Après tout, il pouvait aussi s’agir d’êtres comme ceux que l’Humanité a nommé Démons, cela avait d’ailleurs le mérite de correspondre davantage au ton alarmiste que son mentor avait employé dans son dernier texte. Mais cette fois, c’est le Cardinal qui dut lui faire remarquer que son professeur le lui aurait dit si c’était le cas, et s’il suivait la logique de la Religieuse. Alors elle proposa une autre idée, qu’il puisse s’agir d’êtres humains évolués, comme ceux dont Marco-Aurelio avait parlé – comme ceux que le Conseil du Graal voulait faire advenir pour tous et toutes. Seulement là encore, comme elle l’avait dit elle-même, tout cela ne tenait pas, son professeur aurait bien vu si ces Étrangers venaient du futur, et ils n’en avaient pas donné l’impression. Au bout du compte, le Cardinal en vint même à supposer qu’ils puissent s’agir d’entités inconnues ou oubliées, peut-être même de divinités païennes, car le dernier texte du Testament était en étrusque, soit une civilisation entièrement polythéiste, à moins que ça ne soit bel et bien des êtres humains mais venant du passé, comme le suggéra cette fois Alessia. D’autant plus que, comme elle dut le rappeler, les divinités païennes n’existaient pas, elles n’étaient que des identités secondaires des Démons, dont ces derniers avaient usé pour cacher leurs immondes péchés.
Mais cette dernière théorie ne convainquait toujours pas le Cardinal. Il voyait bien qu’elle disait ça pour écarter Dieu et ses Anges des théories, au point qu’elle se demanda s’il n’avait pas remarqué sa mauvaise foi, lorsqu’elle vit le visage de son vieil ami s’amuser.
— Vraiment ? C’est ce que tu en conclus ?
— Je … Oui, c’est ce que j’en conclus. Vous n’êtes pas d’accord ? » balbutia aussitôt Alessia, alors même que Paolo avait un ton des plus calmes, bien qu’il décidât d’insister davantage – et de lui offrir un petit sermon au passage.
— Et si je ne l’étais pas ? » lui lança-t-il soudainement, avec un changement d’humeur digne de ce qu’Emil avait pu infliger à William, tout en sachant pertinemment que la douce Florentine n’avait pas l’aplomb pour tenir. D’ailleurs, le regard bleu-gris d’Alessia, déjà nerveuse, plongea aussitôt vers le Testament grand-ouvert qui gisait sur la table devant elle, comme si elle y cherchait une autre théorie, pendant qu’elle bégayait une réponse qui plairait plus à son invité. Après tout, elle avait sûrement commis une erreur quelque part, mais elle n’arrivait pas à trouver quoique ce soit pour détourner le regard fixe et insistant qu’elle croisa à nouveau en relevant la tête, presque en panique. « Alessia, il va falloir que tu perdes cette habitude de céder, de t’épuiser pour les autres et d’accepter tout avec bienveillance. Tu as tes raisons de penser ainsi, de me dire ce que tu as dit, alors défends-les. Personne ne le fera à ta place, peu de gens ont ta gentillesse et ta complaisance, n’attends pas d’eux qu’ils se laissent convaincre. » lui conseilla-t-il sur un air plus aimable, presque paternel, sans vraiment réussir à remonter le moral de la Moniale.
— Je sais que c’est mon défaut, mais … est-il si mauvais au fond ? » lui demanda-t-elle, en empoignant le petit médaillon de peuplier en forme de croix que sa mère lui avait offert quand elle était toute petite.
