CHAPITRE III – Ce chemin était un fleuve et cette forêt une jungle - Partie 3

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Les deux jeunes hommes eurent alors un moment d’hésitation, comme des enfants pris sur le fait, tandis qu’ils restaient plantés au beau milieu du pont réaménagé de cette ancien vaisseau de guerre. Pourtant, il ne leur voulait pas le moindre mal, au contraire, et surtout pas à Jasper.

— Maria et Alessia sont dans leurs cabines, sur ce pont, les dernières au fond. Si vous allez les voir, veillez à ne pas trop les importuner, surtout la petite Maria. Nous partons demain dès les premières lueurs, restez éveillé Jasper. » leur déclara-t-il calmement, en passant entre eux pour rejoindre le pont supérieur, lorsque Jasper lui répondit aussitôt que sa vigilance ne connaissait pas le relâchement – même si, bien des années plus tard, cette façon de lui souhaiter bonne nuit restait encore mystérieuse. Mais c’est évidemment une autre question que se posèrent les deux mercenaires.

— Euh - C’est qui … Maria et Alessia ? » lâcha donc Tyr dès que le savant fut parti, en se retournant vers Jasper qui supposait logiquement que c’étaient les deux femmes qu’ils venaient séduire.

— Apparemment, elles ont chacune leur cabine … Je m’occupe de la blondinette et tu essaies l’autre ? » tenta-t-il de négocier d’avance, en ajoutant que la brune avait l’air de vendre du rêve rien que de dos jusqu’à ce que Tyr lui réponde d’aller se faire mettre en ricanant.

 

Et Jasper eut beau insister en prétextant qu’ils n’allaient pas débarquer à deux dans une chambre, qu’il fallait s’organiser à l’avance, le Normand restait inflexible, en prétendant qu’il était déjà immunisé à ses techniques de fourbes.

En plus, Tyr était catégorique à ce sujet, c’étaient aux cœurs et au destin de décider. Alors, quand ils arriveront devant les deux portes au bout du pont, ils tireront à pile ou face et l’affaire sera réglée. Cependant, quand ils y arrivèrent, ils entendirent des signaux plutôt décourageants, des gémissements qui s’entendaient bien par-dessus les cloisons de bois d’une des cabines, puis par-dessus le profond soupir de Tyr.

— Me dis pas que l’autre connard de blondinet, il se tape une des deux. » lâcha-t-il, en voyant la mine déçue de Jasper qui lui répondit que ce n’était pas un gars qui faisait ces bruits-là. « Bon … Bah allons voir l’autre alors, sait-on jamais … » lâcha-t-il, dépité, en se retournant vers la porte de cabine située juste en face de celle que Jasper écoutait encore, lorsqu’elle s’ouvrit furieusement.

— Arcturus, paie ta putain pour qu’elle la ferme !! » s’écria immédiatement la petite blonde que les deux mercenaires avaient aperçue, Maria, aussitôt surprise à la vue des deux hommes. « Et qu’est-ce que vous faites, vous deux ?! » reprit-elle dans la foulée, persuadée d’avoir vu Jasper tendre l’oreille à la porte d’Arcturus malgré toute la vitesse avec laquelle il se redressa.

— Euh, nous voulions nous entretenir avec vous à propos de la mission que vos maîtres nous ont confiée. » déclara Jasper, avec un aplomb digne de sa réputation d’audacieux, sans imaginer qu’il venait de tomber sur quelqu’un qui en avait autant que lui.

— Ils sont tout au fond du bateau, vous ne pouvez pas rater leurs quartiers, il n’y a que leur cabine sur ce pont-là. Bonne nuit, et peut-être même bonne chance avec des gens comme vous. » leur asséna-t-elle en se préparant à fermer la porte, tandis qu’il restait saisi par la vision de cette farouche demoiselle, incapable d’insister comme Tyr essaya piteusement de le faire. Seulement c’était fichu, Maria allait fermer la porte sans même leur répondre à nouveau, lorsqu’une voix mille fois plus chaleureuse jaillit de l’intérieur de cette cabine.

— Attends ! C’est qui ? » demanda ce timbre charmant, celui d’Alessia qui restait calmement assise sur la banquette qui lui servait de lit.

 

Et c’était tout ce qu’il fallait pour que Jasper réagisse, en insistant sur le fait qu’ils les protègeraient mieux s’ils les connaissaient plus, bien que Maria ne voie absolument pas le rapport. Pourtant, elle eut beau se présenter laconiquement puis fermer la porte dans la seconde qui suivit, elle dut finir par accepter de les laisser entrer, après que l’Italienne eut insisté pour rencontrer ses protecteurs.

— Hm ! Soit. Mais ne prenez pas vos aises, votre place reste sur le pont. » leur concéda-t-elle non sans aigreur, en abandonnant la porte ouverte aux deux mercenaires pour se diriger sur sa banquette. « Et je suis déjà très épuisée alors ne comptez pas rester bien longtemps, je dois discuter de recherches importantes avec ma collègue. »

— Ce n’est pas ce que tu disais tout à l’heure … » lâcha donc Alessia, d’un rictus chaleureux qu’elle tourna ensuite vers eux. « Maria déteste les voyages en bateau, c’est pour ça qu’elle est de mauvaise humeur ! » lança-t-elle, pendant que Tyr restait saisi par son visage, à tel point qu’il ne savait plus où s’asseoir. « Il reste un peu de place sur ma banquette si vous voulez. » lui confia-t-elle pour qu’il accepte sans attendre cette invitation très innocente de la Florentine, vêtue comme une laïque, tandis que Jasper allait s’adosser près du lit de Maria qui le surveillait du coin de l’œil. Mais heureusement, l’Alsacien retrouva très vite le sourire. « Vous êtes Jasper, n’est-ce-pas ? » demanda-t-elle au Normand, gêné, mais obligé d’avouer la vérité en désignant celui qui l’éclipsait aussi vite, qui venait même à décrocher un regard curieux chez sa belle Maria. Mais visiblement, ledit Jasper était loin de l’image que s’en était faite les deux damoiselles.

— Je ne m’attendais à rien mais je suis quand même déçu. Mes félicitations, vous êtes peut-être plus exceptionnel que vous ne le croyez. » ironisa la Française.

 

Maria avait clairement décidé de s’acharner sur eux, quoi que dise Alessia en leur faveur. Ils eurent donc à peine le temps de balayer les préjugés qu’elle pouvait avoir sur les mercenaires, lorsque la Française finit par être lassée de leurs petits jeux, qu’elle les relança sur le sujet dont ils venaient prétendument leur parler. Et heureusement que Jasper était là, encore assez lucide pour jouer très naturellement son prétexte.

— Vous êtes des savantes spécialisées dans la molécule que contient le lac souterrain, c’est bien ça ? » demanda-t-il à Maria qui répondit aussitôt par un simple : Oui, et ? « Et, c’est très bien, les gens comme vous sont si importants pour le monde entier. » conclut-il, en réfléchissant à sa relance, sous les regards aussi gênés de Tyr que ceux de Maria, déjà consternée par une réponse si creuse. « Mais avez-vous entendu parler des légendes autour de ce lac ? Cela inquiétait beaucoup notre l’aubergiste, et de simples amateurs de culture comme nous ne pouvaient passer à côté de vos lumières en la matière. Vous pourriez-nous en dire plus à ce sujet ? » essaya-t-il, en priant pour ne pas être sèchement recalée, jusqu’à ce qu’il ne croise la mine réjouie d’Alessia, si heureuse de rencontrer des aventuriers amateurs de culture.

 

Et c’était tout ce qu’il fallait pour qu’elle se mette immédiatement à déblatérer presque sans s’arrêter, si joyeuse de partager cette légende avec quelqu’un d’autre que son professeur et sa meilleure amie, car tous les autres s’en étaient fichus éperdument - même ce gentil William, à qui elle la raconta juste avant qu’il ne parte pour le grand congrès du RFA. Évidemment, Maria en soupirait déjà. Non pas qu’elle déteste cette petite histoire, elle savait simplement que la Florentine allait mettre une bonne heure à la réciter dans les moindres détails. Certes, ces détails avaient très sûrement leur importance, mais étant donné que personne à part Marco-Aurelio n’en comprenait la symbolique, c’était moins intéressant, cela en devenait presque un conte banal.

Pourtant, celle-ci commençait d’emblée avec un personnage qui n’avait rien d’anodin, il s’agissait d’un prince indien, et pas n’importe lequel, du cadet des enfants de l’empereur Ashoka, presque l’alter ego d’Alexandre le Grand tant leurs existences ont failli se côtoyer. Malheureusement, l’empire de ce grand ancêtre de la civilisation indienne ne survécut pas à sa mort, ni à l’envie de ses nombreux fils et petits-fils qui se battirent aussitôt pour le pouvoir, encouragés par les gouverneurs ou les concubines, tous avides du même pouvoir. Seulement, au milieu de ce chaos que devenait l’Inde, le cadet des princes était un cas particulier, il n’était ni marié, ni même à la tête d’une province, il n’avait que sa fidèle garde rapprochée et le serment qu’elle avait fait de le placer à la tête de l’Empire Maurya. Pire, c’était un pacifiste dans l’âme, si bon que la vue des massacres fraternels le rendait incapable d’agir, si doux qu’Alessia lui pardonnait son incroyance. D’ailleurs, c’est certainement cette bonté d’âme qui lui permit un jour d’accueillir sur le pas de sa maison un sâdhu, un mystique venu des confins du Bengale. Ce vieux vagabond avait reconnu le véritable héritier dans ce jeune prince, ce qui n’avait rien d’étonnant, puisqu’il prétendait avoir accompagné Ashoka sur le chemin de ses conquêtes, regardant de loin les massacres qui finirent par pousser le souverain au repentir. Et s’il se présentait ce soir-là au prince, c’était pour lui proposer un pouvoir que son illustre père avait refusé lorsqu’ils se rendirent en pèlerinage aux sources de la Karnali, un refus qui aurait causé la défaveur des Dieux. Alors s’il voulait l’héritage impérial, le Prince devait d’abord accepter ce que son défunt père lui avait laissé, ce pèlerinage qui devait apporter un âge d’or sur l’Inde, renversant enfin l’âge sombre du Kali Yuga.

Certes, Ashoka avait fait condamner le tunnel que lui avait montré le sâdhu, mais il existait heureusement un autre moyen d’aller quérir ce grand pouvoir non-violent, un souterrain abandonné situé sur les terres du lointain royaume d’Au Lac, dans le pays des Viêts. Alors, sans perdre plus de temps, le Prince et sa troupe quittèrent Patala pour traverser tout le nord de l’Inde, marchant en droite ligne vers le levant pour rejoindre ce lointain royaume méconnu, traversant les forêts et les montagnes du Dvâravâti et du Suvarnabhumi, recevant tantôt l’hospitalité tantôt l’hostilité, jusqu’à ce que certains de ses compagnons finissent par tomber, usés par les maladies ou l’épuisement. Finalement, tout ça n’était peut-être qu’une erreur, tel qu’Alessia l’avouait d’un air sincère, presque directement concernée, et le Prince se préparait à se faire moine lorsque la Providence consentit à lui sourire. Tandis qu’il descendait la Rivière Noire pour arriver au delta du Fleuve Rouge, il aperçut une jeune femme à la grâce inégalable, discutant avec un moine et le sâdhu, celui-là même qui avait exhorté le Prince. Il ne perdit donc pas une seconde pour descendre de sa barque, afin d’y retrouver son conseiller et rencontrer cette dame charmante. Heureusement, le coup de foudre fut réciproque, à tel point qu’il ne suffit que de quelques minutes avant qu’ils ne s’éprennent l’un de l’autre, comme si c’était leur destin. Seulement, il y avait un léger problème, cette jeune femme était une princesse de la dynastie Thuc, les souverains d’Au Lac, régnant depuis leur grande citadelle de Co Loa.

Alors quand le commandant local apprit qu’un prince étranger, fils d’Ashoka le Sans-Douleur, cherchait à la séduire, il le fit cordialement conduire devant son roi. Car si elle n’était ni mariée, ni promise, elle traversait une période de deuil à la suite du décès de son fiancé, tombé contre les armées du Fou-Nan, après avoir conquis jusqu’au fleuve Mékong.

— Tu peux abréger s’il te plait ? » ne put s’empêcher de lâcher Maria, anticipant déjà une énième divagation de sa collègue sur la culture du Royaume d’Au Lac.

— Tout cela semble pourtant passionnant, à moins que ce soit Alessia qui ait un don pour rendre les récits fascinants. » la corrigea aussitôt Tyr, au grand plaisir de la Florentine qui pouvait reprendre sans tenir compte des soupirs de son amie, désemparée par tant de niaiserie - sous les regards complices de Jasper.

 

Néanmoins, la Florentine renchaîna aussitôt sur la suite du récit, lorsque le Roi consentit à laisser sa fille épouser un prince étranger d’un empire en guerre civile.

Cependant, il lui fallait plus de garantie que les bons mots du moine bouddhiste, surtout lorsque le sâdhu se mit à douter publiquement de la valeur du fils d’Ashoka, puisqu’il n’avait pas encore réclamé l’héritage refusé par son père, il n’avait pas tenu sa part du contrat. C’est donc un simple pré-accord de mariage et d’alliance que le Prince reçu, avant que le Roi ne lui lance un défi. Tout d’abord, il lui demanda de partir tuer cent anonymes d’une tribu rivale, qu’ils soient guerriers ou innocents, sans la moindre pitié. Bien sûr, il refusa de verser le sang sans raison, de sceller un mariage qu’il attendait par-dessus tout avec le sang d’un meurtre et, après avoir longuement insisté, le Roi en fut finalement très satisfait. Seulement ce n’était que la première partie du défi, et la plus rapide, car ensuite, le souverain lui confia l’épreuve désirée par le sâdhu. Au sud du Royaume, sous le massif de la Mère et de l’Enfant, se cachait un lieu très particulier où résidaient deux professeurs, dont le Prince devait obtenir les recommandations et les enseignements. Le premier d’entre eux était le Père des tigres blancs, et le Prince devait triompher de lui sans verser son sang sacré, ainsi que le convaincre de lui donner sa fourrure si belle que la laideur du monde ne pourrait la percer. Quant au second professeur, les légendes variaient allègrement sur sa personne, parfois identifié comme le philosophe chinois Confucius, parfois comme un autre sage local dont le nom se serait perdu. Pour ce dernier, le Prince devait remporter dix parties de weiqi afin d’obtenir son assentiment, de telle sorte que le Roi verrait en quelques échanges si son gendre avait bien retenu les Sciences du Nord - tel qu’il les appelait.

Mais cette nuit-là, la Princesse fit la rencontre d’une petite fille aux cheveux plus noirs que la nuit, tandis que le Prince rencontrait sur son chemin un troisième étranger à la peau plus pâle que n’importe quel Han, et que Maria finisse par se lasser de la longueur du récit.

— Et le Prince s’est rendu dans la grotte, sûr de lui, pendant que la Princesse se précipitait pour lui dire que l’endroit était empoisonné. Manque de chance, aucun des deux n’est jamais ressorti du tunnel, et le défi fixé par le Roi interdisait que quiconque n’entre dans la grotte tant que les deux amoureux n’étaient pas sortis, au risque de provoquer la colère du Tigre Blanc. Donc personne n’est allé à leur recherche. » résuma-t-elle d’une traite, avant de conclure par son commentaire final sur cette légende. « En tout cas, s’il y avait vraiment un tigre blanc qui vivait dans une partie saine des souterrains, il a du bien rigoler en voyant ses enfants vengés par la seule bêtise humaine.

— Elle dit ça, mais Maria a beaucoup aimé cette petite histoire. Ce soir, elle fait la rabat-joie par ce qu’elle est gênée, vous devez lui faire beaucoup d’effet … » répliqua Alessia du ton le plus sincère qu’elle puisse, en sachant pertinemment que son amie allait se justifier stupidement sur un ton encore plus gêné – d’autant plus qu’elle avait effectivement bien aimé cette légende malgré sa fin tragique et soudaine.

— Pourtant, nous faisons de notre mieux pour ne pas la mettre mal à l’aise. D’ailleurs, vous pourriez me faire une place sur cette banquette ? Si vous serrez juste un tout petit peu … » demanda Jasper pour que la réaction ne fuse aussitôt.

— Tu ne m’approches pas, crasseux. » lui asséna Maria, sur un ton si irritant que l’Alsacien décida d’arrêter de se laisser faire.

— Je ne suis pas sale ! J’ai pris un bain et des vêtements propres avant de monter à bord. Je peux vous en dire autant depuis le temps que vous êtes sur ce bateau et que vous vous lavez à la bassine, Mademoiselle ? » lui répondit-il aussitôt, sans se démonter, si assurément qu’elle se mit à rougir et à baisser le nez en grognant quelques mots inaudibles, elle n’avait pas encore assez de répartie pour répliquer à cette vérité dérangeante. D’ailleurs, Alessia aurait bien ricané de voir quelqu’un la recadrer, si elle avait compris en quoi cela était si gênant.

— Euh - À mon monastère, nous nous sommes toujours lavées à la bassine et ça n’a jamais posé problème à aucune d’entre nous, vous savez.

— Bien sûr, Mademoiselle, c’est une question d’habitude à prendre. » s’empressa d’approuver Tyr. « Jasper est juste un maniaque de l’hygiène qui ne sait pas bien se laver lui-même. » ajouta-t-il en souriant, jusqu’à ce qu’il croise le regard de Jasper, encore pensif à cette dernière réplique d’Alessia, et qu’il ne réalise lui-aussi, un monastère ?!

 

Et quand la Florentine poursuivit en avouant qu’elle et ses consœurs se baignaient parfois dans les quelques vieilles baignoires de la Dolce Lupe, il n’y avait plus aucun doute possible. Tyr ne pouvait plus qu’envoyer un regard déçu à son collègue, qui se retenait de lui rire au nez en demandant à la religieuse ce qu’elle pensait de ces vieilles légendes.

Après tout, l’expédition allait probablement bousculer les traditions religieuses des locaux, même s’il se doutait déjà que Maria les méprisait. Pourtant, elle se contenta d’en ricaner, et c’est bien Alessia qui fut la plus vindicative à propos de ces dangereux païens, bien qu’elle puisse aimer leurs légendes ou leurs arts. Pour l’Italienne, il ne fallait faire aucun cas de leurs croyances ridicules, au contraire, il fallait même s’atteler à les détruire pour mieux guider ces brebis égarées vers la Vérité de ses textes saints. En plus, les persécutions de masses contre les Chrétiens en Extrême-Orient étaient encore très récentes, et leurs violences étaient encore ancrées dans l’inconscient de la jeune femme.

Tyr essaya bien de lui expliquer pourquoi les Coréens et Annamites - car c’était surtout à ces peuples là qu’elle faisait référence - avaient si âprement défendu leurs croyances, mais pour elle, la fin ne justifiait pas les moyens, un tel déchainement de haine ne pouvait être qu’à blâmer.

— En tout cas, si j’avais su que nous aurions un professeur d’ethnologie à bord, j’aurai insisté pour que William vienne … » lâcha alors la Franco-Polonaise, avant que Tyr ne s’étonne du fait qu’il n’avait jamais fait d’éthologie. « C’était ironique. »

— Et ce n’était pas des plus justes comme commentaire. » intervint aussitôt Jasper. « Les petites gens peuvent aussi avoir des passions et du temps libre à y consacrer, Mademoiselle. Vous seriez étonnée de savoir le nombre de personnes exceptionnelles à côté desquelles passent les puissants et les ambitieux comme vous.

— On passe toujours à côté de quelques miettes, personne n’a jamais dit le contraire.

— Certaines petites miettes sont peut-être plus délicieuses qu’elles n’y paraissent. Moi-même, j’ai quelques talents, je pourrais sûrement vous apprendre deux ou trois choses sur la joaillerie ou la serrurerie. J’en ai touché quelques-unes avec le temps, vous savez.

— C’était un sous-entendu ? » lança-t-elle dans un sourire qui surprit aussitôt l’Alsacien.

— Euh – Non, quel sous - » commençait-il à balbutier lorsqu’il fut coupé par les rires complices des deux jeunes femmes, dès qu’elles le virent rougir en comprenant ce que même la religieuse avait déjà saisi.

 

Cependant, la discussion ne put durer plus de temps puisqu’un frappement à la porte se fit bientôt entendre, celui que redoutait les deux jeunes mercenaires.

C’était Maxime, venu chercher ses hommes, accompagné d’Achille qui n’appréciait pas du tout qu’ils prennent autant de libertés pour venir emmerder ses deux élèves, malgré toutes les excuses de leur chef. Bien évidemment, Maria en profita pour enfoncer un peu plus les deux hommes, avec un plaisir non dissimulé, tandis qu’Alessia les défendait du mieux qu’elle puisse, sans mentir pour autant car cela serait péché. Alors, Jasper et Tyr durent pitoyablement remonter sur le pont, avec Maxime pour les blâmer d’avoir agi comme des imbéciles et des indiscrets. Heureusement, les deux compagnons étaient loin d’être abattus, Jasper était même convaincu que tout irait pour le mieux, en boulot comme en amour, à tel point que la bande finit simplement sa soirée en jouant aux cartes, jusqu’à ce que Maxime n’éteigne les lanternes - car le budget huile du groupe devenait chaque semaine un peu plus élevé à force de veiller comme ça.

Ainsi, la nuit reprit son calme sur la Golden Owl, jusqu’à ce que les premières lumières ne se lèvent pour donner le signal du départ.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez