CHAPITRE IV - Une tempête d'étoiles entre les arbres - Maria et Alessia - Partie 2

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

En suivant le tumulte des sons et des fumées, le groupe se rendit alors jusqu’en face du centre de la ligne de front, et rien n’était plus facile tant le chaos se lisait jusque dans le ciel, tant le spectacle qui les y attendait était plus flamboyant.

Au-delà de la Meuse, on ne distinguait que des rayonnements dans le voile de poussière cachant l’horizon, mais ils étaient aussi innombrables que les étoiles dans la nuit, aussi incessants que les gouttes d’une pluie. Aux yeux de la Lune Pâle, chacun de ces scintillements étaient comme des vies et des morts, des témoins de la résistance d’hommes dans la plus opaque des tempêtes. Chacune de ces lueurs était une balle jaillissant du canon, un obus écrasant la terre ou ses flammes soufflant des êtres. C’est ainsi qu’une vie part, dans un dernier élan de fureur et d’envie, se fascinait-elle à la vue de tout ça, c’est ainsi que je partirai moi aussi. Mais les yeux avisés de Maria finirent très vite par remarquer quelque chose d’anormal, une chose presque imperceptible de là où elle était, comme de petits filaments écarlates luisants qui flottaient dans cette tempête de poudre.

Seulement, là encore, il y avait encore quelqu’un pour sortir Maria de sa contemplation …

— Waw. Putain ! Tu as déjà vu un truc comme ça, Théo ? » lâcha Alessandre à la vue de ce bombardement, presque aussi surpris que le plus expérimenté de ses compagnons.

— Non. Les Prussiens n’ont jamais tiré autant d’obus la dernière fois, dans aucune bataille … » ne put que lâcher l’Aquitain, en imaginant qu’il aurait pu être sous cette tempête à conduire sa compagnie s’il était resté dans l’armée, puissent-ils tous reposer en paix.

— Euh – Nous allons devoir descendre là-dedans ? » préféra s’inquiéter Jasper, assez gêné de passer pour un lâche devant Maria mais bien forcé d’exprimer sa crainte. Heureusement, sa patronne n’était pas aussi folle que le croyaient tant d’autres, bien sûr qu’elle n’allait pas les envoyer au suicide à chasser le mutant dans un chaos pareil – d’où aucun mutant ne ressortirait de toute façon. « J’y serais allé s’il avait fallu.

— Dit-il en arrêtant de claquer des dents ! » ricana Alessandre avant que Théo n’ajoute un commentaire plus sérieux.

— Les Allemands ne pourront pas tirer indéfiniment. Même avec tout le LM du monde, ils vont bien finir par tomber à court de munitions ou faire surchauffer leurs canons. Désolé de tous vous déranger, mais nous devrions trouver une meilleure vue sur nos lignes, en attendant. » expliqua-t-il pour que Maria leur indique une petite hauteur qui se trouvait légèrement en arrière de ce chaos, sur le seuil d’un sous-bois qui leur laissait une vue dégagée du nord au sud.

 

Là-bas, Maria décida de garder Jasper et Raphaël avec elle dans un premier temps, et forma deux trios avec ses dernières recrues, dirigés par Alessandre et Théodose.

D’ailleurs, bien que le premier fût enthousiasmé à l’idée de pouvoir donner des ordres à quelqu’un d’autre dans les alentours d’un champ de bataille, le second encaissa la nouvelle d’un air grave, visiblement contrarié, alors même qu’il était le plus expérimenté pour ce genre de responsabilités. Heureusement, ce n’était que des missions de reconnaissance qu’elle comptait leur confier, elle devait déjà se faire une meilleure idée de son terrain d’expérience tant qu’il n’y avait pas de mutations – à priori.

Dans la foulée, les deux trios de mercenaires s’élancèrent donc au galop vers les lignes de front, chacun d’un côté, laissant enfin Jasper tourner son regard vers Maria, avec seulement le silence de Raphaël pour traîner dans ses pattes – une occasion en or vu les circonstances.

— Vous me considérez vraiment comme votre second désormais ? » commença-t-il à lui sourire, tandis qu’elle gardait son regard braqué sur le champ de bataille, concentrée.