Elle aussi, elle avait très tôt repéré la gentillesse et la douceur aussi innées qu’extrêmes de sa fille, assez pour choquer une femme pieuse comme la sœur de Catarina. Et tout le monde avait essayé de lutter contre, de sa mère à Alessia elle-même, en passant par le Cardinal qui lui faisait la morale aujourd’hui, sans parler de Maria. Mais ça n’avait que légèrement lissé ce trait de personnalité, même après des années passées en compagnie de fortes têtes comme amis – surtout avec sa meilleure amie Maria, l’ennemie proclamée de la Niaiserie, selon ses propres termes …
Seulement la bienveillance excessive de la Florentine risquait de lui porter préjudice pour les temps à venir, si mal que le Cardinal préférait insister encore sur le sujet, avant de lier les dernières décennies de sa vie à cette douce religieuse. Car si le clergé devait rassembler un synode pour étudier le LM en suivant les avertissements de Marco-Aurelio, il fallait certes que Paolo l’ordonne en tant que Pape, mais aussi que sa disciple le préside et le guide. Alors pour elle, c’était une véritable épreuve qui se profilait à l’horizon, le genre d’épreuve où il faudra faire entendre sa voix et imposer sa vision. Le Cardinal Paolo était certes puissant, et probablement l’un des plus influents personnages de la Curie Romaine, il n’était pas le scientifique qui mènerait les recherches même s’il devenait Pape. D’ailleurs, même l’élection papale était loin d’être gagnée, le clergé catholique était à l’image de toutes les religions de l’époque, il était divisé, traversé par de nombreuses pensées nouvelles plus ou moins hérétiques. Ainsi, face à ceux qu’il désignait comme les progressistes de Solar Gleam ou les hérétiques des Sectes Nouvelles, les intégristes de la Foi dont il se revendiquait, déclinaient d’autant plus depuis que Paolo avait causé la mort du Pape – le chef de sa propre tendance spirituelle au sein de l’Église. Heureusement, l’Italienne du Conseil était convaincue de la victoire de ce vieil ami, car elle comptait bien l’y aider en demandant à Arcturus de faire plier les progressistes, ceux que le Cardinal semblait particulièrement craindre. Mais elle en était certaine, Arcturus est juste quelqu’un de très occupé, il n’est probablement même pas au courant que son département marketing s’acharne à convaincre notre clergé, lui résuma-t-elle, non sans étonner Paolo qui découvrait par l’occasion ce nouveau mot anglo-saxon, dont l’idée était pourtant déjà très vieille.
Quant à ce synode sur le LM, Alessia crut trouver une solution parfaite, un moyen de contourner son problème plutôt que de le surmonter.
— En plus d’Arcturus, je compte me tourner vers Gaël pour nous aider. Il doit sûrement avoir une idée sur la façon de faire, c’est son fils après tout et sa famille est très influente. Je sais aussi qu’il est très savant sur le LM, il nous guidera comme son père avant lui. » lui expliqua-t-elle, avant de s’arrêter en voyant le Cardinal tourner fugacement le regard avec un air coupable mal dissimulé. « Vous avez autre chose à vous reprocher, Monseigneur ? Vous pouvez tout me dire. » reprit-elle avec une voix pleine d’empathie, tandis que son invité souriait nerveusement en entendant ce ton digne d’une confession.
— Rassure-toi, ce n’est rien de grave. Disons simplement que nous sommes en mauvais termes, très mauvais même. J’ai dû prendre les devants pour son propre bien … mais il ne l’a pas interprété comme ça. » débuta-t-il, pour ensuite s’expliquer plus en détail sur cette affaire qui le mettait mal à l’aise malgré tout.
Certes, il n’avait participé à aucun meurtre, ni aucune violence cette fois, et même le vol ou les cambriolages qu’il avait dû ordonner avaient des raisons incontestablement bonnes, au point qu’il n’ait pas eu besoin que Marco-Aurelio le lui demande. Pourtant, c’était bien à propos de l’héritage de ce dernier que Gaël et lui entretenaient des relations si mauvaises. Alors, s’il apprenait que Paolo avait participé à la disparition du Pape, pour accaparer un autre des biens de son père, Gaël et les siens allaient sûrement punir sévèrement le Cardinal - même s’il était un vieil ami de la famille.
Pour l’instant, il avoua à Alessia qu’il était simplement soupçonné d’avoir volé, puis caché loin de Gaël un certain nombre de curiosités ayant appartenu à son père comateux. Il s’agissait de documents divers, des notes et des schémas, parfois des objets ou des appareils curieux, trouvés dans la villa romaine de Marco-Aurelio. Et cette fois, elle eut beau s’outrager, pour plaider le point de vue du fils spolié de son héritage familial, Paolo ne manqua pas de lui rappeler que ceux qui avaient le plus volé à la famille de son cher professeur, c’étaient bien ses anciens élèves, c’étaient ses trois amis. Effectivement, dès le retour de l’expédition d’Indochine, alors qu’August passait en jugement, qu’Achille partait pour l’asile et que Marco-Aurelio était tout juste annoncé inconscient, Maria et Arcturus avaient agi avant tout le monde. Certes ils n’avaient pas été assez rapides pour s’emparer des trésors de la demeure romaine, ni de celle de Vienne où Gaël résidait, mais le duo franco-anglais du Conseil avait littéralement pillé celle de Genève - probablement la plus importante.
Alors malgré toutes les excuses qu’elle leur trouvait, Alessia dut bien reconnaitre qu’ils ne s’étaient pas mieux comportés que le Cardinal, et qu’elle n’avait rien fait pour les en empêcher – en vérité, elle avait été trop secouée par le sort de ses trois professeurs, même plusieurs semaines après l’incident.
— Ça ne change rien au fait que je dois le contacter et qu’il doit m’assister pour le Synode. Maître Marco-Aurelio a insisté à ce sujet.
— Vraiment ? Dans ce cas, le jeu a intérêt à en valoir la chandelle. Gaël n’est pas le genre de savant que j’aurai invité à cette assemblée pour être honnête … Si j’ai préféré mettre l’héritage de Marco à l’abri, ce n’est pas pour l’étudier comme tes amis, tu t’en doutes bien. C’était précisément pour que Gaël ne l’étudie pas. On ne laisse pas une encyclopédie botanique à un passionné des poisons, sinon il ne faut pas venir pleurer après … » se justifia Paolo, avant de brosser le portrait très particulier du fils de Marco-Aurelio – fidèle à son père sur bien des points.
Il vivait encore en compagnie de sa très protectrice mère, dans le centre-ville le plus richissime de Vienne, dans le microcosme des plus hautes sphères aristocratiques du très conservateur empire austro-hongrois.
Alors, Alessia n’allait pas l’approcher comme ça, au détour d’une terrasse de bar ou même dans un lieu public, qu’il ne fréquentait pas de toute façon. Car il avait la même passion que son père, et cela l’amenait plus souvent à s’enfermer dans des salons ou des bibliothèques. Et quand il quittait l’Autriche, c’était toujours pour un pays lointain, en compagnie des fréquentations les plus curieuses avec lesquelles son père avait pu se lier. D’ailleurs, c’était bien cette soif de savoir et ces relations douteuses qui faisait douter Paolo de sa bonne foi, puisque Gaël s’était passionné pour les savoirs les plus ésotériques, pour la mystique la plus dure qui puisse entourer le LM. Il était comme à la confluence de plusieurs grands mouvements de croyances autour du LM, entre ceux qui croyaient en une Science conquérante par la chimie, ou ceux qui y voyaient un cadeau de la Providence tombé à point nommé. D’ailleurs, selon Paolo, il était même l’un des plus éminents de ces nouveaux croyants, notamment grâce à l’image de son père et ce qu’il put sauver de son héritage. Pourtant, Gaël n’était pas infidèle ou athée, le Cardinal le définissait plutôt comme un hérétique convaincu, ce qui finit de faire comprendre à la Florentine pourquoi il se méfiait du clergé de Rome. Ainsi, le fils de Marco-Aurelio était presque identifié comme l’un des principaux agents de la déchristianisation débutante de Vienne, tant il convainquait des bons chrétiens à des thèses curieuses, à des idées proches de ces sectes qu’Alessia connaissait si peu – mais qu’elle haïssait déjà, par instinct de protection envers sa communauté. Car certains allaient jusqu’à refaire la Bible, à la contester sur le fond et la forme, des presque blasphèmes pour n’importe quel croyant du Christ.
Alors, elle en profita pour questionner le Cardinal sur ces sectes nouvelles qui se multipliaient partout, et elle découvrit que tout cela était bien plus grand qu’elle ne le voyait dans les journaux ou les salons nobles. Il n’y avait pas un jour sans que Rome ne perde des fidèles au profit de cultes toujours plus fantastiques, prétendant guérir telle maladie ou tel mal avec des rites où le LM était toujours présent. Et en cette époque de grande modernité où tout semblait possible, les masses populaires comme les nobles y adhéraient de plus en plus, jusqu’à même se détourner des vocations de prêtres. Progressivement, c’était comme si le LM était en train de devenir l’huile sainte de nouvelles interprétations de Dieu ou des Écritures. Alors, Paolo essaya d’expliquer à la Florentine ce qu’il pouvait savoir de ces croyances nouvelles, si nouvelles qu’elles différaient de tout ce qu’avait pu connaître l’Humanité.
Et cela n’était pas chose aisée pour la Religieuse car, hormis des gens comme Gaël et les moins extravagants, nombres de ces nouvelles religions n’avaient tout simplement pas de dieux, ça ne leur semblait pas cohérent. Pour ces gens, tout venait du LM et tout y retournait, les « dieux » n’étaient pas dans le ciel mais dans cette molécule. Ces dieux d’autrefois, c’étaient en réalité leurs ancêtres, les premiers hommes qui se seraient abreuvés de LM avant que la molécule ne soit perdue. Et selon les sectes, ces dieux ne demandaient qu’à revenir, ils étaient même déjà là en quelque sorte, c’étaient leurs croyants qu’ils abreuvaient de bonnes paroles pleines d’espoir, ils étaient tels des divinités en devenir, tels des enfants. Bien sûr, ni Alessia ni Paolo ne croyaient la moindre de ses bêtises, D’ailleurs l’Italienne du Conseil n’avait même jamais entendu parler de leurs convictions religieuses, c’est tout juste si elle savait que ses déviances se multipliaient et que les États ne faisaient rien contre elles - à l’exception de l’Allemagne où le RFA veillait au grain. Cependant, ce n’était pas exactement le cas de l’Autriche-Hongrie, dont les hautes-sphères échappaient encore à la répression du Département Impérial grâce aux concessions obtenues par leur Empereur des Habsbourg. Quant au fait qu’Alessia ne s’y intéresse pas plus que cela, c’était une grave erreur selon le Cardinal. Non seulement elles attiraient des croyants, mais certaines de ses sectes étaient directement concurrentes, voir contradictrices des religions abrahamiques – y compris le Judaïsme et l’Islam. Ainsi, Gaël était de ceux-là, sans appartenir à une secte précise, il naviguait entre toutes les croyances en ne se rattachant au Christianisme qu’en dernier recours, ou lorsqu’il y était contraint par son entourage.
Bref, il n’était pas un candidat convenable pour le Synode, mais pire encore, il pouvait se révéler dangereux pour cette organisation ;
— Selon vous, Gaël jouerait un rôle particulier dans tout ça ? En se servant de la notoriété de son père et de tout son héritage, il a pu leur apprendre énormément de choses tout en corrompant sa mystique …
— C’est ce que je pense, voilà l’autre raison pour laquelle j’aurai préféré le voir loin de ce synode. Mais si Marco le demande … j’espère simplement qu’il ne t’a pas demandé ça juste parce qu’il a de l’espoir paternel. Les gens comme Gaël sont bien plus dangereux pour les communautés religieuses qu’ils n’en ont l’air. » concéda-t-il finalement, tandis que c’était maintenant Alessia qui paraissait mal à l’aise.
