L’usage des drogues était devenu monnaie courante, voire de bon ton, et ingéré dans toutes les strates de la société. Il n’y avait juste que sa nature qui variait. C’est sur les effets de ces dernières que Valéri s’interrogeait. Il avait du mal à cerner le côté attractif qu’elles délivraient, quand il songeait à l’état de l’invertébré rendu indigent. Un doute énorme lui traversa l’esprit, et s’il avait eu, une attaque cérébrale ?
C’est la question qu’il se posait, quand une femme se présenta devant lui.
— Bonjour, je suis bien aux box de l’entrée 222B ouest ?
Elle avait dans le regard un air grave. Les traits de son visage trahissaient l’inquiétude, et pour cause, Valéri comprit aussitôt de qui il s’agissait.
— Bonjour, madame, oui, tout à fait, vous devez être la personne que j’ai eue au téléphone il y a peu, c’est bien cela ?
Elle avait une allure très soignée, remarqua Valéri, qui s’en étonna presque. Elle s’assortissait mal avec le dégénéré qui bavait dans le bureau, il la jugeait même attirante si on lui ôtait cette chape de peur dans son regard.
— C’est bien moi, où est mon compagnon ?
Il lui fit signe de patienter un court instant, et appuya sur son micro qu’il tenait à l’épaule pour inviter le prétendant à la noce.
— Uriel, l’épouse, ou la compagne vient d’arriver, vous pouvez nous rejoindre, je pense qu’on va trouver un terrain d’entente.
Un bruit de friture précéda la voix de son collègue.
— Ah il était temps, y m’fatigue lui, maintenant y m’jacte qu’il s’est fait agresser, je l’amène toute de suite !
La femme ouvrit de grands yeux, alarmée.
— Il s’est fait agresser, vous ne m’avez pas tout dit ?
— Non du calme, ça fait juste partie de son délire ou de ses hallucinations, vous savez s’il prend des drogues ou s’il suit un traitement médical… un peu costaux ?
Elle changea aussitôt de ton.
— Écoutez, monsieur, dans tous les cas, cela ne vous regarde pas. Je ne suis pas dans un commissariat et je n’ai pas à vous répondre, j’exige à présent de le voir, sinon je vous avertis je vais déposer une plainte !
Plus il l’observait, moins il comprenait ce qu’ils faisaient ensemble.
— Ça ne sera pas nécessaire, laissez-moi vous faire un petit résumé de la situation. Votre compagnon a adopté une attitude que l’on pourrait qualifier d’inappropriée dans le magasin et il a ensuite voulu dérober un livre.
Il jeta un œil autour de lui, et le tendit pour lui montrer.
— Que voici, quand on a essayé de lui parler, il s’est mis à baver en tenant un langage incohérent.
Elle fronça les sourcils, et parut douter de son identité.
— C’est tout à fait absurde, une méthode de développement personnel, et qu’entendez-vous par indécent ?
Il n’eut pas le temps de répondre, Uriel et mocassin d’indien, qui semblait soulagé de retrouver une tête connue, arrivaient aux box. Valéri se demanda un instant s’il n’allait pas se remettre à se pisser dessus.
L’épouse ouvrit alors de grands yeux effarés, comme s’il elle avait du mal à le reconnaître. Elle parut surtout outragée en apercevant l’immense tâche qui couvrait l’intérieur de son pantalon, dont quelques gouttes avaient fini par s’échouer sur la peau retournée de ses chaussures.
— Mais ils t’ont fait quoi tu t’es uriné dessus !
C’est Uriel qui prit le relais.
— Non-madame, on ne lui a rien fait. On l’a juste interpellé, après qu’il se soit soulagé dans le magasin, avant de partir dans une course folle pour tenter de sortir sans payer. Vous savez à mon avis, il souffre de troubles mentaux, vous n’avez jamais pensé à consulter un psy ? Ma femme avait quelques p’tits problèmes aussi, elle était persuadée d’avoir un amant, et, depuis qu’elle est suivie par un professionnel, ça va beaucoup mieux.
Valéri et la dame sursautèrent presque après la déclaration d’Uriel, mais pas pour les mêmes raisons.
— Ta femme avait un amant ?
— Mais de quoi je me mêle, je suis psychologue, alors votre compassion, vous la gardez pour les amants de votre femme vous me ferez plaisir !
Uriel se tourna vers son collègue pour confirmer.
— Ah ! tu vois elle est psy, je te l’avais dit, voler le livre, ça fait partie de sa technique de développement personnel, tous les coachs se font appeler psy c’est pareil.
Elle regarda son époux, dont la bouche avait presque repris sa forme originelle.
— Et toi, tu te rends compte dans quelle situation tu me mets, voler un livre sur le développement personnel, et… et… t’urinez dessus dans un magasin, mais qu’est-ce que tu as dans la tête !
Le gars essaya de parler, mais ne réussit qu’à aggraver son cas.
— J’ai ‘uu hooommes bleu, vooolaient m’enl’ver j’ai ‘u poor !
Valéri gonfla ses joues, pendant qu’Uriel continuait à mater le corps de la cheffe indienne qu’il trouvait aux vues de son intérêt scrutateur, tout à fait à son goût.
— Ah voilà, vous l’avez brutalisé j’en étais sûre, vous allez avoir de mes nouvelles, je vous le garantis, nous allons sur le champ déposer une plainte pour mauvais traitement et… abus de faiblesse !
