CHAPITRE IV - Une tempête d'étoiles entre les arbres - Maria et Alessia - Partie 1

Notes de l’auteur : Bonjour à tous, j’espère que cette scène vous plaira et vous donnera envie de lire la suite.
Selon vous, qu’avez-vous pensez des combats ou des confidences de ce chapitre ? La romance vous parait crédible et bien écrite ou, à l’inverse, niaise et ridicule ?
Néanmoins, la prochaine scène nous amènera après de William et d’Arcturus, dont les luttes et les rêves deviennent plus sérieuses et plus concrètes.
N’hésitez pas à commenter ou partager mon travail autour de vous, et portez-vous bien.

Maria et Alessia

 

« Moi j’aime pas tous ces trucs, ce sont des armes de lâches qui massacrent à tour de bras. C’est beau mais que de loin, et encore ! Pourquoi on fait pas des super-soldats nous aussi, et pourquoi le RFA se branle avec les siens ? Si Maria nous envoyait dans le merdier, je suis sûr qu’on se ferait remarquer ! »

 

Alessandre à Jasper et Théo, à propos des armes modernes utilisées sur le front occidental, à la terrasse d’un bar parisien, 29 mars 1880.

 

Cependant, la fin de ce mois de mars qui suivit ces évènements vit une terrible désillusion pour les plans de Maria et du Conseil du Graal en général. Le RFA n’allait pas tomber, loin de là …

Les Parisiens se préparaient déjà mentalement à un nouveau siège de la capitale, tant le maréchal Ludwig faisait déferler son offensive sur tout le nord-est français, perçant le front à plus de six endroits jusqu’à menacer la logistique de l’Entente. Pire encore, la Belgique était tombée dans des combats aussi brefs qu’acharnés, et l’avancée des Allemands menaçait de compliquer le débarquement des troupes britanniques venues de tout l’Empire. Le Nord de la France n’allait pas tarder à tomber lui-aussi sous l’avancée fulgurante de la Heer, suivie de près par le RFA et son demi-million d’effectif mobilisé, entièrement dédié à l’approvisionnement en soins nouveaux des troupes. Quant à l’intérieur des terres, les Germains tenaient déjà Reims, Chaumont ou Vesoul, soit presque une ligne courant de l’Atlantique jusqu’aux Alpes, comme si une vague déferlait sur tout le pays. Bref, Maria était furieuse, Alessia déçue, William silencieux, Arcturus en voyage d’affaire et le Conseil cruellement inactif dans cette guerre. En effet, tant que ce dernier ne s’était pas réuni, aucun des quatre Élèves ne pouvait prendre l’initiative d’accroître son soutien à un camp ou un autre.

Pourtant, tout n’était pas perdu pour l’Entente, il leur restait encore un espoir, un général et son petit corps d’armée tenant le couloir du Rhône, Gabriel était toujours invaincu. Mais il y avait un gros problème avec ce brillant officier, tous savaient qu’il s’agissait d’une véritable tête de mule et d’un ambitieux incontrôlable. Lors de la dernière guerre Franco-Allemande, il avait déjà désobéi aux ordres de ses supérieurs pour aller chercher sa fameuse victoire contre Ludwig, quitte à entraîner tous ses officiers et ses soldats dans cette sédition – dont le dénouement aurait pu être bien plus malheureux. Le faire participer à une offensive, c’était donc prendre l’assurance que son corps d’armée se mette subitement à mener sa propre guerre. Alors la République et l’État-Major préféraient le laisser à l’écart, à défendre l’accès au sud-est qui n’intéressait absolument pas les Allemands, déterminés à gagner la guerre plutôt qu’à dévaster les terres ennemies. Des premiers engagements jusqu’aux combats de maintenant, le Général avait été systématiquement ignoré, assigné à empêcher l’avancée d’une armée autrichienne qui ne servait qu’à l’immobiliser, sans le moindre coup de feu. Au moins, il n’avait pas été réduit à devoir envoyer ses hommes mourir sur des ordres débiles qui n’étaient pas de lui. Pourtant, son absence tourna très vite en sa faveur, quand la population se mit à conspuer ces maréchaux, dont certains revêtaient même le doux surnom de « Boucher », tant ils vendaient la chair française aux canons allemands pour gagner quelques mètres ou atténuer l’ampleur de leurs défaites. Ainsi, Gabriel apparut bientôt comme le meilleur officier aux yeux du peuple, car s’il était celui qui avait le moins combattu, il était aussi celui qui avait le moins perdu, en bataille ou en vies. Quant au DMN, le tout nouveau Département de Médecine Nouvelle français, il n’avait pas le dixième des effectifs ou de l’efficacité du RFA, et Maria ne pouvait toujours pas le rejoindre sans un vote du Conseil.

C’est donc dès le mois d’avril que le basculement put avoir lieu, lorsque le chef du Conseil de la République décida d’imposer Gabriel à la tête de l’Armée Française et du Déméne – tel que le DMN était prononcé couramment. Et la suite lui donna raison. Dès la semaine suivante, Gabriel enfonça les flancs de l’offensive ennemie pour faire craindre à Ludwig un encerclement en plein territoire hostile, voyageant de part et d’autre du front dans un train aménagé pour infliger plusieurs revers aux Allemands, surpris d’un tel sursaut d’orgueil. Tous attendaient alors le grand choc avec inquiétude, celui qui allait enfin mettre tout le monde d’accord. Mais avec près de 500 000 hommes menacés par cette manœuvre qui semblait capable de remonter jusqu’à la Belgique, Ludwig préféra reculer à la hâte en lançant quelques petites attaques suicidaires pour faciliter le repli de ses armées sur de meilleures positions. Visiblement, le vieux maréchal était encore très lucide, et très bien renseigné. Il savait que la réussite de Gabriel ne tenait pas tant à son génie stratégique qu’à son utilisation judicieuse du LM et sa réforme du Déméne.

Les deux armées purent ainsi se réorganiser, malgré l’impatience de Gabriel qui l’encourageait à poursuivre les Allemands, au point de décider d’une offensive audacieuse. L’idée était de couper le front ennemi en deux, puis de coincer chacune des deux moitiés contre les Pays-Bas et la Suisse, afin de les forcer à se désarmer ou à accélérer leur retraite. Malheureusement pour l’Entente, Ludwig anticipait déjà une manœuvre téméraire de son estimé rival. Alors les Allemands décidèrent de jouer le jeu, laissant les Franco-Anglais avancer leur offensive fulgurante en territoire occupé, jusqu’aux alentours de la ville de Verdun, et jusqu’à ce que le Feld-Maréchal n’ordonne les contre-attaques pour l’encercler. Il ne restera plus qu’à détruire tout ça sous un déluge d’obus, pensait-il, bien que deux détails le tracassent encore. Non seulement Gabriel était forcément au courant du risque d’encerclement, mais un messager du RFA était également venu l’informer que les éclaireurs chargés de veiller sur l’ennemi avaient tous disparu. Plus tard, il apprit ensuite que les meilleurs régiments français s’étaient retrouvés sur le chemin de ses contre-attaques, dans des combats acharnés très indécis. Quant à ses éclaireurs, ils avaient été tués par des francs-tireurs, locaux et déserteurs que Gabriel ralliait facilement à sa cause, avec toute sorte de promesses, afin de leur confier ces étranges missions spéciales jusque derrière les lignes allemandes - des coups de main comme disaient les Français. Ludwig avait donc un très mauvais pressentiment sans pouvoir reculer, car l’occasion d’écraser l’Entente était bien trop forte. Jamais le Reich n’accepterait qu’une bataille si opportune ne soit abandonnée sous prétexte que le général ennemi ou les renseignements n’étaient pas rassurants.

