Scalp était un plongeur matriciel hors pair, que certains qualifiaient de suicidaire, à tort, il maîtrisait son art comme un funambule danse sur son fil. Le fait d’être entré en contact avec deux des trois IA majeures du secteur au cours de sa carrière, et qu’il soit toujours en vie pour en parler, le rangé dans une catégorie à part.
Pourtant cette fois, il ne s’agissait pas de jeu de glace ni de bombe ou sonde pour enfants attardés qui pouvaient se planter leur jack dans le cul, disait souvent le vautour pour obtenir le même résultat.
Il n’avait jamais contemplé ou juste entendu dire qu’une telle chose existait.
Toujours contracté sur les données de son caisson, il arrivait à très grande vitesse sur l’entité, et réalisa que se trouver dans cette position était l’idée la plus conne qu’il eut jamais eue.
Devant lui une boule de lumière intense, manifestation de sa toute puissance. Elle se drapait d’un fluide noir qui réagissait de façon aléatoire au flux en approche. Le ruban d’information effectuait plusieurs boucles autour d’elle, avant de s’en éloigner. Passage qui lui servait à le modifier, par des interventions du liquide épais pour opérait des retouches là où cela semblait nécessaire.
Il déglutit mal à l’aise, quand il réalisa suivre le même chemin. Sa présence sera détectée et la sanction risquait de tomber comme un couperet en le dispersant dans le néant, recyclée à renforcer d’autre matériel, éparpillant sa conscience en de multiples fragments.
Le détenant à jamais prisonnier de la sphère.
Il luttait pour ne pas se laisser envahir par une terreur profonde qui lui susurrait à l’oreille, non pas sa fin, mais le début d’une nouvelle éternité démembré et soumis à cette force primordiale âgée de plusieurs millénaires.
Sa dernière pensée fut pour ses coéquipiers, comment leur faire savoir que leur seule chance de survie était de fuir le plus loin possible de se cauchemar.
Dès que le flux de données matriciel entama sa première courbe autour de la sphère aux dimensions démesurées, un filin noir comme du sang coagulé vint le frapper tel l’éclair, pour le sublimer en un nuage d’étincelles. À l’image des nuées de lucioles radioactives qui apparaissaient à la saison des orages magnétiques sur le secteur Un.
***
Un nuage dense se forma aussitôt, Corkos par réflexe fit glisser une grenade offensive sur le sol. Réaction prévisible et sans effet qui ne déclencha aucun cri de douleur. Les assaillants se doutaient de la menace et avaient dû attendre son explosion pour enfin pénétrer dans le faux centre expéditionnaire.
Nuissandre, plus expérimentée, avait anticipé ce type de parade et préféra patienter, que sa détonation retentisse pour envoyer une grenade EIM afin d’annihiler leur invisibilité. Le résultat fut payant, non seulement ils purent distinguer trois silhouettes apparaître dans la fumée, mais en plus elle les avait privés de tout moyen de communication. Profitant de cet avantage, elle s’était aussitôt relevée, son mode furtif toujours fonctionnel pour courir dans leur direction avant de se laisser glisser sur le sol par l’élan et parvenir derrière l’un des ennemis.
Le gars canardé devant lui au jugé, elle sortit son sabre et d’un geste méthodique lui sectionna le tendon rotulien pour le faire s’effondrer. Il posa sous l’effet de surprise un genou à terre et inclina légèrement sa tête en avant. L’action suivante fut rapide et d’une précision chirurgicale. Elle le redressa pour tourner sa lame vers le bas. Elle le lui planta dans le seul endroit de son corps sans protection, entre son casque et son armure biosynthétique.
L’acier lui traversa la gorge, et laissa se répandre une mare de sang.
***
RÉINITIALISATION PROGRAMME SCALP LANCÉE
Un essaim de particules bio lumineuses se regroupa. L’amalgame de données synthétique numérisé en formation s’activait. Magma informe qui adopta très vite l’anatomie du vautour.
Scalp ouvrit les yeux, allongé à même le sol sous ce qui lui paraissait une toile de tente aux dimensions spacieuses. Il se sentait bien, n’avait ni chaud ni froid et aucune douleur ne le mettait à l’épreuve.
Il se découvrit presque serein.
Le silence régnait tout autour, il se redressa d’abord sur un coude, réalisa être en pleine possession de ses moyens, puis se releva enfin en position verticale.
Ses derniers souvenirs refluèrent et il se trouva surpris d’être toujours en vie, il se dirigea vers la sortie de l’abri dont les pans s’agitaient mollement, animée par une brise atone.
Le paysage extérieur le laissa sans voix.
À perte de vue s’étendaient de petits amas de terre qu’il devina être des tombes. Le sol était plat, elles le couvraient jusqu’à l’horizon, un cimetière sans fin qui hébergeait toutes les âmes d’un monde.
Dans le ciel des nuages défilaient et obstruaient par intermittence un astre enveloppé d’un fluide noir et tourmenté, qui évoluaient autour dans un ballet incessant au funeste présage.
