Isold commença par lui parler de ce qui lui paraissait être le moins difficile, à savoir que Mériana n’était pas du tout sa tante. Il est vrai qu’au fil des années la maîtresse d’Hériana, ancienne première nourrice royale, était devenue un membre à part entière de leur petite famille recomposée, mais elle ne partageait aucun lien du sang avec Denia. La jeune fille ne tenait déjà plus en place sur sa chaise, elle remuait nerveusement l’une de ses jambes en écarquillant les yeux.
Isold la devança avant qu’elle ne pose un flot de questions :
- « Laisse-moi raconter comme je le veux Denia, ensuite tu poseras tes questions. C’est une longue histoire et elle est douloureuse pour moi. »
La jeune fille hocha gravement la tête en arrêtant même quelques instants le mouvement nerveux de ses jambes. Il lui raconta la longue et triste histoire de la famille Lengsfrid à laquelle elle appartenait. Denia avait senti, entourée de tuteurs si particuliers, qu’elle n’était peut-être pas née fermière, mais elle était loin de s’imaginer qu’elle avait du sang royal dans les veines.
Il lui raconta la mort de Karl puis celle de Iecham. Cela coûta à Isold de terminer son histoire en parlant de Barnulf, sa seule et unique enfant, qu’il avait perdu lors du coup d’état projeté par la famille Arkanza. Isold prononça le nom de cette famille avec dégoût. Il insista sur la place qui revenait à Denia à Ectale si elle souhaitait la prendre. Il était certain que de nombreuses familles n’hésiteraient pas à prendre son parti si elle décidait de revendiquer la cité au nom des Lengsfrid. La jeune fille se leva et fit plusieurs fois le tour de la table avant de se rasseoir sur sa chaise. Isold savait qu’elle aurait besoin de temps pour digérer tout cela.
Alors il fut étonné lorsqu’elle le regarda d’une manière déterminée :
- « L’actuel roi d’Airilion, Sigfrid Valkrigen, a tué mes parents ? »
Isold opina du chef mais il ne voulait pas que Denia prenne cette direction, c’était suicidaire.
- « Ce n’est pas ça l’important. Il faut te concentrer sur les frères Arkanza. Récupère le pouvoir à Ectale et nous verrons ensuite ce que nous pourrons faire. »
Isold retira de son cou la bague qu’il portait constamment en collier. Il s’agissait d’un bel objet en or, ouvragé, rehaussé d’une émeraude. Denia l’avait souvent interrogé à ce sujet sans obtenir de réponse de la part de son oncle. Petite, elle trouvait cela stupide qu’il ne la passe pas au doigt mais il lui avait répondu qu’il n’en avait pas le droit.
- « Prends cette bague, c’est celle de mon frère, de mon père et de mon grand-père avant lui. Elle est transmise de génération en génération aux aînés de la famille Lengsfrid. Elle te revient de droit. »
Denia récupéra la bague et l’observa. À l’intérieur, figurait le nom de sa famille ainsi qu’un petit dessin.
- « C’est le blason de notre famille, le renard. Ton arrière-arrière-grand-père l’a choisi lorsqu’il est devenu roi d’Ectale. Elle prouvera ton identité pour rallier tes partisans. »
Elle voulut la passer à son doigt mais elle était bien trop large pour elle. Elle se décida finalement à la mettre autour de son cou comme le faisait son oncle.
Denia se leva à nouveau pour s’asseoir sur le table à côté du mystérieux paquet qu’Isold avait ramené. Elle fit balancer ses jambes de plus en plus vite :
- « Sigfrid ne me laissera pas le pouvoir, mon oncle. Pourquoi le ferait-il ? Il a de bonnes relations avec les Arkanza depuis des années. Il ne prendrait pas ce risque. Tout cela me fait peur. Je ne me souviens que de la vie à la ferme, je n’aspire pas à la politique et je ne serai pas douée pour gouverner. »
- « Je n’ai pas dit que ça serait facile mais tu dois le faire pour l’avenir de notre famille. C’est ce qui importe. »
Denia semblait perdue dans ses pensées.
- « Sigfrid m’a pris tout ce que j’avais et sa famille prospère. », murmura-t-elle.
