Chapitre IX — Lettre de rappel

Notes de l’auteur : N'hésitez pas à me laisser votre avis et vos remarques en commentaire. Si le début de cette histoire vous plaît, la suite n'attend que vous alors faites-le moi savoir.

 

— Pas ce soir Eliot, je suis vraiment trop fatiguée. Je te promets de tout t’expliquer demain dans les moindres détails. Tu comprends ? bredouilla Jana tout en regagnant sa chambre péniblement.

— Je ne comprends pas trop. Rassure-moi juste en me disant que ce n’est pas encore les deux hommes qui t’ont embêtée ! s’inquiéta le grand frère protecteur.

— Non, non, promis ! le rassura simplement Jana.

— Je te laisse tranquille, ne t’inquiète pas. Je vois bien que tu es au bout du rouleau. On dirait que tu viens de faire un marathon, ironisa son frère.

— Tu ne crois pas si bien dire, ajouta la jeune fille tout en refermant la porte de sa chambre avant de se jeter sur son lit et de plonger dans un profond sommeil.

 

La journée qui suivit fut extrêmement longue pour les deux adolescents. Très longue pour Jana qui était encore éreintée de son périple de la nuit précédente mais encore plus pour son frère qui n’attendait qu’une seule et unique chose, savoir pourquoi il avait retrouvé sa sœur devant la porte de leur appartement au beau milieu de la nuit. N’ayant pas commencé à la même heure ce matin-là, ils n’avaient pas voyagé ensemble et n’avaient donc pas pu en profiter pour débriefer sur les derniers évènements. Alors dès la sortie des cours, Eliot rentra directement chez lui sans prendre le temps de passer un peu de temps avec sa copine. Il scruta les aiguilles de l’horloge de l’entrée en attendant le retour de sa sœur.

— Alors sœurette, t’as pas des trucs à me raconter, interpela Eliot à peine Jana avait-elle refermé la porte de l’appartement.

— Oui, oui mais laisse-moi juste le temps d’arriver et de me prendre quelques petits cookies faits par maman. J’ai senti leur succulente odeur en bas dans le hall d’entrée, répondit la jeune fille affamée. 

— D’accord ! Maman n’est pas encore rentrée. Si tu veux tu n’as qu’à commencer à tout m’expliquer dans la cuisine pendant que tu te régales, proposa le jeune homme affamé lui aussi, mais plutôt de réponses à ses interrogations.

         Les deux adolescents s’installèrent dans la cuisine. Jana commença par lui raconter en détails chacun des évènements qu’elle avait vécu la veille : comment elle avait été aspirée par son globe terrestre, comment elle s’était retrouvée en pleine baie d’Ha-Long sur une magnifique jonque vietnamienne bondée de touristes en mal d’aventures et de dépaysement, comment elle avait ensuite atterri à Paris sur le parvis de Notre-Dame toujours simplement vêtue de son pyjama, et enfin comment elle avait usé de ce nouveau pouvoir pour rejoindre Lyon. Eliot fut obligé, à de nombreuses reprises, de demander à sa sœur de répéter les choses tantôt parce que tout cela lui semblait vraiment inimaginable, mais aussi parce sa sœur, excitée de revivre son périple, parlait tout en se gavant en même temps des merveilleux cookies préparés par sa mère qu’elle laissait tremper quelques instants dans un grand verre de lait froid avant de les engloutir un par un presque entier. Alors que Jana réexpliquait une énième fois à son frère la manière d’utiliser ce pouvoir en touchant une simple carte ou un plan avec son index marqué, ils furent interrompus par le claquement de la porte d’entrée.

— C’est maman, marmonna la jeune fille tout en crachotant quelques miettes de gâteaux.

— T’as qu’à en monter quelques-uns dans ta chambre, comme ça on pourra finir de discuter, chuchota Eliot déjà en train de prévoir une sortie discrète de la cuisine pour tenter d’échapper à leur mère.

La tentative fut vaine. Lena Lefèvre fut plus rapide que les deux adolescents et les rattrapa alors qu’ils commençaient à gravir quatre à quatre les escaliers menant à l’étage qui leur était réservé.

