CHAPITRE III – Ce chemin était un fleuve et cette forêt une jungle - Partie 4

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Dès l’aube, le vaisseau mit le cap sur Nha Trang, situé un peu plus haut sur les côtes Viêtnamiennes, la ville la plus proche du massif de la Mère et de l’Enfant où l’expédition espérait découvrir la seconde nappe de LM au nom du Conseil du Graal - et tout ce qu’elle pouvait apporter en espoirs ou en possibilités après la trahison d’Emil.

Quant au Cinq Francs, c’était le bénéfice qui les mettait de si bonne humeur, à tel point que le trajet puis le débarquement à Nha Trang se déroula sans le moindre souci, si ce n’est qu’Alessandre faillit se battre avec un marin pour une sombre affaire de dés, jusqu’à s’en ramasser une par Maxime. Certes, comme Jasper le racontait à Henri, les deux professeurs ou Arcturus restaient bien à l’écart de tous, ils semblaient toujours être en train d’intriguer dans un coin, de discuter de sujets visiblement secrets. Mais les marins comme les mercenaires se disaient que l’étude des sciences devait rendre ces gens un peu étranges, rien d’inquiétant. En vérité, il n’y avait que les deux jeunes femmes du Conseil pour paraître normales, ou avec qui les trois autres se comportaient normalement, tel que Jasper le remarqua aisément. Non seulement l’Alsacien gardait toujours un œil sur Maria lorsqu’elle était sur le pont, mais surtout parce qu’il s’aperçut très vite que Marco-Aurelio le surveillait également. Visiblement, il fascinait l’Italien du Conseil, et cela mettait le jeune homme particulièrement mal à l’aise, notamment lorsqu’il cherchait l’occasion d’aborder la Franco-Polonaise. Mais heureusement, dès qu’ils arriveront à terre, les choses allaient changer, et Jasper espérait pouvoir comprendre pourquoi le vieux professeur le fixait ainsi tout en séduisant cette blonde trop farouche. D’autant plus que ce contrat allait être des plus tranquilles, pensait le jeune Alsacien, une simple balade dans la forêt, rien de mieux pour créer des liens.

Couvert par d’épaisses forêts humides, le massif de la Mère et l’Enfant était effectivement livré à l’abandon depuis la guerre, bien que les routes fussent assez praticables pour être parcourues en diligence jusqu’au hameau d’Ea Mdoal, sur le versant ouest des montagnes. Comme prévu, c’était donc une zone reculée, escarpée, si peu habitée que l’expédition n’avait rien à y craindre, hormis les dangers de la nature. D’ailleurs, dès la fin de la première journée, tandis que le groupe avait pénétré dans les forêts depuis quelques heures déjà, ceux sont des prédateurs qui vinrent menacer le groupe. Cependant, il n’y eu aucun effet de surprise, car Théo avait déjà aperçu la végétation être doucement fendue au loin, assez sûrement pour l’indiquer à son chef qui fut formel : c’était un tigre qui rôdait. Et même si la bête n’avait aucune chance face au groupe, sa seule présence suffit à semer la discorde puisque tous ne voulaient pas y réagir de la même manière. Quoi que lui dise Jasper, Maria refusait de laisser un tigre rôder autour du groupe, il fallait le tuer ou le faire fuir, mais Alessia s’y opposait bien évidemment, tandis qu’Arcturus s’en fichait complètement.

Bien sûr, les Cinq Francs de Saïgon ne pouvaient s’empêcher de lâcher leurs commentaires, et d’envenimer le débat entre les deux dames sans le vouloir, jusqu’à ce qu’ils ne finissent tous par déranger Achille, en tête du groupe et en pleine discussion avec l’un des marins de la Golden Owl qui les avait suivis à terre. 

— Restez calme tous, vous ne faites que l’exciter. Et vous perturbez Marco en plus. » lança-t-il simplement, alors que son ami observait des plantes à l’écart, au point de ne même pas tenir compte du tigre rôdant à une dizaine de mètres de lui.