— Je pense même à te loger dans la chambre d’amis à côté de celle d’Anastasia et moi. » finit-elle par avouer, surprenant l’Alsacien au point de presque le faire tomber de son cheval, car ladite chambre d’ami était normalement réservée à Alessia ou aux autres du Conseil, c’était une véritable marque de prestige chez les de La Tour.

— Vraiment ?!

— Qu’en penses-tu, Raphaël ? Tu pourrais plus facilement nous protéger.

— Assurément, Maîtresse. » lui répondit platement Raphaël, sur le même ton qu’elle.

— Jasper serait bien à côté des écuries, juste à droite de la porte de l’étable. Lui qui n’est pas du genre à paniquer pour le moindre bruit nocturne …

— Cet humour ne vous fait pas honneur, Mademoiselle … » se contenta donc de lui répondre Jasper, sans qu’elle n’arrête de le taquiner pour autant.

— Tu serais parfait pour donner l’alarme ! » s’amusa-t-elle, en lâchant finalement le brouillard du bombardement de vue pour lui sourire.

 

Mais le vacarme n’en profita pas pour faiblir, bien au contraire, la pluie d’enfer se poursuivit sans discontinuer toute une journée, se poursuivant toute la nuit, car l’artillerie française pouvait désormais répondre de nuit sans la moindre difficulté.

Et cela dura même tout le lendemain, à tel point que les belligérants avaient transformé tous les alentours de la Meuse verdunoise en un champ de cendre et d’os. Au bout d’un moment, Maria ne faisait même plus attention à ce roulement, même quand elle le lâchait du regard pour aller faire les cent pas ou ses besoins à l’écart, avant de remonter sur son cheval pour reprendre sa veille inflexible – sous les yeux admiratifs de Jasper qui s’accorda volontiers une petite sieste dès qu’il revint de son tour d’observation. Et le bombardement continuait toujours lorsque le soleil s’endormit à nouveau, emportant lentement Maria avec lui, bercée par le tapis de bombes et les éclats de lumières.

D’ailleurs, tout comme lui, elle finit par doucement pencher vers le sol depuis la selle de sa chère Étoile.

— Hé ! » l’interpela brusquement Jasper, en la rattrapant juste avant qu’elle ne tombe de sa monture et qu’elle se ressaisisse.

— Je - Je suis là ! Je me suis laissé entraîner par quelque chose de curieux sur le sol, tout va bien. » lui assura-t-elle en essayant de reprendre son air impassible, je ne suis pas venue ici pour m’assoupir comme une petite fille.

— Je sais ce que tu vas encore me répondre, mais je le répète quand même. Tu devrais dormir un peu. Les effets de tes cachetons Solar Gleam commencent à retomber. » lui confia-t-il sur un ton paternel qu’elle ne corrigea pas, étonnamment, tout comme ce tutoiement.

— Non, c’est l’action qui commence à retomber. » se contenta-t-elle de lui répondre, en reprenant conscience de là où en était sa veille. « Tu peux me faire un rapport de la situation ? » lui demanda-t-elle, en donnant quelques petits coups à sa monture pour la réveiller elle-aussi – non sans la faire hennir d’agacement.

 

Effectivement, Théo venait de repartir pour sa seconde reconnaissance, en ayant laissé ses deux compagnons respectifs pour continuer à veiller sur place.

Cependant, il n’y avait toujours rien à signaler, si ce n’est que la bataille continuait de s’amplifier, que le grésillement des fusils avait succédé à celui des roulements des grands canons. Mais Jasper était là pour lui assurer que tout allait bien, qu’il veillait sur tout, qu’elle ferait mieux d’aller se reposer car, comme il le dit lui-même, la pause fait partie du travail. En plus, il lui donnerait volontiers son manteau en matelas et Raphaël lui cèderait le sien en oreiller, elle n’avait qu’à le dire et personne ne le lui reprocherait, loin de là.

D’autant plus que s’il devait y avoir de l’action, il fallait que tous puissent compter sur elle, c’est toi la cheffe, non ?

— Tu as raison. Je vais aller me reposer contre l’arbre quelques instants. » lui concéda-t-elle, en descendant de sa monture pour se diriger en direction d’un épicéa, avec Jasper pour l’imiter en lui demandant si elle avait besoin de quelque chose d’autre. Et pour une fois, même si sa fidèle Étoile vint se coucher à ses côtés, il tombait bien. « Ta conversation me plairait. Je n’ai pas vraiment envie de m’endormir bien que je sois fatiguée, ça m’aiderait. 

— C’est difficile de trouver le sommeil dans des circonstances pareilles, après tout. » lui accorda-t-il, avant de saisir l’opportunité d’emmener Maria sur des sujets plus frivoles que la Science ou la Guerre. « À un moment, j’ai cru te voir rêveuse devant les avions qui nous ont survolés. Tu es déjà montée dans un de ces trucs ?

— Non. Et toi ?

— Ah, malheureusement non. Mais je garde l’espoir d’un jour expérimenter ce genre de sensations. En plus, avec le temps, il y en aura de plus en plus et des biens meilleurs, des plus rapides et plus agiles. Tu as les moyens de te payer une excursion à bord d’un de ces engins, ça ne t’a jamais intéressé ? » lui suggéra-t-il, tandis que Maria souriait en se laissant prendre au jeu - cela faisait si longtemps qu’elle n’avait pas flirté à vrai dire, ni même rêvé d’un avenir qui ne soit pas celui du Conseil ou de sa petite sœur.

— Si. Mais je n’ai pas envie d’y aller seule, ce serait ennuyant, et Anastasia est encore trop jeune pour ce genre de choses.

— Je suis sûr que tu pourras en profiter un jour avec quelqu’un qui t’es cher. Je te vois même explorer les profondeurs de l’océan !

— Peut-être même que j’irai sur la lune, qui sait.

— Tu serais même toute désignée pour y résider, comme ça, tu pourras toiser le monde entier ! » s’amusa-t-il, prêt à tenter sa chance. « J’espère être encore à tes côtés ce jour-là. Tu as une idée d’à quoi ça ressemble là-haut ? » renchaîna-t-il en souriant, juste avant que Maria ne tempère ses ardeurs, il ne faudrait pas qu’il se croit arrivé non plus …

 

En plus, le paysage lunaire ne devait pas être très différent de ce que ces chiens de Germains sont en train d’aménager ici avec leurs obus.

La Française du Conseil n’était pas tant fascinée par la beauté de la lune que par ce qu’elle représentait à ses yeux. La lune dont elle rêvait était un petit paradis éternel en marge de la masse humaine, loin des autres et pour toujours, un endroit frais et calme, si pur et propre qu’elle y marcherait pieds nus, avec un horizon aussi vide que serait vaste l’espace interstellaire qui lui servirait de toit. Là-bas, avec les siens, et seulement eux, ça serait enfin la fin de l’histoire et des efforts …

Bien sûr, Jasper ne manqua pas d’être étonné de cette révélation, comme elle s’en doutait lorsqu’elle lui fit cet aveu il n’y avait qu’Alessia pour comprendre l’importance de ce rêve dans l’idéal de Maria. Pour l’Alsacien, il était invraisemblable qu’une jeune femme aussi remuante qu’elle puisse aspirer à un monde si ennuyant. Cependant, tel qu’elle lui confia, elle n’était remuante que parce que le monde autour d’elle l’était, parce qu’il fallait réagir et se battre contre le courant du destin.

Sinon elle n’aurait jamais ce petit paradis, elle n’en garderait que ses rêves, et ça, même la petite fille au fond de moi l’a compris.

— C’est vrai, il faut se battre pour avoir ce que l’on veut. Mais est-ce qu’un jour je pourrais voir cette petite fille ? » lui sourit-il, pour qu’elle lui réponde aussitôt qu’il la voyait déjà de temps à autre, qu’elle faisait partie d’elle. « Tu parles de tes petites répliques taquines ou de ton humour cruel ? Tu étais déjà comme ça plus jeune ?

— Non, j’étais une petite princesse capricieuse qui avait tout sans avoir besoin de rabaisser qui que ce soit, tout le monde connaissait sa place donc tout allait pour le mieux. » s’amusa-t-elle d’un air malicieux que Jasper saisit sans attendre, car il ne voyait pas vraiment la différence avec ce qu’elle était maintenant. « Hm ! Tu vois bien que tu la connais cette petite fille … 

— Mais elle ne doit pas être que ça. C’est aussi cette petite fille qui veille sur Anastasia coûte que coûte, ou celle qui regrette son petit singe. Nombre de savants plus sympathiques et mieux vus que toi aurait déjà oublié leur cobaye … Tu es loin d’être aussi froide que tu le laisses croire. » lui confia-t-il, au grand agacement de Maria qui fit de son mieux pour le dissimuler, puisque Jasper ne pensait pas mal en ressassant la mort de son petit singe.

 

Alors elle consentit à lui expliquer pourquoi elle avait pleuré dans son laboratoire, même si son égo regretta plus tard de s’être livré à ce point-là.

Car ce n’était pas tant la destinée funeste de cette pauvre bête qui l’avait attristée, ni même le fait de ne pas avoir su les protéger, mais bien le sort de sa guenon, privée de son enfant, de nouveau seule. Évidemment, Jasper voulut la consoler, assez maladroitement puisqu’il se contenta d’accuser le RFA comme responsable, soi-disant qu’il ne valait pas mieux qu’un cartel de criminels, sans vraiment saisir que c’était une promesse qu’elle attendait, un serment qui ne la laisserait pas orpheline face au vide si le pire venait à se produire, quoique …

— Et de moi, tu n’attends rien ? » lui demanda-t-il soudainement, après qu’elle eut conclu en disant qu’elle n’avait plus rien attendu d’Emil ou de ses autres professeurs depuis la dispute d’Indochine.

— Hm ! Il faut avouer que tu te révèles sans cesse plus à la hauteur de ce que je pourrais attendre de toi. Mais ta route est encore longue.

— Ce n’est pas grave, je m’y attendais. De toute façon, je suis persuadé que j’y trouverai l’aventure que j’ai toujours cherchée, en chemin. Après tout, c’est sur la lune que nous devons aller si j’ai bien compris. Et ce n’est plus seulement pour que Tyr la voie que je reste auprès de toi, tu le sais bien.

— Hm ! Je ne m’attendais pas à ce que tu arrives à suivre ce genre de discussions, tu es moins bête que je ne le pensais. » s’amusa-t-elle de son air taquin.

— Décidément, c’est le jour des compliments ! Mais je vais te décevoir, et te laisser t’endormir sur ce coucher de soleil très … agité.

— Tu ne me proposes pas de le regarder avec moi ? » s’étonna-t-elle, avant qu’il ne lui demande si elle l’aurait accepté. « Non, c’est vrai. Tu progresses, Jasper.

— Il faut s’adapter pour réussir, il n’y a pas forcément besoin d’une molécule pour ça. » lui lança-t-il en commençant à s’éloigner d’elle, alors qu’elle s’apprêtait à lui faire une dernière louange.

— Tout le monde n’a pas ce talent aussi prononcé que toi. » finit-elle par le complimenter, sans aucune critique implicite pour une fois. « Préviens-moi au moindre incident. » acheva-t-elle, pour qu’il n’insiste encore sur le fait qu’elle devait se reposer avec l’esprit tranquille, et qu’il surveillait la situation.

 

C’est alors qu’au grand étonnement de l’Alsacien, elle ne le corrigea pas, elle se contenta de lui rappeler qu’elle lui avait confié deux fioles de remèdes médicinaux, une de plus qu’à ses autres serviteurs tant elle savait qu’il avait tendance à se mettre en fâcheuse posture.

Ensuite, elle lui demanda de faire très attention à lui, avant de sourire en le voyant partir vers le panorama qu’offrait l’aviation filant dans les rayons du couchant, opinant du chef avec certitude tandis qu’elle rabaissait son tricorne, en jurant de ne plus se laisser avoir par autant de niaiseries. A l’inverse, Jasper releva le sien avec un rictus niais jusqu’aux oreilles, dès qu’il se remit en selle afin de reprendre sa supervision des opérations, qui consistait surtout à attendre aux côtés de ce brave Raphaël, aussi bavard et chaleureux qu’une tombe.

— Rien de nouveau, Raphaël ?

— Non. Que t’a dit Maria ? » lui répondit-il platement, d’un air complètement détaché et sans même lâcher l’horizon chaotique du regard, comme l’aurait fait sa maîtresse.

— Elle m’a confié le commandement.