— Alors comme ça on ne dit pas bonjour à la meilleure des pâtissières de la ville ! s’exclama malicieusement Lena.

— Ah pardon m’man, on ne t’avait pas entendu, menti malhabilement le jeune homme.

— Merci maman pour ces succulents cookies, je me suis régalée. Et non, maman, tu n’es pas la meilleure pâtissière de la ville. Tu es la meilleure pâtissière du monde ! renchérit Jana.

— Vous avez fait quoi hier soir mes chéris ? questionna Lena.

— On est restés tranquilles, maman. On n’a pas fait grand-chose. Lena est montée réviser dans sa chambre et moi j’ai regardé des séries à la télé tranquille sur le canapé, assura Eliot.

— Dans la nuit, il m’a semblé avoir entendu sonner à la porte. Vous avez entendu quelque chose ? interrogea leur mère.

— Non rien du tout. Et toi comment s’est passée ta soirée en amoureux avec papa ? dit Eliot pensant détourner la conversion

— Très bien, nous avons vraiment passé une très bonne soirée, répondit-elle tout en pensant encore à ce qu’elle était persuadée d’avoir entendu la nuit dernière.

— J’ai des devoirs pour demain, rebondit Jana afin de couper court à cette conversation. Je monte. Encore merci pour les cookies maman.

— Moi aussi je monte, à tout à l’heure mamounette, dit Eliot pressé de reprendre la discussion avec sa sœur.

Mieux que des explications longues et interminables, Jana décida de montrer à son grand frère comment elle s’y prenait pour « voyager ». Cependant, il fallait que cette démonstration soit rapide et donc que le « voyage » soit d’une courte durée donc dans un rayon assez proche. L’adolescente réfléchit. Où pouvait-elle montrer ses nouveaux talents à son frère ?

— Ça y est, je sais ! s’écria Jana devant les yeux interrogateurs de son ainé. Suis-moi !

Les deux adolescents descendirent les escaliers menant au rez-de-chaussée de leur appartement et sortirent rapidement pour éviter d’être à nouveau questionner par leur mère. Arrivés sur le palier desservant les deux appartements du deuxième étage, Jana s’approcha du plan du bâtiment figurant dans un recoin et désigna le hall d’entrée de l’immeuble. Sous les yeux éberlués de son frère, la jeune fille fut aspirée par le plan et disparut.

— Eliot ! Je suis là ! appela l’adolescente.

— Où ça ? chercha Eliot, encore stupéfait par la scène à laquelle il venait d’assister.

— Regarde en bas ! rajouta Jana.

Le jeune lycéen se pencha par-dessus l’escalier mélangeant bois et fer forgé typiquement classique de ce type d’architecture et aperçu sa sœur toute souriante au rez-de-chaussée.

— Bouge pas je remonte, lança-t-elle.

Bouche bée, Eliot vit sa sœur réapparaitre devant lui en une fraction de seconde.

— C’est complètement dingue Jana ! C’est incroyable ! C’est un truc de fou ! Je te jure ! C’est pas possible ! Je n’en reviens pas ! s’exclama-t-il quasiment hystérique. Refais-le ! Refais-le ! Vas-y, refais-le !

Cette fois-ci, après avoir été aspirée à nouveau par le plan, la jeune fille apparut au troisième étage, juste au-dessus du palier menant à leur appartement, puis reparut comme par magie devant son frère. Les deux adolescents retournèrent dans la chambre de Jana tout excités par l’expérience qu’ils venaient tout juste de partager. Tous les deux s’accordaient pour dire que ce pouvoir était vraiment extraordinaire. Entendre les conversations à distance, comprendre toutes les langues sans pour autant les avoir jamais étudiées, et voir les réponses s’animées aux différentes questions que l’on peut se poser sont, il est certain, des dons intéressants que bon nombre de personnes aimeraient posséder. Mais celui de voyager en se téléportant est encore plus fascinant, peut-être parce qu’il est synonyme de liberté. Se déplacer où l’on veut quand on veut en quelques secondes est le rêve de beaucoup de gens.