— Quoi ? Ah, oui, je me laissais distraire, pardon. Ma dernière visite en Indochine remonte à plusieurs années. » s’excusa-t-il pour que son collègue ne lui fasse remarquer qu’il devait probablement connaître chaque fleur de cette forêt. « Même si ce devait être le cas, il y a toujours à découvrir et à réfléchir, chaque jour est un nouvel état d’esprit, un nouvel angle de vue … » lâcha simplement Marco-Aurelio en ramenant son regard dans le vague de la forêt, puis en baissant son regard vers les fourrés que le tigre agitait, avant de repartir tranquillement vers le groupe en tournant le dos à la bête toujours tapie.

 

Mais le tigre ne s’élança pas sur lui, bien qu’Alessia implore son mentor d’être moins insouciant, ou que Maria maintienne qu’un simple coup de feu pourrait régler tous les problèmes, en vain.

Durant de longues minutes, la bête continua donc à rôder autour d’eux, surveillant la première opportunité qu’ils lui offriraient, tandis que Jasper et les siens restaient en alerte maximale à l’arrière du cortège. Pourtant, les mouvements dans la végétation commencèrent à diminuer, à devenir de moins en moins visibles, jusqu’à cesser complètement, ou jusqu’à ce qu’ils ne les perdent de vue. Et pendant de longs instants, aucun des Cinq Francs n’aurait su dire où se trouvait le tigre, tout comme ils s’attendaient tous à l’assaut imminent de la bête. C’est alors qu’un cri soudain de Jasper mit presque tout le groupe en action lorsqu’il perça le calme de la forêt, si fort que Maria et Théo en dégainèrent leurs pistolets dans la seconde.

Mais, le silence ne dura qu’un moment, avant que tous comprennent ce qui venait de se passer – y compris le tigre qui en releva les oreilles d’étonnement.

— Euh, désolé… » lâcha timidement Jasper pendant qu’un joli petit papillon bleuté se remettait à voleter paisiblement à côté de lui, bousculé par son sursaut et tout aussi effrayé que lui.

— Putain le con ! » s’exclama Alessandre en éclatant de rire, aussitôt suivi par ses tous ses compagnons, à l’exception de Maria.

— Maître, pourquoi les avoir engagés ? Ça devient ridicule, là.

— Au moins, lui ne se fera pas surprendre par le fauve ! » s’amusa simplement Achille en s’en retournant à sa marche, comme s’il était fier de sa recrue, laissant Marco-Aurelio conclure à destination de son petit protégé.

— Soyez moins nerveux, Jasper. Tout ira bien. Un tigre ne saurait être votre fin. » lui sourit-il avant que la traversée de la forêt ne reprenne, accompagnée des excuses balbutiantes de l’Alsacien sur son coup de sang : on m’a raconté des histoires sur les insectes dans les forêts tropicales, c’est pour ça, ça va passer.

 

Ainsi, le voyage jusqu’au dernier arrêt put s’achever sans plus d’agitation, même si Jasper oubliait des dizaines de petites conversations au cours du récit qu’il faisait à Henri.

Cependant, il y a une dernière scène dont il se souvenait très nettement, sans trop savoir pourquoi son esprit la gardait en mémoire, même s’il se doutait que ce n’était pas par hasard. Pourtant, c’était une attaque ridicule d’étudiante hautaine comme pouvait l’être Maria envers Arcturus, elle lui demandait simplement combien il avait eu aux derniers examens sur son petit ton taquin que Jasper adorait déjà …

— J’ai eu autant que William. Alors ? » lui sourit-il, tout heureux de lui.

— Tu as sans doute copié sur lui, n’est-ce pas Alessia ?

— Euh - Je ne sais pas, j’étais concentrée sur mon devoir. » se justifia-t-elle, légèrement gênée à cette question, au grand plaisir de l’Anglais qui souriait de son méfait plus qu’apparent.

— Ah … Dieu seul le sait alors ! » se réjouit-il en jetant un regard triomphant à Maria, sans même se rendre compte qu’il venait de commettre une erreur.

— Je t’ai déjà dit d’arrêter de faire le malin en employant le nom du Seigneur ! Oui, il a triché ! » le dénonça-t-elle sans hésiter pour qu’il s’étrangle en voyant une trahison aussi soudaine et le sourire victorieux de la Franco-Polonaise.

— J’en étais sûre, tu es toujours derrière William ! Ça ne servait à rien de le cacher ! » lui lança-t-elle, sous les regards amusés de Jasper qui suivait la scène à l’écart, lorsqu’Achille se retourna brusquement en entendant ce dernier éclat de voix.

