Minuit sonnait les douze coups sur l’immense horloge qui trônait fièrement au cœur du village, comme un décompte mortel.
Une voix terriblement douce, suave et grave l’accompagnait...
« 12… 11… 10... 9... 8... 7... 6... 5... 4… 3... 2… 1… »
Puis, un silence total… Même l'horloge se tut, comme tout autre mécanisme à aiguilles.
Une cité endormie…
Ceux qui étaient occupés se retrouvèrent affalés sur place.
C’était la nuit de la Récolte, en cette saison bleue.
Il faisait froid, et le vent se faisait discret.
Une feuille automnale se risqua à tomber, aussi discrètement que possible, dans cette pénombre éternelle.
Une présence flottait dans les airs, glissant inévitablement au-dessus des toits, chantonnant un air inquiétant du bout des lèvres...
« Je récolterai vos larmes salées…
Venez déposer vos armes usées… »
Une silhouette humaine, sombre, féminine et fine, vint accomplir son labeur.
Il fallait rendre visite aux mortels et délester leurs âmes d’une mélancolie certaine.
Le sourire aux lèvres et l’appétit ouvert, la grande Dame se mit en chasse… et en prose…
« Laissez-moi m’abreuver de votre désespoir !
Je vous apporterai une trêve illusoire ! »
Dans son errance méthodique, Miss Mélancolie frôla les murs environnants, raides et interdits, comme s’ils voulaient eux aussi passer inaperçus.
L’ombre chantante s’approcha d’un corps endormi, inerte.
Une sorte de brume s’échappa doucement du rêveur, et le sourire de la prédatrice se fendit jusqu’aux oreilles.
Le nuage fut aspiré d’un coup dans le gouffre béant de son visage affamé.
« Si les ombres vous lysent, j’invoquerai la brise,
Si le tonnerre vous gronde, j’apaiserai le monde,
Et si, malgré tout, vous accablent les ondes,
Venez dans mes bras, que je vous inonde ! »
Après ce premier repas, elle se redressa d’un coup, refermant sa bouche, s’éleva dans le ciel et chanta en reprenant le pas, dans un rythme plus entraînant, une danse plus folle, un chant plus vif !
« Je suis Miss Mélancolie,
Et je bois vos larmes,
Je tempère la crise,
Mais lourdes seront vos âmes ! »
Un écho étrange, venu des abîmes, lui renvoya son refrain.
« Miss Mélancolie,
Boira vos larmes,
Tempérera la crise,
Mais lourdes seront vos âmes ! »
Un second couplet, plein de malice et de gourmandise, accompagna sa danse et son errance dans les ruelles du village.
Les fenêtres sur son sillage semblaient trembler de tous leurs carreaux.
Des nuages d’âmes partout, aspirés.
Miss Mélancolie était à la fois mélancolique et malicieuse.
Surtout en ce moment si spécial, de délectation, de sensations intenses.
Elle aimait décortiquer le moindre recoin de chaque esprit torturé.
« Je voyagerai à travers vos peines,
Je visiterai chacun de vos rêves,
Je m’immiscerai entre chaque être,
Et je me glisserai dans vos sombres secrets… »
Et jusqu’aux aurores, elle se nourrissait au rythme de sa mélodie et de son refrain maudit.
Puis disparut comme elle était apparue, au dernier coup de la nuit, libérant toutes les horloges et les bruits de cliquetis.
Un homme encapuchonné, vêtu d’un long imperméable marron, et de bottes en cuir assorties, avait suivi la scène de toit en toit, sans jamais intervenir.
Il disparut en même temps que la grande Dame en bleu.
Un homme, en particulier, se faisait toujours dévorer.
À chaque automne, de chaque année.
Il cultivait soigneusement sa mélancolie, pour pouvoir revoir Miss Mélancolie.
Et si la saison n’était pas bleue, il se faisait dévorer par une autre entité.
Il priait pour que la saison soit bleue !
Il fit de son obsession une chanson, comme un appel du cœur à faire les chœurs.
Cet homme s’appelait Ellioth, un quarantenaire un peu désenchanté, recherchant l’enchantement dans les petites choses et les petits riens.
Il ne savait plus aimer d’amour, et c’était là son drame.
Mélancolique des amours passés. C’était mieux avant.
Aujourd’hui, la magie s’était envolée.
Alors, Ellioth s’accrochait férocement au souvenir de ses ressentis.
C’est ainsi qu’il rencontra Miss Mélancolie.
Il ne voulait pas tomber amoureux cette fois, de peur qu’il n'ait plus rien à lui offrir.
Mais depuis le Sombre Jour, ce sont les émotions qui décident.
Habituellement, personne n’est éveillé quand une Récolteuse passe.
Mais Ellioth ne s’endormait jamais.
Miss Mélancolie, un peu décontenancée par cet imprévu, fit malgré tout ce qu’elle devait faire, le moment venu.
Et le malheureux tombait d’ivresse.
J'adore la manière dont c'est raconté, un brin étrange, mystérieux.
Cette ambiance je l'adore .
Chapeau bas , en attendant le prochain chapitre, je vous souhaite bonne inspiration :)
Ps: J'adore votre couverture !
Je vais essayer de maintenir le rythme d'un chapitre par semaine en visant le dimanche.
Le chapitre 3 arrive bientôt !