Il fixa un instant l’entité qu’ils avaient confondue avec une IA. Se trouva si petit si fragile devant cette chose qui observait le temps s’écouler à travers chacune de leur mort. Un frisson lui remonta dans le dos, une évidence se saisit de lui. Leur éternité, leur clonage la nourrissaient dans sa quête d’absolutisme, et affermissaient sa volonté. Avant qu’ils ne finissent tous de manière inexorable, ici, dans ce dédale de tombes infini.
Dévoreuse d’âmes, les filaments de sang coagulaient qui l’entouraient représentait la noirceur de leurs existences passées. La souffrance amalgamée de millénaire de résurrections. Bientôt ils termineraient de la couvrir, ne laissant plus aucun rayon venir caresser la plaine des morts.
Attiré par un éclat métallique, son regard se porta sur le sol. Il s’approcha, s’accroupit, envoya sa main hésitante, pour ramasser une petite plaque, une de celle attribuée aux militaires, avec gravé dessus.
Lieutenante Dether Nuissandre.
***
Corkos avait identifié la nature des arrivants. Trois soldats surarmés qui ne faisaient pas dans la dentelle. Le flash lumineux lui avait appris qu’une grenade EIM venait de les frapper, depuis une pluie de projectiles lui passait au-dessus de sa tête.
Ils arrosaient toute la surface.
Toujours allongé par terre, il distingua enfin une silhouette sortir de la fumée. Le viseur de son casque valida la cible. Il lui envoya une décharge de Gatling. Pantin agité de soubresauts à chaque impact, il laissa échapper son fusil pour s’écrouler au sol. Il n’ignorait pas qu’avec une telle armure les balles ne pouvaient pas être létales. Il était juste désarçonné, il devait le finir au corps à corps.
Le troll bondit d’une rapidité surprenante pour sa corpulence, il se rua sur sa cible afin de l’achever à l’arme blanche. Dans sa précipitation il ne vit pas le troisième tireur qui l’avait repéré en ouvrant le feu. Il reçut un impact en pleine tête, sa furtivité disparue, coupée dans son élan, il se trouva projeter deux mètres en arrière, et s’écroula sur le sol. Son casque avait cramé, mais réussi à encaisser la décharge, sonné, il resta quelques secondes sans bouger, groggy par la puissance du choc.
Il émit un râle, n’aimait pas se faire surprendre, ôta aussitôt sa protection d’un geste rageur pour apercevoir que le tireur lui fonçait dessus. Il eut alors un léger temps de latence en discernant la silhouette.
Elle lui ressemblait trait pour trait.
***
Nuissandre avait repéré dans le brouillard, l’ombre prise pour cible par son coéquipier qui gisait sur le sol. Elle se releva et afin de récupérer son arme, tendit la main.
Le sabre de l’elfe fendit l’air et vint lui sectionner avant qu’elle ne puisse s’en saisir.
Elle hurla, en se tenant son avant-bras, autant surpris que tétanisé par la douleur. La lieutenante lui transperça son autre main d’un coup de taille pour être sûre qu’elle ne puisse plus rien tenter et d’un geste ample et rapide la décapita. Du sang gicla tout autour d’eux, suivi d’un flux écarlate et dense provenant de la plaie, qui lui couvrit le corps en même temps qu’elle s’effondrait.
Quand elle sortit du nuage de fumée, un spectacle imprévu l’attendait. Deux trolls identiques roulaient sur le sol dans un corps à corps sans pitié.
Elle se figea en réalisant qu’elle était incapable de reconnaître Corkos avec certitude. La rage au cœur, elle se saisit de son fusil à lunette, commença à pointer son canon sur l’un puis l’autre en essayant de trouver un détail qui pourrait l’aider à faire son choix, avant d’abaisser son arme en signe d’impuissance.
C’est la voix de Scalp qui la sortit de sa torpeur.
— Y se passe quoi ici ?
Il s’arrêta à ces côtés et observa le spectacle en affichant une grimace. L’un des deux trolls était en train d’étrangler son adversaire.
Elle lui énonça ce qu’il voyait déjà.
— Impossible de distinguer le bon.
Le vautour était livide, mais reprenait doucement des couleurs. La plongée l’avait éprouvé, compris Nuissandre. Il scruta un court instant le combat, puis posa un genou à terre et épaula son fusil.
L’elfe fronça les sourcils, pas sûr de comprendre.
— Tu fais quoi là ?
Il ferma un œil et ajusta sa cible.
— T’inquiètes lieutenante.
La posture des deux guerriers venait de se modifier. Celui qui était au-dessus s’était fait basculer par une astucieuse clé à l’aide des jambes de son adversaire.
— SCALP ARRÊT CA TOUT DE SUITE !
Il pressa la détente et explosa la tête de l’un d’eux qui s’écroula comme un sac mort sur le sol.
Corkos couvert d’éclat de cervelle ne comprit pas immédiatement ce qui s’était déroulé, avant d’éructer de colère.
— Bordel, mais comment tu savais que c’était moi le bon !
Le regard de l’elfe allait de l’un à l’autre effaré.
Le vautour haussa les épaules, un petit sourire narquois aux lèvres.
— J’le savais c’est tout.