— Qu’est-ce qu’il se passe encore, Seafox ?! » s’exclama-t-il sur un ton sec, déjà convaincu du coupable, au grand étonnement de l’Alsacien qui s’étonna d’entendre autant d’agressivité chez un professeur – il n’appréciait visiblement pas le disciple d’August. Heureusement qu’il ne s’agissait que d’une simple discussion entre camarades, tel que Maria l’assura aussitôt son professeur pour que le futur président de Solar Gleam ne reçoive pas une belle engueulade …

 

Enfin, toujours est-il qu’une dizaine de minutes plus tard, le groupe arriva au dernier village avant leur destination, toujours comme prévu. Néanmoins, il y avait une chose qu’Achille n’avait pas anticipé, l’ambiance pesante de ce petit hameau coincé entre un détour de la rivière Hinh et les hauteurs boisées du massif.

Normalement, elle aurait dû être accueillante ou innocente, mais c’était plutôt l’inverse ce jour-ci. Non seulement les habitants semblaient informés de l’arrivée de l’expédition, mais en plus, ils évitaient le moindre contact avec elle, pire que s’ils étaient des pestiférés. Personne ne voulait leur parler, quoique leur traducteur, Marco-Aurelio, puisse bien tenter comme approche. Quant à l’homme qui devait les retrouver ici afin de leur servir de guide jusqu’au tunnel, il n’était même pas présent. Alors ils traversèrent le hameau presque désert à la recherche de quelqu’un qui voudrait bien le remplacer, sans succès. Il fallut donc attendre qu’Achille perde patience, qu’il dirige la compagnie vers le massif, pour qu’ils finissent par croiser un artisan bûcheron-ébéniste, rentrant de sa collecte avec sa hotte chargée à ras-bord. Bien sûr, l’homme se montra d’abord évitant, méfiant, jusqu’à finir par leur répondre une fois qu’il ait jeté quelques regards autour de lui, craignant visiblement que quelqu’un ne le voie parler à ces inconnus.

Apparemment, le malheur qui avait frappé le village était dû à la présence d’autres étrangers, des Annamites qui ne venaient pas de cette région. Ces derniers n’avaient pas uniquement volé les villageois, ils avaient également blessé ceux qui avaient cherché à s’opposer à eux, tout en leur interdisant le moindre contact avec des étrangers sans qu’ils ne soient prévenus. Évidemment, en entendant cela, le sang d’Alessia se glaça aussitôt, elle qui était encore terrorisée par les récits des actes antichrétiens d’Extrême-Orient. Mais le bûcheron ne savait pas trop quoi dire pour la rassurer, à part laisser Tyr s’en charger, car ces bandits devaient effectivement en avoir après les Européens, ne serait-ce que pour les rançonner. D’ailleurs, le risque d’être aperçu en compagnie des étrangers était trop grand pour qu’il accepte de les guider lui-aussi, alors il se contenta de leur donner les meilleures indications possibles, puis repartit sans perdre plus de temps. Ainsi, c’est dans le vague et une certaine appréhension que l’expédition continua sa route, en suivant du mieux qu’elle pouvait le chemin indiqué par le villageois, sur les versants verdoyants du massif de la Mère et de l’Enfant dont les deux pics culminaient aux alentours de 2 000 mètres.

Pourtant, cela n’allait pas démotiver le Français du Conseil, ni inquiéter son collègue italien, si bien qu’ils préféraient discuter de leurs hypothèses sur les propriétés probables de ce nouveau LM, ou sur le pourquoi du comment ce tunnel s’était ouvert plus tôt que les autres. Mais pendant qu’Alessia et Maria suivaient le débat scientifique qui s’engageait avec des étoiles plein les yeux, Arcturus préféra ralentir le pas pour discuter un peu avec les Cinq Francs de Saïgon sur des sujets plus concrets.

— La vie de mercenaires errants vous convient-elle ? » commença-t-il, avec le ton le plus sympathique qu’il pouvait prendre à l’égard de Maxime - légèrement à l’avant de ses hommes mais assez près de Jasper pour qu’il entende tout.

— Ma foi, il y a pire, nous n’allons pas nous plaindre. Nous sommes vivants et libres, ce n’est pas forcément le cas de tous les gens qui auraient eu notre âge aujourd’hui. » lui avoua-t-il, sans prêter attention à ce changement de comportement chez l’Anglais.