— … Très bien. » lâcha-t-il, avant de faire un vrai rapport à Jasper, maintenant que c’était lui le dépositaire officiel de l’autorité suprême. « Les bombardements allemands ne se calment pas, mais les nôtres ont l’air de faire de grandes manœuvres aux alentours. Les combats sont de plus en plus intenses d’un horizon à l’autre. Le Général d’Armée Gabriel doit entrer dans sa phase de contre-attaque, j’espère bientôt apercevoir des signes positifs à annoncer à notre maîtresse. Quant au reste, toujours rien à signaler, pas un cri strident ni une courbature des filaments d’échos. » lui exposa-t-il pour que Jasper lui confie qu’avec la nuit approchante, les canons allaient se calmer - sans se taire malheureusement.

 

Quoi qu’il en soit, l’Alsacien en était sûr, cette soirée serait aussi tranquille et joyeusement ennuyante que les précédentes, surtout avec un pareil compagnon.

D’ailleurs, Jasper allait même passer toute la nuit avec Raphaël, puisque la troupe venait tout juste de faire un roulement d’effectif complet. Mais, d’un côté, c’était peut-être l’occasion d’en apprendre un peu plus sur l’homme le plus fidèle et impassible qu’il n’avait jamais vu. En vérité, il ne savait même pas de quel coin de France venait Raphaël, tant ce dernier ne parlait que de sa maîtresse, de son devoir ou du LM, comme s’il n’avait rien d’autre dans son esprit …

— Au fait, ça n’a rien à voir mais tu apprécies d’être au service de Maria ? » commença-t-il pour jauger la façon dont il allait lui répondre.

— Infiniment, c’est mon destin. » expédia-t-il sobrement pour que Jasper insiste aussitôt sur cette notion de destin. « Parce que je donnerai ma vie à son ordre, et parce que ce n’est que justice. Elle m’a sauvé la vie, tu étais là à ce qu’elle m’a dit, tu devrais t’en souvenir. » lui rappela-t-il, lorsque son camarade tiqua sur un détail curieux, il ne se souvient pas de notre rencontre pour être obligé de se référer à ce que Maria lui a dit ?

 

Pourtant, vu le contexte, c’est plutôt lui qui devrait s’en souvenir, pensa-t-il en se remémorant la vue de Raphaël baignant dans son sang, et celui d’une demi-douzaine d’autres hommes qu’il venait d’assassiner, ça l’a peut-être traumatisé à vrai dire. Quoi qu’il en soit, tel qu’il lui fit remarquer, bien des blessés ou des patients sont sauvés de la mort par leur médecin, ils n’en deviennent par leurs dévoués serviteurs pour autant. Seulement, à entendre Raphaël, Maria n’avait pas juste sauvé sa vie, elle lui avait redonné un sens, au point qu’il lui en était plus redevable à chaque nouveau jour. Quant au reste de sa vie, il n’en savait visiblement pas grand-chose. Son amnésie ne doit pas l’aider non plus, en conclut l’Alsacien, avec un brin de compassion pour ce pauvre homme, qui désigna soudainement les trois cavaliers revenant vers eux, battant la poussière de cette ancienne plaine à grand galop. C’est Alessandre, il est en avance, c’est peut-être bon signe avec lui, voulut se rassurer Jasper, avant qu’il ne désigne maintenant le second trio qui revenait de l’autre côté. Il s’est passé quelque chose de mauvais, réalisait-il, tandis que son compagnon se tournait vers Maria, l’air de vouloir réveiller ce doux visage endormi. Bien sûr, Jasper ne perdit pas une seconde pour l’en empêcher, sa maîtresse avait besoin de sommeil et c’était un moment inespéré de lui prouver ce qu’il valait. Il alla même jusqu’à prétendre que Maria lui avait ordonné d’assurer la direction en cas de chasse, afin que Raphaël acquiesce sobrement, sans plus de contestation pendant que le roulement des sabots éclipsait lentement celui des obus.

Et les premières paroles d’Alessandre ne vinrent pas démentir le mauvais pressentiment qu’avait eu le nouveau chef de la troupe.

— C’est chaud les gars ! Il y a une rumeur qui commence à circuler chez les soldats, ils disent qu’un putain de loup-garou se balade sur la rive droite de la Meuse ! » leur lança le Provençal, avant de préciser que l’information se propageait depuis déjà quelques heures dans plusieurs compagnies, que ce n’était pas qu’un racontar.

— Rien que ça … Nous allons devoir aller vérifier ça au plus vite. » s’exaspéra Jasper, en tournant son regard vers Théo et ses deux acolytes, arrivant au même galop, afin d’y délivrer à peu près le même rapport, au sujet d’un dragon cette fois, toujours plus …

 

Naturellement, la vérité devait se trouver à mi-chemin, une bête étrange survivait dans ce paysage dévasté que les Allemands cherchaient à ôter aux défenseurs, retranchés et enhardis par la peur et la haine dans leurs trous d’obus.

Heureusement, l’Aquitain avait une bonne nouvelle, la forêt de Verdun allait retrouver son calme pour cette nuit. Avec l’obscurité approchante, les assaillants allaient camper sur leurs positions et leur artillerie cesser de tirer. Quant aux Français qui pouvaient maintenant opérer dans l’ombre, ils allaient lancer de grands assauts pour déborder leurs ennemis, tout autour de cette zone où le mutant devait subsister tant bien que mal - aussi paralysé que les défenseurs par ce barrage d’obus. Pour Jasper et sa troupe, c’était donc à la fois l’occasion idéale pour chasser cette bête et la dernière possibilité de le faire, avant qu’elle ne s’enfuie des bois ravagés pour croiser les offensives françaises. Car même si la créature venait à éviter prudemment le contact avec les soldats, elle serait forcément aperçue par plusieurs officiers, il n’y avait donc pas de temps à perdre.

Alors, Jasper ne laissa que deux recrues pour veiller sur Maria, tandis qu’il menait le reste vers la rive droite de la Meuse à grand galop, où plus d’un million d’obus s’était abattus en moins de deux jours. Il n’espérait pas seulement réussir sa mission, il comptait surtout l’accomplir avant que sa maîtresse ne se réveille, malgré les vingt minutes que mirent les six mercenaires à rejoindre le front, après avoir attaché leurs chevaux au pied d’un vieil arbre pour ensuite traverser le fleuve. Et là-bas, même s’ils n’étaient plus naïfs au point de croire qu’ils y trouveraient un paysage agréable, ils ne se doutaient pas qu’ils n’y verraient plus rien. Sur plus de 30 kilomètres, tout avait été rasé, les arbres ou les maisons, les forêts ou les villages, tout s’était réuni dans le voile de poussière qui recouvrait tout l’endroit. Il ne restait qu’un lit de cendres que Jasper et Théo contemplaient d’un air hagard, abasourdis par ce paysage lunaire parsemé d’ossements et de cadavres, ceux de leurs compatriotes, de vieilles connaissances ou de gens qu’ils auraient pu connaître. Tout ce massacre, dire que j’aurai pu être parmi eux, se désolait intérieurement Jasper, il n’y a pas de pire endroit pour mourir, on n’est pas si mal à chasser le monstre finalement.

La petite escouade progressa ainsi lentement, difficilement et prudemment dans l’épais brouillard qui flottait sur cette lande désolée, profitant de chaque arrêt pour examiner le sol à la recherche d’une trace qu’un mutant aurait gravée dans cette neige grise, jusqu’à ce qu’Alessandre n’interpelle tout le monde.

— Qu’est-ce que t’as trouvé ?! » s’exclama aussitôt Jasper, en accourant vers la petite butte sur laquelle se trouvait son ami.

— Aucune trace du mutant mais regarde ! » s’amusa-t-il, en reculant d’un pas pour désigner ce qui semblait être la cime d’un grand hêtre, enfouie dans le sol à ses pieds. « On est sur une forêt, mon gars !

— Le bombardement aurait remué la terre au point de recouvrir cette partie de la forêt … ? » en conclut Théodose, tandis que l’Alsacien n’en croyait toujours pas ses yeux – sa terre natale allait-elle finir dans le même état ?

— Tu veux dire que la colline sur laquelle on est tous là … c’était une forêt avant-hier ? » lâcha-t-il pour voir l’Aquitain balbutier qu’il pouvait peut-être s’agir d’un arbre décapité, sans y croire lui-même, avant qu’ils ne soient tous interrompus par Raphaël.

— Hé, venez voir ! Il y a une tranchée ici ! » leur lança-t-il en s’efforçant de distinguer l’entrée d’une vieil abris français en contrebas, ravagé par les obus, plongé dans le silence.

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