Chapitre V

Par Fidelis

Jour deux, cité de l’Étoile, branche est, bloc 624, foyer 77.

La sonnerie du réveil retentit sur le mode buzzeur. Le son gras de l’antiquité, dépourvu de tout hologramme de réjouissance, emplit la pièce. Valéri comprit. L’alimentation du bâtiment était suspendue jusqu’à nouvel ordre. Il se souvint des préparatifs en cours pour accueillir les jeux démocratiques libres, qui débutaient dans l’hyper centre. Vitrine de la réussite sociale, lieu de pouvoir où il fallait être vu pour exister, et construire sa place dans l’étoile.

Il se leva et prit soin de garder sa couverture sur ses épaules, ouvrit les stores qui ne laissent entrer qu’une lumière de fin d’après-midi, avec un indice de pollution élevé. Le ciel, l’horizon, tout était opaque, en prime, les vitres étaient mouillées, ce qui lui signale une bruine sournoise qui opère dans la mélasse.

Le septième étage de la tour l’exposait un peu plus aux intempéries, comme l’humidité. Valérie détestait cela, elle finissait par bouffer tous ses appareils connectés. Contraint à garder son radio-réveil hors d’âge et limitait l’achat de toute nouveauté, qui, même s’il n’en est pas féru, il reconnaissait l’utilité de certaines pour faciliter son quotidien.

Il fouilla son minuscule coin-cuisine encombré des restes de repas. Le ménage, réglé sur son rythme de travail, en quatre-quatre deux, c’est arrivé au stade deux, qu’il réunissait les cadavres de plats préparés. Certains avaient déjà déserté la table et se trouvaient par terre. Il les fourrait alors, dans un sac poubelle, pour  recommencer un autre cycle, libérant la place nécessaire pour entasser à nouveau. Il réussit à dénicher son allume-gaz, sentit du gras sur sa poignée et râla sans même s’en rendre compte avant de l’essuyer avec un papier usagé. Il fit apparaître une petite flamme à son extrémité pour s’assurer que cette dernière fonctionnait et transforme ce geste anodin qui en salue providentiel sur son brûleur. Il s’agissait juste d’une bouteille de propane surmontée d’un appareillage en fer pour accueillir un plat ou, dans le cas présent, sa cafetière italienne dégotée aux puces clandestines. Il n’a plus qu’à attendre qu’elle se mette à ronronner. Gargarismes évocateurs, qui lui indiquaient que l’eau montait dans le récipient, s’imprégnaient en passant du café pour finir stockés dans la partie supérieure.

Il observa un instant la flamme bleue qui couronnait le brûleur, se laissa hypnotiser par sa légèreté, bâilla, puis s’étira avec lenteur, mit la main sur sa radio autonome. Il tenait à savoir si le réseau de transport était affecté, joua avec la molette pour chercher une station. Son visage adopta un air soucieux, le regard fixé contre un mur vide. Il se concentrait avec son ouïe pour stabiliser la réception. Par temps dégagé, cela va assez vite, mais avec un manteau nuageux aussi bas, chargé de pollution et donc de métaux lourds, les ondes étaient beaucoup moins dociles à se rependre dans l’espace de manière ordonnée.

Il reconnut la voix de l’animateur, entre deux jingles de publicité, suivi de notifications pour les rendez-vous futurs à ne pas manquer. Rodéo urbain dans la branche sud-est, avec la participation de la police et leurs tirs à balles réelles, ou la réunion trans Fog dans le stade géant, plus à l’ouest. Musique à plus de deux cents décibels et fumigène de drogues légales, avant d’entendre l’annonce qu’il guettait.

— … La société VIP ELEC a fait savoir au gouvernement qu’elle soutenait l’emploi en alimentant les services de transport intercités pour que tous les clodos’ de banlieues puissent aller bosser. Un message fort à l’intention des ratés ! Ne pensez pas que vous allez vous en tirer à si bon compte, et dites-vous que c’est un privilège que vous accorde VIP ELEC, au boulot, vous serez chauffé, contrairement à chez vous !