En revanche cette toute nouvelle capacité impliquait des règles à respecter pour faciliter son utilisation. En effet, Jana avait pu constater, lorsqu’elle avait voulu « voyager » du parvis de Notre-Dame-de-Paris jusqu’à chez elle, que ce n’était pas si simple puisqu’il fallait en permanence rechercher les plans ou les cartes nécessaires à la réalisation de la téléportation. Sûrement que si lorsqu’elle était cachée sous la table dans la jonque vietnamienne elle n’était pas tombée sur un dépliant sur lequel figurait un planisphère elle serait certainement encore cachée sous la table aujourd’hui. Vraiment, elle en était sure. Il fallait anticiper ce genre de problèmes et parer à toute éventualité. Elle déduit alors de cette expérience passée qu’elle devait toujours avoir sur elle de quoi pouvoir rentrer à la maison, autrement dit avoir au moins une carte de France et un plan de Lyon. Alors, elle et son grand frère cherchèrent le maximum de cartes et plans qu’ils puissent trouver, et les rassemblèrent en les collant à l’intérieur du carnet mauve où Jana avait déjà inscrit les différents évènements vécus depuis le mois de juin ainsi que les messages codés et leur transcription.

Après avoir digéré l’excitation et la fascination que cette aptitude fantastique leur avait procurées, les deux adolescents semblaient enfin redescendre un peu sur terre. Eliot, en tant que personne extérieure, avait été le témoin de l’aspiration de sa sœur par le plan de l’immeuble. Il réalisa alors que chaque fois que Jana avait utilisé ce pouvoir, des gens avaient dû eux aussi la voir se faire aspirer. Il fit part de ses inquiétudes à sa complice de toujours qui évidemment écouta son frère avec toute l’attention qu’il méritait.

— Ils ont dû être choqués, c’est obligé, déclara-t-il. Imagine. Moi j’étais déjà sur le cul alors que je m’y attendais, alors eux.

— C’est clair ! s’angoissa la collégienne. Je ne m’étais pas fait la réflexion et j’avoue que sur le coup je n’ai pas fait attention. Ça craint grave !

— Il faut absolument que tu sois plus prudente à l’avenir, la sermonna Eliot. Tu comprends ?

— Oui, t’inquiète, je sais que tu as raison, admit Jana. Sur le coup, j’ai été très surprise moi aussi et je n’ai pas fait gaffe, mais maintenant c’est sûr, je vais plus prudente. Et avec tous les plans et cartes que nous venons de coller sur mon carnet, je pourrai m’isoler pour faire mes petits « voyages ». Et je te promets de faire très attention si je dois utiliser un plan en public. D’accord ?

— Je te fais confiance petite sœur, acquiesça Eliot. Tu sais que je tiens à toi Jana et tout ce qui t’arrive en ce moment me dépasse un peu pour ne pas dire carrément, tu vois. Ça m’excite, c’est vrai mais ça me fait surtout peur.

— Je sais tout ça, mon frère, bredouilla la jeune fille très touchée par la déclaration pleine de sincérité qu’elle venait d’entendre. Et puis tu sais, je ne compte pas utiliser ce pouvoir tout le temps. J’aimerais autant vivre aussi normalement que possible.

 

         Quelques jours passèrent ou rien d’anormal ne sembla se produire. La petite famille lyonnaise paraissait vivre normalement. Les deux adolescents se rendaient quotidiennement, et ce de manière tout à fait conventionnelle, à la CSI et les parents vaquaient chacun à leurs occupations professionnelles habituelles. Le mois de décembre venait de débuter. Les évaluations de Jana et d’Eliot étaient à présent terminées et les résultats ne tarderaient pas à être envoyés à chaque famille. La jeune fille, qui n’avait plus recroisé les deux hommes aux pouvoirs surnaturels, usait de son dernier pouvoir avec parcimonie comme elle l’avait promis à Eliot. Elle avait pris l’habitude de se téléportée uniquement à l’intérieur de son immeuble. Cela lui évitait de monter et de descendre les escaliers. Ça l’amusait beaucoup et il faut reconnaitre que le risque que quelqu’un ne l’aperçoive était moindre car le bâtiment était peu fréquenté. Cela rassurait son frère.

Un matin, alors que le jeune homme se préparait à descendre normalement par les escaliers, Jana qui l’avait suivi lui attrapa la main au moment où elle s’apprêtait à toucher le plan de l’immeuble pour se téléporter au rez-de-chaussée. Cela lui trottait dans la tête depuis un moment. Elle voulait savoir si elle était capable d’emmener quelqu’un dans un de ses « voyages » et si, par conséquent, elle pouvait en faire profiter l’être le plus proche à son cœur, son complice de toujours et surtout le seul à connaitre ses pouvoirs. Ils n’en avaient jamais discuté ensemble. Peut-être Eliot en avait-il envie mais n’osait pas demander à sa sœur. Jana, quant à elle, n’avait pas risquer d’aborder la question car si cela lui était impossible, elle savait très bien qu’Eliot serait déçu et peiné, et c’est la dernière chose qu’elle voulait. Il faut avouer que depuis l’apparition des étranges phénomènes qui la touchait, son frère était présent pour la soutenir alors que lui n’était en rien concerné personnellement. Il ne bénéficiait d’aucun des avantages octroyés à Jana et pourtant à aucun moment il n’avait manifesté un brin de jalousie. Donc ce matin-là, elle tenta le coup sans le prévenir comme ça en cas d’échec il ne s’apercevrait de rien et n’en serait pas affecté. Au moment où elle lui attrapa la main, les deux adolescents se rendant à l’école furent aspirés dans un tourbillon par le plan de l’immeuble avant d’atterrir au rez-de-chaussée. Ça fonctionnait ! Jana était plus que ravie de la réussite de son expérience. Elle pouvait donc bien partager le pouvoir dont elle était détentrice. Il en était, dès lors, encore plus fascinant.

— Ça marche ! Ça marche ! cria Jana

— Mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? Je suis où ? implora Eliot, encore tout déboussolé par sa première téléportation.

— Ça marche Eliot ! Ça marche ! répéta la jeune fille. Tu t’es téléporté avec moi. Je peux partager ce don avec toi. Si tu savais comme je suis contente.

— Tu aurais pu me prévenir quand même ! sermonna le lycéen. J’ai bien cru que j’étais en train de faire une crise cardiaque. C’est une sensation vraiment bizarre quand même.

— T’inquiète, on s’habitue à force, assura Jana telle une professionnelle de la téléportation. Allez viens ! On va être en retard en cours.

         Sur le chemin de la Cité Scolaire Internationale, les deux étudiants envisagèrent à plusieurs reprises d’utiliser à nouveau le don de la jeune fille pour gagner du temps et surtout pour renouveler leur expérience partagée de tout à l’heure, mais les transports lyonnais étaient bondés à cette heure-ci et cela n’aurait donc pas été très judicieux de leur part alors raisonnablement ils y renoncèrent. A défaut de pouvoir se téléporter dans l’immédiat, ils se mirent d’accord pour envisager un vrai premier voyage en duo la nuit prochaine. Restait encore à choisir la destination. Ils avaient la journée pour se mettre d’accord et organiser les préparatifs de leur voyage. En effet, ils devaient s’assurer de bien partir avec l’ensemble des plans et des cartes dont ils auraient besoin pour les différentes téléportations.

 

Au 32 cours Franklin Roosevelt, chez les Lefèvre tout paraissait calme. Le simple mais merveilleux repas préparé par Lena avait été avalé comme à l’accoutumée en famille sur la table de la cuisine. Chacun était ensuite reparti vaquer à ses occupations. Monsieur Lefèvre était allé dans son bureau pour compléter ses recherches médicales sur un tout nouveau procédé d’opération du larynx. Mme Lefèvre avait comme à son habitude briqué sa cuisine une fois que son mari et ses deux enfants avaient fini de donner un coup de main pour débarrasser. Jana et Eliot qui n’avaient cessé de se lancer des regards complices pendant tout le repas étaient remontés dans leur chambre respective. Ils ne voulaient rien tenter tant qu’ils ne seraient pas sûrs et certains que leurs parents dorment à poings fermés. C’est seulement vers une heure du matin que les deux adolescents se retrouvèrent dans la chambre de la jeune fille. Eliot, qui visiblement avait peur d’avoir faim, avait prévu un sac à dos rempli de victuailles toutes plus caloriques les unes que les autres.

