et vives de colère, faisaient frissonner les vertes, glaciales et empreintes de dégoût. Les violettes, changeantes et imprévisibles, tremblaient sous l’effet de la surprise et son halo orangé. Cette dernière surprenait toujours les autres et relançait la danse autour du monde.
C’était une époque de sérénité, un équilibre parfait entre le ciel et les âmes. Quand un être souhaitait ressentir une émotion, il lui suffisait de tendre la main, l’aile, la tentacule, vers le ciel et d’attraper le petit pompon qui reflétait son état d’esprit. La connexion entre le cœur et l’étoile était immédiate. En un souffle, l’être absorbait la couleur, et elle se lovait dans sa poitrine, réchauffant ou refroidissant son âme selon l’émotion choisie. Une fois vécue et apaisée, l’émotion libérée retournait flotter parmi ses sœurs dans les airs, prête à recommencer son cycle.
Si belles, brillantes et éclatantes, ces étoiles étaient contemplées telles des œuvres d’art suspendues dans le firmament. Elles volaient ensemble, dans un ballet céleste, sans ne jamais se heurter ni se toucher. Chaque émotion avait son propre espace, sa propre trajectoire, et la vie continuait dans cet ordre harmonieux.
Mais un soir, un jeune titan, rêveur et souvent solitaire, marchait sous le ciel. Il s’appelait Elio, un nom qui signifiait « lumière du soleil », mais en lui, c’était plutôt une lueur vacillante, perdue. Depuis quelque temps, il avait l’impression de ne plus comprendre les étoiles. Elles lui échappaient, comme s’il ne parvenait plus à les saisir exactement. Ce soir-là, en les regardant autour de lui, il décida de tenter quelque chose de nouveau. Il essaya d'en attraper plusieurs de la même couleur. Il voulait plus de jaune ! Il voulait ressentir plus intensément ! Cet élan inhabituel créa un désordre ! Bousculée par la peur, la joie se cogna contre la tristesse. Dans un tourbillon de surprise, elles se percutèrent et, avant qu'Elio ne puisse réagir, tombèrent ensemble, droit dans la poitrine d'un autre titan. Ce fut Lumen, le frère jumeau d'Elio, qui fut le premier à expérimenter une émotion complexe. Son nom, tout comme celui d'Elio, évoque la lumière, mais d'une manière plus douce, plus diffuse. Là où Elio pourrait représenter la lumière vive et éclatante du jour, Lumen l’incarnait d’une manière plus subtile, celle qui se manifeste au crépuscule ou dans les moments d'introspection, un reflet complémentaire de son frère, tout en étant unique. Un choc violent le parcourut. Il se sentit envahi par deux émotions contradictoires, la joie et la tristesse, qui luttaient dans son cœur. Son esprit, confus, ne comprenait plus rien. Comment pouvait il être heureux et triste à la fois ? Son cœur s'alourdissait de seconde en seconde, il devint lourd, si lourd que des gouttes d’eau sortirent de ses yeux sans savoir pourquoi. Mais ces larmes n'étaient ni tristesse… ni joie. C’était autre chose, quelque chose de nouveau, d’inconnu.
Ainsi naquit la mélancolie.
Elio, terrifié par cette catastrophe secoua son frère et tenta de faire sortir les émotions de son corps. Mais c'était trop tard. Lumen tenta de les rendre au ciel mais comme il ne les avait pas emprunté, il ne sut pas comment les rendre. Les deux boules d’émotion étaient embrouillées, emmêlées, échappant à son contrôle. C’était un chaos intérieur, et il n’y avait aucun moyen de les séparer. Lumen pleura toute la nuit, tandis que le ciel émotionnel commençait à s’assombrir.
Le chaos se propagea. Les autres étoiles, témoins de cet événement incongru, perdirent leur stabilité. Elles se mirent à se bousculer les unes contre les autres, tombant en cascade sur la Terre. La danse céleste devint une collision perpétuelle tombant au cœur des tribus titans.
Le Sombre Jour, ces mots furent les premiers à naître et les derniers à être oubliés.
Depuis ce jour, les émotions sont hors de contrôle ! Elles se mélangent, se reproduisent, emménagent, déménagent, vont partout et n’importe où, parfois nulle part !
Depuis ce jour, les titans ressentent des émotions complexes, pour le meilleur comme pour le pire.
Au fil du temps, quelque chose de plus sombre naquit de cette confusion. A mesure que les titans devinrent de simple humains plus petits, plus malins et bavards, des légendes commencèrent à circuler sur de mystérieuses créatures prenant forme dans l'obscurité. De monstrueuses femmes ont vu le jour et c’est la nuit qu’elles commettent l’impensable. Ces entités, des manifestations d'émotions désordonnées, d’une beauté troublante mais terrifiante, errent dans les nuits d’automne à la recherche d'âmes en peine.
Certains racontent qu’une de ces créatures, la plus redoutée de toutes, apparait aux âmes tourmentées et qu'elle se nourrit de leur tristesse et de leur désespoir. Elle rôderait dans les ruelles sombres, se glissant dans les maisons silencieuses, attirant à elle les cœurs lourds. Que lorsqu’elle était aperçue, il était déjà trop tard. Elle ne prenait pas la vie, non, mais quelque chose de plus précieux encore, une partie de l'âme.
Chaque automne, lorsque les feuilles commencent à tomber et que le vent porte avec lui le parfum de la terre mouillée, cette entité n'est jamais loin. Et chaque nuit de cette période, chacun prie pour ne jamais la croiser. Elle se fait appeler... Miss Mélancolie.”
Indigo referma le livre lentement, songeuse. Elle le replaça avec soin sur l’étagère, le regard dans le vide, derrière ses lunettes ovales qui cernaient deux yeux aiguisés. Sa frange bleu nuit, bien droite, frémissait à peine dans l’air silencieux de la pièce.
Tout s’éclaira dans son esprit. Chaque mot, chaque image, tout s’imbriquait avec une clarté nouvelle.
— Il manque un livre, dit-elle d’une voix claire, parfaitement maîtrisée.
Sa parole claqua dans l’air comme une lame fine et froide.
— Tu seras bien aimable de trouver la personne qui l’a en sa possession, répondit une autre voix, tout aussi ferme, venant des profondeurs de la salle.
Un éclair d’impatience traversa le regard d’Indigo. Sans un mot de plus, sans même accorder un regard au bibliothécaire à la silhouette d’ombre et aux yeux noirs insondables, elle tourna les talons et sortit. Déterminée.
Franchement bravo et hâte de lire la suite!!
Franchement WOW.
J'adore ton style d'écriture et comment dire de l'histoire !
J'ai vraiment aimé. Donner des origines aux sentiments et les émotions que chacun peut ressentir c'est vraiment incroyable.
J'ai hâte de lire la suite ~~
Ca fait plaisir et c'est très encourageant.
Le deuxième chapitre arrive bientôt !
Plume d'Argent va hélas fermer ses portes, je propose donc aux quelques plumes avec lesquelles j'ai échangé de se retrouver sur Wattpad afin de poursuivre nos lectures.
J'aime beaucoup ton histoire et j'espère pouvoir lire la suite !
N'hésite pas à te manifester là bas, ça sera un plaisir de continuer à échanger.
Merci pour ta proposition que j'accepte avec grand plaisir !