CHAPITRE IV – Une tempête d’étoiles entre les arbres - William et Arcturus - Partie 4

Notes de l’auteur : ATTENTION : À la suite des différents conseils-commentaires concernant la longueur des scènes, je les mets à nouveau en ligne en plusieurs parties. Il ne s'agit pas de relecture, et de nouveaux chapitres sont à venir chaque semaine comme d'habitude.

Pourtant, si William comprit très vite que son esprit lui jouait des tours, il dut se frotter les yeux pour admettre que sa vue lui restait fidèle, qu’Amsterdam était bel et bien entourée d’une ceinture presque incandescente, flottant parfois à même l’océan, fumante de l’industrie plus prospère que jamais en ses temps de massacres.

Avec Zurich et Vienne, Amsterdam était l’une des places fortes de l’AP en Europe, devant Londres ou les Arthuries – trop proches de la monarchie anglaise ou trop jeunes. Alors même si la dernière visite de William ne remontait qu’à quelques années, il resta sans-voix devant une croissance aussi fulgurante, tout comme il l’avait été lorsqu’il redécouvrit l’Arthurie Valdôtaine.

Cette grande ceinture de lumière cachait presque tout l’horizon de cette capitale autrefois si belle et agréable, désormais si productive et agitée, ne laissant qu’un couloir où défilait un à un les bateaux qui ne s’amarraient pas à elle. Du port que William avait connu ne restait qu’un espace cerné par cette gigantesque digue, haute de plusieurs dizaines de mètres, puisant une part de son énergie dans les marées de l’océan. Le RFA pouvait avoir ses merveilles dans les Alpes, les Pays-Bas s’étaient eux-aussi transformés sous l’effet de cette modernité si intense. Le pire, c’est que les faubourgs ne doivent pas être mieux qu’avant, s’agaçait le Souffle Pourpre tandis que le navire franchissait à son tour le corridor portuaire, c’est partout pareil, en Europe ou ailleursEt encore, il n’y a pas tant de réfugiés ici, pensa-t-il en apercevant les quais, tous remplis de vagabonds, de soiffards, de déserteurs ou de prolétaires venus dépenser leur maigre salaire dans les bars et les bordels. Dans le fond, ça ne vaut pas mieux que les rues de l’Arthurie Valdôtaine, se ressassait-il encore, lorsqu’il descendit de bateau pour aussitôt remonter en voiture, et rejoindre l’hôtel luxueux où Arcturus séjournait. D’ailleurs, cette fois, la ville eut beau lui montrer son plus beau visage, William était complètement insensible à son charme, à l’électricité illuminant le moindre recoin de ses canaux jusqu’aux façades colorées qui les bordaient. Toute cette richesse détournée de ceux qui l’ont créée, toute cette injustice, soupira-t-il, avant de détourner son regard des lumières opulentes de la Venise du Nord, cela ne doit plus durer, mais cela ne va qu’empirer

Heureusement, le Souffle Pourpre gardait espoir en sa Grande Révolution, et c’était en partie pour elle qu’il était venu jusqu’ici, afin d’y récupérer les dernières avancées de Solar Gleam – au nom du Conseil, bien évidemment. Et s’il était effectivement un menteur, peut-être même un traître comme il se l’était demandé tout au long de ses réflexions, cette idée ne le troublait plus, il ne faisait que faire ce qui était juste, il restait fidèle à ses idéaux. Je suis le moins traître de tous en réalité, se convainquait-il, avant de tourner à nouveau son regard vers la fenêtre, et d’y trouver des traînards de la périphérie et des prostituées étrangères combler les rues entre les passants du centre-ville bondé. Le quartier de la gare où les Seafox avaient pris une suite semblait parmi les plus agités de tous, davantage que le Nouveau Quartier Rouge dont il apercevait les lumières jusque dans le ciel. Finalement, il préférait presque la vue des périphéries laborieuses et miséreuses, cela restait plus digne que le triste spectacle de l’exploitation de l’homme par l’homme, d’une classe par une autre, presque d’un peuple par un autre, et peut-être un jour d’une espèce sur une autre si personne ne fait rien. Mais alors qu’il se perdait encore dans sa rengaine, les chevaux finirent soudainement par s’arrêter, et le cocher se pressa sans attendre pour lui ouvrir la portière en lui annonçant le prix de la course, il était temps de partir visiblement.