Le ton se voulait outrancier, comme tout ce qui passait par les ondes. Une IA s’occupait de la rédaction des messages, de l’intonation de l’ambiance, dégradé à l’image des utilisateurs et de l’ensemble de la société.

Une fois la réponse à sa question entendue, il préféra l’éteindre pour boire son café tranquille. Il connaissait déjà la suite de toute façon. Une litanie d’absurdités, causées par le manque d’entretien ou la détérioration des structures collectives.

Il tenta après de s’habiller, mais, comme pour le ménage, le linge observait la même règle. Il eut du mal à dénicher quelque chose de propre, décida de conserver ses vêtements de la veille quand il se rendit compte qu’ils ne sentaient pas plus le renfermer que les autres. L’esprit pas encore tout à fait réveillé, il dégota une bouteille d’eau dans sa réserve prévue en cas de coupure, pour s’en mettre un coup sur le visage. Sans prendre la peine de se regarder dans une glace. De toute façon il n’en avait plus et son crâne rasé lui évitait de perdre du temps à rendre docile une chevelure qui s’obstinait à garder la marque de l’oreiller.

Il finit par sortir. Ferma le conapt derrière lui en se disant qu’habiter au septième a tout de même un avantage, les rats étaient trop fainéants pour y monter, vu qu’ils trouvaient leur bonheur au rez-de-chaussée.

Comme prévu la bruine l’accueille dès qu’il pose un pied dehors. Il rabattit sa capuche et marcha d’un pas décidé en direction de son arrêt de bus. Il réussit à grimper dans la première navette déjà bondée, qui l’amena au quai RER. Là c’était la cohue, il s’avança dans la foule compacte le plus près possible des rails et patienta jusqu’à l’arrivée du train. Quand il entend le bruit d’air comprimé qui s’échappait des portes coulissantes, il se laissa aspirer par le flux qui le conduit à l’intérieur, le plus dur reste toujours la sortie.

Imprimé avec les autres au milieu de la rame, son oreille vagabondait, sans pudeur dans les conversations qui l’entouraient.

— C’est quoi ton masque, un nouveau protocole ?

— Oui mon i-médecin me l’a changé. Les amphétamines j’avais du mal. J’ai pas dormi pendant trois jours j’ai fini par me battre avec un container poubelle tellement j’étais à cran, me suis pété deux phalanges, mais ça va, ça aurait pu être pire, surtout au travail. Le mobilier il a mangé. Il hausse les épaules. M’en balance, les dégâts sont couverts par l’assurance du protocole, sauf les dégradations corporelles sur le personnel. Puis il reprit d’un air plus détendu. Maintenant ça diffuse de la ketalight c’est pas mal, ça tient éveillé sans être trop énervé et, surtout, tes hallucinations sont paramétrées sur ton rythme cardiaque, pour te booster ou d’apaiser.

— Ouaou efficace !

— Oui, mais délivrer uniquement pour le travail.

La suite se perdit dans un freinage rendu assourdissant causé par l’humidité. Au deuxième il savait qu’il allait devoir descendre et se prépara à changer de rame.

Bruit d’air qui s’échappe, les portes coulissèrent et là, on rejoint le molle. On pousse, on pousse jusqu’à s’en extraire, c’est comme essayer de passer une doudoune dans un entonnoir de la taille d’un petit doigt à la sortie, même avec de l’huile c’est difficile.

Une fois dehors, il fila jusqu’au prochain quai pour recommencer l’exploit et parvenir à destination. Dernière navette de bus avant d’arriver au Megaraptor. Il se changea en vitesse et traversa le long couloir qui donnait sur le box, son lieu de travail.

Uriel, déjà derrière ses écrans, remarqua sans lever un œil.

— T’es en retard mec !

— Ouais si tu veux, moi aussi je vais bien, rien de spécial ?

Valéri retrouva sa place, et fit en premier lieu un rapide tour d’horizon grâce aux optiques implacables qui quadrillaient la suite de rayons sans fin du magasin surdimensionné.

