CHAPITRE IV – Une tempête d’étoiles entre les arbres - Alessia et Maria - Partie 7

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Là où Andrés ne percevait que les aveux du second dans ses reflets, Alessia y entendait une voix humble et suppliante lui réciter ceux du premier des Anges.

Si Samaël avait été à l’origine de la rébellion, c’était bien Satan qui avait commis d’innombrables crimes en usurpant son identité pour qu’il soit haï de tous, tantôt contraint à l’errance ou à l’emprisonnement, toujours seul à la recherche de sa rédemption. Quant à cette eau qui jonchait le sol, celle qui avait formé ce cocon de nachtstein et nourrit le lierre luisant, c’était effectivement le flot de ses larmes versées à l’abri du monde, pendant ces millénaires de pénitence, jusqu’à ce que Satan finisse par découvrir et profaner ce refuge. Alors, quand elle conclut en annonçant que Samaël était non seulement leur sauveur, mais également un ami des Hommes et de Dieu, elle sentit cette sensation de tristesse et d’injustice s’envoler, elle crut même voir l’éclat scintillant de cette eau reprendre de son éclat immaculé, jusqu’à ce qu’une voix vienne simplement confier à son cœur : merci.

Ainsi soulagée d’avoir rétabli la vérité dans les mensonges de Satan, elle se dirigea aussitôt vers ce pupitre jaillissant de nachtstein tel une stalagmite, sans prêter attention aux innombrables questions que s’échangeaient maintenant les enfants et leurs porteurs. Mais lorsqu’elle arriva au pied de celui-ci, son attention fut soudainement attirée par une nouvelle écriture luisant au sol, par-dessus celle de Satan comme si elle était la plus récente. Puis, quand elle s’approcha de cette encre semblable au vide spatial criblé d’étoiles, elle y entendit une voix si douce qu’elle lui rappela sa défunte mère, sur un ton si implorant qu’elle crut lire la dernière lettre qu’elle aurait pu lui écrire. Du mieux qu’elle pût, la Saint Vierge Marie suppliait Samaël de revenir auprès de Dieu, en lui promettant que tous intercèderaient en sa faveur, qu’il obtiendrait lui-aussi le pardon. Plus que quiconque dans l’entourage du Très-Haut, elle semblait comprendre les sentiments trop humains qu’il avait été le premier à ressentir d’entre tous les Anges, elle savait que chaque pétale du lierre venant faner dans son bassin de larmes étaient autant de frères qu’il avait perdus, depuis le jour où son mal inconnu déclencha la terrible guerre fratricide. Dès lors, il avait ardemment cherché sa rédemption, par tous les moyens possibles, au point de parfois sombrer à nouveau dans le péché pour y parvenir, lorsque ce n’était pas Satan qui corrompait tout ce que Samaël avait eu la chance d’aimer. Certes, tout était sa faute, puis tout semblait avoir été la faute des autres, mais tout espoir n’est jamais perdu tel que la Mère du Christ lui répéta désespérément, l’air de savoir que cela ne suffirait pas à ramener ce fils rebelle, au point qu’elle lui adresse un ultime recours. Si Samaël persistait à se racheter avant son jugement, alors elle lui demanda trois faveurs : aide l’Humanité, protège les trois bergers innocents de Fatima, et viens en aide au Cœur battant entre les étoiles du Royaume d’Italie, puisqu’eux seuls pourront te guider vers ton salut. Et quand elle entendit de telles paroles émaner de ce qu’elle considérait presque comme sa déesse, Alessia fut tellement surprise et réjouie qu’elle survola brièvement la conclusion de ce message – un encouragement aussi chaleureux qu’anodin de toute façon. Notre Dame accorde une attention à mon existence et à ma présence au sein du Conseil du Graal, resta-t-elle pensive pendant de longues secondes, bouleversée à l’idée d’apprendre qu’elle et ses trois amis puissent tenir un rôle dans le grand dessein de Dieu. Elle avait l’impression d’être devenue un personnage biblique, en se voyant ainsi estimée digne d’être soutenue par la Mère du Christ, d’ailleurs, son regard serait-il posé sur moi en ce moment-même ?

Aussitôt pressée par cette impression d’être observée, la religieuse se redressa pour s’assurer que le pupitre ne contienne pas d’autres messages, puis se tourna vers ses compagnons qui approchaient de l’estrade.

— Alessia, les enfants veulent te parler en secret. » confia-t-il, d’un ton las et soupirant, en proie au doute après toutes ces révélations qui semblaient le déranger, tel qu’Alessia le remarqua dès le premier regard. « À vrai dire, je reste encore méfiant. Ce que tu nous as dit me parait sincère, sensé, et les Écritures sont plutôt lacunaires au sujet des origines du Diable, mais …

— Tu es comme Saint-Thomas, il te faut absolument voir pour croire … » lui sourit-elle, avec son air maternel qui parut presque convaincre son collègue si intransigeant. « Dans ce cas, lis l’inscription bleutée au pied de ce pupitre. Je suis sûre que Notre Dame saura convaincre ton cœur mieux que n’importe lequel de mes discours. » lui répondit-elle tandis qu’ils déposaient les enfants sur la roche sèche, pour aller scruter cet ultime message en compagnie d’Anastasia.

 

Une fois à l’écart, les trois bergers lui demandèrent alors pardon pour ne pas avoir reconnu sa piété plus tôt, et lui demandèrent d’écouter le secret marial qu’ils avaient déjà cédé à la petite Française, ainsi qu’un second.

Le premier n’était pas une révélation à proprement parlé, mais divers détails que la Sainte Vierge Marie leur avait confié sur les temps difficiles à venir, ceux de l’Apocalypse. Elle leur avait annoncé que cette épreuve verrait l’arrivée d’une multitude de démons inconnus, mais également que les plus grands des Hommes y tiendraient un rôle crucial, qu’ils pourraient même devenir plus grands que les anges ou ces démons, que c’était même le Destin de l’Humanité. De plus, elle avait ajouté que l’aide de Dieu ne serait que succincte, qu’il n’interviendrait presque pas, car lui-aussi connaîtra son propre jugement lorsque le moment arrivera. Et, bien qu’Alessia restât dubitative dans un premier temps, elle se mit très vite à questionner méticuleusement chaque terme employé par les petits bergers. D’ailleurs, c’est lorsqu’elle voulut les interroger sur le mot épreuve, qu’ils en vinrent tout naturellement au premier des quatre véritables secrets mariaux, l’un des plus inquiétants qu’elle aurait pu admettre : les Épreuves seront au nombre de quatre et se succèderont, lorsque l’Humanité finira de déchirer le Voile ; Le cheval écarlate ayant devancé le cheval immaculé par les erreurs des Quatre Pionniers, la Division sera la première épreuve auquel sera soumise la race humaine et le fil du jour sera suspendu à quarante-neuf nuits de luttes dès son Incarnation ; Puisse la Paix de Dieu assagir ses enfants. C’était précisément ce qu’elle avait déclaré, et l’Italienne eut beau insister, ils refusèrent de dévoiler les deux autres secrets, car ceux-ci ne devaient lui être confiés que le jour de cette Apocalypse, sous peine de voir leurs actes damner le monde autour d’eux. Malgré leur bonne volonté, les petits bergers ne se révélèrent pas plus utiles pour déchiffrer ce secret, mais la religieuse était assez savante de sa Foi pour en comprendre le sens, ainsi que pour comprendre à quel point sa tâche était désormais plus importante que jamais. Les chevaux rouges et blancs devaient faire référence aux cavaliers de l’Apocalypse déjà annoncés par d’autres prédicateurs, et ils avaient peut-être même un lien avec les couleurs du LM, après tout, le troisième cheval sera noir comme le LM récemment exploité dans le Caucase.

Enfin, entre toutes ses interrogations, Alessia pouvait se réjouir de voir la Sainte Vierge Marie faire allusion à des textes qu’elle connaissait déjà, de pouvoir relier sa quête au reste de ses Saintes Écritures, et même d’avoir convaincu un esprit aussi intransigeant que celui d’Andrés.

— En revanche, faire admettre ces vérités à nos coreligionnaires sera plus compliqué. Et je ne parle même pas des autres, le seul fait d’évoquer un lien entre le LM et des forces supérieures nous vaudra d’être taxés de fous … » lui confia-t-il, sous les soupirs de sa consœur.