— À voir des Français de vos âge, je suppose que vous avez subi la guerre franco-prussienne ?

— Malheureusement, oui, à part Alessandre qui était trop jeune. Nous avons finalement tous déserté avant de quitter le pays, chacun pour nos propres raisons. » confia-t-il, pour qu’Arcturus n’interroge aussitôt ce qui pouvait faire déserter des hommes assez courageux pour faire mercenaires.

 

Alors Maxime lui fit un bref résumé de ce que Jasper savait déjà, à savoir qu’ils avaient tous les deux fui la Garde Nationale à la suite d’une terrible défaite, avant de croiser Alessandre durant leur cavale près de Marseille, puis Théodose et Tyr à Saïgon quelques semaines plus tard, après les drames qui suivirent la chute de l’Empire.

Enfin, comme il l’avait si bien dit, les Cinq Francs n’allaient donc pas se plaindre, ils étaient en vie, bien qu’Arcturus le trouvât beaucoup trop fataliste. À ses yeux, ce n’était pas avec ce genre de pensée que l’on prospérait, car si leur situation pouvait effectivement être pire, elle pouvait également être mieux. Fort heureusement, il avait justement une solution parfaite à leur proposer : un travail fixe et bien payé, dans une entreprise aussi naissante que florissante : Semper Peace. Immédiatement, Alessandre qui tendait l’oreille à ce moment de la conversation sauta sur l’occasion pour encourager Maxime à accepter cette offre - après tout, c’était tout ce dont ils pouvaient rêver de mieux. De son côté, Jasper resta silencieux, pensif à la vue du visage fermé de Théo, ou de l’expression hésitante de Tyr, visiblement gênés par quelque chose que leur chef décida d’avouer le plus poliment du monde au fils Seafox. Cette seule chose qui les retenait, c’était leur liberté.

Ce n’était pas seulement la liberté morale ou d’agir qu’ils chérissaient, c’était celle de leurs rêves et de leurs ambitions, car si leurs vies de mercenaires étaient sûrement moins tranquilles et profitables que l’offre d’Arcturus, elles offraient plus de perspectives à leurs yeux. En devenant son salarié, ils auraient une vie tranquille mais ne goûteraient à rien de bien grandiose, là où il suffisait d’une poignée de gros coups pour que les Cinq Francs se montent des affaires florissantes dans ces colonies, tout en bénéficiant du travail et des amitiés nouées durant ces dernières années. Alors Arcturus avait beau insister, promettre d’embaucher les Cinq Francs de Saïgon dans Semper Peace dès maintenant avec des salaires élevés, cela ne fit qu’attiser la méfiance de Maxime – le futur président n’avait pas encore ce sens de la négociation qui lui fut si utile plus tard. En plus, quelle garantie avaient-ils que cet Anglais n’essaierait pas de les arnaquer une fois à Londres ? Cela se faisait plus souvent qu’on ne le pensait dans ce milieu. C’est donc sous les yeux dépités d’Alessandre, qu’Arcturus se résigna à lâcher l’affaire et rejoindre ses compagnons, après avoir ajouté que les mercenaires pouvaient revenir vers son offre dès qu’ils le désireraient, ce qui laissait encore un espoir au cadet du groupe. Mais finalement, après que chacun de ses compagnons lui aient expliqué, Alessandre se laissa convaincre, tout en pensant aux 20 000 francs d’aujourd’hui qui allaient déjà bien gonfler leurs épargnes respectives.

D’ailleurs, à peine eurent-ils achever de discuter des bons côtés de leur liberté, que l’expédition arriva en surplomb du fameux ruisseau de la Princesse, le torrent qui descendait de l’un des versants du pic Chu Mu, jaillissant de la paroi rocheuse près de la grotte du Prince, plus loin en amont. Ensuite, il suffisait de le suivre pour trouver la caverne de son promis, comme l’avait dit le bûcheron, et le groupe ne mit ensuite pas plus d’une grosse demi-heure pour trouver l’entrée de la grotte du Prince, un lieu assez inhabituel pour ce genre d’environnement. En effet, la grotte du Prince se trouvait dans une petite vallée grise en travers du versant qui continuait de s’élever derrière l’entrée du tunnel, tel une petite tranchée dans la montagne d’où sortait le ruisseau pour y serpenter sur un tapis de fins galets pâles, cerné entre les deux flancs de falaises couronnés de forêts. En l’occurrence, c’était depuis ces hauteurs que le groupe aperçut le site, de si haut qu’il fallut descendre le long d’une petite corniche où chacun dut cheminer prudemment l’un derrière l’autre, ce qui ne manqua pas d’engendrer des situations comiques que Jasper racontait avec grand plaisir – d’autant plus que le Destin le plaça juste derrière sa chère Maria.

