Chapitre III - Le retour de la garde - partie 1

Le capitaine faisait les cent pas devant les grandes portes closes. Il tournait et retournait son discours dans sa tête, tentant de peser chaque mot. Le retour s’était avéré pesant. Le gradé n’avait parlé à ses hommes que pour leur donner les ordres essentiels. Sur les six soldats qui lui avaient été confiés, un ne reviendrait jamais. L’éclaireur qui patrouillait le périmètre au moment de leur sieste forcée n’était pas reparu. Avalé par la forêt, dévoré par les loups, tué par des magiciens… le capitaine ne savait rien de son sort. À la minute où il avait repris connaissance, il sut qu’il avait perdu les prisonnières et qu’il rentrerait bredouille. Par acquit de conscience, il avait fait fouiller les alentours, sachant pertinemment qu’aucune bonne nouvelle ne viendrait enchanter cette journée de déchéance. Cette forêt, ces maudits magiciens... sa mission n’était pourtant pas compliquée, mais il avait fallu qu’ils s’en mêlent. Le roi lui avait accordé sa confiance et il avait failli. Comment osait-il d’ailleurs se présenter devant le souverain ? Il était mort de honte. Il avait réfléchi un instant à la fuite, l’exil, mais sa loyauté prévalait sur sa lâcheté. Il espérait que le feu les avait tous dévorés. Il avait regardé la forêt brûler pendant des heures, l’odeur de la fumée imprégnant ses vêtements. Pourtant, au petit matin, l’incendie était maîtrisé. Ebur en aurait pleuré. Il s’était décidé à reprendre le chemin d’Ernim, piteux, prêt à affronter son sort.

Les portes s’ouvrirent de l’intérieur et l’homme d'armes s’avança dans la salle d’audience. L’estrade royale lui apparut vide. Les gardes refermèrent les portes derrière lui et reprirent leur rôle de sentinelles immobiles. Mal à l’aise, il resta bien droit au milieu du sol pavé, observant l’assise royale fraîchement cirée. Chaque nouveau monarque se faisait sculpter son propre trône de bois. Ceux des prédécesseurs de Théophane se trouvaient dans une salle du pavillon privé. Le roi et sa famille s’y recueillaient le jour anniversaire de son accession au pouvoir. L’anneau royal, en revanche, passait de monarque en monarque. Le roi ou la reine devait épouser sa nation, et par ce geste, les responsabilités s’y trouvant liées.

La petite porte derrière l’estrade s’ouvrit à la volée. Le capitaine mit immédiatement un genou à terre et posa la main sur la garde de son épée, comme le voulait l’usage. Le souverain finissait d’attacher son manteau d’apparat à son épaulière droite. Il ne vint pas serrer la main du capitaine comme il le faisait habituellement. Il s’assit dans son fauteuil, se cala dans le fond et fit claquer sa langue sur ses dents en un tic d’énervement. Il s’accouda et posa un index soucieux sur ses lèvres.

— Monseigneur…

— Expliquez-moi, le coupa le roi. Comment sept hommes armés et entrainés peuvent-ils être terrassés par des fleurs des champs ?

Les joues du capitaine s’empourprèrent.

— Monseigneur, nous n’étions pas au fait des stratagèmes dont disposait notre ennemi. Nous l’avons sous-estimé.

— Ne vous avais-je pas prévenu ? Ces magiciens possèdent bien plus de ressources qu’ils ne le laissent croire. On les voyait comme des bienfaiteurs, des porteurs de prospérité, il n’en est rien. Fourbe, vicieux, retors, secret, voilà ce qu’ils sont ! s’emporta Théophane. Ils vous manipulent, et d’un coup, sans crier gare…

Le roi fit claquer le talon de sa botte

— … c’est votre fin. 

Le capitaine savait inutile de discourir plus longuement sur l’échec de sa mission. Aucune justification ne serait tolérée. Il attendit que le monarque poursuive. Celui-ci se leva, sillonna l’estrade de long en large, son manteau de fourrure glissant sur le sol derrière lui.

— À quoi bon porter l’anneau du roi si je ne peux protéger mon peuple d’envoûteurs qui se cachent dans la forêt. Ou devrais-je dire dans MA forêt, appuya-t-il. Ces terres sont-elles vraiment à moi ? Je ne le pense pas, puisque ma justice ne les atteint pas. 

— Monseigneur, nous serons mieux préparés la prochaine fois, affirma le capitaine d’un ton ferme. Laissez-moi me renseigner sur nos adversaires et je mettrai au point la stratégie la mieux adaptée.

Un rictus moqueur échappa au monarque.

— Nos adversaires ? répéta-t-il, ironiquement. Une gosse à peine âgée de dix printemps et sa grand-mère. 

Une nouvelle fois, le capitaine préféra ne pas argumenter. Cette affaire l’avait déjà suffisamment couvert de ridicule.

Le roi se laissa choir dans son fauteuil et se prit le front dans les mains.

— Ebur, cela me contrarie grandement. Un roi qui ne peut pas protéger ses propres enfants… qu’en penseraient mes ancêtres…

Le capitaine n’appréciait pas de voir son roi perdre ainsi confiance en lui, cela n’était pas convenable.

Il répondit d’une voix forte et assurée :

— Sire, nous vaincrons vos opposants et instaurerons une paix durable à léguer à vos héritiers et votre peuple. 

Le souverain mit ses coudes sur ses genoux et joua machinalement avec l’anneau qui lui ceignait l’annulaire droit.

— Tu as raison, mon ami. J’ai épousé cette nation à la suite de mon père, je ne la laisserai pas aux mains de sombres magiciens. Entraîne tes hommes, Ebur, et documente-toi à la bibliothèque du donjon. Nous en finirons avec cette menace ! 

Le capitaine baissa la tête en signe d’assentiment. Il se releva et sortit de la salle du trône. Malgré son agacement palpable, le roi ne pouvait pas se passer de lui.

Théophane n’était pas un mauvais souverain, mais sa jeunesse le rendait parfois impulsif. Le pouvoir lui avait été passé alors qu’il entrait à peine dans sa majorité. Son père était mort d’une longue maladie, développée dans sa jeunesse, un problème digestif chronique semblait-il. Aucun de ses médecins n’avait su prodiguer un remède efficace. Le mal le clouait régulièrement au lit. On l’avait vu s’amaigrir d’année en année, refusant peu à peu de s’alimenter, de peur de souffrir.

Le jeune roi haïssait les magiciens, particulièrement ceux qui auraient pu sauver son père. Au crépuscule de la vie du roi, Théophane avait fait mander l’aide des médicastres bleus de l’île de Léocadie. Les magiciens acceptèrent de coopérer, en échange de la permission de pouvoir se réimplanter dans les villes et villages, pour soigner hommes et bêtes comme ils le faisaient autrefois. Le prince refusa, les magiciens bleus ne vinrent pas, le roi mourut. Sa première décision, l’anneau passé au doigt, fut d’envoyer ses troupes par bateau, depuis le port de Myrdinn, assiéger et mettre à sac le temple bleu de Léocadie. Les soldats rassemblèrent les hommes devant le temple, enfermèrent femmes et enfants dans le bâtiment et y mirent le feu. La victoire fut facile, peut-être trop… les soldats moururent les uns à la suite des autres sur le chemin du retour.

En conséquence de ces tragiques évènements, Ebur fut nommé capitaine. Il avait été le maître d’armes du prince et ils se considéraient mutuellement comme des amis. Le roi ne pouvait douter de sa loyauté.

Pour enterrer la nouvelle du funeste destin des soldats envoyés sur Léocadie, le roi avait détourné l’attention du peuple avec l’annonce de ses fiançailles. Les festivités avaient mis la capitale en effervescence. Les nobles dépensèrent une fortune en vue du défilé du roi et de sa future épouse dans les rues de la capitale, chacun voulant paraître le mieux vêtu possible. La demoiselle était issue de la vieille noblesse Ernimienne. Le roi s’en était amouraché aux festivités de Drupe.

La coopérative des paysans de Drupe jouxtait la Grande Route, à l’entrée sud de la capitale. Les fermiers cultivaient la terre tout autour de l’enceinte de la ville, entre chaque bras de la Grande Route. Cela formait cinq grands hameaux d’agriculteurs que l’on appelait des Haleys. Drupe représentait le plus grand marché de produits frais du pays de Méromaï. Chaque année, une grande fête célébrait la fin des récoltes de la belle saison. Fermiers, marchands, villageois et nobles se rendaient aux Grandes Halles pour goûter les nouveaux produits et acheter les marchandises de meilleure qualité. La coutume voulait que la famille royale récompense le Haley qui avait fourni les meilleurs rendements. Les princes et princesses étaient invités à juger le concours de pâtisserie. À la nuit tombée, les étals se démontaient et le roi ouvrait la frairie en performant la première danse. À cette occasion, Théophane avait invité la gracieuse Isadora à être sa cavalière. La noblesse vantait ses talents de danseuse. Elle éblouit le monarque par sa douceur et sa vénusté.

Six mois plus tard, elle défilait au bras du souverain dans les rues d’Ernim. Son sourire sincère, ainsi que ses yeux clairs et rieurs, avaient conquis le peuple. Les enfants vinrent par centaines lui offrir un brin de muguet, afin de porter bonheur à la fertilité au couple.

Comme le voulait la tradition, le mariage fut précédé d’une semaine complète de festival. La capitale se para de rubans et de fleurs. Chacun ouvrit sa porte aux voyageurs. Des tables, chaises, tabourets et balles de foin furent installés partout dans les rues pour partager les repas en de grandes tablées. Des musiciens, ménestrels, jongleurs et autres artistes performèrent jours et nuits à tous les coins de rue. La cour d’honneur du château ne désemplit pas. Les portes restèrent ouvertes pendant tout le temps que dura le festival des mariés. Enfin, au dernier jour de cette semaine d’euphorie, parut Isadora. La cour était pleine à craquer de nobles et citadins venus apercevoir la future reine. Les portes du pavillon de réception s'ouvrirent sur une douce apparition, baignée par le soleil matinal. Vêtue d’une robe en soie lilas, la fiancée du roi rayonnait de bonheur. Des rubans de satin ornaient ses poignets et fermaient sa robe aux épaules. Une couronne de fleurs ceignait son front et retenait un voile délicat qui couvrait sa chevelure brune et bouclée. Nul bijou ne venait alourdir sa beauté simple et fraîche. Isadora apparut telle une fleur à l’apogée de sa floraison. La foule s’écarta en une haie d’honneur jusqu’aux portes de la citadelle, où l’attendait le roi, dans son costume de cérémonie blanc d’argent. Elle s’avança, un sourire radieux aux lèvres, des larmes de joie baignant son visage. Le monarque lui offrit son bras et ils partirent, suivis de la foule, vers la place centrale, pour que soit célébrée leur union.

Quelque temps plus tard, le couple royal annonçait la venue d’un futur héritier à naître. Et ils furent applaudis pour la naissance de deux petits princes.

Ebur portait déjà les enfants royaux en adoration. Son cœur se soulevait à l’idée qu’il leur arrivât malheur.

Ils avaient les cheveux blonds vénitiens de leur père et les fossettes aux joues de leur mère quand ils riaient. Une ombre succéda pourtant à la joie de leur venue. Les jumeaux Ossian et Agnan se révélèrent d’une santé fragile. La reine ne quittait pratiquement jamais leur chevet. De son côté, le roi consultait assidûment herboristes et médecins pour tenter de fortifier la santé de ses fils. Sa phobie de faillir de nouveau à protéger les siens occupait toutes ses pensées.

Ebur se faisait un devoir d’alléger les tourments du roi en supprimant les menaces qui pesaient sur les petits princes, à commencer par les magiciens revanchards.

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AudreyLys
Posté le 28/07/2021
Coucou !
Je m’arrête de ma lecture fantôme pour te donner un petit mot^^ J’aime bien ton univers et la manière dont tu le présentes, c’est clair et en même temps intrigant. J’aime aussi beaucoup l’idée de suivre les aventures d’une fillette et sa grand-mère, sans parler des POV Ebur qui apportent de la nuance au récit. Bref, je continue ma lecture !
Coquilles et suggestions :
Son cœur se soulevait à l’idée qu’il leur arriva malheur.-> arrivât ou arrivé
cela n’était pas comme convenable.-> cette structure de phrase est étrange, je crois que le comme est en trop
A bientôt !
Livia Tournois
Posté le 29/07/2021
Merci beaucoup cela m'encourage pour continuer ! Tu as raison je vais modifier ces phrases !
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