— En effet … Mais il faudra tout de même essayer. Après tout, j’ai bien réussi à te convaincre, toi ! » sourit-elle nerveusement, en essayant de se donner du courage pour le jour où elle révèlera ces vérités au Conseil. « Et dans le fond, le LM est encore si nouveau, son existence nous aurait paru impossible il y a encore vingt ans de cela. Avec des mots sincères, nous rallierons bien au-delà du Synode, j’en suis sûre. » reprit-elle d’un air déterminé qui fit ricaner le Portugais, puisqu’il n’allait pas pouvoir faire grand-chose pour elle. « Si, tu le pourras, à condition que tu l’acceptes. Que dirais-tu d’intégrer le Synode ? » lui proposa-t-elle de but en blanc, au grand étonnement de son confrère. « Je ne te parle pas d’une simple place de savants. Monseigneur Paolo peut recommander deux pontifes parmi ceux qui devront la présider. Il m’a demandé de lui suggérer le second, quelqu’un qui pourrait nous aider à réaliser notre devoir, à porter notre cause au Vatican.

— Hm ! J’en serais honoré. J’ai souvent espéré le soutien de nos frères et sœurs, mais j’avais presque fini par abandonner l’idée. » confessa-t-il, lorsqu’elle lui répéta que ne pas croire en son prochain est un errement, que même Maria et Arcturus Seafox se rallieront à nous. « Mais ils sont plus pragmatiques et terre-à-terre que Saint-Thomas. Tu ferais bien de les conduire ici, pour qu’ils voient et qu’ils entendent comme je l’ai vu et entendu. Quoi qu’il en soit, je dois bien avouer que l’entreprise de ton vieil ami Arcturus n’a rien à voir avec cette histoire, pour une fois … » reconnut-il avec une certaine difficulté, avant qu’Ippazio ne rectifie en rappelant que Solar Gleam restait coupable de la crise mutante, puis qu’Alessia ne les interrompe tous – avec une question des plus terre-à-terre d’ailleurs …

— Euh - Ce sanctuaire va-t-il rester ouvert ? » demanda-t-elle très innocemment aux petits bergers qui n’en savait rien, au point de se retourner vers Andrés en s’inquiétant du fait qu’ils puissent être enfermés ici. Bien sûr, il ne voyait pas pourquoi la roche aurait repoussé derrière eux, mais comme Anastasia le supposa : on s’en fiche, c’est magique, faut partir dès qu’on a fini.

 

Et, bien que cette justification ne convienne pas aux trois hommes, ils durent se contenter d’un dernier tour de la caverne en laissant Alessia contenir les craintes soudaines des enfants.

Heureusement, le savant et son chasseur purent s’essayer à collecter quelques échantillons de cet endroit si fabuleux, même si ce fut en vain. Quand ils voulurent remplir leur gourde de larmes d’ange, elles se changèrent en nachtstein parfaitement étanche, sans même qu’ils n’aient pu les reboucher. Quant au lierre mutant qu’ils croisèrent en remontant, il s’effritait en cendre dès qu’il était coupé, y compris les plus grosses des branches, si fatalement qu’Andrés en soupirait encore lorsqu’ils atteignirent la sortie - toujours grande-ouverte.

— Garde espoir. Si Dieu le veut, nous n’aurons pas besoin de ce genre de preuve pour leur démontrer que le LM et les anges sont liés. » voulut-elle le consoler, sans vraiment y parvenir. « À vrai dire, je m’inquiète plus des conséquences que pourraient avoir une telle révélation chez les plus zélés d’entre nous.

— Tu fais allusion aux sectes qui pullulent depuis ces dernières années ? » l’interrogea-t-il pour qu’elle acquiesce d’un air désemparé. « J’y ai pensé tout à l’heure, quand tu nous as parlé de ce Samaël. Je sais que beaucoup de sectes font circuler son nom, et que la grande majorité de ces dernières le déteste, c’est peut-être bon signe.

— Peut-être. Mais pour ce qui est de nos frères et sœurs ? De telles vérités bouleverseraient le canon, déclencheraient des conciles et des débats à n’en plus finir, pendant que les ouailles resteront dans l’expectative. Et je ne parle même pas des loges, des rosicruciens ou ces ésotéristes étranges, ils réagiront eux-aussi. Nous n’avions pas besoin de ça en ces temps d’athéisme galopant … » s’agaça-t-elle en regardant Théo franchir le seuil de ce tunnel en dernier, lorsqu’une couche de pierre noire se forma brusquement derrière lui, avant d’être recouverte par toute la poussière de roche qui traînait au sol.