— J’espère aussi qu’il se révèlera être l’allié annoncé. Seulement je ne peux m’empêcher de ressentir de la gêne à l’idée de lui demander de l’aide, quand je vais lui parler du Testament, il va me voir comme une voleuse … Tout le monde a volé Maître Marco-Aurelio comme s’il était mort … » déclara-t-elle sobrement, le regard baissé sur les deux clés dorées qu’elle tenait désormais en main – et qu’elle voyait salies par le sang du Pape.
— Non, Marco écrit lui-même dans le Testament qu’il te destine ce livre et le devoir de poursuivre son travail, tu n’as rien volé, jamais. Moi, c’est une autre affaire, et si tu veux m’accuser dans ta lettre, fais-le. Ça serait d’ailleurs une bonne idée, ça te déchargera et il me soupçonne déjà. Je me débrouillerai avec Saint-Pierre le jour venu, ne t’en fais pas pour moi. » commençait-il à la rassurer, bien qu’elle refuse d’accuser qui que ce soit dans la lettre qu’elle comptait envoyer dès ce soir.
Cependant, ils eurent à peine le temps de commencer à aborder la rédaction de cette lettre, qu’ils entendirent le ton poli d’un domestique essayant de dissimuler les éclats de voix secs de Catarina, s’élevant depuis le couloir de cette petite alae - qu’elle savait réservée aux manigances secrètes.
C’est donc dans un fracas que la porte s’ouvrit, pour laisser entrer la matrone, presque hors d’elle. Et la tante d’Alessia ne perdit pas son temps pour se diriger directement vers Paolo, étonné d’une entrée si brusque, puis de l’engueulade qu’il reçut dans la foulée. Visiblement, l’un des serviteurs de la domus Lespegli avaient écouté à la porte, et sûrement entendu les éclats de voix de la Florentine - ce qui était très inhabituel. Évidemment, le Cardinal essaya de justifier son meurtre, mais elle ne comptait pas le laisser s’en tirer à si bon compte, tout comme elle comptait bien convaincre sa nièce du fait qu’elle ferait mieux de se tenir à l’écart des manigances, tout en l’aidant à faire entendre raison à Paolo. Seulement, Alessia ne savait plus quoi penser de tout ça, elle était encore secouée par les propos étranges de son professeur et la mission très particulière qu’il venait de lui confier : découvrir la Vérité. Alors, elle était prête à accepter que Paolo ait fait ce qu’il fallait, au point de le défendre devant sa tante. De plus, elle allait garder ce livre, ainsi que les deux étranges clés que le Cardinal lui laissa avant de partir, non sans être chassé par Catarina.
Malheureusement, cette dernière fut vite déçue de ne rien pouvoir faire pour ramener l’air enjoué de sa nièce, ni pour apaiser ses doutes, elle ne pouvait que lui promettre d’essayer de l’aider – mais les Lespegli n’étaient plus aussi puissants qu’autrefois, c’était une famille déclinante en réalité. Heureusement, Alessia ne manqua pas de réconforter sa tante en lui disant qu’elle n’avait pas besoin d’aide, que c’était d’abord à elle de traverser ces épreuves, elle était une adulte et un membre du Conseil après tout. Il est temps d’arrêter de compter sur les autres, essayât-elle de se dire, bien que cela ne fasse que ramener ses pensées vers ceux qu’elle aimait le plus parmi ces autres. Mais elle n’avait pas la moindre idée sur ce qu’elle devrait dire à ses amis lors de la prochaine réunion du Conseil, ni même ce qu’elle devrait faire après avoir rédigé et envoyé la lettre qu’elle destinait à Gaël – et qu’elle s’empressa d’aller écrire. Heureusement, elle n’était pas seule dans cette quête de vérité, les mots de Paolo n’avaient peut-être pas excusé son crime, ils avaient eu le mérite de la motiver à suivre la piste que Marco-Aurelio lui avait laissé. Bien sûr, elle ne pouvait soupçonner un seul instant ses trois amis du Conseil d’être un jour des obstacles, et même si Marco-Aurelio donnait l’impression d’avoir perdu la tête, elle était maintenant déterminée à découvrir cette vérité si mystérieuse pour laquelle le Pape était mort. À vrai dire, elle sentait sur elle un devoir qui émanait comme de Dieu lui-même. Il y avait tant à faire et à découvrir, de l’origine du LM et des Étrangers qui avaient guidé le Premier Conseil à cette molécule fabuleuse, à l’avenir qu’elle allait façonner, dans un sens ou dans l’autre.
Cependant, à peine réussissait-elle à chasser une question en prenant sa motivation à deux mains qu’une autre venait dans la foulée. Que ce soit la lettre qu’il avait destiné à Paolo ou ce texte qu’il avait écrit dans le Testament, son professeur avait prévu tout cela avant le voyage d’Indochine, durant lequel la Florentine ne remarqua strictement rien d’anormal chez lui. Était-il vraiment délirant ou simplement agité ? Devait-elle parler de ce Testament à ses trois amis ou suivre les avertissements de Marco-Aurelio ? Et qu’allaient-ils en penser d’abord, allaient-ils seulement la croire ou l’écouter si elle leur parlait honnêtement de tout ça ?
Car Alessia n’avait pas que les avertissements de son professeur en tête, mais aussi cette étrange légende sur la découverte de la première nappe. Seulement William comme Arcturus ou Maria ne croyaient en aucun dieu ou démon, cette histoire les ferait plus rire qu’autre chose. Pire encore, ils étaient chacun convaincu du bien-fondé de la recherche sur le LM, loin, très loin de Marco-Aurelio qui craignait de voir l’Humanité évoluer en mal au contact de cette molécule qu’elle avait fait le serment d’étudier avec eux, jusqu’au bout, pour le meilleur – sans que personne n’ait jamais supposé le pire.
Alors, Alessia préféra s’endormir quelques heures avant le dîner, pour laisser à son esprit le temps de se réorganiser comme elle le disait, mais surtout afin de rêver quelques temps à l’écart du monde comme elle aimait s’y cacher depuis toute petite. C’était aussi l’occasion d’ôter son voile pour enfin libérer sa luxuriante chevelure ondulée qui y étouffait, il n’y avait bien que son médaillon de bois qu’elle gardait pour dormir, même si aujourd’hui il la gênait plus qu’autre chose, car l’étrange malaise qui enserrait son cœur l’empêchait de sommeiller sur le dos. Pourtant, elle réussit à s’endormir, et fit ce même rêve qu’elle faisait souvent, le rêve d’un avenir plus qu’idyllique où ses trois amis du Conseil, leurs quatre professeurs, mais également sa petite sœur et le reste de sa famille étaient réunis pour un festin au monastère de la Dolce Lupe, devenu le centre d’un nouveau monde pour l’Humanité entière, comme il sut l’être pour elle. Marco-Aurelio est sage mais il reste humain, il a dû se tromper sur nous, tout ira bien, Dieu et le Bien triomphe toujours après tout …
Ainsi semblait s’achever la huitième année du Conseil du Graal reformé, sur des mois couronnés de succès comme les sept précédentes, et sur les prémices d’un grand bouleversement qu’Alessia se mettait en quête de découvrir …
« L’Humanité a terminé son enfance. L’heure de son rite initiatique approche lentement, et son adolescence ne saurait être calme pour une fille aussi impulsive. Bonne chance, petit oiseau, méfies-toi des corbeaux et des vents. »
Marco-Aurelio s’adressant à Alessia, à la fin des pages du Testament destinées à la dernière civilisation élue, soit de la 728ème à la 777ème, lieu inconnu, 1871.