Mais une fois arrivé en bas, le jeune homme ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil à Marco-Aurelio, déjà à l’écart du groupe, le regard baissé vers ce ruisseau à l’éclat cristallin, puis vers le dhole égaré de sa meute qui traînait à l’autre bout de cette petite vallée - visiblement tout aussi gêné par les humains que par le ruisseau qui le forçait à faire demi-tour.

— Attention à ce ruisseau, sa teinte n’est pas habituelle. Il contient du LM en fine quantité, certes, mais suffisante pour effrayer les chiens. C’est curieux d’ailleurs … Le Blanc ne devrait ni les repousser, ni être suffisant pour le faire … » divaguait-il en regardant la bête repartir d’un pas hâtif, tandis que l’expédition finissait de fouler cette faille de pierres, ou que Maria déposait lourdement son sac sur le sol pour y attraper son matériel.

— Puis-je collecter des échantillons dès maintenant, Maître ? » demanda-t-elle sans perdre une seconde.

— De toute façon, même si nous te demandions d’attendre, tu te débrouillerais pour en prendre quelques fioles quand même ! » s’amusa Achille en s’approchant de son vieil ami, afin de lui envoyer une petite tape amicale sur l’arrière de la tête qui le ramena sur Terre. « Maria va prendre Alessia et Arcturus avec elle, allons-voir à quoi ressemble cette fameuse grotte de légende, j’ai hâte de rencontrer ce bon vieux Confucius. Toi aussi, non ? » plaisanta-t-il, sous les regards surpris de Jasper qui avait du mal à comprendre cette blague, même s’il devait véritablement y avoir un vieux philosophe au fond de cet endroit. Mais visiblement, cette idée devait être marrante pour eux, puisque Marco-Aurelio renchaîna sur une autre allusion qui fit rire son collègue sur le chemin de la grotte.

— Oh, Jasper, t’écoute ? » lâcha alors soudainement Maxime pour que l’Alsacien se retourne enfin vers ses compagnons, en pleine discussion avec les quelques marins. « On va s’occuper de garder l’entrée, des fois que les bandits viendraient se la donner. Des gars de la Golden Owl s’occuperont de suivre les savants dans le tunnel, leur maître d’équipage et un de ses hommes restent à l’entrée avec nous, et s’il doit y avoir du changement dans le plan, on suit ses ordres. On fait comme eux. » résuma le chef du groupe, en désignant d’un petit geste de la main l’un des marins à côté de lui, celui qui insista auprès de tous pour s’assurer que les ordres soient bien compris.

 

Mais tandis que l’escorte se séparait en deux, Jasper s’étonna d’une scène étrange, d’une scène qui ne manqua pas de lui donner de l’espoir d’ailleurs, jusqu’à ce qu’il ne comprenne qu’il ne verrait rien.

Les professeurs comme leurs élèves ôtèrent leurs vêtements de voyage pour se protéger d’une combinaison complètement étanche, couvrant leurs mains de gants et leur tête d’un revêtement étrange qui ne laissait apparaître que leurs yeux au travers d’une visière. Même Théodose n’avait jamais vu une armure pareille, dans aucune unité de l’Armée Française, tout comme Tyr était sûr de n’avoir jamais entendu parler d’un tissu comme celui-ci - bien qu’il ait souvent dû assister son père dans la gestion de son entreprise de textiles. Apparemment, ce genre de tenue était nécessaire pour accéder aux profondeurs toxiques du tunnel et pour manipuler le LM en toute sécurité, comme Jasper le comprit en voyant Maria se presser d’aller plonger sa main gantée dans le ruisseau, visiblement heureuse d’y entrevoir l’éclat scintillant de sa chère molécule. Malheureusement, le jeune homme put tout juste profiter de cet élan d’enthousiasme chez elle, puisqu’il suffit de quelques minutes pour que la collecte d’échantillons s’achève, et que les élèves se retournent vers leurs professeurs, prêt à découvrir la suite - sauf l’un d’entre eux.