 

L’entrée du sanctuaire était alors redevenue exactement comme elle était, parfaitement scellée et anodine, laissant Andrés ressasser qu’il ne serait pas facile de convaincre sans preuves.

Pour répondre à ses insistances, Alessia essaya bien d’apposer sa main une nouvelle fois, mais rien ne se produisit, tel qu’elle s’en doutait déjà, ce n’est pas moi ou les échos de cette nuit qui ont permis l’ouverture, c’est la Providence ou Samaël qui l’ont décidé ainsi.  Le groupe reprit ainsi la route vers le village, au travers le bois silencieux à peine troublé par le bruit de leurs discussions au sujet de l’Ange venu à leur secours. Mais le drame de cette nuit rattrapa très vite le groupe, dès qu’ils aperçurent le hameau des bergers, lorsque les trois enfants demandèrent ce qui était advenu de leurs familles – puisqu’ils avaient fui vers la grotte dès le début de la crise de résonnance. Alors, quand Maria se précipita vers sa sœur, même Anastasia était en pleurs aux côtés de ses malheureux amis, désormais sans toit ni parents. Évidemment, Alessia faisait de son mieux pour les consoler, mais à part leur garantir le meilleur avenir possible à la Dolce Lupe, elle ne pouvait rien contre ce chagrin irréparable. Quant à la bande de Jasper, ils purent tous se retrouver dans une ambiance fraternelle mais solennelle étant donné les circonstances, avant de partager les récits de ce qu’ils leur étaient arrivés chacun de leurs côtés. L’Alsacien avait alors combattu les mutants durant de longues minutes, aux côtés d’Ezio et des quelques gendarmes présents, jusqu’à ce que les renforts arrivent en trombe, avec Maria et les protecteurs de Thiago à la tête des équipes de Semper Peace. La répression de la mutation s’étendit ensuite à tout le village, et sur plus d’une heure de chasse, jusqu’à ce que toutes les menaces soient tuées - ou simplement repoussées vers des recoins isolés.

Et je n’ai rien pu faire pour empêcher ça, se lamentait Alessia en balayant du regard les rues sinistrées, tantôt tachées de sang, tantôt carrément jonchées de cadavres, tandis qu’elle retournait en direction de l’église de Fatima avec les siens, suis-je sensée m’habituer à tant de peine d’ici la venue de cette Apocalypse ?

— Tu n’y es pour rien, tu n’es pas responsable d’eux, ni des enfants, ni des parents… » lui confia soudainement Maria, assise sur le lit où Anastasia dormait déjà à poings fermés, tandis qu’Alessia priait encore sous la petite lucarne de cette chambre poussiéreuse.

— Ça s’appelle l’empathie, Maria.

— Si c’est pour se retrouver dans des états pareils, vaut mieux ne pas en avoir … » lâcha-t-elle froidement, sans que sa fidèle amie ne lui réponde. « Nous avons fait ce que nous avons pu, et c’est heureux que tu aies choisi cet endroit pour nos vacances sinon il y aurait eu encore plus de victimes chez ces pauvres gens. Nous ne pouvons pas empêcher tout le mal, non plus.

— Tu ne comprends pas … Toutes les dérives du LM sont notre faute, c’est au Conseil qu’a été révélée cette molécule et le devoir de l’étudier. Finalement, nos professeurs l’ont abandonnée, nous l’avons ignorée, et voilà vers où nous guidons notre espèce … Exactement là d’où nous voulions l’éloigner … Si ce n’est pire … » lui avoua-t-elle en serrant d’autant plus fort son petit crucifix de bois. « Je pense que nous devons faire mieux que ça, que nous devons nous montrer à la hauteur de la très grande dignité qui nous a été confiée … » conclut-elle pour que sa collègue n’essaie de dédramatiser cette situation légèrement exagérée.

 

Bien sûr, elle comprenait son point de vue, notamment ce sentiment d’héritage ou de destinée, mais tel que l’aurait déclaré Arcturus, nous ne sommes pas responsables des erreurs de nos professeurs.

Quant au reste, ce n’étaient que des mauvaises pensées, une histoire de verre à moitié vide ou à moitié plein, puisqu’il ne fallait pas non plus oublier tout le travail accompli par le Conseil. Après tout, le Bonheur ou le Bien se conquièrent de haute lutte, l’accomplissement des rêves ou des utopies fait parfois mal à voir ou à poursuivre, et il y aura d’autres sacrifices avant que nous atteignions le monde dont rêvait Marco-Aurelio, nous le savons depuis que nous avons prêté notre serment. Malheureusement, la Florentine avait de plus en plus de mal à l’admettre, elle ne voyait plus les choses de cet angle-là, et elle n’était même plus certaine de rêver au même monde que sa camarade.