Presque chassé de la voiture, William se retrouva seul face à une immense façade néobaroque sur-éclairée, aussi haute que la basilique Saint-Nicolas située non loin, si clinquante et prétentieuse qu’il en sourit nerveusement. C’est forcément l’hôtel d’Arcturus, reconnut-il à la vue d’un luxe si criard qu’il en devenait sans goût, si pesant qu’il en était sans âme, là où son meilleur ami l’aurait encore trouvé trop modeste. D’ailleurs, quand il finit par atteindre les marches de ce grand hôtel après avoir dû zigzaguer entre les automobiles, son attention se posa sur deux hommes richement vêtus, en train de se quereller au sujet de qui avait la plus belle et puissante voiture de la capitale. Et visiblement, ils n’arrivaient pas à se départager, même lorsqu’ils comparèrent les valeurs marchandes de leurs véhicules, au point qu’ils commencèrent à hausser le ton, si bien qu’ils s’en ridiculisaient sans le voir. Dire que j’ai pu croire que cette compétition stupide était l’apanage des aristocrates, en soupira l’Allemand du Conseil, agacé par ce spectacle si impertinent de la bourgeoisie, de toute façon, il y a toujours plus riche que soi d’une chose que l’on n’a pas. En plus, c’était probablement Arcturus Seafox qui avait la meilleure automobile de cette ville, et ça ne lui apportait pas tant que ça, sûrement moins qu’à ceux qui se disputaient pour ça.

Enfin, toujours est-il que William put tout juste être accueilli par le portier, lorsqu’il fut aussitôt récupéré par Eluned des Nine Springs, veillant dans le hall. Après l’avoir sobrement salué, elle l’invita à se rendre dans le couloir des ascenseurs, où Wallace l’attendait déjà pour l’escorter. C’est étrange, ce n’est pas très discret, Arcturus a toujours fait primer la discrétion sur la sécurité pour nos entrevues du Conseil, remarqua le Souffle Pourpre pour avoir déjà rencontré ses collègues étrangers dans bien d’autres circonstances. Et bien que Wallace se montrât très sympathique envers lui dès qu’ils furent dans le secret de l’ascenseur, il sentait que son meilleur ami n’était pas aussi tranquille que d’habitude. En fait, l’Anglais du Conseil avait sécurisé tout le dernier étage, avec une quinzaine d’hommes de Semper Peace et deux autres Springs pour diriger le tout, comme si l’hôtel recevait un souverain. Eh bien, c’est presque plus strict qu’au RFA, pensa William en se remémorant la discussion téléphonique qu’il avait eu avec lui lorsqu’il était de passage à l’Arthurie Valdôtaine, il a dû se passer quelque chose chez son père, ou il ne m’a pas tout dit, comme d’habitude …

Pourtant, dès son arrivée devant la porte, il lui suffit de tendre l’oreille, ou de remarquer les sourires en coin des deux Springs gardant la porte pour comprendre que son collègue n’allait pas si mal que ça. Ensuite, la porte n’eut qu’à s’ouvrir pour que les rires d’Arcturus et Cyrus réunis résonnent jusque sur le seuil, jusqu’à William déjà souriant. Quoi que son ami lui ait caché, il allait être heureux de le revoir et de faire la rencontre du célèbre Seafox. D’autant plus que ce soir comme tant d’autres, le Soleil Marin profitait de tout ce que la vie pouvait offrir à grands renforts d’amitié, de gourmandise ou de musique, d’alcool ou de drogues, des rires et des sourires de son amante.

— J’arrive à un bon moment, visiblement. » lança William, en entrant dans ce salon pour l’apercevoir en train de vider un énième verre de whisky.

