Le vautour délivra l’accès au nouveau prétendant. Il se trouvait dans un local sans fenêtre, derrière une glace sans tain. L’employé d’un consortium venait de pénétrer dans la pièce attenante.
Scalp en avait sa claque. C’était le dixième qu’il voyait défiler, et il buvait café sur café pour ne pas sombrer.
Il leur faisait passer des tests pour obtenir de meilleurs postes.
— Vous pouvez prendre place, nous allons bientôt débuter, lâcha-t-il en appuyant sur le bouton de son micro.
Il balança son gobelet dans une poubelle, et prit une longue inspiration.
Les questions s’enchaînaient, ponctuées par un oui ou non de l’autre côté du miroir. Les premières n’avaient pas grand intérêt, elles étaient juste là pour mettre le sujet en condition.
Un détail que les employés ignoraient, c’est que l’évaluation était truquée.
Les mineurs qui travaillaient dans les entrailles du secteur sur le front de taille à l’extraction des métaux devaient garder leur équipement de sécurité pour se protéger du bruit des explosions. Avec les habitudes et la chaleur, la majorité d’entre eux abandonnaient les consignes et finissaient sourds.
On ne file pas de promotion à un mec sourd.
Pour les débusquer, le vautour diminuait le volume de son micro après chaque question, jusqu’à devenir tout à fait inaudible. Il attendait de voir à quel moment on lui demandait de répéter.
La litanie continuait, pourtant le sujet restait toujours admissible à un nouveau poste, alors qu’il savait pertinemment qu’il ne percevait plus aucun son.
Scalp s’agita sur son siège, plus il observait le visage du gars, plus il avait la certitude qu’il se foutait de sa gueule. Comme dernière et ultime question, il le lui déclara d’un ton agacé.
— Vous ne pouvez rien entendre, vous êtes sourd !
Ce n’était pas une question, mais de l’autre côté de la vitre, l’employé avait dû calculer le temps écoulé entre chacune d’entre elles, quand elles étaient encore audibles. Il devait savoir qu’il en était à la fin, et lui répondit un sourire malsain aux lèvres.
— Ne pas entendre et être sourd sont deux choses différentes.
Scalp devint blême et ouvrit de grands yeux chargés d’effroi.
***
RÉVEILLE-TOI
Le vautour se redressa en gueulant. Il était couvert de sueur, et son rythme cardiaque battait bien trop fort pour sortir d’un sommeil récupérateur. Il observa un instant son environnement, reconnut sa chambre et glissa sur le rebord du lit pour s’asseoir et retrouver son calme.
Cet entretien le hantait, nuit après nuit.
Il avait beau tourner et retourner le problème sous tous les angles, ce qu’il impliquait le dépassait. Les tests étaient délivrés par une IA avant de lui être transmis sans intermédiaire. Sa compromission à leurs applications lui donnait le vertige. Il n’en avait parlé à personne, mais depuis cet incident se sentait épié.
Il ferma les yeux un instant, se passa une main sur son visage. Sa paupière droite se mit à frémir, lui signalant une communication en visio.
La tête d’un orc lui apparut, au ton qu’il employait, on pouvait deviner son humeur sans se tromper.
— Scalp espèce d’enfoiré, c’était hier que tu devais m’payer !
Le vautour essaya d’adopter son air le plus convaincant.
— Génocide, j’étais justement en chemin, comment je pourrais t’oublier mec, on est cool t’inquiètes !
L’autre devint fou de rage.
— TU TE FOUS DE MA GUEULE, TU ES ENCORE DANS TA CHAMBRE !
Sa paupière se remit à frémir pour lui signaler un nouvel appel, qui lui servit d’excuse pour couper la communication.
— J’te quitte, j’ai un gros client en ligne, à tout à l’heure, à l’endroit habituel !
Clignement des yeux, ouverture du message audio cette fois.
— Mission 4. 779 — S attribuer, veuillez-vous rendre au centre expéditionnaire.
Le vautour laissa échapper un long soupir de soulagement en retombant sur son lit. Hors de l’enceinte, l’orc y pourra se brosser pour le choper, pensa-t-il, et au retour, avec les crédits de la mission, il aura de quoi le faire patienter.