- « Je sais que tu as envie de te venger de Sigfrid, ma fille, mais c’est une très mauvaise idée. Je t’ai formé pour que tu puisses mener des hommes, pour que tu puisses te battre pour ton avenir. Tu as une responsabilité en tant que dernière de ta lignée, envers tous les Lengsfrid, vivants et morts. Ça ne ramènera pas mon frère ou Iecham. »
- « Prendre Ectale ne ramènera pas Barnulf non plus, mon oncle. ».
Isold soupira, il n’aimait pas la tournure que prenait la conversation. Denia essaya de changer de sujet. Elle sauta de la table et vint se rasseoir sur sa chaise. Elle prit les mains d’Isold :
- « Vous ne m’avez pas encore parlé du paquet, mon oncle. »
Isold retira ses mains de celles de Denia et joua nerveusement avec le petit ruban violet qui était noué à son poignet :
- « C’est parce qu’il ne vient pas de moi. Ta mère m’a confié des documents avant de partir pour défendre Airilion. Elle m’a fait jurer de ne pas les lire. Ils te sont spécifiquement destinés. Je ne me suis jamais résolu à te les donner avant aujourd’hui. »
Isold se souvint du moment où il avait prêté serment dans le temple d’Hatira. Iecham ne lui avait pas spécifié quand il devait remettre les documents à sa fille. Ils étaient tous les deux agenouillés devant la statue de la déesse. Iecham le fixait de ses yeux blancs nacrés tout en nouant le ruban à son poignet :
- « Je sais que vous prendrez soin de Denia, Isold. Vous l’avez toujours considérée comme votre propre fille depuis la mort de mon époux. Vous avez juré de ne pas lire les documents et de les lui donner en main propre, souvenez-vous en. »
- « Je ne vous ai jamais aimé, Iecham, mais je suis un homme de parole. Quand dois-je lui remettre le paquet ? », répondit-il d’une voix grave.
- « Quand vous estimerez que le moment sera venu pour elle et pour vous. Prenez-soin de Denia, cadet Lengsfrid, mais n’oubliez pas qu’elle tient de moi. »
Cela faisait longtemps que Iecham ne l’avait pas appelé par son surnom. D’habitude, elle l’utilisait pour se moquer de lui, mais il y avait presque de la mélancolie dans sa voix. Elle avait l’air grave et attristée, bien qu’Isold ne sache pas si elle était réellement capable d’éprouver de tels sentiments. D’habitude, elle était froide ou ses émotions paraissaient décalées par rapport à la situation mais ce n’était pas le cas à ce moment précis.
Isold revint à la réalité et sourit à Denia en lui tendant le paquet. Néanmoins, il ne lâcha pas sa prise tout de suite quand la jeune fille tendit avidement les bras pour le recevoir.
- « Je vais te donner le paquet Denia car je n’ai pas le choix, je l’ai juré devant un Grand H. Mais j’ai attendu le plus longtemps possible car j’ai un mauvais pressentiment à propos de tout cela. Ta mère n’était pas normale, ma fille. Iecham est à l’origine des malheurs de notre famille. J’ai vu comment Sigfrid et Karl étaient éperdus d’amour pour elle. Elle n’a fait qu’empirer constamment la situation. Elle ne ressent rien et ses yeux sont aussi changeants que les couleurs de l’arc-en-ciel. »
Il déposa le paquet dans les bras de Denia et planta son regard dans les siens :
- « Alors, s’il-te-plaît, ne cours pas après son fantôme, elle ne mérite pas une fille aussi bien que toi. »
Il l’embrassa sur le front et se dirigea vers sa chambre en trainant les pieds. Il ralentit pour écouter la réponse de Denia.
- « Je viendrai vous voir, mon oncle, lorsque j’aurai terminé de les consulter. Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi depuis des années. Je vous suis redevable. »
Il secoua la tête et ferma lourdement la porte. Il était heureux que Iecham se soit trompée : Denia ne ressemblait en rien à sa mère.
