Chapitre II – Sur la trace des Fées
Les personnages
- Louis, ancien bûcheron demeurant aux Avers, hameau de Moux-en-Morvan, surnommé aussi Louis le Preux ;
- Gobin, lutin voyageur accompagnant souvent Louis le Preux ;
- Maistre Pacolet, lutin mage au village ;
- Singletone, fille de Maistre Pacolet ;
- Titania, reine des fées ;
- Débélia, fée prisonnière.
Louis le Preux demeurait maintenant au village des lutins. Maistre Pacolet avait oublié de préciser que le mariage avec Singletone ne pouvait pas être célébré avant deux ou trois ans en fonction des pluies de la prochaine saison. Tel était le rituel ancestral. Mais après "tant d’aventures", - comme disaient les villageois - Louis s’ennuyait quelque peu. Bien sûr, les causeries qu’il organisait au bar-courge chaque vendredi l'occupaient un peu. C'était surtout, le prétexte pour rencontrer discrètement Singletone. Parfois, il songeait même à rentrer dans le Morvan mais où aller ? Souvent, il arpentait la campagne à la rencontre des animaux du pays. Pour la première fois, il avait vu un troupeau de licornes et aperçu furtivement un jeune licorneau tétant sa mère. Il envisageait même d’écrire ses aventures. Mais qui voudrait lire ces sornettes ?
Jusqu’au jour où, enfin l'artefact se meut. Après maintes réflexions, le mage avait fixé le rendez-vous au cœur de la nuit près du pont du Grand Fleuve. L'affaire semblait importante. C'est pourquoi, Louis le Preux s'empressait de rejoindre le lieu indiqué avec son immuable bâton, son couteau et sa gourde. Aucun prétexte n'aurait justifié son retard. La nuit claire qui s'annonçait, faciliterait la reconnaissance de son contact. Maistre Pacolet avait prédit : « Il y a bien longtemps que les Elfes ou les Fées de la Montagne n'ont pas donné signe de vie : l'artefact ne peut pas se tromper. Tu devras être prudent. Voici cinq pierres de granite pour prouver ta mission. »
Ainsi, Louis le Preux attendait sur la berge, bercé par le bruit des flots lorsque soudain, venue des airs, survint une fée. Semblable à une jeune et jolie femme dotée d'ailes, une lueur translucide flottant sous sa peau, la fée questionne :
— Est-ce toi, l'émissaire ? Je m’attendais à voir l’un de ces minuscules et joviaux gaillards : un lutin mais pas un humain ! Je suis Titania, la reine des fées mais tu m’avais reconnu,
— Oui, je suis Louis le Preux. Voici les cinq pierres en guise de reconnaissance. Mais où sont les Elfes dont m’a parlé Maistre Pacolet ?
— Les Elfes sont partis depuis bien longtemps. Suis-moi que je te présente l’affaire !
La fée s’assoie sur un rocher et raconte :
— Il y a quelques jours, notre sœur, la fée Débélia volait au-dessus de la forêt lorsqu’elle remarque un morceau de bois particulier qui brille au soleil. C’était une baguette magique. Elle s’en approche rapidement et avec une dextérité extraordinaire réussit à la récupérer sous des buissons ardents. Elle repart avec la baguette sous ses ailes. Mais des sorciers témoins de la scène, plus rapides que le vent, criant et hurlant dans le ciel, s’approchent de la fée pour essayer d'attraper l’objet. Habituellement, les fées ne craignent pas les sorciers. Mais cette fois, il y en avait beaucoup trop. D’autres sorciers arrivent encore. La fée Débélia tente de reprendre son vol pour s'échapper mais, les sorciers l'en empêchent. Ils l'attaquent sans relâche. Enfin, les sorciers se précipitent pour capturer notre sœur Débélia et récupérer le bâton. Maintenant, elle a été conduite sur l’Île aux Sorciers, où elle est retenue prisonnière. Voilà, tu connais toute l’histoire. Que faire ?
— Allons à l’Île aux Sorciers, suggère Louis.
Remontant vers le nord par un chemin escarpé, Titania la reine des fées et Louis le Preux contournent le rocher de la Wivre.
— Sous ce rocher, vit une créature démoniaque, la Wivre. Malheur au voyageur qui s’en approche car il sera dévoré sans aucune hésitation, avertit la fée. Maintenant, ils s'approchent prudemment de l’Île aux Sorciers.
Dans les brumes, l’île n'est pas très grande mais, l'accès en est difficile : des sorcières peuvent être encore là. « Prenons l’Échelle de vie* pour enjamber l’un des bras du fleuve », propose la fée.
Mais une force invisible maintient l’échelle à la verticale et aucun des pouvoirs magiques de Titania ne parvient à abaisser la maudite échelle.
Malgré le tumulte du Grand Fleuve, ils perçoivent les plaintes et les cris de Débélia, la fée prisonnière. La mission semble perdue devant la puissance de tels sorciers. Désespéré par la tâche à accomplir, Jean sort son canif pour retailler son bâton de marche, prend sa gourde de sève de bouleau, boit une gorgée et s’exclame :
— La musette ! Il nous faut une musette* enchantée capable de terrasser ces vils sorciers. Il y a longtemps, dans mon pays, j’ai connu l’Grand Julien de La Folie, un flûteux* qui avait une musette qui jouait toute seule…
— Et alors ?, questionne la fée.
— Et cette musette pouvait transformer les sorciers en loup et nous avons aussi des lampes à loups qui effrayeront les sales bêtes, affirme Louis.
— Et nous libèrerons notre sœur, conclut la reine.
— Mais là-bas, c'est l’hiver ! La neige et le froid nous accueilleront gaiement, se souvient Louis.
— Allons, voici nos nouveaux vêtements, dit la fée en faisant apparaître des sabots et quelques haillons.
Ainsi les deux aventuriers partirent dans le Morvan à la recherche des ustensiles nécessaires à la libération de la fée
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* l’Échelle de vie : objet magique présent uniquement dans le Pays des Fées.
* une musette : cornemuse alimentée par un soufflet.
* un flûteux : musicien morvandiaux.
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***
La neige était bien là et recouvrait la vallée du Chazelle. Des ribambelles de glace s’accrochaient aux berges de la rivière qui laissaient échapper des halos de brume. Encombré de neige, le chemin se fondait dans un paysage immaculé. La fée Titania goutait enfin aux affres de la neige. Dissimulés sous les traits de vagabonds hirsutes et pouilleux, ils se dirigent maintenant vers La Folie, hameau de Moux-en-Morvan.
Louis, redevenu vieux, force le trait en boitant un peu. Par magie, Titania apparait désormais comme une vieille femme malade. Un foulard recouvrant sa tête. En les voyant se traîner sur les chemins du Morvan, d’aucuns auraient eu pitié de ces deux malheureux. Une bonne journée de marche et les voilà arrivés à La Folie. Au crépuscule, les deux pauvres hères se présentent devant la demeure du Grand Julien.
— Qui vient là ?, s’exclame une voix rauque dernière un muret de pierre sèche.
— La charité pour deux mendiants. En échange, on souhaite simplement la paille, dans une grange ou dans l’étable près des bêtes. En échange, mon mari invalide pourra encore tirer de l’eau au puits, ce soir, implore la vieille femme.
L’homme ouvre la porte sans reconnaître Louis.
— Prenez le débarras. Vous trouverez bien une petite place en poussant les outils !, propose l’Grand Julien.
— Merci, chuchote Louis pour ne pas être reconnu.
Mais la nuit fut des plus agitées à la recherche de la musette enchantée. La pièce regorgeait d’objets les plus disparates : un filet à papillon, des lampes à pétrole, des courroies en cuir, des roues en bois, une horloge délabrée, un violon sans corde, une nasse à poisson, une lampe à loups gisant dans un vieux poêle, des haches, un râteau, des vilebrequins, une mailloche, mais pas de musette. Ce n’est qu’au petit jour, en ouvrant la fenêtre, laissant entrer un vent frais, qu’ils entendirent la musette chanter. Tous les matins, l’instrument se faisait la voix. Louis saisit le filet à papillon et la musette.
D’un coup de baguette magique, la reine des fées transforma le violon sans corde en un Stradivarius neuf ; l’horloge, en une pendule à coucou. L’Grand Julien ne serait pas perdant au change.
Mais le retour fut éprouvant : Louis et Titania affrontaient désormais un vent glacial venu du nord. Il fallait retenir la musette qui voulait jouer de plus belle. Par chance, Louis connaissait une ancienne hutte de charbonnier abandonnée près du grand chêne. La cabane fut transformée en un refuge habitable en quelques coups de baguette magique.
Même si les premiers bourgeons annonçaient l’arrivée prochaine du printemps, Louis attisait toujours le feu où grillaient quelques truites et lapins braconnés, dans l’attente du prochain arc-en-ciel providentiel. Reclus dans leur cabane au cœur de la forêt, les deux naufragés évoquaient leurs vies d’antan. Au rythme du crépitement du feu, Louis contait sa vie de bûcheron ; Titania, la rudesse du pouvoir féerique. Peu à peu, la fée se confiait sur l’exercice solitaire du pouvoir :
— J’aurais aimé avoir à mes côtés, un compagnon fidèle et courageux mais...
— Regardez ma chère Reine, le printemps est là, un nouvel arc-en-ciel brille au pied du grand chêne, coupe Louis.