— J’aurai beaucoup de choses à raconter lors de notre prochaine réunion, vraiment, et je … Je compte sur toi pour m’épauler quand il le faudra. » finit-elle par demander à Maria, aussitôt curieuse de ces dites choses. « Je préfère les révéler lorsque nous serons réunis. Ceux sont des informations qui nous concernent tous au plus haut point, en tant que disciples de nos professeurs. » concéda-t-elle, avec la ferme intention de ne pas en dire plus, au point que sa chère amie préféra laisser tomber et se mettre sous la couverture. Seulement la religieuse avait une question capitale à lui poser, un vieux sujet qui ne pouvait plus attendre. « Au fait, Maria, au-delà des raisons rationnelles, pourquoi tu ne crois pas en Dieu, sa Création et ses Anges ? »

— Moi, je ne demande qu’à y croire, ça élargirait encore nos perspectives. » répondit-elle sans hésiter, au grand étonnement d’Alessia qui n’avait jamais entendu cette réponse en quinze ans d’amitié, au point de l’interroger sur ce qu’elle entendait par un élargissement des perspectives.

 

D’autant plus qu’elle savait à quoi s’en tenir à présent, elle appréhendait jusqu’où Maria pouvait pousser sa croyance, et son ambition.

D’une certaine manière, Maria croyait dur comme fer dans les dogmes du Conseil plus que tous les autres, mais ces derniers pouvaient se révéler aussi subjectifs qu’absolus, que ça soit l’idée d’élever l’Humanité ou de la rendre digne de Dieu. Car si devenir digne de Dieu signifiait mériter son amour et accomplir ses attentes dans les oreilles d’Alessia, celles de Maria entendaient s’élever au niveau de Dieu, devenir son égal ou sa compagne. D’ailleurs, c’était bien cela son grand rêve, ce n’était ni l’immortalité, ni la justice, ni la vérité, c’était ces trois choses à la fois, c’était de devenir un ange ou une déesse. En entendant ces mots, la religieuse en resta donc silencieuse, bouleversée à l’idée que sa meilleure amie nourrisse exactement le même idéal que celui de Satan, ce désir qui avait jeté cet être si vertueux sur la pente du mal. Et, pour couronner le tout, la Française y pensait de plus en plus souvent, de plus en plus sérieusement, à chaque pas que son Conseil faisait dans la bonne direction, l’air de dire qu’Alessia était complice de tout ça. Seulement, c’était bel et bien le cas, puisque c’était bien elle qui avait présenté Maria à ses professeurs, ce serait bien elle qui serait la première responsable si sa meilleure amie devenait un nouveau diable.

Néanmoins, désespérer est un péché, il y a toujours un espoir pour briller sous la lueur de Dieu, finit par se résoudre Alessia, avant que Maria n’essaye de la rassurer, dès qu’elle la vit reprendre sa prière avec ardeur et nervosité.

— Enfin, ceux ne sont que des rêveries très lointaines, des utopies d’enfants qui s’effaceront toujours devant le réel ou le bon sens. Même s’il est toujours bon de rêver un peu pour s’inspirer, pour se donner la force d’affronter la vie et de se lever le matin, ce dont nous parlons sera sûrement inatteignable, c’est presque aussi extravagant que nos noms de code ! » sourit-elle en repensant à cette idée qu’elle avait reprise de ses maîtres, et sur laquelle elle avait insisté auprès de ses pairs, tandis qu’Alessia se rappelait du fait que c’était bien par son titre du Conseil que Samaël ou la Sainte Vierge Marie s’étaient adressés à elle. « Quoi qu’il en soit, si nous parvenions déjà à vaincre les Huit Maux terrestres que nous avons désignés, ce serait magnifique, les gens ne perdront plus leur proche et vivront sans besoin vitaux, le reste importera peu finalement …

— Le reste importe aussi, cela importe beaucoup même, cela influencera ta façon d’agir en chemin, ta façon d’évoluer, jusqu’à ta façon de voir notre ambition … Enfin … j’espère que tu changeras de rêve avec le temps, il y a des bonheurs plus humbles et tout aussi exaltant. D’ailleurs, Jasper à l’air de s’entendre très bien avec Anastasia, presque aussi bien que William.

— … Probablement, ça n’est pas difficile à vrai dire, Ana s’entend avec tout le monde. Bonne nuit. » se contenta-t-elle d’expédier en allant se blottir contre sa sœur, laissant Alessia reprendre ses suppliques envers Dieu, priant pour trouver les mots qui guideront ceux qu’elle aime dans les épreuves à venir, pour que sa courte nuit lui porte conseil.

 

Heureusement, les jours qui suivirent furent bien plus calmes pour l’Italienne du Conseil, même s’ils furent évidemment marqués par le deuil de tout le village.

Après l’enterrement de leurs parents, elle dut préparer les enfants au grand voyage qui les attendait, avant de pouvoir enfin rejoindre les Françaises parties dès le lendemain en direction de la côte galicienne. Mais après cette nuit tragique, profiter des vacances n’était plus aussi simple pour Anastasia, malgré tous les efforts de Jasper et Maria pour la réconforter. Alors Alessia fit de son mieux pour leur faire découvrir cette région qu’elle affectionnait particulièrement, à la fois prospère et pieuse, moderne et traditionnelle, d’autant plus à l’approche des moissons - où les paysans croisaient les pèlerins en chemin vers Saint-Jacques-de-Compostelle, chaque jour plus nombreux. Et cela parut tout de même faire son effet, si bien qu’au bout de cette semaine, les deux sœurs finirent par la remercier d’avoir encouragé ces vacances. Néanmoins, à peine étaient-elles arrivées qu’il fallut déjà se séparer. Pendant que Maria et les siens partirent vers le Pays basque pour une brève escale sur leur chemin du retour, Alessia revint à Fatima pour honorer sa promesse, celle d’offrir aux petits bergers l’avenir le plus radieux qu’elle puisse. Au lendemain d’une journée d’adieu, elle les conduisit à travers l’Espagne dont ils avaient parfois entendu la langue, puis sur la mer qu’ils n’avaient jamais vue, jusqu’à la ville de Pise où ils découvrirent le train. Pour les trois enfants, ce voyage fut alors si éprouvant et étonnant qu’ils parvinrent presque à chasser leur chagrin. Bien sûr, Alessia était là pour veiller sur eux et les réconforter, tout comme les nonnes de la Dolce Lupe qui les accueillirent chaleureusement, sans jamais douter de la confiance que leur avait accordée leur consœur.

Ensuite, après cette nuit de retrouvailles au couvent, Alessia commença à œuvrer sans relâche pour accomplir son devoir, avec un zèle qui lui était très rare. Avec le soutien de la mère supérieure, du Cardinal Paolo ou d’Andrés qui s’empressa de venir à sa rencontre, elle chercha à rallier le maximum de gens à sa cause dans toute l’Italie, qu’ils soient croyants ou athées tant qu’ils étaient de bonnes volontés. D’ailleurs, je devrais peut-être m’entourer de protecteurs moi aussi, en vint-elle à se résoudre, bien que la violence lui semble toujours autant détestable, qu’il s’agisse de ce prophète, de Solar Gleam ou de Satan, ils pourraient vouloir s’en prendre aux miens …

Et, malheureusement, les jours suivants son arrivée semblèrent lui donner raison, bien qu’elle fût tout de même choquée d’apprendre ce qu’il s’était passé en plein cœur d’Amsterdam : la tentative d’assassinat sur Arcturus.

Comme si le Second Conseil n’avait déjà pas assez de problèmes sur les bras … Il ne manquerait plus que ces soucis se rassemblent …

 

« Vraiment ? Ça vous intéresserait de les rencontrer ? La Science peut être dangereuse vous savez. Il est possible de s’y tuer ou de causer la mort des autres sans l’avoir voulu … Et il faut être prêt à travailler sans relâche, à apprendre chaque jour du précédent, et à se remettre en question aussi. Vous pensez vraiment pouvoir y arriver, Mademoiselle de La Tour ? […] Vous êtes vraiment bénie de Dieu, vous parlez comme le Christ à son âge ! »

 

Alessia à Maria, lors de leur rencontre à l’église de Saint Germain des Prés, 22 mars 1865, jour exact de l’équinoxe.

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