— Si vous voulez, répondit le plus grand, mais tout ce que je vous ai dit a été filmé, les forces de l’ordre pourront très vite se faire une idée de qui dit vrai. En revanche, le livre-t-on fait quoi vous le réglez ou c’est nous qui appelons la police ?
Elle sut d’instinct qu’il ne mentait pas, ce qui la mit dans une rage folle et leur fit comprendre à tous les deux que mocassin d’indien n’allait pas tarder à devenir célibataire.
— Votre livre, vous pouvez vous le placer où je pense !
Avant de se saisir du bras de l’invertébré pour l’entraîner d’un pas ferme.
— Toi viens ici, nous rentrons, je n’ai jamais eu aussi honte de ma vie, tu vas me le payer, je te le garantis tu vas me le payer !
Ils les regardèrent s’éloigner au milieu de la foule qui ne s’était rendu compte de rien.
— Elle est bien roulée la psy tu trouves pas ?
Demanda Uriel qui retourna s’installer derrière le box, rejoint par Valéri qui paraissait toujours intrigué à la suite de la dernière déclaration de son collègue.
— Mais, dis-moi, l’histoire de l’amant de ta femme, tu ne m’en as jamais parlé ?
Le visage d’Uriel se ferma d’un coup pour fixer ses écrans d’observation.
— Euh… non, mais c’est réglé à présent, depuis qu’elle consulte.
Valéri comprit que quelque chose était en train de lui échapper, il revint à la charge.
— Tu croyais que ta femme avait un amant et tu ne m’en as pas parlé, attends il y a un truc qui ne colle pas !
Il démentit.
— C’est elle qui s’était imaginé ça, ne me fait pas dire ce que je n’ai pas dit.
— Puff prends moi pour un pigeon !
Uriel afficha un air gêné et finit par lâcher.
— Bon c'est vrai, j’avoue, avant de découvrir qu’elle souffrait d’un problème, je pensais que c’était toi… son amant.
Valéri sursauta sur son siège.
— Hein, moi l’amant de ta femme, mais ça ne va pas bien, toi dis-moi !
— Bon, ça va, tout le monde peut se tromper, et c’était au début on se connaissait à peine. On tournait dans des équipes séparées, donc avec des horaires décalés, après j’ai vite pigé que je faisais erreur.
Il était sous le choc, sidéré d’apprendre une chose pareille de la part de son partenaire de travail.
— Mais, sinon, elle se porte mieux, c’est pas courant comme trouble.
— Oui, oui, elle a compris que c’était juste dans sa tête, elle est pas folle quand même.
Il haussa les épaules.
— Va savoir ce qu’il s’y passe toi dans la tête des gens, regarde l’autre abruti qui va se faire plaquer, il pense qu’il a échappé à un enlèvement, alors imagine.
— Ouais c’est vrai, on vit dans un monde où plus personne n’est à l’abri.
Les deux agents s’enfoncèrent dans leur siège, derrière les écrans, pour continuer à surveiller la clientèle insouciante qui n’avait rien remarqué de particulier. La nuit arriva, avec elle, la fermeture du magasin, qui se vida avec ces éternels retardataires, qu’il fallait accompagner jusqu’aux caisses pour enfin commander le verrouillage des rideaux de sécurité.
Ils débutèrent alors leur ronde, dans le temple de la consommation devenu silencieux. Parcours pédestre où ils passaient en revue toutes les entrées pour contrôler si aucune infraction n’était commise jusqu’au petit matin ou une équipe venait les relever dans leur fonction.
Ils se séparaient ensuite en bâillant, leurs paupières plus affaissées. Après un dernier salut, Valéri repartait rejoindre son bus, qui l’amenait à sa gare RER pour changer deux fois de rames. Cette fois-ci moins pleine, et enfin jusqu’à son ultime correspondance qui le posait non loin de sa tour d’habitation.
Il grimpa les sept étages à une allure bien plus lente que pour la descente, sans jamais croiser personne, et garda jusqu’à ce qu’il ouvre la porte l’espoir que son bloc fut alimenté en électricité.
Il se réchauffa un plat préparé, l’avala sans prendre la peine d’allumer la télé, et fila se coucher, pour récupérer de sa ronde qu’il avait passé à errer dans le Megaraptor endormi.
Les jours n’avaient plus d’importance pour lui. Son calendrier basé sur son rythme de travail, à l’image d’un combo sportif. Quatre périodes de nuit, quatre périodes de jour et deux de repos pour finaliser la tactique, à l’égal des champions de Powerball.
Au moment de fermer les yeux, il avait tout à fait oublié l’incident dans le magasin, sans se douter un instant que ce n’était que le début d’une longue série, qui allait bouleverser son existence.
Après si ça l'entraîne jusqu'au bout de la nuit pour casser sa routine et vivre des aventures, pourquoi pas...
Toujours la bonne ambiance, champion.
On va pouvoir débuter les choses sérieuses, ou enfin non, car il n'y a rien de sérieux dans cette histoire, même si je dresse une théorie sur l'évolution de l'homme et sa manière de vivre en société, qui vaut ce qu'elle vaut, mais tu verras plus tard. (alors attention, avec les protections adéquates pour l'entendre, c'est à dire casque genouillères coudières)