La jeune fille rapprocha sa chaise de la table de la cuisine en essayant de contenir son excitation. Elle coupa avec son petit couteau la corde en chanvre qui maintenait solidement le papier enduit qui entourait les documents. Il s’agissait apparemment d’une protection récente qui avait été rajoutée par son oncle. Elle découvrit à l’intérieur une série de trois parchemins pliés ainsi qu’un petit carnet. Elle abandonna les trois feuilles rapidement car elle ne comprenait pas du tout leur écriture. Il y avait des mots et des lettres en langue commune, le sigin, mais toute une partie des parchemins était rédigée dans une langue étrangère. Denia maitrisait quelques mots de l’ancien dialecte d’Airilion, encore utilisé par les prêtres, mais elle ne reconnut aucune lettre. Elle espérait avoir des explications dans le dernier document... L’ensemble était très coloré et les signes ne ressemblaient en rien à ce qu’elle connaissait. Cela commençait bien… Elle ouvrit le petit carnet et poussa un soupir de soulagement en s’apercevant qu’elle était capable de lire son contenu. Les mots avaient été tracés d’une main ferme et vive dans une écriture bien lisible mais peu raffinée. Chaque lettre était taillée à la serpe et manquait de rondeur. Denia parcourut les pages d’une seule traite.
Ma chère fille,
Si tu lis le contenu de mon carnet, c’est que je ne suis plus. Ne sois pas triste pour moi. Je m’attendais malheureusement à ce genre de dénouement et je m’y étais préparée. Pourtant, c’est avec beaucoup de regrets que je t’écris cette lettre. Ton oncle a certainement bien veillé sur toi. Il ne m’a jamais porté dans son cœur mais le sang de son frère coule dans tes veines alors tu es précieuse pour lui. Je ne lui en veux pas, mon mariage avec ton père était une aberration sociale selon les traditions, même si j’ai réussi, à la force de mes bras et de mon esprit, à me hisser en haut de la hiérarchie. Et puis, selon lui et la majorité des humains, je suis contre-nature.
Je n’ai pas eu la chance de pouvoir te connaître, c’est ma punition pour être en partie responsable des drames de notre famille et de nos royaumes. J’aimais ton père mais j’étais aussi très attachée à Sigrfrid Valkrigen, roi de Carfala. J’ai eu le malheur de choisir Karl et de ne pas confronter Sigfrid. J’espère que le siège d’Airilion me donnera au moins l’occasion de lui parler une dernière fois. Mais je ne t’écris pas pour m’appesantir sur mes propres regrets.
Ton histoire ne fait que commencer et elle prend racine dans des évènements bien plus lointains que tu ne le penses. Isold a déjà dû t’expliquer que j’ai une particularité physique. Mes yeux changent de couleur en fonction de mes humeurs et de mes désirs. Ils ne sont que la partie immergée de ma personnalité. Je ne suis pas humaine, ma fille. Mes ancêtres formaient un peuple disparu, oublié des humains, appelé les hénèbes. Nous avons tous reçu à la naissance le don d’immortalité et nous développons au cours du temps un don unique en fonction de nos expériences personnelles. Le temps n’ayant aucune prise sur nous, les sentiments humains nous ont toujours semblé étranges, si bien que nous avons du mal à les comprendre et à les exprimer. Ton père et Sigfrid ont réussi à changer ma vision des Hommes. Assez pour que je me décide, 700 ans après ma naissance, à abandonner mon immortalité. Vois-tu, les hénèbes sont capables de renoncer à leur essence et de la déposer dans des objets. J’’ai abandonné ma vie d’hénèbe quelques années avant ta naissance.
Si je suis morte et que nous avons perdu Airilion, tu n’as peut-être pas pu rester à Ectale. Je connais trop bien l’influence des grandes familles locales et la haine d’Isold envers Sigfrid pour comprendre que la fuite est votre seul choix. Pour ton oncle, l’avenir de la famille Lengsfrid est tout ce qui importe. Pour moi, c’est conserver la mémoire de mon peuple et la révéler au grand jour. J’ai trop perdu de temps à cacher mon identité et à me préoccuper des Hommes. Maintenant que je ne suis pas certaine de m’en sortir, je suis pleine de regrets. La dernière hénèbe va s’éteindre sans que personne n’en sache rien. Mais il reste un espoir : mon sang qui coule dans tes veines. Tu as la possibilité de restaurer la mémoire de mes ancêtres, qui font aussi partie de ta famille. Des documents très anciens sont conservés dans le grand temple d’Hiridiou, cœur de la cité-archives d’Aretrina. Certains datent de l’époque où Ithion formait encore un royaume unifié. Ils te permettront d’en savoir davantage sur les hénèbes. J’ai ouvert un coffre dans ce temple il y a bien longtemps, au moment de la création du système de dépôt. Son numéro est le suivant : 23. Il est conservé sous un nom d’emprunt : Damira Hierson. Je me suis arrangée auprès des prêtres d’Hiridiou pour que la location perdure. Tu y trouveras de nombreux documents mais surtout une carte et un objet te permettant, si tu le souhaites, de récupérer mon essence, c’est-à-dire mon immortalité et mes souvenirs. Les trois parchemins que je joins à ce carnet te permettront d’apprendre notre langue. Ma seule consolation serait de savoir que tu connais toute la vérité sur ton identité et que tu puisses la transmettre à ton tour.
Tu es libre, Denia, de choisir la route que tu souhaites : écouter le sang de ton père ou celui de ta mère. L’important, ma fille, est que tu te sentes bien, même si cela signifie oublier une partie de ton identité. Je regrette de ne pas avoir passé beaucoup de temps avec toi. Je n’ai jamais été capable d’être une bonne mère, même si je le voulais vraiment. Je me suis souvent perdue en politique et dans mes propres souvenirs. La mort de ton père ne m’a pas permis de poursuivre mes efforts sur le chemin de l’humanité. J’ai attisé l’orgueil de Sigfrid, ce qui a finalement provoqué ma mort. C’est un juste retour des choses, même si je n’ai jamais voulu que tu en pâtisses. Pardonne-moi, peut-être nous reverrons-nous. Si le néant est normalement le lot des Hommes, il serait injuste que nous y cédions. Il n’y a que la lumière, pour nous, les hénèbes.
Trouve la paix Denia,
Ta mère Iecham.
Lorsque Denia referma le carnet, quelques larmes coulaient le long de ses joues. Elle ouvrit le document une deuxième fois, pour relire la lettre de sa mère plus lentement et en appréciant chaque phrase. Elle chérissait ce petit carnet, car à travers l’encre, dans les traits tracés à la plume, c’est sa mère qui lui parlait directement. Elle avait du mal pourtant à intégrer l’ensemble des informations et plus particulièrement le fait qu’elle n’était qu’à moitié humaine. Elle resta accoudée à la table un certain temps, la tête entre les mains. La nuit était tombée depuis longtemps, elle y verrait peut-être plus clair le lendemain. Elle alla frapper discrètement à la porte de son oncle. Il ouvrit presque immédiatement et se poussa pour la laisser entrer dans la petite pièce. Denia se doutait qu’il était aux aguets depuis qu’il l’avait laissée seule avec les documents. D’une voix tremblante, elle essaya d’expliquer la situation à Isold :
- « J’ai appris beaucoup de choses aujourd’hui, mon oncle, un peu trop, peut-être, pour une jeune fille de ferme. Je vais avoir besoin de temps pour digérer ces révélations. »
Isold but une gorgée du breuvage en secouant la tête :
- « Je sais que tout cela a été difficile à entendre mais tu es en âge maintenant de comprendre et d’agir en conséquence. Je serai là pour toi, Denia, et d’autres t’aideront aussi. »
Denia jouait nerveusement avec ses mains :
- « Ma mère m’a appris beaucoup de choses également. Des choses qui dépassent mon histoire ou celle de la famille Lengsfrid. Je ne sais pas encore ce que je dois faire. »
- « Iecham ne t’a pas élevée, Denia. Je l’ai fait. Je sais que cela te fait peur, mais tu dois reprendre Ectale. Pour honorer les morts et pour assurer ta place parmi les vivants. C’est ce qui est juste de faire. Je ne sais pas ce que t’a laissé ta mère et je ne veux pas le savoir. Elle a toujours su faire des cadeaux empoisonnés. »
- « Vous ne comprenez pas, mon oncle, mon identité est…complexe. Tout cela est difficile à concevoir. J’ai besoin de réfléchir. La nuit porte conseil, dit-on, je vais tester l’adage et nous en parlerons demain matin, si vous voulez bien. Je suis épuisée à force d’avoir trop pensé. »
Isold hocha la tête et serra la main de sa nièce avant de lui dire bonne nuit. Denia lui sourit tendrement et lui dit avant de refermer la porte :
- « Je vous serai redevable éternellement, mon oncle, et vous êtes la seule famille qui me reste. J’honorerai votre mémoire d’une manière ou d’une autre et vous serez fier de moi. Je vous le promets. »
Elle réfléchit toute la nuit à ce qu’il convenait de faire mais même si la route tracée par Isold lui paraissait être la plus louable et la plus raisonnable, elle était attirée par les révélations énigmatiques de sa mère. L’immortalité, les hénèbes, tout cela lui paraissait sortir tout droit de contes pour enfants. Et pourtant, elle ne voyait pas pourquoi Iecham aurait menti dans sa dernière lettre avant de mourir. Les paroles d’Isold sur l’anormalité de Iecham corroboraient aussi l’origine mystérieuse de sa mère. Elle en savait peu, mais cela était suffisant pour attiser sa curiosité. Elle avait besoin d’aller au fond des choses pour ne pas avoir de regrets le reste de sa vie. Lorsqu’elle se leva le lendemain matin, sa décision était prise et personne n’aurait pu la faire revenir en arrière. Elle réfléchit à la façon dont elle pourrait annoncer sa décision à son oncle mais elle n’en trouva aucune de convenable. Elle continua à y penser en préparant le thé d’Isold. Elle espérait que le breuvage apaiserait un peu sa colère à l’annonce de la nouvelle de son départ. Elle prit la tasse et alla frapper à la porte de sa chambre. Elle alla s’asseoir sur le bord du lit et invita du regard son oncle à faire de même. Elle lui mit la tasse de thé entre les mains sans vraiment lui laisser le choix.
- « J’ai des choses importantes à faire, mon oncle, avant de revendiquer ma place sur le trône d’Ectale. Je le dois à ma mère et surtout je le dois à moi-même. Je sais que vous allez être déçu. Vous pouvez crier, me gifler, m’enfermer, rien n’y fera. Je vous aime plus que tout au monde et il ne faut pas le voir comme une trahison. Avant de devenir vraiment Denia Lengsfrid je dois laisser parler l’autre sang qui coule dans mes veines. Ma mère m’a laissé des questions sans réponses et elles vont me hanter si je n’essaye pas de les trouver. Je suis désolée, mon oncle. »
Isold posa la tasse sur la table de chevet un peu brutalement.
- « Ce qui compte, ce sont les vivants Denia. Tu es l’espoir de notre famille, la dernière de notre lignée. Sans toi, tous les Lengsfrid qui se sont succédés pendant près de 160 ans ne signifient plus rien. C’est Iecham, toujours, qui provoque le malheur autour d’elle, même après sa mort. Tu ne peux pas faire passer ta catin de mère orpheline avant ta seule vraie famille : celle qui t’a soutenue. Je refuse ta décision et tu verras si ma volonté ne brisera pas la tienne. Je le fais pour toi, tu me remercieras plus tard. »
Il voulut se lever mais il se rassit et se frotta les yeux.
- « Je dois être encore un peu fatigué, j’ai passé une mauvaise nuit. »
Denia saisit son oncle par les épaules et le maintint contre elle dans un geste plein de tendresse :
- « Je comprends votre colère, mon oncle, mais cela ne changera rien. J’ai peur de l’avenir il est vrai, mais j’ai besoin d’en savoir davantage. Je ne serai rien d’autre que Denia la fermière si je ne connais pas mes ancêtres. Je sais que vous n’aimez pas ma mère, mais je pense que nous ne comprenons pas un dixième de ce qui s’est passé. Il n’y a pas que ses yeux qui sont différents, elle n’est tout simplement pas de la même espèce que nous. Elle me lègue un héritage que j’ai besoin d’aller chercher. Je ne suis pas faite pour régner tout de suite. Peut-être que ma quête me grandira et me permettra d’être une meilleure souveraine pour Ectale. Vous l’avez dit vous-même, il ne faut pas que j’emprunte le chemin de la vengeance. Mais prendre maintenant la route pour Ectale ne m’apportera rien d’autre justement. J’ai choisi mon chemin mais je connais votre entêtement, vous ne l’accepterez jamais. Cela me brise le cœur mais je n’ai pas eu le choix, mon oncle. N’ayez pas une mauvaise opinion de moi, pardonnez-moi s’il-vous-plaît, je vous aime mais je dois vous empêcher de me retenir. Vous allez simplement dormir. Ne vous inquiétez pas trop à votre réveil. Vous m’avez bien éduquée mon oncle, je vous reviendrai en un seul morceau. Lorsque je passerai à nouveau le pas de la porte je serai prête à défendre les Lengsfrid. »