— Tu as peur que je nous perde dans un trou perdu ou je me trompe ? ironisa Jana en découvrant le sac bien rempli de son frère.

— C’est pas ça sœurette, rougit le jeune homme, mais tu comprends je suis en pleine croissance et j’ai besoin de manger… Et puis on ne sait jamais après tout, rajouta-t-il pour titiller sa sœur.

— De mon côté, j’ai prévu le minimum mais non moins essentiel : mon carnet violet. J’y ai rajouté plusieurs cartes de Lima et de Cusco ainsi que des plans détaillés du Machu Picchu. Tu n’as pas changé d’avis ? C’est toujours là-bas que tu veux que je t’emmène ?

— Si, si, vamos a Perú ! affirma Eliot. Tu sais combien je suis fasciné par les civilisations sud-américaines et en particulier par les Incas. Et puis j’ai beaucoup réfléchi. Etant donné notre heure tardive de téléportation, il fallait qu’on choisisse une destination où avec le décalage horaire il ferait jour et comme j’ai un peu froid en ce moment, je me suis dit qu’un peu de soleil nous ferait du bien.

— Bien vu grand frère. T’as assuré dans ton choix. En revanche, il faut absolument que nous soyons rentrés dans huit heures. Comme on est samedi, maman devrait nous laisser dormir tranquillement jusqu’à 10h00 au moins. Mais il vaut mieux qu’on assure le coup en rentrant pour 9h00. Ça te va ?

— Oui, ça devrait largement le faire ! s’exclama Eliot. J’espère juste que demain, maman ne nous aura pas préparé une journée marathon je ne sais où, car on sera crevés si on ne rentre que vers 9h00. Tu vois ce que je veux dire ? s’inquiéta-t-il.

         Les deux complices se tenaient prêts devant le grand planisphère affiché dans le couloir desservant leur chambre respective. A la fois excité et effrayé par l’aventure qui les attendait, Eliot serra fort la main de sa sœur au moment où elle appliqua son index portant la mystérieuse marque sur un pays de la Cordillère des Andes, le Pérou. Un tourbillon les fit disparaitre de leur appartement plongé dans l’obscurité de cette nuit de décembre. Quelques instants plus tard, ils apparaissaient sur la grande place située au centre de la capitale péruvienne, la Plaza Mayor. Avec l’effervescence habituelle de cette place, personne ne semblait avoir remarqué leur apparition. Ils firent rapidement un balayage panoramique de la place pour essayer de se repérer. Devant eux se dressait une immense cathédrale. Jana se massa alors les tempes avec ses index et joua le rôle de guide touristique pour son frère.

— Comme est en train de me l’expliquer Francisco Pizarro en personne, son fondateur, cette cathédrale est la cathédrale basilique Saint-Jean de Lima, raconta la jeune fille, fière de sa toute nouvelle fonction. Sa construction a débuté en 1535 avec l’arrivée des conquistadors espagnols et elle fut érigée sur l’ancien culte inca dédié à Puma Inti. Elle a, à de nombreuses reprises, subi d’importantes rénovations à la suite de tremblements de terre. Elle sert également de mausolée à son fondateur et gouverneur de la ville de Lima, notre guide virtuel.

— Trop cool ! s’enjoua Eliot. En plus de m’emmener avec toi en voyage tu me fais carrément la visite guidée sœurette. Ils sont vraiment trop bien tes pouvoirs.

— Bon, grand frère, demanda Jana. Ce n’est pas tout ça mais tu préfères qu’on aille d’abord sur le site de l’ancien Temple du Soleil ou bien sur celui du Machu Picchu ?

