Les pales du ventilateur brassaient un air saturé de fumée dans la pièce mal éclairée. Assise sur une chaise, l’elfe affichait une gestuelle qui trahissait sa nervosité. Elle peinait à rester en place, remuait une jambe, pendant que ses mains allaient et venaient sur ses avant-bras dénuder par le pyjama vert des internés. Il était difficile de faire le compte des cicatrices qui lui parsemait la peau. Médailles corporelles acquises lors de ses multiples missions comme cheffe expéditionnaire.
De l’autre côté d’un bureau, un homme vêtu d’une blouse blanche fumait cigarette sur cigarette, le regard fixé sur son dossier médical qu’il parcourait avec grand intérêt.
Il leva les yeux vers Nuissandre.
– Détendez-vous lieutenante, nous sommes ici pour vous aider.
Elle hocha de la tête sans lâcher un mot. Une de ses mains se glissa derrière son oreille pour y ranger une mèche de cheveux tout en se pinçant la lèvre inférieure.
– L’imagerie cérébrale nous montre que votre système nerveux ne souffre d’aucune lésion, votre cerveau est vierge de toute atteinte. Plus en profondeur on peut aussi affirmer qu’aucun parasite ou toxine n’ont passé votre barrière hématoencéphalique, ce sont de très bonnes nouvelles.
Il s’adossa sur son siège pour mieux l’observer.
– L’amnésie partielle dont vous souffrez provient d’un blocage mental. Le cerveau est un organe d’une très grande complexité, il dicte nos pensées, notre comportement, son territoire est bien plus vaste que les frontières de notre réalité et celle de l’univers matriciel réuni.
Il écrasa sa cigarette dans un cendrier déjà plein.
– Avec votre accord, nous allons pratiquer une nouvelle thérapie. Son but, modifier votre état de conscience pour vous amener dans une forme de trans. C’est un stade entre la veille et le sommeil, c’est tout à fait inoffensif.
Elle cessa de s’agiter, fronça les sourcils, pas sûrs de bien comprendre, avant de lâcher.
– L’hypnose ?
Il lui afficha un sourire bienveillant et s’alluma une nouvelle cigarette.
– Oui c’est cela, il y a une condition cependant pour obtenir des résultats, il faut que vous coopériez totalement au processus, on ne peut intervenir sans l’acceptation de la thérapie par le sujet. L’hypnose nous permettra de plonger dans vos souvenirs, et de découvrir les parties de votre mémoire que vous avez verrouillées.
L’elfe savait qu’elle n’avait pas véritablement le choix. Les événements qu’elle détenait cachée dans ces zones d’ombres ne lui appartenaient pas, ils auraient dû figurer sur son dernier rapport d’expédition. Mission dont elle était l’unique survivante, ce qui contraignait d’autant plus ces commanditaires ainsi que l’IA qui s’en était chargée.
Une crainte pourtant l’habitait, celle de revivre cet échec, le premier dans un palmarès élogieux.
Elle prit une longue inspiration avant d’abdiquer.
– Très bien, essayons l’hypnose.
***
Une heure plus tard, elle se retrouvait allongée sur un fauteuil ajustable, des lunettes de réalité virtuelle sur les yeux. La pièce, baignée dans une semi-obscurité, juste équipée d’un diffuseur de phéromones apaisantes pour la maintenir détendue.
Son corps se relaxa, son esprit se vida peu à peu de tous ses tracas, son cerveau émit des ondes thêta. Elle plongea dans son immensité.
Elle marchait au milieu d’un désert de sable bleu infini. Dans le ciel des masses nuageuses d’un rouge écarlate évoluaient sur la fréquence de son rythme cardiaque. Elle se sentait bien, tout finit par s’immobiliser.
Devant elle se dressait un cube noir, équipé d’une unique porte.
Elle l’observa un instant, approcha sa main pour en délivrer l’accès, l’image vacilla comme sur un mauvais montage vidéo, et elle bascula dans ses souvenirs.
Le souffle court, elle courait à présent avec son équipe dans un couloir de béton mal éclairé, l’arme à l’épaule. Ils venaient de poser les explosifs et refaisaient le trajet en sens inverse pour rejoindre le point d’extraction.
Nuissandre les encourageait à garder le rythme.
— ON AVANCE ON AVANCE !
L’orc qui ouvrait la marche buta contre une porte à double battant.
— Passage verrouillé !
L’escouade s’immobilisa, le vautour égrena le compte à rebours, la tension devint palpable.
- 40 cycles seconde
L’elfe claqua un ordre tel un coup de fouet.
— Fais-la sauter !
L’orc se souvenait d’avoir déjà libéré tous les accès à l’allée, et pensait qu’elle avait dû se refermer toute seule et la secouait de façon violente.
— 30 cycles seconde
Surpris par sa résistance, il essaya alors avec son arme, et vida son chargeur pour tenter de pulvériser la clenche.
Nuissandre s’agaça et hurla.
— OUVRE-MOI CETTE PUTAIN DE PORTE !
Avant de poser une dose de plastic dessus.
— 20 cycles seconde
Ils reculèrent, les deux battants se désintégrèrent, mais personne ne bougea, tétanisé par le spectacle qu’ils venaient de découvrir.
Au loin une détonation surpuissante retentit. Son souffle destructeur se répandit dans les couloirs de béton à la vitesse d’une rafale de Gatling, et les emporta tous.
***
RÉVEILLE-TOI
Nuissandre se redressa en prenant une longue inspiration comme après une période d’apnée. Elle était couverte de sueur, et ses mains tremblaient.
Impossible de se souvenir de ce qu’elle avait entrevu derrière cette porte, sa mémoire refusait de lui délivrer l’information, même sous hypnose. Depuis, elle revivait la scène encore et encore à chaque fois qu’elle fermait les yeux.
Un peu hésitante, elle s’assit sur le rebord de son lit, avant de se lever pour se diriger vers un store qu’elle entrouvrit avec deux doigts. Dehors, la vision du secteur en perpétuelle évolution l’aida à retrouver son assurance. Sa paupière droite se mit à frémir, lui signalant une communication.
–Mission 4. 779 — S attribuer, veuillez-vous rendre au centre expéditionnaire.
L’elfe plissait des yeux sans même s’en rendre compte, son instinct répondait déjà à l’appel de la seule activité qui lui donnait une raison d’exister.