Denia déposa un baiser sur le front du vieil homme qui commençait à s’endormir. Elle le fit basculer en position allongée sur le lit. Il était encore dans un état semi-conscient. Il agrippa la main de Denia mais bientôt elle retomba mollement sur le côté de son corps. Mériana lui avait appris depuis longtemps les propriétés apaisantes de la valériane pour éviter des douleurs inutiles lorsqu’il fallait soigner une blessure. À forte dose, la plante agissait comme un sédatif. Il n’était plus temps pour elle de se poser des questions, elle devait agir vite et s’éloigner le plus rapidement possible d’Auburn pour prendre la route d’Aretrina. Elle ne connaissait pas bien la localisation de la cité mais Isold avait une vieille carte avec laquelle il lui avait enseigné des rudiments de géographie. Elle s’en empara dans l’armoire de son oncle et se mit à l’étudier. Elle essaya de repérer les grandes cités puis suivit du bout du doigt l’itinéraire qu’elle devrait emprunter. Le petit village d’Auburn était situé à la périphérie nord des terres contrôlées par les vassaux de la cité-état d’Airilion. Il était rattaché à la commune d’Ucmale, cité ayant des relations amicales avec la famille Venkrigen mais bel et bien indépendante et dirigée par un conseil communal. Denia comprenait maintenant pourquoi Isold avait choisi cet endroit plutôt qu’un autre. Leur ferme devait se trouver à environ deux semaines à cheval d’Ectale et trois d’Airilion. Pour rejoindre Aretrina, elle devrait aller vers le sud et non vers l’ouest. Si elle s’arrêtait uniquement lorsque cela était nécessaire, elle estimait pouvoir arriver dans le grand temple d’Hiridiou en un mois. Aretrina était la ville la plus proche des ruines d’Ithion et pourtant il y avait plusieurs miles de distance entre les deux. Les hommes avaient peu construit autour de l’ancienne capitale de peur qu’un nouveau tremblement de terre vienne arracher les bâtiments de leurs fondations. Aretrina était une très vieille cité, détentrice des plus anciennes archives de l’histoire du royaume. Denia savait qu’il était impossible d’y pénétrer sans autorisation. Il fallait qu’elle s’arme de patience et qu’elle arrive à y entrer en toute légalité. Sa mission demanderait beaucoup de temps, mais il ne fallait pas qu’elle se précipite comme elle avait l’habitude de le faire.
Elle roula la carte et commença à courir dans la maison pour rassembler ses affaires. Elle prit la trousse à herbes médicinales de sa tante, les papiers de sa mère, une gourde, un nécessaire à feu, quelques provisions, des vêtements de rechange et une couverture. Elle prit aussi sa petite bourse contenant toute sa fortune : des pièces d’argent accumulées au cours de ses anniversaires passés. Après un moment d’hésitation, elle fouilla dans la chambre d’Isold à la recherche d’une arme. Ce n’était pas son petit couteau ou son épée d’entraînement émoussée qui pouvait l’aider en cas de danger. Elle finit par trouver une épée de simple soldat, dissimulée sous des vêtements, mais elle n’était pas assez discrète pour son voyage. De plus, elle devait compter pour son oncle. Il lui avait déjà expliqué que chaque fils destiné à la guerre recevait symboliquement à sa majorité une simple arme pour lui rappeler la nature de son devoir, quelque soit son rang. En revanche, elle fut contente de trouver un petit poignard dans son fourreau. Elle le coinça dans sa ceinture et finit de rassembler ses affaires. Après un dernier regard en arrière, elle ferma la porte de la maison. Elle harnacha son cheval, remplit ses sacoches puis le sortit de son enclos. Elle l’enfourcha et partit aussi vite que le pouvait l’animal. Elle finit par le faire ralentir, perdue dans ses pensées, des larmes au coin des yeux. Elle espérait que son oncle ne fasse rien de stupide en son absence et lui pardonnerait son impulsivité. Sa mère comptait sur elle pour perpétuer la mémoire de son peuple, elle ne pouvait pas la décevoir. Et puis la curiosité était plus forte que tout : l’immortalité ? les souvenirs de sa mère ? Tout cela lui permettrait de se créer un avenir tout en renouant avec un passé qu’on lui avait arraché.
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