 

Pour sa part, Arcturus était plus qu’heureux de le voir arrivé pour profiter de cette soirée, si bien qu’il ne perdit pas une seconde pour l’inviter à s’asseoir autour de la table basse tout en lui présentant son père.

Évidemment, le Président ne se priva d’aucun éloge pour accompagner la rencontre du plus grand scientifique d’Allemagne et du plus grand aventurier de Grande-Bretagne. D’ailleurs, il m’a beaucoup parlé de vous, ajouta Cyrus pour que William lui réponde la même chose, faisant dire à Siarl qu’Arcturus parle beaucoup décidément, avant que Kennocha ne rappelle que c’était encore pire lorsqu’ils sont saouls, ces deux-là sont de vraies commères. Mais ce dernier restait catégorique à ce sujet, il n’était ni saoul, ni même vaguement en perte de lucidité, son père et lui avaient même laissé un fond du Bushmills qu’Iverna avait suggéré, sans imaginer que les deux Seafox le viderait comme du cidre de table. Il n’y avait bien que l’Écossaise pour savoir apprécier un bon whisky, comme elle l’apprit à William, incapable de dire ce qu’il allait boire dans toutes les bouteilles à plusieurs centaines de livres présentes sur cette grande table basse.

Et en entendant ça, une pensée traversa soudainement l’esprit d’Arcturus : même après des années de services ponctués de beuveries, il ne se souvenait pas d’avoir déjà vu Siarl saoul.

— Ah si, mais c’est juste que moi, soi-disant que ça se voit pas ! » lui répondit-il, en souriant innocemment aux deux Seafox qui explosaient de rire, sous les airs enjoués de William cherchant un fauteuil dans toute cette cohue.

— Assieds-toi là, William ! » lui lança donc son collègue, en désignant le siège tout juste laissé vide par son père, parti chercher quelques glaçons, ce qui ne manqua pas de les faire sourire tous les trois, notamment lorsque le Saxon demanda naïvement si cette place n’était pas celle de son paternel.

— Il trahit vite, je suis si fier de lui. » en ricana Cyrus, pendant qu’il sortait un sceau de glaçon d’un meuble dont William n’avait jamais entendu parler, un réfrigérateur domestique – bien qu’il n’en soit pas plus choqué que ça finalement, il n’y avait pas un jour qui passe sans une nouvelle invention ces temps-ci.

 

Néanmoins, les deux savants discutèrent tout de même des principes de base de cette machine, avant d’en venir à des sujets qu’il fallait traiter sans qu’Arcturus ne soit trop saoul - et William devait repartir dès demain pour l’Allemagne.

Seulement c’était du Conseil dont il était question, tel que ce dernier le fit comprendre en jetant des brefs regards gênés aux Springs ou à Cyrus, l’air d’inviter son collègue à partir discuter à l’écart. Mais le Président n’allait pas s’éloigner de ses invités pour un secret de polichinelle que tout le monde ici avait fini par apprendre, à la grande surprise de son invité.

— Tu aurais pu nous en parler quand même ! Nous aurions sûrement tous accepté qu’ils soient mis au courant comme a pu l’être l’oncle de Maria. Normalement, dévoiler le secret du Conseil à quelqu’un est soumis au vote … » laissa-t-il suspendre, avant de se reprendre lorsqu’il vit la mine agacée de son ami. « Mais ne t’en fais pas, je ne suis pas aussi rigide que Maria, nous pourrons toujours organiser un faux-scrutin qui remettra tout ça en règle sans qu’elle ne s’en rende compte, sinon nous sommes encore partis pour un caprice mémorable … » concéda-t-il pour qu’Arcturus ne s’amuse du fait que ça soit un comble de voir un Allemand s’avouer moins méticuleux qu’un Polonais, sans trop s’attarder sur sa culpabilité qu’il n’aurait reconnue qu’avec difficulté. Heureusement que son meilleur ami était là pour aider une nouvelle fois son cher collègue anglais, bien qu’il lui en doive une pour le prochain vote du Conseil - un échange de bons procédés en somme …

 

Ainsi, ils purent enfin aborder le sujet de leur entrevue, à savoir l’avancement de leurs recherches respectives et leur échange d’informations.

