CHAPITRE V – Les quatre chemins se rallient dans la clairière - Arcturus - Partie 1

Notes de l’auteur : Bonjour à tous, j’espère que cette petite scène vous plaira et vous donnera envie de lire la suite.
Au fait, l’Arthurie Grisonne vous a intrigué ? Et ce coin reculé de la Savoie, vous avez vous-aussi envie de savoir ce qu’il s’y cache ?
N’hésitez pas à commenter ou partager mon travail autour de vous, et portez-vous bien.
Et si certains passages vous paraissent un peu long ou répétitifs, n'hésitez pas à me le signaler. D'ailleurs, les scènes de ce chapitre seront bien plus courtes que les précédentes, même si j'espère que vous les apprécierez tout autant.

Arcturus

« En même temps, vous êtes sûr de ne pas avoir vu trop grand ? Je veux dire que faire bâtir des villes entières, alors que vous êtes dans la science de pointe, que vous gérez la plus grande affaire du monde, et que vous passez la moitié du temps qui vous reste à déconner, c’est sûr que les choses n’allaient pas bien se passer. C’est pas un peu beaucoup pour une seule vie ?»

 

Siarl des Nine Springs à Arcturus, lors de leur visite d’inspection à l’Arthurie Grisonne, printemps 1880.

 

 

Pourtant, Alessia était loin d’être le seul membre du Conseil à se retrouver confronté aux questions religieuses des plus épineuses, puisque le Soleil Marin séjournait en ce moment-même à l’Arthurie Grisonne, que les rumeurs gratifiaient d’un titre des plus flatteurs : la Dernière Jérusalem.

 

Ici, le spirituel était même le sujet de discussion principal, si bien qu’Arcturus comprit très vite pourquoi l’emprise de David s’y était facilement étendue, et pourquoi elle n’était déjà plus un problème, avant même qu’il n’arrive pour inspecter la ville. À l’Arthurie Grisonne, ce n’était plus le président de Solar Gleam qui arbitrait les conflits, seulement ça n’était pas le maître de l’AP non plus, ni même la Révolution ou les cantons suisses, c’était le Conclave des Échos – et c’était grâce aux erreurs naïves d’Arcturus. Il ne s’agissait pas d’une structure officielle à proprement parlé, puisque ce conclave ne disposait théoriquement d’aucun pouvoir concret, seulement il regroupait tous les croyants de la cité.

À l’origine, la Grisonne devait incarner la cité universitaire moderne par excellence. En plus des ingénieurs œuvrant aux bassins de LM, elle rassemblait les plus grands esprits de la firme sur toutes les questions qui ne traitaient pas directement du LM, elle regroupait des historiens et des géographes, des philosophes et des sociologues, des docteurs de la Loi humaine ou religieuse. Et sa prospérité n’avait rien à envier à celle de ses sœurs, elle était même plus ordonnée et admirée que sa voisine valdôtaine. Cependant, dès ses débuts, la cité fut confrontée à des tensions religieuses, grandissantes presque aussi vite que sa population entassée dans ses frontières trop petites. Car bien qu’elle fût originellement peuplée d’Européens chrétiens, l’AP fit très vite venir de la main d’œuvre des quatre coins du monde, et quelques rivalités furent ainsi importées entre les trois alliances du Livre, sans parler de leurs différentes obédiences, si innombrables qu’Arcturus n’avait même pas cherché à les compter - lui qui ne savait déjà pas faire la différence entre un catholique et un protestant. Alors, le président décida de jouer la stratégie de l’apaisement, en s’appuyant sur les dignitaires religieux pour maintenir l’ordre, sans comprendre une seule seconde qu’il encourageait leurs discours, qu’il les légitimait. Heureusement, cela avait tenu durant quelques années, avant de craquer à nouveau, mais pas de la façon dont son président le craignait, puisque le LM faisait muter jusqu’aux religions. Avec l’essor de la molécule, les sectes qui nourrissaient la mystique autour d’elle grossirent à une vitesse spectaculaire, tandis que les cultes traditionnels se divisaient en hérésie, à tel point qu’il ne restait plus qu’une cathédrale, plus qu’une mosquée, plus qu’une synagogue dans toute la Grisonne. Ainsi, dès l’année 1878, elle connue sa première émeute religieuse sous fond d’une obscure histoire de recel de LM, d’une communauté religieuse qui en aurait volé une seconde avec le soutien d’une troisième pour le compte d’une quatrième.

Gêné à l’idée de porter atteintes aux libertés religieuses, le président avait tout de même dut agir pour que le problème ne s’aggrave pas davantage, en ordonnant aux cultes de se réunir au sein d’une instance de dialogue et de doléance : le Conclave des échos. Mais il le regrettait sincèrement aujourd’hui, car cette assemblée était devenue un véritable parlement, harcelant de leurs exigences les comités municipaux et d’entreprises qui se partageaient déjà la gestion quotidienne de sa belle cité. D’ailleurs, il le regrettait doublement, car les sectes avaient accueilli la corruption de David à bras ouverts, sans la moindre hésitation ou considération envers leur président. La situation semblait alors si désespérée qu’il en vint même à se demander si sa Grisonne n’était pas aussi condamnée que Cyrus l’avait prédit, surtout lorsqu’il aperçut les clochers culminer aussi haut que le siège de Solar Gleam, dépassant presque les pics de l’Acqua ou du Sampuoir qui bordaient la ville. Néanmoins, il y avait au moins une bonne nouvelle dans tout ça, une ironie qui le faisait rire jaune : le conclave ne semblait pas plus fidèle à David qu’à lui, loin de là. Les sectes ne servaient que celui qui leur versait tribut, et elles étaient bien prêtes à rejouer du côté du président contre de nouveaux droits irrévocables. C’est donc en s’attirant les faveurs du Conclave que le Soleil Marin répliqua, sans perdre de temps, mais sans se laisser berner pour autant – à croire qu’il commençait à apprendre de ses erreurs …

Certes, chacun était libre de croire en ce qu’il veut, seulement il comprit très vite que quelque chose ne tourne pas rond chez ces gars-là, comme il le fit remarquer à ses fidèles Springs, dès les premiers jours. Au Conclave des Échos, chaque religion avait un siège, quelle que soit son ampleur, permettant aux cultes les plus fragiles ou improbables de défendre ses libertés, tel que le président l’avait lui-même souhaité, sans anticiper les dérives qui suivraient. Bien sûr, l’équilibre social était ainsi assuré, toujours négocié jusqu’au point d’harmonie entre tous, mais les effets pervers étaient là : l’assemblée était sous le joug d’illuminés, les sectes s’étaient liguées pour s’en emparer. Alors, quand il fallut la rallier à sa cause, Arcturus dut traiter et céder à toutes sortes de fanatiques, de superstitieux voir, pire, des prétendus ésotéristes ou occultistes, adeptes de la mystique la plus profonde du LM. D’ailleurs, quand il cherchait à comprendre les croyances de ces derniers, ils refusaient très souvent de les révéler au nom du secret initiatique - l’un des droits fondamentaux accordés par le président dans toutes ces cités. Mais il en était sûr, en plus de détourner mon LM, ces types l’utilisent dans leurs rites de cinglés, en vint-il à s’inquiéter auprès de son père, il faudra que je prenne des mesures contre eux dès que j’en aurai fini avec David, il ne faut pas les laisser croître. Heureusement, ces longues journées de négociations avec les sectes lui apportèrent au moins une certitude, une réponse à une question qui l’intriguait : pourquoi la Grisonne a sombré à ce point dans la mystique autour du LM ?

Car la cause n’était pas simplement la présence d’universitaires, ni seulement le multiculturalisme insondable de cette ville, ni même la mode de l’époque, c’était avant tout les recherches qu’Arcturus y avait concentré, soit toutes celles qui portaient sur l’origine du LM. Ici, géologues et historiens travaillaient à compiler tous les savoirs ou toutes les légendes des Ancêtres, toutes les représentations et les souvenirs que l’Humanité gardait de la molécule, où qu’elles se trouvent et quel que soit leur degré de fiabilité – bref, le genre d’endroit qui aurait intrigué Alessia et son mentor.

 

D’ailleurs, c’est en compagnie de l’un de ces plus éminents chercheurs qu’Arcturus profita de ses dernières journées, afin de s’adonner à son métier de scientifique, tout en se renseignant sur l’endroit où il comptait prochainement diriger une expédition.

Bien sûr, il n’ébruitait pas ses futurs projets à n’importe qui, il savait pertinemment que Matthijs n’était pas un agent de David, mais exactement le collègue dont il avait besoin. Légèrement plus vieux que le Britannique d’une dizaine d’années, ce passionné de mystique cumulait plusieurs postes à l’Arthurie, comme la majorité des cadres de la ville, mais pas n’importe lesquels. Il était à la fois un Légat du Conclave, représentant une loge rosicrucienne aux tendances occultes, et le directeur d’un département de recherches assez dérisoire en apparence, mais chaque jour plus important : celui des Antiquités. En bref, c’est la meilleure personne à qui parler de cette histoire de sanctuaire oublié, pensait Arcturus, tandis qu’ils étudiaient ensemble les dernières avancées de sa firme sur la jouvence, avant de lui révéler ses projets d’expédition au fond des Alpes savoyardes, sans imaginer qu’il en apprendrait autant. Car le département des Antiquités était déjà à la recherche d’un tel endroit, et il n’était pas le seul, de nombreuses sectes convoitaient les trésors de ce lieu caché, gardés par des êtres prétendument immortels – soit tout ce que le président souhaitait.

Ce vieux sanctuaire n’était alors mentionné que par des inscriptions latines très anciennes, considéré comme un temple reculé où des Étrusques auraient fui pour refuser l’assimilation romaine aux alentours du Vème siècle avant J-C. Apparemment, il était d’origine gauloise, dédié à la divinité Ésus, mais les Étrusques l’auraient reconsacré à leur dieu de la fête, Fufluns, dès leur conquête du site. Vraisemblablement, les archives romaines avaient ensuite perdu la trace de cette petite communauté, elle n’apparaissait plus nulle part, jusqu’à refaire surface à l’occasion des grandes invasions, soit presque un millénaire plus tard. Près du pic des Dents Blanches, Matthijs et son département avait retrouvé de nouvelles inscriptions, au fond d’un tombeau coincé derrière un éboulis. Mais lorsqu’ils voulurent excaver la tombe pour en étudier le contenu, ils n’y trouvèrent aucun squelette, pas la moindre poussière d’ossements, seulement une armure et quelques objets de valeur reposant sur un grand pavois romain. Pourtant, lorsque le directeur des Antiquités se saisit du bouclier, il comprit immédiatement qu’il venait de faire une découverte capitale, il avait découvert la sépulture de Mérovée, un antique roi franc dont l’existence même était incertaine.

Néanmoins, ce n’est pas tant l’intérêt historique qui intrigua les savants de Solar Gleam, c’était bien le message qu’il trouvèrent inscrit sur tout le contour, gravé au glaive et dans un latin parfait : À Mérovée, véritable Roi des Francs par la volonté de Dieu, sauveur d’un général du Sénat et du Peuple Romain, qui accepta la damnation de la Forêt d’en Bas ; Aegidius Camillus Syagrius promet de revenir avant la venue de l’Agneau, afin de prendre la relève du serment immortel ; Puisse le Créateur m’en être témoin sur les armes de cet ami ; J’y dédierai mon éternité, j’y dédierai ma mort. Et quand Matthijs l’eût confié à son président, Arcturus comprit aussitôt pourquoi il avait fait cette digression. L’entrée du sanctuaire devait se situer près de cette fausse tombe, aménagée par Aegidius en hommage à Mérovée, et plusieurs sectes s’étaient mises en tête de découvrir quelle était cette éternité, quel fut le destin de la communauté étrusque, ou encore ce que l’Agneau, donc le Christ, venait faire dans cette histoire. Malheureusement, après des dizaines de disparitions très inquiétantes dans ces montagnes, elles avaient toutes été forcées d’abandonner leurs recherches, toutes, sauf une.

D’ailleurs, cette dernière communauté est un groupuscule que notre cité ne subit plus grâce à notre Conclave, voulut-il résumer d’un air évasif, presque gêné lorsque son président insista pour en apprendre plus à ce sujet, en rappelant qu’il comptait vraiment aller jusqu’au fond de ce sanctuaire s’il le fallait.

— Elle se fait nommer Vol de Jais ou parfois Culte du Ver, c’est une communauté d’initiés, des gens très sectaires. Vous avez peut-être remarqué leurs symboles griffonnés sur les murs des Arthuries, que ça soit à la Grisonne ou à la Valdôtaine, c’est un grand corbeau avec un asticot dans le bec.

— Je suppose que ça doit avoir un lien avec leur quête d’immortalité. Mais avant ça, qu’a-t-elle fait de si grave pour être bannie sans que cela soit parvenue jusqu’à mes oreilles ? » s’intrigua donc l’Anglais du Conseil, pour que Matthijs lui fasse découvrir un extrémisme qu’il n’aurait jamais soupçonné.

 

Autrefois, le Vol était une secte qui vouait une grande adoration au LM, en plus d’être l’une des plus érudites, pacifiques, tolérantes et peuplées de toutes.

Cependant, depuis qu’elle s’était mise en quête du sanctuaire, elle s’était progressivement marginalisée, jusqu’à devenir l’une des plus farouches ennemies de Solar Gleam ou des autres Religions Nouvelles. Désormais, elle était un réseau de communautés recluses partout dans le monde, vivant dans une sorte d’autarcie avec la nature, avec une consommation de LM des plus maîtrisées et ritualisées. Car le Vol n’était pas composé que de fanatiques aux accents écologistes, c’était bien plus complexe que cela, il se voyait comme un gardien des lieux saints de la molécule et de ses secrets, comme une alternative aux chemins tracés par le RFA, l’AP ou la Révolution. Mais pour Matthijs, il s’agissait d’un rassemblement de conservateurs dangereux, très probablement responsables de la grande majorité des disparitions, au nom de la protection du sanctuaire qu’Arcturus convoitait à son tour. Néanmoins, le directeur ajoutait volontiers qu’ils n’étaient pas sans ressources, que les rumeurs sur l’immortalité du Vol se multipliaient depuis quelque temps, à croire qu’ils ont vraiment découvert quelque chose là-bas. Dans ce cas, j’irai me renseigner en personne avec Semper Peace, en conclut son président, sans hésiter un instant, et je mettrai fin aux agissements de cette secte si elle se révèle coupable de ces disparitions, cela rassurera la population tout en envoyant un message aux cultes trop téméraires. Et, si le Légat des Échos s’inquiétait sincèrement pour lui, il ne manqua pas de l’encourager dans son entreprise, d’autant plus qu’il y avait peut-être plus qu’un bassin de LM au fond de ces tunnels, quelque chose dont d’autres ne doivent pas s’emparer. En définitive, le Soleil Marin semblait avoir toutes les raisons d’aller piller cet antique sanctuaire.

D’ailleurs, ils en discutaient encore lorsque ses invités furent annoncés dans le jardin de sa belle demeure à flanc de montagne, l’une des plus hautes de la cité. Bien évidemment, il s’agissait de James et d’Eli, escortés par les Neuf Étés de Semper Peace, probablement porteurs de nouvelles toutes plus mauvaises les unes que les autres. En vérité, il s’attendait plutôt à les recevoir deux jours plus tard, puisqu’il leur avait demandé de l’aider à lutter contre l’influence de David à l’Arthurie Valdôtaine. Mais s’ils revenaient en avance, ça ne devait pas être bon signe. Pourtant, c’est avec de grands sourires qu’il les vit arriver dans le salon, pendant que Matthijs saluait cordialement son président – non sans lui promettre de revenir avec d’autres informations.

Et bien que ce dernier fût d’abord méfiant d’une telle insouciance, il fût rassuré dès leurs premières explications : ses amis ne l’avaient pas trahi, bien au contraire.

— Eli a eu une idée sacrément ingénieuse pour purger l’Arthurie. Il nous a fait passer pour tes ennemis, et tous les traîtres sont venus à nous. Un vrai jeu d’enfant ! » lui sourit James, en demandant qu’on leur serve quelques boissons pour fêter ce renversement de situation qu’Eli finissait d’expliquer.

— Nous t’amenons la liste des partisans résolus de David, ainsi que celle de ceux qui te sont restés loyaux, avec des preuves et des détails. Mais il vaudrait mieux attendre avant de sévir, sinon nous ne pourrons plus infiltrer les complots et notre vraie fidélité sera révélée, attendons encore un peu pour achever notre piège.