D’ailleurs, lorsque les professeurs et les marins commencèrent à entrer dans le souterrain en invitant Maria, Arcturus et Alessia à les suivre, cette dernière resta comme bloquée à l’entrée du tunnel.

— Je – Je vais continuer à faire quelques prélèvements devant. Maria a raison, ce n’est pas normal de trouver autant de LM ici, et surtout dans un état d’excitation si faible, le blanc d’Orient est vraiment différent. Je vais m’interroger sur ça en étudiant le ruisseau et cette petite vallée plus en détail. » balbutia-t-elle pour que tous ses collègues, déjà sur le seuil de la grotte, se retournent vers elle d’un air légèrement surpris par des raisons aussi stupides.

— Tu pourras toujours en refaire après notre visite du bassin, ça ne change rien. » lui confia Maria avant qu’Arcturus ne prenne sa défense.

— Ça nous fera économiser du temps d’un côté, et … Ah oui ! J’avais oublié ! » commençait-il à ricaner tandis qu’Alessia baissait le nez, presque honteuse, sans que Tyr ne comprenne quel était le problème.

— Elle n’aime pas les espaces souterrains trop étroits, il n’y a pas de honte à ça. Mais allez, viens avec nous, Alessia, tout va bien se passer. Arcturus sera derrière toi et je serai devant, si ça peut te rassurer. » voulut-elle l’encourager, sans y parvenir.

— Nous te ferons un résumé complet, et Maître Marco-Aurelio te fera bien quelques dessins s’il y a quelque chose d’intéressant dans ce tunnel. » lui assura-t-il lorsque le Pionnier Italien mit un terme à tous ces atermoiements

— Ça ira, Alessia, ne t’en veux pas. Attends-nous ici et fais ce que tu dois y faire, mais ne t’éloigne pas, compris ? » concéda Marco-Aurelio, avant que Maxime n’ajoute aussitôt qu’ils surveilleront son élève comme le lait sur le feu, puis que Maria se permette d’exiger la même chose de Jasper.

— Bien sûr ! Euh - Vous me donnez des ordres maintenant ?

— Et tu adores ça, non ? » lui lança-t-elle en s’apprêtant à rejoindre le tunnel, sous les rires d’Henri qui finit par interrompre le récit pour rire du caractère que sa nièce avait déjà à cette époque.

 

D’ailleurs, le vieil aventurier ne put s’empêcher de préciser qu’elle n’avait pas pour habitude de jouer avec les hommes qui ont un faible pour elle, du moins pas de cette manière, cela prouvait qu’elle l’appréciait déjà au fond.

Et Jasper était trop content d’être coupé à ce moment-là du récit pour avoir envie de s’y replonger, surtout s’il pouvait en apprendre plus sur sa bien-aimée. Cependant, un frappement à la porte vint soudainement annoncer les autres témoins de cette histoire : Théodose avait fini sa ronde et venait réveiller Alessandre avec un peu d’exercice. En fait, la cuite du Provençal lui avait fait naître une idée prodigieuse, il allait apprendre à maîtriser les nouvelles capacités physiques que la thérapie de Maria lui confiait - plutôt que de passer son temps à les vanter dans tous les bars. Il était même en forme comme rarement, surtout pour quelqu’un qui a la gueule de bois, sûrement à cause des effets du LM qui transformait son mal de tête en une petite fatigue mentale. Alors quand il vit Jasper et Henri assis sur le canapé à discuter, il ne manqua pas de leur faire remarquer que ça glandouille bien ici aussi.

Seulement, quand son camarade lui avoua qu’ils étaient en train de discuter de leurs derniers jours en Indochine, la bonne humeur d’Alessandre s’effondra aussitôt.

— Hé ! Je suis venu pour m’entraîner de bon matin, votre sale ambiance vous pouvez vous la garder. Pourquoi vous discutez de ça ?