— Filons d’abord sur le Machu Picchu, répondit aussitôt le jeune homme avec des yeux grands ouverts et affamés de nouvelles découvertes. J’ai tellement envie de voir ce site majestueux. Tu sais qu’il est considéré comme une des Sept Merveilles du monde moderne.

— Non je ne savais pas, mentit Jana qui l’avait appris hier en faisant des recherches sur leur future destination mais qui ne voulait pas blesser son frère qui lui aussi souhaitait lui faire partager son savoir. Tu veux qu’on se téléporte directement jusqu’au Machu Picchu ou bien tu veux qu’on se téléporte jusqu’à Aguas Calientes, le petit village situé un peu plus bas dans la vallée, et qu’on finisse à pied ou en bus ?

— Franchement, j’avoue que j’aurais bien aimé accéder à la fameuse cité comme le faisait les Incas à l’époque, répondit l’adolescent tout en regardant sa montre. Tu penses qu’on a le temps ?

— Oui ne t’inquiète pas Eliot, assura Jana. On est largement dans les temps et puis au cas-où on se téléportera à la maison en moins de deux, le rassura-t-elle en brandissant son doigt marqué tout en affichant un large sourire. Allez viens on va se chercher une rue plus calme.

         Apparus par enchantement à Machupicchu Pueblo, nouveau nom donné à Aguas Calientes, le frère et la sœur décidèrent de profiter un peu de leur voyage en partant à la rencontre des locaux. Leur maitrise de l’espagnol était suffisante pour converser avec eux. En outre, grâce à ses pouvoirs, Jana parvenait à combler les lacunes que l’un ou l’autre pouvaient avoir. Ils apprirent que ce village possédait des bains chauds naturels qui étaient à l’origine de son ancien nom. A force de discussions, ils réussirent à se faire inviter par une famille péruvienne et purent ainsi goûter aux mets locaux tels l’olluco con carne, les chuños, le cuy et le sancochado. Après avoir partagé ce moment très convivial et plein de chaleur, les deux adolescents, complètement repus, partirent à pied en direction de la cité du Machu Picchu.

         Après plusieurs minutes de marche intensive rendue difficile à cause du copieux repas partagé un peu plus tôt, la merveilleuse cité du Machu Picchu s’exposait-là, rayonnante devant leurs yeux ébahis, à l’endroit même où se réunissait deux montagnes : le Machu Picchu et le Huayna Picchu, littéralement la vieille et la jeune montagne. Cette fois-ci, ce n’est pas Jana qui fit la guide touristique à l’aide de ses visions, mais Eliot lui-même qui depuis longtemps était attiré par la plus grandes des civilisations précolombiennes. Pendant qu’ils se promenaient au cœur de cette cité mythique, il expliqua à sa sœur, qu’elle avait été construite par les Incas au XVème siècle à cet endroit de la Vallée sacrée pour être au plus près du ciel et dominer le fleuve Urubamba. Il ajouta que la cité aurait accueillie à plusieurs reprises Pachacutec, l’empereur des Incas, qui possédait des résidences aux quatre coins de son immense empire. Eliot montra également certains bâtiments particuliers parmi les cent soixante-douze constructions que comptait la cité du Machu Picchu. Ainsi, il présenta à sa sœur le quartier urbain et religieux et notamment le célèbre Torreón, temple consacré au dieu soleil Inti, la pyramide d'Intiwatana, le temple du Condor ou encore le cadran solaire. Les deux adolescents en prirent plein les yeux. Ils étaient comblés et heureux, heureux de découvrir un tel site inspirant la sérénité et le recueillement, heureux de partager ce moment ensemble… Ils étaient tellement bien qu’ils en avaient oublié de surveiller leur montre.

— Eliot, tu as vu l’heure ! s’alarma la jeune fille lorsque sa montre émit un léger bip au moment où elle afficha 10h00.

— Oh la vache ! s’inquiéta son frère. On va se faire démolir par maman si elle ne nous voit pas à la maison. Tant pis pour Cusco ! On aura qu’à y retourner la nuit prochaine, ajouta-t-il malicieusement.

 

         En rentrant de la sortie familiale organisée comme chaque début de mois par les parents Lefèvre, Eliot et Jana étaient éreintés. Lena Lefèvre avait en effet pris l’habitude d’arranger une journée en famille par mois afin de faire en sorte que les activités et hobbies de chacun ne prennent pas le dessus sur les liens qui les soudaient. Ses enfants adoptifs savaient qu’ils ne pourraient pas l’éviter. Toute la journée, ils avaient feint leur fatigue afin de ne pas attiser l’inquiétude et la curiosité à fleur de peau de leur mère. Le matin, déjà en rentrant chez eux après leur virée péruvienne, ils tombèrent sur leur mère en bas de l’immeuble. Heureusement, les viennoiseries qu’ils avaient pensé à prendre à la boulangerie avant de regagner leur chambre leur servirent d’alibi pour justifier leur présence à l’extérieur de l’appartement. Durant leur sortie, ils firent donc mine de s’intéresser aux différentes expositions permanentes et temporaires présentées en ce mois de décembre au Musée Confluence. Comme à chaque fois qu’ils revenaient de leur sortie mensuelle en famille, les deux hommes de la maison partirent récupérer des pizzas dans un restaurant italien situé deux rues au nord du cours Franklin Roosevelt. C’était un rituel, leur rituel. La commande était toujours la même, une chèvre miel, une royale, une végétarienne et un calzone. Ils rentraient et déposaient les boites sur la table basse du salon où les femmes de la famille avaient déposé huile pimentée, serviettes jetables, et boissons fraiches. Cette journée se finissait toujours sur cette note positive avant que chacun ne regagne sa chambre respective. Contrairement à d’habitude, cette fois-ci, Eliot et Jana étaient pressés que cette réunion familiale se termine.

         Après avoir rangé la table basse du salon avec leur mère, alors qu’ils gravissaient péniblement l’escaliers menant à leur chambre, les deux adolescents s’accordèrent instinctivement pour remettre leur projet de voyage sur les traces du Temple du Soleil de Cusco à une autre nuit. Ils n’en pouvaient plus. Il fallait absolument qu’ils dorment. Pour une fois, ils allaient être raisonnables, se coucher et dormir. Et effectivement, c’est ce qu’ils firent. Chacun, après avoir pris une douche rapide, alla se blottir au chaud sous sa couette en plumes d’oie et ne mit pas plus d’un quart d’heure avant de sombrer dans un profond sommeil.  

         Au beau milieu de la nuit, alors que tout l’appartement était plongé dans un silence absolu, la jeune fille, profondément endormie, fut tirée violemment de son sommeil, non pas comme à l’habitude par un de ses cauchemars, mais par une personne qui s’était introduite dans sa chambre et qui la secoua. Somnolente, elle ne parvint pas dans un premier temps à identifier cette grande silhouette penchée au-dessus d’elle et qui maintenant lui tirait le bras. Au début, elle imagina que ce pouvait être un des hommes qui la suivait et qui l’avait menacée dans les toilettes de l’école. Cette pensée l’effraya encore davantage. Puis à force de concentration peu évidente vu le contexte de cette situation, elle crut reconnaitre son frère. Que lui voulait-il à cette heure-ci de la nuit et surtout pourquoi la réveillait-il d’une façon aussi brutale ? La voix qui s’éleva alors dans la pénombre de la chambre de la jeune fille confirma l’identité de l’individu qui s’y était introduit quelques instants auparavant, et qui maintenant l’appelait. C’était bien Elliot qui s’adressait à elle. Toujours abasourdie par ce réveil brutal, Jana pensa subitement que son frère voulait finalement retourner au Pérou pour finir leur visite interrompue de la nuit précédente. Elle se concentra sur ce qu’il disait d’une voix un peu bizarre et finit par comprendre plus distinctement. Choquée, la jeune fille pâlît et se mit à trembler.

— Jana, la lettre que tu as reçue est importante. Elle est cruciale pour la survie de notre peuple. Tu dois accomplir ta mission ! Maintenant ! Le temps presse. Jana ! Ecoute-nous, entends-nous ! répétait le jeune homme d’une manière automatique limite machinale.

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