— Non c’est calme, pas beaucoup de monde, mais ça devrait plus tarder.

— Et ben, si je pouvais avoir autant de lumière chez moi, ça m’arrangerait, tu as eu du courant toi ?

Uriel afficha un large sourire sans bouger la tête.

— Ouais, mais j’attends pas seize heures pour me lever, c’est peut-être pour ça.

Valéri haussa les épaules.

— De toute façon c’est inutile de se réveiller plus tôt, pour se retrouver dans le noir toute la journée.

— Ouais p’t être, mais c’est pas comme ça que tu te trouveras une donzelle. Ton conapt c’est un container poubelle, personne voudrait d’un gars qui vit au milieu de ses poubelles, pas même un autre mec !

— Très drôle et non, mentit-il sans forcer, j’ai fait des efforts. Je n’attends plus que ça déborde, et de toute façon, côté banlieues ouest, vous avez moins de coupures que nous. C’est grâce aux hôpitaux qui se situent pas loin de chez toi, mais les loyers, eux, sont plus chers.

Le mastoc sursauta d’un coup sur son fauteuil, comme s’il venait de prendre un électro-choc.

— Putain, je rêve, mate ça, c’est l’impératrice qui fait une apparition, elle est canon la garce !

Valéri fronça les sourcils et dirigea aussitôt ses caméras. Elle portait un tailleur couleur chair avec une jupe très très courte, remarqua-t-il en déglutissant sans même s’en rendre compte. Des jambes élancées, une poitrine qui capte n’importe quel regard, et une chevelure blond presque platine tirée en arrière pour former un chignon élégant, dont seule une mèche s’en détacher habilement pour retomber sur son visage.

Les deux agents de sécurité la scrutaient de toutes leurs caméras fixées sur elle. Les optiques directionnelles, zoom réglé au max. Ils la déshabillaient d’un air qui en dit long sur leur ancestrale origine de primate moyen, que la civilisation avait renvoyé derrière un box pour demeurer à jamais éloignée de cette apparition.

C’était l’une des rares fois où l’on pouvait observer Uriel se laissait distraire par autre chose que la surveillance de la faune habituelle.

— Putain j’me la ferai bien en…

Sa venue dans le magasin se voulait peu fréquente, mais aucun des deux ne se douta de quoi que ce soit avant de reconnaître à ses côtés le chef de la sécurité. La mine de Valéri changea aussitôt, quelque chose était en train de se tramer. À l’inverse d’Uriel, qui continuait de fantasmer sur les traits de son visage délicat, dont le résultat si parfait, laisser deviner quelques retouches habiles négociées par un i-chirurgien.

— Je lui fouetterais la face avec ma…

Il la ferma d’un coup quand les deux tournèrent leur regard vers eux, comme s’ils l’avaient entendu derrière les caméras pourtant à l’abri sous leur demi-sphère suspendue un peu partout au plafond.

— Oula y se passe quoi ?

Les yeux noir de jais de l’impératrice percèrent les écrans, les faisant se réinstaller tous au fond de leur siège sans plus oser bouger. Un doute s’empara du plus grand.

— Tu crois qu’elle m’a entendu, et s’il avait perfectionné le système de surveillance sans nous en parler, mate y ont des oreillettes !

Comme pour confirmer sa crainte, le chef de la sécurité désigna les caméras du doigt. Il exécuta une triangulation des optiques que comprenait le secteur, ce qui les ramenait à chaque fois vers eux.

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Plume de Poney
Posté le 17/03/2025
Bravo mon p'tit gars Uriel, te voilà bien gros Jean comme devant.

C'est une société très utopique que tu nous présente là, ça donne envie de vivre un tel futur!
Fidelis
Posté le 17/03/2025
Utopique, pour certains, dystopique pour d'autres, faut voir, enfin quand c'est l'écran qui commence à te regarde au lieu de l'inverse, tu te dis que la cuvée 1984 risque d'etre un peu aigre.

Content que ça te fasse délirer, j'ai pris beaucoup de plaisir à l'écrire et j'espère que ça t'en procurera autant.
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