***
Près de l’Île aux Sorciers où l’on entendait encore les gémissements de la fée prisonnière, Louis libère la musette qui s’évade et s’égosille. Des loups hurlent : Titania abaisse l’Échelle. Les bêtes s’enfuient prestement dans la montagne : les lampes à loups auront été inutiles. Des cris, des pleurs, des larmes, les deux fées se retrouvent, se jettent dans les bras l'une de l'autre, s'embrassent. Entre deux sanglots, l’ancienne captive bredouille :
— Merci, merci, je désespérais de te revoir un jour,
— Les sorciers se sont enfuis. Voici ta baguette retrouvée, s’émeut la reine Titania.
— Mais qui est donc ce jeune homme près de toi ?, s’enquiert Débélia.
— Louis, ton sauveur ! Il nous a débarrassées des sorciers, déclare la reine.
— Merci à toi, jeune homme ! Retournons vite aux Rochers des Vermillons, se réjouit Débélia.
Toutes les fées du Pays sont là pour accueillir leur sœur libérée. Les unes virevoltent dans le ciel, les autres dansent au son du vent et de la musette, d’autres encore récitent des incantations ou des formules magiques. Pris dans cette ambiance frénétique, Louis contemple ce spectacle féerique. Assise sur le rebord d’un rocher, la Reine Titania prend la parole :
— Mes bien chères sœurs, je viens vous présenter le sauveur de Débélia : voici Louis le Preux,
Les fées acclament. La reine poursuit :
— Pour sa bravoure, je propose de lui octroyer le titre de Gouverneur de l’Île aux Sorciers.
La foule ovationne. Louis annonce :
— Je suis honoré de devenir le premier Gouverneur de l’île que je renomme l’Île Dortésia en souvenir de mon cheval resté dans le Morvan.
Rendant hommage au libérateur, une myriade de fées défile devant Louis le Preux, Premier Gouverneur de l’Île Dortésia. Alors que la fête se poursuit tard dans la nuit, que les fées s’enivrent de bruit et se perdent dans l'oubli, Titania, en ayant garde de n’être entendue de quiconque, se rapproche discrètement de Louis et lui demande de rester vivre avec elle au Pays des Fées.
« Tu pourrais si tu le souhaites, devenir mon époux » chuchote la reine à l’oreille du jeune homme.
Perplexe, Louis ne dit rien, pensant à Singletone qui lui a été promise en mariage.
« Que faire face à ce dilemme ?, » songe-t-il. Il bégaye et prétexte :
— Il me faudra du temps pour m’adapter à ma nouvelle vie sur l’île. Je dois tout revoir puisque j’ai maintenant du temps devant moi. Sais-tu qu’il est parfois difficile de rajeunir ?
— Bien sûr, se réjouit la reine.
C’est pourquoi Louis se retira - seul - dans son île sans prendre de décision : une manière d’éviter un choix difficile. Mais sans pouvoir reprendre son chemin au long cours, il retombait dans les écarts de sa vie antérieure faite de solitude et de misanthropie lorsqu’il était âgé aux Avers dans le Morvan.
Le temps passant, Louis s’était remis à chiquer, non du tabac mais une sorte de liane vivant à l’état naturel sur l’île. Le plus souvent, les tiges grimpaient jusqu’au sommet des arbres pour retomber au sol. Il fallait couper les copeaux puis les faire sécher. Louis l’appelait son "bois-fumant" car la fumée de cette plante lui brûlait la gorge. Un jour, cependant, arrivent deux individus que Louis connait bien : Gobin et sa grenouille.
— Que me vaut ta visite ?, s’étonne l’ermite qui lui propose de goûter son bois-fumant. Gobin tire quelques bouffées, tousse un peu et dit :
— Je viens t’annoncer une triste nouvelle. Depuis ton départ, les choses ont bien changé au Pays des Lutins. Singletone s’est dédite et vient d’annoncer son mariage avec le lutin Leprecun. Rappelle-toi, le mécontent lors de la fête au village ! Maistre Pacolet, impuissant et compréhensif a conclu le nouveau contrat pour sa fille. Me voici donc l’émissaire d’une amère décision...
— Amère décision ? Ne le crois pas, rétorque Louis, réjoui par cette décision inattendue. Gobin reste coi en regardant son batracien.
— Ainsi mon destin sera de rester seul sur mon île à fumer mon bois-fumant, déplore Louis en pensant à son titre de Gouverneur. Emu par tant de vérité, Gobin s’exclame :
— Je m’installerai donc ici à tes côtés.
Ainsi Gobin resta avec Louis se rappelant les histoires d’autrefois :
— Lorsque j’étais jeune, j’ai bien connu ce lutin Leprecun et son chapeau à 3 cornes. Déjà, il amassait des pièces d’or qu’il cachait dans un grand chaudron près de l’arc-en-ciel..., raconte Gobin.
— Oui, je l’avais aperçu à ma première arrivée, se souvient Louis.
— Il est très riche et peut même exaucer des vœux, confirme Gobin.
Fin du chapitre II