— Bien sûr, je ne commettrai pas cette erreur, merci les gars. Je n’aurais pas pensé que vous en feriez autant. » les complimenta-t-il, avant que ses deux amis ne lui confie qu’ils avaient aussi quelques mauvaises nouvelles – tout ne pouvait pas être si rose …

 

Car si les deux associés du président étaient convaincus qu’Arcturus puissent remettre de l’ordre dans sa cité italienne, ils craignaient également que David se soit forgé un noyau de fidèles trop vaste et corrompu pour céder en une seule purge.

Durant des soirées entières, ils avaient discuté avec tous ces traîtres forcenés, afin de comprendre ce qui les faisait obéir si aveuglément au Roi des Marchands plutôt qu’à leur président. Cependant, ils devaient bien reconnaître que c’était une force qu’Arcturus ne pouvait dépasser, quelque chose de trop dur pour lui comme pour eux deux.

— Tu ne pourras pas les corrompre, parce qu’ils n’obéissent pas à David pour l’argent en réalité, même s’ils ne crachent pas dessus … » commença à résumer James avant qu’Eli n’enfonce le clou.

— Et tu ne pourras pas les intimider en menaçant leur carrière non plus, pas plus que tu ne pourras les convaincre, car ils croient plus en David et en l’AP qu’en toi.

— Alors comment puis-je faire pour les racheter, ou au moins pour les dissuader de le servir ? Qu’est-ce qu’il a de plus que moi à la fin ? » finit par s’exaspérer Arcturus, aussi démuni que ses deux associés, gênés par la confession qui lui firent : cette force de David, c’était la peur, la vraie peur.

 

Eli voulut alors s’essayer à définir les contours ou les méthodes de cette arme au Soleil Marin, encore abasourdi par cet aveu qu’il ne comprenait pas, dont il ne voyait même pas la logique ou le fonctionnement, je ne fais pas peur ?

Mais comment un vieux banquier toujours bien habillé comme David peut-il être plus impressionnant que moi, le fils multimilliardaire et savant du Seafox, se répétait-il intérieurement en espérant que les tréfonds de sa conscience lui soufflent la réponse, en vain. D’ailleurs, même après que ses deux amis lui eurent expliqué cette force, il avait encore du mal à comprendre la vraie utilisation de la peur. Car David n’était pas un simple mafieux qui pratiquait la calomnie ou la vendetta, c’étaient des armes trop humaines pour un démon comme lui, tel que l’avoua James. En fait, les traîtres qui servaient le Roi des Marchands ne lui obéissaient pas simplement parce qu’ils avaient peur de la mort, ils craignaient surtout de souffrir, de voir souffrir autour d’eux, et de finalement plier pour servir leur bourreau. Ils savaient tous que David punirait leur affront en détruisant ce qui leur était cher, en leur faisant perdre tout ce qu’ils avaient pu bâtir, avant de les réduire à la servitude d’une manière ou d’une autre. Pire, certains de ceux qui en avaient fait les frais ne s’en rendaient même pas compte, tant le maître de l’AP savait agir dans l’ombre. Parfois, lorsqu’il voulait corrompre un innocent, il s’affairait à le détruire sans se montrer, jusqu’à le pousser au point de perdre famille, maison, travail ou santé mentale. Ensuite, il se présentait pour dicter les conditions de son aide miraculeuse, et récompenser son nouveau serviteur, si soulagé d’avoir trouvé un protecteur si philanthrope. Souvent, les plus perspicaces ne comprenaient le mécanisme que des années plus tard, lorsqu’ils réalisaient que toute leur nouvelle vie ne tenait qu’au bon vouloir de leur nouveau maître, que leur emploi ou leur bonne image n’était que des autorisations qu’il leur accordait. En clair, ils sont persuadés d’être déjà dans le creux de sa main, comme James le résumait avec amertume, et toute tentative d’en réchapper ne les feraient que tomber dans le vide. Enfin, pour conclure le tout, Arcturus découvrit avec effroi que son rival avait déjà détruit des centaines de familles ainsi, que sa propre famille n’était absolument pas un cas isolé. Certes, ce climat de peur avait mis des années à s’installer, mais il était maintenant si bien ancré qu’Eli finit par se servir un fond de whisky, tandis qu’il terminait en rappelant que leur rival disposait de centaines d’agents dédiés uniquement à ce harcèlement permanent.

Bref, Arcturus ne semblait rien pouvoir contre une telle arme, il n’avait même pas la capacité de les apeurer encore plus, ce qui est plutôt rassurant pour ta qualité d’être humain, comme l’avoua Eli, avant que James ne nuance car, dans le cas présent, c’est plutôt un obstacle malheureusement. Malgré tout, le Soleil Marin ne comptait plus renoncer désormais, ni céder à la peur.

— Je ne vais pas me transformer en un monstre pire que mon ennemi au nom d’une vengeance, aussi noble soit-elle. Ce n’est pas le but de ma rébellion contre David, et ce n’est pas négociable, j’ai déjà ces discussions avec mon père, ça suffira. S’ils sont désespérés, alors je vais leur donner une raison de croire à nouveau ! » promit-il, en se redressant sur son fauteuil, absolument pas abattu.

— Et que comptes-tu faire ? Tu ne convaincras pas ces gens aussi facilement que nous qui sommes tes amis, nous qui partageons des intérêts, mais aussi des opinions et des rêves avec toi. Sans compter qu’Eli comme moi savons que nous ne risquons rien, hormis notre propre disgrâce, David ne tuerait pas un fils de Jakob ou d’Irvin. Eux ou toi, c’est très différent, ils ne vont pas te suivre pour le beau geste !

— Nous avons appris ce qu’il s’est passé à Amsterdam, ainsi qu’à la prison d’August, et toutes les Arthuries ont également été mises au courant, dès le lendemain. Tous ceux qui devaient saisir le message ont bien compris que David t’avait envoyé un avertissement. Tu n’apparais pas en position de force, là où il a montré qu’il pouvait réagir depuis l’autre bout du monde en un rien de temps. Il a déjà gagné la première bataille d’une certaine manière … » ajouta l’Israélite sur un ton défait, avant qu’Arcturus ne leur propose une idée, après avoir savouré en souriant une gorgée de son whisky comme l’aurait fait son père – dont l’influence déteignait davantage sur son fils chaque jour.

— Dans ce cas-là, montrons à tous qu’il mord comme un petit chiot, que je suis tellement plus influent que lui qu’il ne me fait même pas vaciller. Je vais humilier David, devant le monde entier, je vais montrer à tout le monde que c’est juste un homme, et une merde en plus de ça. Quand il n’y aura plus aucune raison d’avoir peur de lui, ses rangs fondront comme la neige au soleil. » asséna l’Anglais du Conseil, sûr de lui et de son plan, sous les regards stupéfaits de ses deux associés, aussi apeurés qu’hésitants.

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Bibliophage
Posté le 22/01/2022
Certes on découvre David mais là aussi, cette rencontre était prévisible après ce qu'Arcturus avait fait. Je trouve qu'il arrive peu de choses à Arcturus, Alessia a plus d'aventures que lui.
Deslunes
Posté le 24/01/2022
Bonjour, merci de votre commentaire.
Pour une fois que mon Alessia est applaudie, on ne va pas se gêner pour le souligner.
A vrai dire, la scène David-Arcturus tournait beaucoup autour de l'économie à l'origine (on parlait action, monnaie, filiale, commerce international, fournisseurs, acheteurs etc. bref, c'était assez éloigné des autres propos du tome 1). C'est pour cela que j'ai recentré le propos sur des questions touchant à l'espoir, à l'image, au courage, à la résilience, les apparences, et tout ce genre de propos qui correspondent davantage au tome 1.
En revanche, la rencontre avec David aurait pu ne jamais advenir si ce dernier n'avait pas accepté de pardonner à Arcturus en échange de son obéissance.
J'espère que les prochaines scènes d'Arcturus vous intrigueront davantage.
Coquilles
Posté le 21/01/2022
On découvre le fameux David et il surprend. Au début du roman, je le supposais philanthrope, paternel avec Arcturus, désintéressé de l'argent, mais ce n'est pas du tout le cas. Ce calme, ce froid... que tu nous fais ressentir de ce personnage est glaçant.
Deslunes
Posté le 24/01/2022
Bonjour, merci de votre commentaire.
Content d'apprendre que ce personnage vous intrigue. Comme vous avez dû le saisir, David, c'est "un peu" César, une main tendue, l'autre sur le glaive, et on négocie comme ça, en changeant de main quand les intérêts l'exigent.
Cependant, David pourrait lui-aussi être amené à évoluer au cours de son duel avec Arcturus, qui sait ?
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