Néanmoins, Gabriel avait manifestement une autre carte dans sa manche et il attendait le bon moment pour l’abattre sous le nez de Ludwig, assez expérimenté pour s’en méfier. Seulement il avait beau chercher … Quelle est cette carte si puissante et si secrète ? Il devait forcément déjà la connaître …

— Et tu penses que cela suffira à en finir avec cette guerre ? Que ça ne va pas faire qu’empirer les choses ? » demandait Alessia à Maria, quand cette dernière eut fini son résumé matinal des nouvelles du front, entre deux ou trois observations au microscope dans le troisième étage de son laboratoire personnel.

 

Mais cette question de l’Italienne suffit surtout à étonner sa collègue, tant elles s’étaient épuisées au travail durant les jours précédents, cela n’avait aucun sens d’hésiter maintenant.

En plus, la Franco-Polonaise avait eu tant de mal à la convaincre de l’aider pour concevoir ce que Gabriel lui avait demandé : une thérapie qui permettrait à ses soldats de prendre l’avantage sur les Allemands et leur RFA. D’ailleurs, ce n’est qu’en évoquant les exactions commises par ces barbares de protestants prussiens en Belgique, qu’elle réussit à convaincre Alessia qu’il fallait protéger les Chrétiens de France. Malgré tout, la Religieuse restait mal à l’aise, elle digérait mal l’idée de participer à une guerre sans l’aval du Conseil, comme son amie le voyait bien. Alors, Maria voulut la rassurer sur l’avenir de cette guerre comme sur leur légitimité, puisque les Lois accordaient à chaque membre de défendre sa patrie si celle-ci était gravement menacée - ce qui était plus ou moins le cas en l’occurrence. Tant qu’elles n’allaient pas jusqu’à intégrer le Déméne ou agir elles-mêmes sur le champ de bataille, elles restaient dans leur bon droit, surtout si les quatre Élèves ne parvenaient pas à se réunir en même temps pour voter dans l’urgence. Quant à leur thérapie, il n’y avait aucune crainte à avoir non plus, bien au contraire, toutes ses journées de travail acharné n’avait pas servi à grand-chose.

Malgré un bref retard, elles avaient réussi leur pari : celui de réunir toutes les drogues militaires à base de LM en une thérapie permanente, de rassembler les effets de dizaines de médicaments différents en une seule formule. Avec une telle arme, les armées de Gabriel allaient écraser celles de Ludwig et les poursuivre jusqu’à Berlin, le tout avant la fin de l’année et sans le moindre doute. Il pouvait bien y avoir une épidémie, cette thérapie immunisait les soldats, et il pouvait bien y avoir une canicule dès le mois de mai que ça ne les gênerait pas plus que l’air printanier. La logistique du RFA aurait beau se sublimer pour égaler celle du Déméne de Maria que ça n’y changerait rien, leurs camions de produits chimiques ne seraient qu’un poids supplémentaire pour eux, là où la nouvelle thérapie du Conseil allait alléger les armées de l’Entente, réduire l’effectif de médecin nécessaire et accroître l’autonomie de chaque unité. En clair, la Lune Pâle allait jouer sa carte maîtresse, faire la plie et se repaître des recherches du RFA qu’Arcturus l’aiderait à exploiter.

Cependant, tout n’était pas aussi simple que Maria le présentait, Alessia le savait bien, et elle le craignait plus qu’avant …

— Notre thérapie n’est pas très stable, Maria, et nous ne l’avons pas vraiment testée. Cinq cobayes étudiés pendant quarante-huit heures, ça ne vaut rien. » fit valoir timidement Alessia pour que la réponse fuse aussitôt.

— Je n’ai pas besoin de la tester, elle n’a aucune raison de ne pas marcher comme je l’ai prévu. La Science ne fait jamais défaut. 

— Tu sais bien que tu ne peux pas prendre tous les paramètres en compte, enfin soit ! Mais pour son instabilité ? Nous n’aurons pas le temps de la corriger, tu as donné rendez-vous aux officiers du Déméne dans deux heures … » s’exaspérait-elle, tout en se doutant de la réponse qui arriva dans la bouche de sa très intransigeante amie, elle avait déjà assez honte de son retard, ou que la thérapie devait être prête pour la prochaine bataille. « Et si les soldats se mettent à muter ? Tu y as pensé ? » finit-elle par insister d’un ton inquiet, en la voyant balayer les problèmes avec autant de dédain.

— Dans le pire des cas ceux qui muteront seront les plus proches du feu. Sous l’effet de la rage, de la peur ou de leurs souvenirs, les mutants attaqueront les Allemands et seront encore plus efficace que n’importe quel canon, en plus de se suicider dans les rangs ennemis. Il vaut mieux un soldat mutant que mort ou agonisant. » lui exposa-t-elle froidement, sans la moindre émotion, à tel point qu’Alessia crut que son amie plaisantait à sa façon – elle avait un humour bien à elle, après tout. « Non, et je ne plaisante pas non plus lorsque je dis que les risques de mutation ne doivent pas dépasser le 0,01%. Tu paniques pour rien. » lui asséna-t-elle, sans avoir idée de ce qu’elle allait déclencher sur le moment, car la Florentine commençait à s’insupporter que tout le monde ne prenne ses propos à la légère.

— Ça suffit ! Tu vas m’écouter maintenant ! » s’énerva-t-elle, alors que Maria se retournait d’un air surpris, et que l’Italienne se ressaisissait aussitôt pour parler plus calmement, presque gênée d’avoir laissé s’exprimer sa colère. « Elles ne doivent pas mais elles le feront, surtout si ce que disent les journaux sur cette guerre est vrai. Plus la bataille sera violente, plus le stress va monter et les traumatismes s’accumuler. Par le biais de la résonnance, ton chiffre montera à 1% par rapport à nos tests en laboratoire, sur une armée de plus de 100 000 hommes. Tu vas créer une armée d’horreurs, tu le comprends ?! » finit-elle par s’emporter pour que la riposte n’arrive, sèche et sans appel.

— Ils perdront s’ils n’ont pas notre thérapie, c’est ce que tu veux ? » répliqua-t-elle lorsqu’Alessia commença à baisser le nez, sans pour autant s’avouer vaincue cette fois.

 

Après tout, il y avait d’autres moyens, les deux savantes n’avaient pas travaillé sur cette seule thérapie, d’autres découvertes en étaient nées, d’autres produits moins puissants et invasifs avaient été conçus.

Pour la religieuse, les armées de l’Entente feraient donc mieux de se contenter des médicaments, c’était déjà beaucoup. Mais, le problème, c’était qu’Alessia n’avait plus la main sur rien à présent, Maria avait décidé de livrer cette thérapie aux officiers et elle refusait obstinément de se laisser convaincre. Finalement, elle regrettait presque d’avoir accepté de l’aider dans ses recherches. Pourtant, elle n’était pas au bout de ses déconvenues, car sa collègue comptait se rendre directement sur le champ de bataille.

— Quoi ?! Tu comptes aller là-bas ?!

— Oui avec Jasper et tous mes hommes, sauf Henri et les quelques gardes que je demanderai à l’État-Major. En plus de faire la prévention en personne, je surveillerai les lieux les plus intenses de la bataille et je ferai abattre le premier mutant qui pourrait se révéler. En plus, ça me permettra de m’assurer que notre thérapie est bien utilisée et d’étudier ses effets. » lui confia-t-elle calmement, tandis que la Florentine n’en revenait toujours pas, que ce soient des risques que son amie prenait ou du secret de la mutation qu’elle cherchait à cacher à tout prix.

 

Qui sait, elle pouvait bien prendre un obus perdu ou être encerclée dans la bataille ? Et tout ça pour quoi ?

Pour essayer d’étouffer les rumeurs de ses péchés plutôt que pour réellement étudier les effets de sa thérapie. Alessia savait bien que son amie pouvait être obstinée, au point de ne plus tenir compte de rien, mais cette fois, c’était beaucoup trop pour ne pas la décevoir sincèrement, ou pour ne pas l’inquiéter. Il n’était plus seulement question des Lois du Conseil, mais de morale et de bon sens. Malheureusement pour la Florentine, elle ne pouvait rien faire d’autre que lâcher l’affaire, elle n’allait pas se dresser contre sa chère Maria, même si elle n’avait pas encore dit son dernier mot.

— Et tu comptes dire à Anastasia que sa grande sœur part sur un champ de bataille ? » lui demanda-t-elle, avant que l’aînée des Kochanowska balbutie le prétexte qu’elle s’était déjà préparé : une prétendue étude des espaces naturels pendant trois ou quatre jours. « Bon. Je vois ... » en conclut sobrement la religieuse, désemparée par une conduite qu’elle jugeait irresponsable pour tant de raisons.

— C’est tout ce que tu as à me dire ? À une époque encore récente, tu m’aurais blâmé pour mentir comme ça à ma sœur … » s’étonna-t-elle, au grand soupir d’Alessia qui comprenait que la seule chose à avoir fait réagir Maria, c’était ce changement d’attitude et ce petit dilemme moral, et non le ressenti de sa cadette ou le risque de lui faillir sur le champ de bataille – sans parler du véritable problème éthique de sa thérapie.

— Il y a longtemps, oui. Mais même la naïve, que vous m’imaginez tous être, grandit avec le temps. Si tu dois partir près du front, je prierai pour toi, mais ne vas pas dire que je ne t’ai pas prévenue. Sur tout. » en conclut-elle, en rabaissant son regard vers ses appareils de mesure, d’un air assez désespéré pour que son amie essaie de détendre l’ambiance.

— De toute façon, si je meurs, à qui pourrai-je me plaindre ou me repentir ?

— À tout un tas de gens. Ne va pas me faire une mauvaise réputation au paradis.

— Tu penses que j’irai au paradis, que ton Bon Dieu me laissera une chance de m’expliquer ? À une athée comme moi ? » s’amusa-t-elle, avant qu’Alessia ne commence son sermon, prétendant que Dieu jugeait par-delà la foi, que les bons allaient avec les bons et les mauvais avec les mauvais, que l’adoration du Très Saint Père était toujours préférable mais qu’il existait des enfants timides ou effrontés dans toutes les familles, et que Dieu le savait bien pour les avoir créés comme toutes choses de ce monde.

 

Quoi qu’il en soit, même si l’Italienne n’en tirait aucun plaisir, Maria avait toutes les raisons du monde d’être plus que fière de sa dernière création.

En plus d’une résistance accrue à la chaleur ou aux épidémies, outre les capacités régénératives du LM et l’ardeur qu’il instillait dans le cœur des soldats, la thérapie des deux dames du Conseil offrait une immunité aux gaz et une vision nocturne presque parfaites. Alors quand les officiers vinrent s’enquérir des travaux de la savante préférée du Général, ils ne posèrent aucune question sur l’instabilité du produit, ils en étaient si satisfaits que leur seul souci était de pouvoir l’injecter à tous leurs hommes, avant le grand choc. Alors dès qu’elle eut rencontré les officiers et annoncé sa présence sur le front, pour soi-disant assister aux succès de son produit et collecter un maximum d’informations, Maria décida de réunir ses hommes pour leur annoncer la mission du lendemain et leur confier des chasubles de la Croix-Rouge – leur couverture officielle lorsqu’ils arriveraient sur le front. Mais comme Jasper le supposa très vite, c’était pour une tout autre et plus dangereuse mission qu’ils se déplaçaient.

Et sa patronne eut beau éluder les questions durant toute la soirée, puis tout au long du voyage à cheval qui les conduisit jusqu’aux alentours de Verdun, il vint un moment où l’Alsacien finit par lui faire cracher le morceau.

— Nous avons déjà chassé ton horrible singe à tes côtés et je pense que nous avons bien su mériter ta confiance depuis tout ce temps, non ? Promis, je ne dirai ton secret à personne ! » insistait Jasper, en la tutoyant comme si c’était une vieille amie avec qui il se promenait à cheval.

— D’accord, approche ton oreille, je vais te le murmurer. » lui accorda-t-elle d’un air malicieux, d’un sourire si charmant qu’il pencha aussitôt son oreille près de ses douces lèvres, et qu’elle la lui tira juste assez pour que ça soit douloureux. « Mon petit singe n’était pas horrible ! T’as compris ?! » explosa-t-elle au ras de son oreille, avant de le libérer pour qu’il se rajuste en selle.

— Oui, désolé. Comprenez que je ne l’ai connu qu’après sa mutation, je ne voulais pas insulter sa mémoire. » essaya-t-il de se justifier pendant qu’elle se préparait à leur concéder une explication plus détaillée, plus que simplement leur annoncer la présence potentielle d’un nouveau mutant - tel qu’elle l’avait fait hier soir.

 

Pourtant, Jasper et tous ses compagnons se montrèrent étonnamment compréhensifs en entendant ses aveux, même Alessandre ne râla que sur le fait que l’armée pourrait se charger elle-même d’éliminer les mutants qui écloraient.

Tout le monde comprenait que moins il y aurait de mutants, mieux ce serait, pour tout le monde, et surtout pour le Conseil du Graal - dont ils ignoraient pourtant l’existence. Certes, Théodose eut les mêmes scrupules qu’Alessia au sujet du sort funeste qui attendait les soldats mutants, mais d’un autre côté, il avait déjà vu des hommes perdre la raison à l’issue des batailles, ou en ressortir dans des états tels qu’ils regrettaient de ne pas être morts. Alors si la mutation transformait la lente agonie en un dernier souffle guerrier, c’était mieux qu’une vie de séquelles à subir.

Et surtout, comme elle le rappelait, c’était pour sauver la France et vaincre l’ennemi allemand, donc le vétéran de la guerre franco-prussienne n’y voyait pas plus de problème que cela – tout comme ses camarades.

— En résumé, je veux que les mutants restent une légende de soldat que les officiers ou la population associeront à des hallucinations dues à la guerre. Je corrigerai le produit pour la suite de la guerre mais le temps presse, si l’Entente ne remporte pas ce combat, s’en est fini. Et ce bon général Gabriel n’y pourra rien. Nous n’avons pas le - » achevait Maria lorsqu’elle fut interrompue par le vacarme soudain d’un obus, détonnant dans un bourg non loin du chemin que la petite troupe à cheval empruntait.

— Pourquoi ils tirent sur un village, ces connards ?! » s’exclama aussitôt Alessandre, autant excité par le bruit que par l’injustice que Théo s’apprêtait à lui expliquer.

— Les Allemands règlent leurs tirs, les bombardements vont bientôt commencer.

— Nous ferions mieux de nous dépêcher, non ? » demanda Jasper à sa maîtresse, pour que cette dernière lui réponde en se lançant au galop vers l’horizon d’où venait les tirs, loin derrière une crête de collines boisées.

 

Sous le vacarme qui emplissait lentement les airs, la troupe ne mit donc pas plus de cinq minutes avant d’atteindre la lisière des bois, puis d’apercevoir l’ampleur de l’affrontement qui se mettait en marche sous leurs yeux.

Le paysage qui s’offrit alors à Maria la subjugua sous l’impression épique qui s’en dégageait, c’était mille fois plus saisissant que ce dont elle avait été témoin dans les Balkans. D’un horizon à l’autre, elle croyait presque voir la terre bouger tant les masses en mouvement recouvrait tout, à perte de vue, laissant s’élever des vagues de poussière dans leur sillage. Malheureusement, il suffit de quelques instants pour qu’ils soient privés de cette vision stupéfiante, par les fumées et poussières que les obus libéraient au vent. À ce moment, c’est tout l’horizon qui s’était changé en un épais voile d’ocre, sur des dizaines de kilomètres, engloutissant les forêts et les collines, si bien que Maria ne voyait même plus où les régiments convoyaient calmement, telle une marche funèbre. Que ce soit Gabriel ou Ludwig, ils avaient chacun annoncé à leurs peuples le plus grand affrontement dont l’Humanité avait souvenir et ils n’avaient pas menti. On y voyait des armes jusqu’ici inconnues, des voitures thermiques blindées et armées de canon, des aéroplanes reconvertis pour le combat ou des obus aux effets bien plus variés qu’une simple déflagration de fragments ou de feu.

Pourtant, Maria n’assistait qu’au prélude de la bataille et, en vérité, elle n’était même pas au bon endroit.

— Ce n’est pas ici que se concentrera le choc, Madame. Il n’y a presque aucun obus qui pleut devant nous … » lâcha soudainement Théo pour faire sortir sa maitresse de ses rêveries.

— Comment ? Euh – Oui, c’est vrai. Ici c’est la France qui attaque, l’État-Major m’a dit qu’il attendait le gros du choc sur leurs positions autour de Verdun. » se reprit-elle, en se demandant intérieurement comment elle pouvait se laisser bercer comme une amatrice, tandis que l’Aquitain se laissait divaguer à l’entente du nom de cette ville déjà célèbre.

— Là où l’Empire de Charlemagne s’est effondré, il y a 1 000 ans, entraînant avec lui les derniers espoirs d’une renaissance de Rome … Et le bien général fut annulé, chacun s’occupa de ses intérêts, Dieu seul fut oublié … » lança-t-il, au grand étonnement de sa patronne qui crut réentendre les cours d’Histoire de Marco-Aurelio. Seulement tout le monde ne partageait pas l’esprit poétique de Théodose ou du mentor d’Alessia.

— D’accord, prof. T’en as d’autres des anecdotes comme ça ? » s’amusa aussitôt Alessandre, lui qui ne s’intéressait qu’à l’histoire qu’il restait à écrire – et surtout à la sienne.

— Verdun est à quelques kilomètres plus au nord. » ajouta Jasper, en tournant son regard vers une Maria toujours fascinée par les manœuvres militaires. « Si les Allemands ont déjà commencé à tirer ici, cela signifie que ceux de Verdun sont déjà au combat depuis une bonne heure, c’est là-bas que leur Ludwig veut gagner.

— … Oui, oui. Allons-y ! » finit-elle par concéder, en lançant le petit trot du groupe vers la suite de cette crête.

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Bibliophage
Posté le 22/01/2022
Bonsoir,
C'est une vrai scène de monstres, du pur roman de science fiction. Les descriptions sont hyper détaillées. Je trouve cependant que parfois tu utilises souvent les mêmes adjectifs (exemple : 5 fois le mot furieux pendant le combat des monstres)
Deslunes
Posté le 24/01/2022
Bonjour, merci d'avoir commenté.
Je note cette répétition avec les autres, elle sera corrigée. Merci de votre attention.
Coquilles
Posté le 17/01/2022
Re,
Je me permet une question : pourquoi avoir nommée cette scène Maria et Alessia alors qu'en fin de compte, il ne s'agit que de Maria (même si Alessia lui a filé un petit coup de main au début) ?
Deslunes
Posté le 21/01/2022
Bonjour,
C'est vrai, et ce sera aussi vrai pour la scène d'Alessia en fin de chapitre (où Maria est présente sans jouer un rôle moteur).
Néanmoins, chaque héros qui apparaît pose sa marque sur la scène, c'est "comme ça", comme une règle dans un jeu de société. Et je n'allais pas déséquilibrer une symétrie si propre, aussi (vous avez du le remarquer, j'aime bien quand tout se répond, les répliques sont souvent paires, les paragraphes ont souvent leurs petites phrases d'amorce et de conclusion, thèse-antithèse-synthèse, tout ça tout ça...)
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