Et comme d’habitude, le Président était bien content de pouvoir mettre la main sur toutes sortes de savoirs du RFA civil, auxquels s’ajoutaient les rumeurs que son collègue entendait ici ou là sur l’avancée du département militaire. C’était une véritable mine d’or pour Solar Gleam, d’autant plus qu’il avouait sans honte que les savants du Kaiser étaient aussi talentueux que les siens, qu’ils avaient une façon différente de penser leurs thérapies ou leurs produits. Certes, William n’avait pas pu lui ramener les recherches les plus sensibles de la Mondlicht-Turm, mais il apportait largement de quoi boire à sa santé. Puis, sans perdre de temps, c’est sur les recherches de ce dernier que l’Allemand relança la discussion, en lui précisant qu’Alessia obtenait d’excellents résultats sur le langage universel grâce au LM du Caucase. Bien sûr, il ne s’attendait pas à ce que son Solar Gleam ait découvert la jouvence, mais il ne pensait pas trouver ses soupirs lorsqu’il lui posa la question. Malgré les trois LM désormais en possession de la firme, le Soleil Marin ne pouvait toujours rien contre la Vieillesse, à peine la ralentir en traitant les symptômes du temps. Néanmoins, il avait une piste en laquelle son intuition croyait dur comme fer : il existe au moins un autre type de LM quelque part, et le sanctuaire qui était représenté sur le parchemin que Cyrus montra à William pouvait contenir des indices quant à sa localisation. Peut-être même qu’il y aurait l’ingrédient manquant ou la formule toute prête, et bien que le Saxon ne fût pas très fasciné par le combat contre la Vieillesse, il espérait sincèrement que son ami ait raison – s’ils pouvaient rayonner tous ensemble pour l’éternité après avoir accompli leurs devoirs, ils le mériteraient bien après tout …

Malheureusement, Arcturus put tout juste plaisanter de ce rêve d’une vie éternelle avec son amante, lorsque Wallace apparut dans l’embrasure de la porte, visiblement mal à l’aise, avec une enveloppe à la main. Et l’Anglais du Conseil savait bien qu’il en fallait beaucoup pour le mettre dans cet état.

— C’est un message qui émane de David, il est signé par les treize pontes de l’AP. Un inconnu est venu l’apporter directement à Eluned en entrant au rez-de-chaussée de l’hôtel, il en a précisé la provenance. » déclara-t-il d’un air solennel, en transmettant cette lettre à son président, sous les soupirs de son père.

— La réaction ne s’est pas fait attendre. Je te l’avais bien dit, Arcturus ... » grogna Cyrus pour que le second des Springs n’ajoute qu’il avait immédiatement ordonné à tous les agents présents de changer d’endroits en redoublant de discrétion, de modifier leurs patrouilles en étant plus vigilants, à tel point que William en devint inquiet.

— Il se passe quelque chose de grave ? C’est en rapport avec l’AP et David Rutheyet ?

— Je t’expliquerai ça tout à l’heure, il n’y a rien d’imprévu, rassure-toi. David allait forcément répondre très vite, il dispose lui-aussi d’un téléphone qui le relie à Londres, c’est même possible qu’il ait son propre câble clandestin le connaissant ... » en conclut-il derrière une fausse-assurance, en ouvrant nerveusement cette enveloppe pour y trouver deux documents, une lettre et quelque chose qui retint immédiatement son attention : une note pénitentiaire.

 

J’ai déjà vu ce tampon, remarqua-t-il, avant de se plonger dans la lecture de ce qui semblait être un rapport d’une prison anglaise à son ministère de la justice.

Encore plus curieux, celui-ci datait de la veille, et son contenu plongea aussitôt le visage d’Arcturus dans la peur, sous les yeux surpris de son meilleur ami qui l’avait rarement vu ainsi. Alors il voulut crever l’abcès, dès qu’il le vit rester avec les yeux dans le vague, quand Cyrus le devança pour demander à son fiston si la réponse était si grave que ça. Seulement lui-aussi, il était loin d’être prêt à apprendre la nouvelle qu’Arcturus leur avoua enfin : August s’est échappé de sa prison.

— Quoi ?! » s’emporta l’ancien corsaire en venant arracher cette lettre des mains de son fils. « Il n’était pas au fin fond d’une île irlandaise complètement paumée ?!

— Si. Hier, aux alentours de trois heures du matin, un commando inconnu a débarqué sur l’île d’Inishtrahull, sans qu’aucun bateau ne soit repéré par les garde-côtes. Ils se sont ensuite introduits dans la prison souterraine grâce à l’aide d’un contact infiltré pour se diriger vers la cellule d’August. Ils l’ont libéré, sans faire un seul mort, même après que les gardes de la prison eurent essayé de leur barrer la route. August a été exfiltré de la prison, les gardes ont pris le commando en chasse mais ils ont perdu sa trace … Personne ne sait où ils sont partis. » résuma-t-il, en se retenant de trembloter devant ses compagnons, ou son amante qui lui faisait remarquer qu’il n’avait pas pu repartir de l’île, qu’il y avait forcément des traces, voir même qu’il y était encore. « Inishtrahull n’est pas bien grande, ils ont déjà tout fouillé. Ils ont retrouvé le navire clandestin qui a servi au débarquement, mais il ne restait que des traces sur le sable tout autour de lui. Je n’ai aucune idée de comment il a fait, mais il a réussi à s’évader d’une façon ou d’une autre.

— Ma foi … Œil pour œil, dent pour dent, tu libères un pion, il libère le sien … David a vraiment des hommes de talents à son service pour monter un coup comme ça. Enfin, ça ira, ce n’est pas si dramatique si ce n’est que ça ... » commenta finalement le père d’Arcturus, pour que ce dernier ne s’emporte aussitôt, au point de faillir en renverser le verre devant lui.

 

Comment pouvait-il dire une chose pareille et le traiter d’inconscient comme il le faisait de temps à autre ?

Cette fois, c’était clairement le Seafox qui était complètement à côté de la plaque, et son fils n’avait pas d’autres mots pour qualifier ce drame. August a été libéré pour nous buter, il ne doit penser qu’à ça depuis neuf ans maintenant, s’exclama-t-il, avant de lui rappeler qui était son ancien ami, pour lui, nous ne sommes que des traîtres, et tu sais comment il a la réputation de se comporter avec ceux qui l’ont trahi. Cyrus avait beau croire que son vieil ami pourrait être raisonné autour d’un verre, Arcturus savait bien à quel point les dernières années du Premier Conseil avait pesé sur son professeur, peut-être plus que sur n’importe lequel de ses trois collègues. S’il y avait bien un adversaire qu’il n’aurait pas voulu revoir, c’était bien lui, c’était bien celui qui risquait de poser le plus de problème, puisque si David voulait remplacer Arcturus à la tête de Solar Gleam, il n’aurait pas pu trouver meilleur candidat que son ancien mentor …

D’ailleurs, c’étaient les menaces de son rival que l’Anglais du Conseil s’attendait maintenant à lire, après que son père lui avait conseillé d’ouvrir la seconde lettre, sous les regards nerveux de William – légèrement déboussolé par tout ce qu’il apprenait.

— Elle aussi porte les treize signatures de l’AP. » précisa Wallace, tandis que les trois derniers Springs arrivaient auprès de lui pour écouter la réponse de l’ennemi – après s’être fait relever de leurs postes par d’autres agents de Semper Peace.

— Ce doit être un mensonge de David. Je les connais ceux-là, les types comme Irvin, Jakob etc. Ils n’ont pas pu se réunir et discuter, certains sont forcément sur d’autres continents, ça prend du temps. » répondit l’ancien corsaire, sûr de lui.

— Il y a le télégraphe ou le téléphone de nos jours, c’est largement possible, nous vous l’avons déjà dit. » corrigea Lysander, le chef des Springs dont le regard restait suspendu à cette lettre qui déciderait de l’avenir des siens. Et, bien sûr, Kennocha ne se priva pas d’un petit commentaire pour enfoncer le clou en souriant, nous sommes en 1881, Cyrus ...

— Mais vous viviez dans une grotte ou quoi ? » s’amusa très naïvement Siarl, sous les airs outrés du vieil aventurier.

— Non, je suis une personne âgée, enfoiré de gamin ! À mon époque, la toute dernière mode s’était de faire exploser ou cramer des trucs ! Et c’était mieux avant ! » s’exclama-t-il, avant de donner un petit coup de coude à son fils pour faire avancer cette histoire. « Bon, et qu’est-ce qu’ils nous disent les treize baltringues ? » finit-il par s’impatienter tandis qu’Arcturus lisait encore, au point que William intervienne poliment pour demander que chacun laisse un peu de temps à son meilleur ami.

— Bon. D’abord, les treize ont pris note de mes récentes décisions et les désapprouvent vivement - » commença à résumer Arcturus en reprenant les termes de cette lettre qui énervaient déjà Cyrus.

— Ce putain de langage de gonzesses ! De mon temps –

— Mais taisez-vous et écoutez !! » imposa aussitôt Kennocha d’un ton hystérique qui bouchait presque les tympans, avant de se pencher toute mielleuse vers son amant afin de lui demander de reprendre d’une voix charmante.

 

Le Soleil Marin put alors reprendre rapidement sa lecture et résumer ce communiqué officiel de l’Alliance for Progress.

Le Grand Trust, tel qu’il se faisait appeler aux États-Unis, avait semble-t-il appris l’évasion d’August avec inquiétude, et il espérait que cela n’entraînerait aucune répercussion sur Arcturus ou sa famille, au point de proposer au président de Solar Gleam une cellule psychologique pour l’aider à traverser cette épreuve qui menace ses proches et son intégrité physique. Et bien que cette pique dégoute encore davantage son président lorsqu’il dut la relire, Siarl ne se priva pas de préciser que David ne manquait pas d’humour, avant de recevoir une grande claque de la part de Lysander, visiblement pas l’esprit à blaguer. Pourtant, Cyrus restait pensif à l’énoncé de ce message.

— Faire de l’humour comme ça, ce n’est pas le style de David. Ça, c’est August. » confia-t-il à son fils, surpris d’imaginer que son mentor ait pu participer à la rédaction de cette lettre - l’évasion n’avait eu lieu qu’hier après tout « David tournerait ça autrement, je peux te l’assurer. À moins qu’il ait changé lui aussi. Mais de mon expérience, le coup de la cellule psychologique, c’est trop narguant, pas assez subtil pour David, c’est August qui te provoque et qui te rappelle qu’il t’en veut, mais pour ça, tu semblais déjà au courant. Qu’est-ce qu’ils disent ensuite ? » reprit-il aussitôt, laissant tout juste à Arcturus le temps de réprimer ses tremblements de nervosité. Le pire était encore à venir.

— Ils disent que les objectifs de l’AP concernant l’étouffement des mouvements révolutionnaires clandestins en Europe se poursuivront, tant que cela suivra leurs intérêts et ceux du monde libre, qu’ils n’ont pas oublié les secrets de la Commune de Paris. Ils …  Je crois qu’ils font référence à toi, William. » avoua-t-il finalement, sans même regarder son ami dans les yeux, qu’est-ce qu’Arcturus venait de faire, venait-il de foutre en l’air la Cause comme August l’avait fait pour Achille ?

 

Car derrière les soupirs gênés de son ami, c’était bien ce que le Souffle Pourpre comprenait, en se retenant bien de le dire.

David avait semble-t-il connaissance d’une partie des activités de William et du Conseil du Graal, auquel il semblait ne prêter d’ailleurs que peu de considération. D’ailleurs, selon les propres aveux d’Arcturus, l’AP lui avait déjà proposé de participer à la capture du disciple d’Achille, il y a quelques années, chose qu’il avait évidemment refusé sans que cela n’entraîne la moindre conséquence. Mais David ne lui avait pas proposé cela pour confirmer un simple soupçon, il devait probablement avoir une réelle méfiance envers William. Alors l’Anglais dut suspendre sa lecture pour rassurer son collègue, brusquement plus à cran que n’importe qui, si inquiet qu’il préfèrerait retourner en Allemagne sans attendre – là où l’AP ne pourrait pas l’atteindre, grâce à l’horrible RFA qu’il détestait tellement.

Et le Soleil Marin avait beau promettre de se justifier devant le Conseil, tout en rattrapant la situation avant la prochaine réunion, cela suffit juste à lui permettre de reprendre.

— … L’AP dit aussi qu’elle espère pouvoir bénéficier des talents de Maria un jour ou l’autre, et elle s’assurera qu’Alessia embrasse une belle carrière au sein de son couvent. Hem ! - Ça aussi, ça doit être August, je pense qu’il compte remettre le reste du Conseil à son service, à moins que ça ne soit pour David une façon de dire qu’il compte détruire le Conseil et nous séparer …

— Et que veulent-ils à Maria ? » s’inquiéta aussitôt William pour que son ami n’essaie de le rassurer, en lui affirmant que l’AP était simplement intéressée par ses recherches plus que par sa liberté, pour ne trouver que les soupirs désabusés du Saxon comme réponse. « Arcturus …

 

Mais il allait s’occuper de tout, le fait que l’AP connaisse l’existence du Conseil n’allait pas griller sa couverture, sans compter qu’il fallait faire la part des choses entre les menaces et les actes, même si son père n’était pas de cet avis.

D’autant plus que la suite de cette lettre lui donna raison, car même si le vieil aventurier n’y comprenait que peu, une grande bataille juridique et économique éclatait visiblement sous ses yeux. David avait compris que les enquêtes ou les crédits supplémentaires de Semper Peace étaient destinés à lutter contre lui, et l’AP faisait savoir qu’elle désapprouvait vivement, tout en espérant nouer avec cette entreprise des rapports fraternels. Et quand Cyrus eut très logiquement suggéré que Semper Peace allait devenir une cible privilégiée, la portée de ses conseils fut déjà dépassée par la menace suivante : l’AP espère que les services publics des Arthuries ne subiront aucun préjudice de cette mauvaise allocation des ressources financières. Évidemment, les mercenaires comme le vieux corsaire restèrent stupéfaits, incapable de comprendre ce que David pouvait bien insinuer, ni ce que les services publics des cités d’Arcturus avaient à voir là-dedans, ce n’étaient pas des armes. Mais William et son collègue avaient déjà compris : l’armée de créanciers et d’escrocs du Roi des Marchands allait se mettre en marche. Après tout, pour le maître de l’AP, quoi de plus facile que de tenter ses proies avec des prêts fumeux ou des partenariats malavisés ; quoi de plus simple que de perturber l’approvisionnement des ressources nécessaires à une ville ou le fonctionnement des services. En vérité, David serait même capable d’organiser des coupures d’électricité générale, de déclencher une épidémie impliquant Solar Gleam, de faire incendier des documents administratifs, d’organiser des fausses campagnes de communication et de troubler l’ordre public, par tant de manières que le président ne prit même pas la peine de rappeler qu’il pouvait également saboter un réacteur ou un excitateur. Tout serait bon pour qu’Arcturus perde argent et influence auprès de tous ceux qui pouvaient lui être fidèles, jusqu’à ce qu’il soit obligé de vendre d’autres parts de Solar Gleam, de démissionner, ou de se rendre directement à l’AP pour y être jugé …

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