— Henri m’a gentiment posé la question et, depuis le temps qu’on bosse, qu’on vit plus ou moins ensemble, je me suis dit qu’il pouvait savoir ce qu’on foutait là. Ce n’est pas une honte, non plus … » lui expliqua-t-il, pour qu’Henri s’excuse poliment d’avoir laissé sa curiosité le motiver à demander ce souvenir en voyant Alessandre se diriger silencieusement vers le râtelier d’armes, déjà agacé.

— Vous avez eu raison tous les deux. J’ai déjà vu Henri aller à l’infirmerie de Maria, à plusieurs reprises. » intervint Théo, en espérant que cela rassure son compagnon sur les intentions du vieux majordome. « La dernière fois, elle vous a engueulé parce que vous y aviez déposé des fleurs, non ? »

— Oui … Maria craint que cela ne puisse causer des mauvaises interactions avec ses produits. » se justifia-t-il, avant qu’Alessandre ordonne à son camarade d’aller chercher une arme d’entrainement sur le râtelier, ou de laisser sa place à Jasper plutôt que de ressasser cette sale ambiance.

— En tout cas, je crois en Maria, moi. Je suis sûr qu’elle y arrivera. Je l’ai déjà aperçue sur le chemin de son infirmerie, ça se voit qu’elle prend ça au sérieux et que ça la touche profondément. J’ai déjà essayé de l’encourager ou de l’inspirer quand je la croisais, mais elle croit que je n’ouvre la bouche que pour la draguer. » finit-il par s’exaspérer en laissant son regard se perdre dans le duel de ses compagnons.

— Hm ! Ce n’est pas peut-être pas entièrement faux ! » s’amusa le vieux Polonais avant de reprendre sur un ton plus sérieux. « En revanche, je crois que ça n’a rien à voir avec vous si elle a tendance à être nerveuse quand elle approche de l’infirmerie. C’est son professeur Marco-Aurelio qui la met mal à l’aise, j’en suis persuadé. J’ai l’impression qu’elle se sent coupable de quelque chose plus exactement, mais j’en ignore encore la cause. » conclut-il sur un ton grave, tandis qu’Alessandre émettait des petits cris fermes pour accompagner ses coups, à tel point qu’ils s’entendaient dans tous les couloirs environnants – soi-disant que cela rythmait et canalisait son agressivité, selon un obscure épéiste asiatique rencontré par les Cinq Francs sur les quais de Hué.

 

Heureusement pour lui, l’infirmerie de Maria se situait presque à l’autre bout de la maison, dans un recoin du premier étage après ses laboratoires, assez loin pour qu’il n’y eut aucun risque qu’elle soit dérangée par le moindre bruit.

Cependant, bien qu’elle aurait aimé que ce silence soit bénéfique à sa réflexion, elle n’avait toujours aucune idée d’une solution possible. Elle restait inlassablement à son bureau, face à ses deux patients, avec ses seules mains pour reposer sa tête, emplie de milles et unes hypothèses toutes probablement fausses. Même avec les dernières recherches du Second Conseil ou tout ce que ce dernier avait pu récupérer du Premier, elle n’avait pas d’autre espoir que de trouver un quatrième type de LM afin de sauver ses deux patients. Ni le LM rouge, ni le blanc, ni le noir n’avaient réussi à amorcer un début d’amélioration, et rien ne présageait que les combiner puisse changer la donne. Mais en pensant à cela, ses pensées eurent au moins le plaisir de s’éclaircir, de rêver d’une nouvelle excursion qu’elle conduirait avec ses trois amis, comme celles qu’ils avaient déjà menées dans les Alpes ou en Asie. Clairement, chaque moment de ces voyages comptait parmi les plus chéris par Maria, si heureux qu’elle se mit à sourire en y repensant, avant de ranger les documents qui parsemaient son bureau, jusqu’à ce qu’elle jette un nouveau regard à ses deux patients, puis que son bonheur y fane. Sa première visite d’une nappe de LM ne s’était pas bien terminée, alors qu’elle avait si bien commencé. Au moins, Alessia n’a pas assisté à ça, se consolait-elle, en repensant aux choix très curieux qu’elle et Arcturus avaient faits ce jour-là, au fond de la grotte du Prince, des choix qu’elle chérissait et regrettait à la fois.

Néanmoins, tout aurait pu être pire, il y aurait pu y avoir d’autres corps inertes à côté de ceux de Marco-Aurelio, et du mercenaire français gisant près de lui.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez