Chapitre III - Ruines

Par Cla
Notes de l’auteur : Bonne lecture :)

La pleine lune luit sur le feuillage des marronniers, leur donne une allure fantomatique. Malgré les températures élevées en journée, les nuits sont encore fraîches, et Camille n’a pas pensé à emporter de vêtement chaud. Elle frotte vigoureusement ses avant-bras pour chasser la chair de poule qui la parcourt.

— Nous approchons, chuchote-t-elle à l’adresse d’Ahuva qui la suit de près.

Voilà une bonne demi-heure qu’elles marchent dans la forêt maintenant. Leurs pas craquent sous les multiples branchages et feuillages qui jonchent le sol. Camille a préféré s’éloigner des chemins battus. Un mauvais pressentiment lui colle à la peau depuis leur départ du village.

Elle s’arrête enfin près d’une souche noueuse, écarte du lierre qui a colonisé l’arbre devant elle, qui tombe des branches comme un rideau de pluie. Elle s’engouffre ensuite sans hésiter par la trouée.

Une bâtisse à moitié écroulée se dessine. Le lierre a envahi les rares murs en pierres grises qui sont encore debout, seuls supports du toit percé aux tuiles dégringolantes. La porte principale est intacte, mais a toujours été coincée. Impossible d’entrer dans le lieu par là.

— Venez, dit Camille, il y a un passage un peu plus bas.

Elle amorce un mouvement sur sa gauche quand Ahuva la retient doucement par le bras.

— Attends, déclare-t-elle. Je connais cet endroit.

La doyenne relâche son étreinte, et s’avance vers la porte en bois sculpté. Aussitôt, une bourrasque s’élève, tourbillonne autour d’Ahuva. La doyenne tend ses bras d’un coup sec en direction du panneau. Comme un coup de poing invisible, l’air semble le frapper avec force. Une fois. Deux fois. Les gonds cèdent dans un grincement effroyable. Une poignée d’oiseaux s’envolent au-dessus d’elles, effrayés par le bruit.

Ahuva n’attend pas Camille et s’engouffre par l’ouverture.

— On a fait mieux niveau discrétion, lance Camille, étonnée.

Plus encore que le fracas, c’est le phénomène qui l’a provoqué qui désarçonne Camille. La doyenne vient-elle d’utiliser la magie ? Sans parchemin ?

— Il est inutile d’être discrètes, entend l’adolescente de l’intérieur. Qui viendrait s’aventurer jusqu’ici ?

Ahuva marque un point, reconnaît Camille. Mais, elle repense au parchemin qu’Iban a brandi quelques heures plus tôt. Où l’a-t-il trouvé ? Elle était persuadée d’avoir récupéré tous les parchemins de ces ruines.

— Vous êtes sûre ? répond tout de même Camille.

— Eh bien, nous allons le découvrir.

Lorsque l’adolescente entre à son tour, Ahuva est éclairée par la lumière d’une torche qu’elle brandit au-dessus de sa tête.

— Comment… commence Camille.

— Il faut croire que tu n’avais pas tout fouillé, l’interrompt la doyenne d’un ton malicieux.

— Je n’ai jamais eu accès à cette partie, avoue Camille avec des yeux ronds.

Elles se tiennent dans un espace rectangulaire. On dirait une ancienne pièce à vivre. Des tables sont disposées comme pour un banquet, devant un âtre froid, où des buches à moitié consumées reposent, recouvertes par de la mousse verdâtre. Sur l’encadrement de la cheminée, des armoiries, que Camille reconnaît, sont creusées dans la pierre. Elles représentent un arbre au centre, entouré par quatre symboles : une goutte, une plume, une flamme, et une fleur.

Camille déplace les chaises brinquebalantes pour s’approcher. Elle effleure les dessins, perplexe. Ils sont en reliefs. Elle appuie sur l’un deux. Il s’enfonce, mais rien ne se passe. Amusée, elle essaye ensuite avec deux à la fois, puis trois, puis les quatre. À peine les a-t-elle relâchés qu’un grondement s’échappe de l’intérieur de l’ancien foyer. Un trou béant s’est ouvert derrière les rondins de bois moussus, comme une bouche prête à les avaler.

Camille se retourne vers Ahuva avec un sourire béat sur le visage. L’excitation d’une nouvelle découverte a laissé place à son appréhension.

— Je n’ai pu avoir accès qu’au sous-sol, explique-t-elle précipitamment. Les parchemins que j’ai utilisés, je les ai trouvés dans un petit coffre qui portait les mêmes symboles !

— Allons voir, murmure la doyenne.

Elle tend la torche à Camille pour qu’elle prenne la tête de la marche. L’adolescente ne se fait pas prier deux fois, courbe le dos et enjambe les buches pour franchir le passage secret.

Elle emprunte maintenant un long tunnel dont les parois humides sont elles aussi recouvertes par de la mousse. Des nuages de poussière se forment à chacun de ses pas sur la terre battue. Après quelques mètres, elles débouchent sur une alcôve circulaire, au plafond bas. Le sol est de nouveau dallé, comme dans la grande salle qu’elles ont quittée. Les murs sont recouverts d’étagères remplies d’ouvrages poussiéreux, et de… parchemins. Camille n’en revient pas. Mais, le plus déconcertant, c’est le pupitre qui trône au milieu, recouvert d’un drap rouge qui en dissimule le pied.

L’adolescente passe la main sur le tissu. Elle n’en a jamais connu de tel.

— C’est de la feutrine, lui apprend Ahuva après s’être approchée. Nous n’en trouvons plus à Sylve, depuis…

— Oui ? l’encourage Camille.

Mais la doyenne ne poursuit pas. Les rides de son visage, à demi-éclairées par la flamme que tient Camille, se plissent sous la concentration. Elle repousse sa longue chevelure argentée derrière ses épaules.

— Je crois que nous avons trouvé où Iban s’est procuré le parchemin aux dorures, annonce-t-elle d’un hochement de tête. Regarde.

Elle pointe du doigt le long écrin en cristal sur la haute table inclinée. Il est ouvert. Un écriteau doré brille à l’intérieur du couvercle : à n’utiliser qu’en cas d’extrême nécessité.

— Comment savoir si le parchemin vient bien de cette boite ? demande Camille perplexe.

— Regarde mieux.

Camille se penche un peu plus au-dessus. Sur un papier cartonné, pas plus gros qu’une carte à jouer, un parchemin semblable est dessiné.

— Je te parie ma chemise que le parchemin doit se ranger ici ! conclut Ahuva.

— Euh… votre chemise ? relève Camille peu habituée à entendre Ahuva utiliser un tel langage.

— Façon de parler, sourit-elle.

— Mais, je ne comprends pas, continue Camille. Comment a-t-il trouvé cette ruine ? Et, à quoi sert ce parchemin au juste ?

Elle fouille le réduit en quête d’une réponse que la doyenne tarde à lui donner, perdue dans ses pensées. Un détail attire son attention près de la sortie du tunnel. Elle se penche et ramasse une étoffe violette qui scintille sous la lueur de la torche.

— Mia… murmure Camille pour elle-même.

— Tu as trouvé quelque chose ?

— Non… Rien de spécial, déclare Camille en fourrant rapidement l’étole dans la poche de sa salopette.

— Nous devrions rebrousser chemin, annonce Ahuva.

— Que fait-on des parchemins ?

— Mieux vaut les laisser où ils sont, assure Ahuva. Et refermer le passage pour éviter toute intrusion malencontreuse.

— Iban semble pourtant savoir comme y avoir accès, soulève Camille.

— Je me charge d’Iban, déclare Ahuva d’un ton glacial.

Elle dépasse Camille d’un pas décidé, et emprunte le tunnel en sens inverse. L’adolescente s’empresse de la suivre pour éclairer son chemin.

— Je dois te montrer quelque chose, ajoute-t-elle. Sortons d’ici.

Retrouver l’air frais de la nuit revigore Camille, elle commençait à se sentir à l’étroit dans la vieille ruine. Elle respire une goulée avec plaisir malgré la fraîcheur de la brise qui balaye ses joues. Ahuva s’éloigne déjà, empruntant un chemin de terre à l’opposé de celui pour rentrer au village.

— Ahuva… Savez-vous ce que fait ce parchemin ? lance Camille sans bouger.

La doyenne s’arrête, se retourne et sonde l’adolescente de ses yeux émeraude. Ils paraissent bien pâles sous la lumière phosphorescente de la lune.

— Je n’en sais rien, mais s’il était entreposé dans un écrin d’une telle valeur, je n’ose imaginer ses pouvoirs.

— Nous devons le retrouver.

— Je sais.

Elle n’ajoute rien et reprend sa foulée. Camille l’imite sans attendre, sans comprendre où la mène la doyenne, sans réussir à se débarrasser de son mauvais pressentiment. Elle peine soudain à se rappeler ce qu’elles font ici, pourquoi elles s’éloignent autant du village, pourquoi elles s’enfoncent autant parmi les châtaigniers. Si elles continuent ainsi, elles arriveront… Où déjà ?

— Les chênes, enfin, chuchote Ahuva.

Elle s’arrête à la limite entre les deux forêts, comme si elle ne pouvait pas plus avancer. Déboussolée, Camille la regarde palper le vide devant elle, sans être tout à fait sûre de savoir qui est cette femme aux longs cheveux cendrés, aux oreilles pointues, qui se meut dans une tunique ample, aussi verte que les arbres qui les entourent.

— Qui… êtes-vous ? articule l’adolescente avec difficulté.

Des bourdonnements envahissent ses conduits auditifs. Camille plaque ses paumes contre ses oreilles pour tenter de les stopper, mais ils s’intensifient, deviennent insupportables. Elle ferme les yeux sous la douleur qui cogne à présent sa boite crânienne. Elle voudrait qu’elle s’arrête, que tout s’arrête.

Elle n’entend pas Ahuva s’approcher, elle sent juste une main sur son front, puis… le silence. Immense. Calme. Salvateur. La mémoire lui revient aussitôt, et elle cligne des paupières, épuisée.

— Que s’est-il passé ? dit-elle en tremblant.

— Je suis désolée, j’aurais dû te prévenir. Approche-toi.

Camille hésite, ses jambes peinent à la soutenir, mais elle s’exécute. Ahuva lui saisit la main et la pose devant elle, contre une sorte de champ de force invisible, mais solide. Il palpite sous les doigts de l’adolescente.

— Tu touches la Barrière, lui explique-t-elle. Celle qui nous sépare du royaume d’Élyésis. Quiconque se tient trop près d’elle, voit sa mémoire se troubler, perd connaissance, et rebrousse chemin, sans savoir comment il est arrivé jusqu’ici. Oubliant même sa mésaventure en s’éloignant.

Les informations se bousculent dans la tête de Camille qui n’est pas entièrement sûre d’avoir retrouvé ses esprits.

— Mais, et vous ? réussit-elle à demander.

— Je suis immunisée.

— Comment avez-vous fait pour m’aider ?

— Une longue route nous attend Camille, j’aurais tout le temps de t’apporter des éclaircissements à ce sujet. Je voulais simplement m’assurer d’une seule chose en t’amenant ici.

Camille recule en retirant ses empreintes de la Barrière.

— Vous assurer de quoi ? lance-t-elle soupçonneuse.

— Que j’ai bien fait, il y a dix ans, de recueillir cette petite fille désorientée qui errait, ici même, avec pour seule consolation, une peluche en forme de lapin.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez