Chapitre Premier

- Misère de Misère ! gémit Peter Butternut en se dandinant sur place comme si une envie pressante venait soudain de le saisir. Mais qu’est-ce que je suis venu faire dans cette galère ?

- Tu m’aides à découvrir ce que mon oncle fabrique dans son bureau, répondit Wendy Lennox d’un ton catégorique. Maintenant, laisse-moi me concentrer…Voilà, encore un cran et ça y est ! 

Clic ! Clac ! D’un habile tour de main, la fillette crocheta la serrure de la lourde porte de chêne qui s’ouvrit dans un léger grincement.

- Eh ! Eh ! Je t’avais bien dis que j’y arriverais ! fit Wendy d’un air triomphal.

- C’est génial ! Tu es la reine des cambrioleuses ! s’exclama Peter sarcastique. Maintenant, filons avant que quelqu’un nous surprenne. Tu sais très bien que Lord Fairchild interdit à quiconque d’entrer dans son cabinet de travail en son absence.

- Justement ! S’il ne veut pas qu’on y entre, c’est qu’il y cache quelque chose, et moi les secrets ça m’intéresse ! 

Peter était sur le point d’exposer le fond de sa pensée en des termes que sa mère aurait certainement désapprouvés lorsqu’il se retrouva propulsé dans la pièce d’une vigoureuse poussée dans le dos. Déséquilibré, il manqua de s’étaler sur le sol et ne dut son salut qu’à une petite console qui se trouvait près de la porte.

- Fais un peu moins de bruit, Peter ! s’exclama Wendy d’un ton exaspéré. Tu vas finir par nous faire repérer !

Tant de toupet laissa Peter sans voix. Et sachant pertinemment qu’avec une fille aussi insupportable que Wendy Lennox, il n’aurait jamais le dernier mot, il préféra se draper d’un air de dignité outragée.

Wendy, pour sa part, s’était déjà lancée dans l’exploration des lieux. Après avoir jeté un dernier coup d’œil dans le couloir et poussé un profond soupir, Peter referma la porte derrière lui.

La pièce dans laquelle les deux enfants se tenaient à présent disposait de vastes proportions. A l’exception d’une monumentale cheminée de pierre sculptée qu’entouraient deux larges fauteuils, ses murs étaient entièrement recouverts de rayonnages sur lesquels étaient disposés des livres, des centaines, des milliers de livres aux lourdes couvertures de cuir. Au centre, trônait un immense bureau habillé d’un ample tapis persan de couleur cramoisi ; sur cette table, étaient éparpillés des livres ouverts, une loupe de lecture, des bocaux contenant des baies et des insectes séchés, ainsi qu’une étrange collection de sifflets anciens qui attira immédiatement l’œil de Wendy.

- Oh ! Peter ! s’exclama-t-elle en saisissant un petit sifflet en argent au corps finement ouvragé qui faisait penser à une minuscule tête de gobelin. As-tu vu comme c’est joli ?

- Wendy, repose ça, s’il te plait ! glapit le jeune garçon dont le teint avait soudain blêmi. Si jamais Lord Fairchild remarque qu’on a dérangé ses affaires, tu peux être certaine qu’il ne manquera pas de démasquer les coupables. Et tu sais ce qui se passera alors ? On nous fouettera et je serai renvoyé !

Wendy considéra son compagnon d’un œil amusé. Décidément, Peter était un gros balourd et un sacré trouillard ! Malgré tout, elle l’aimait bien.

Peter travaillait au château comme garçon de cuisines, et il avait onze ans tout comme elle. Ils avaient fait connaissance un an auparavant, peu de temps après que Wendy fut arrivée à Darthmoors Hall. Elle l’avait alors tiré d’un mauvais pas en lui permettant d’échapper aux foudres de Mme Dobdson, la cuisinière en chef, dont il avait gâté une sauce en y versant du sucre au lieu d’y mettre du sel. Depuis ce jour, ils étaient devenus amis et Wendy ne manquait jamais une occasion d’entraîner le jeune garçon dans ses expéditions à travers la lande, les bois, ou, comme aujourd’hui, dans le château (ce dont, il faut bien avouer, il se serait volontiers passé !).

- Ce que tu peux être pétochard, Peter ! Si je n’étais pas là, je suis certaine que tu n’aurais jamais mis le nez en dehors de ton arrière-cuisine ! N’apprécies-tu pas de sentir le vent de l’aventure souffler sur ton visage ?

- Ce que je sens surtout en ce moment, c’est le vent des ennuis qui vont nous tomber dessus si nous ne sortons pas très vite d’ici ! bougonna Peter.

Il avait à peine finit sa phrase que des voix retentirent derrière la porte et que quelqu’un glissa une clef dans la serrure.

- Vite ! cachons-nous ! s’exclama Wendy. Là, sous le bureau ! Avec ce tapis, on ne nous verra pas !

- Misère ! pleurnicha Peter. J’étais sûr que ça arriverait !

Les deux enfants eurent tout juste le temps de se faufiler sous le tapis qui recouvrait la grande table de travail, que déjà la porte du bureau s’ouvrait brusquement.

- Cette enfant est impossible, Milord, je vous assure ! Elle ne veut rien entendre à la discipline et n’en fait qu’à sa tête. Je ne parviens pas à la tenir…

- Il va bien falloir que vous y parveniez, Miss Medlock. Il est hors de question que ma nièce continue de se comporter comme une sauvageonne ! Employez la manière forte s’il le faut, mais qu’elle se tienne dorénavant comme il convient à une jeune fille de sa qualité !

- La manière forte …Hum ! Fort bien, Milord, il en sera fait comme il vous plaira.

- Maintenant, laissez-moi Medlock, j’ai à faire ! Et veillez à ce qu’on ne me dérange pas !

La vieille gouvernante marmonna quelque parole inintelligible et quitta la pièce en refermant la porte derrière elle.

Lord Fairchild attendit que son pas se fût éloigné dans le couloir, puis il scruta la pièce de son étrange regard aux reflets mordorés.

- Bien, et maintenant, à nous deux ! s’exclama-t-il en approchant à grands pas du bureau.

Le cœur des deux enfants bondit dans leur poitrine et se mit à battre la chamade. Wendy jeta un coup d’œil à Peter dont le teint faisait à présent dangereusement penser à une crème à la pistache qui aurait mal tourné. Elle-même n’en menait pas bien large. A chaque instant, elle s’attendait à ce que son oncle soulevât le tapis de laine et les découvrît cachés là. Mais contre toute attente, il n’en fit rien. Il se contenta de fourgonner au milieu du fouillis qui se trouvait sur le bureau et s’éloigna de quelques pas.

Il y eut ensuite comme un bruit de mécanismes se mettant en branle, suivi de crissements et soudain, Wendy sentit un souffle aux légers relents d’humidité et de moisis emplir la pièce. C’était comme si quelqu’un venait d’ouvrir la porte d’une cave. Le courant d’air souleva légèrement le tapis qui retomba aussitôt tandis qu’un lourd silence s’abattait sur la pièce…

Pendant cinq minutes qui leur parurent des heures, aucun des deux enfants ne se risqua au moindre mouvement. C’est à peine s’ils osaient respirer. Finalement, comme aucun bruit ne semblait plus parvenir du bureau, Wendy entreprit de glisser prudemment la tête hors de sa cachette. La pièce paraissait vide. Lord Fairchild n’était visible nulle part.

« Bizarre ! J’aurais juré qu’il s’était dirigé vers la cheminée, pas vers la porte ! » songea Wendy avant de replonger sous la nappe.

- C’est bon, il est parti, dit-elle à Peter qui recouvrit peu à peu ses couleurs naturelles. Nous pouvons sortir de là.

- C’est la dernière fois que je t’écoute, s’exclama Peter avec colère.

- Je ne pouvais pas savoir que mon oncle déciderait de venir dans son bureau justement cet après-midi, répliqua Wendy qui, à dire vrai, n’éprouvait aucun remord. Et puis il était sensé se rendre à Londres aujourd’hui, pas être au château !

- Apparemment, ton tuyau était crevé ! grogna Peter en s’extirpant de dessous la table.

Il y parvint non sans mal car en vérité c’était un garçon plutôt dodu qui était davantage habitué à se tenir devant que sous une table.

- Cesse donc de râler et aide-moi plutôt à découvrir par où est parti mon oncle !

- Mais tu es folle ! beugla Peter, dont le visage prenait de nouveau une teinte alarmante. Il faut qu’on sorte d’ici immédiatement. Lord Fairchild peut revenir d’un moment à l’autre… J’ai assez risqué ma vie comme ça pour aujourd’hui !

- Très bien, partons, dit Wendy d’un air résigné.

Avant de sortir, elle jeta un dernier regard à la table de travail.

- Oh ! Tu as vu ? s’exclama-t-elle.

- Quoi encore ? grommela Peter.

- Le sifflet! dit Wendy. L’étrange petit sifflet en argent qui se trouvait sur le bureau… il n’y est plus.

- La belle affaire ! C’est certainement ton oncle qui l’a pris. Allez, viens ! Partons vite d’ici !

Après s’être assurés que personne ne se trouvait dans le couloir, les deux enfants sortirent du bureau et s’enfuirent en courant jusqu’aux cuisines. Là, Mme Dobdson les attendait de pieds fermes.

- Peter Butternut ! rugit-elle d’une voix tonitruante, où étais-tu encore passé, espèce de vaurien ? Tu étais sensé rester à l’office et récurer les cuivres ! Ne crois pas qu’ils vont se faire tous seuls ! Quant à vous, Mademoiselle Wendy, je ne sais pas ce que vous avez encore fait comme bêtise, mais Miss Medlock est furieuse et elle vous cherche partout. Il vaudrait mieux qu’elle ne vous trouve pas ici. Vous savez ce qu’elle pense de votre manie de traîner à l’office ! Vous feriez bien de retourner dans votre chambre.

- Très bien, soupira la fillette d’un air penaud. Au revoir, Peter, à demain ! Au revoir, Madame Dobdson !

Et, sans laisser à quiconque le temps de répondre, elle repartit au galop, saisissant au passage une tartelette aux myrtilles qui finissait de refroidir sur la table.

 

 

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Phœnix
Posté le 04/04/2020
Les dialogues sont claires, les descriptions sont bien pesées. Pas trop lourdes mais pas trop légères non plus. J'apprécie beaucoup.
Ce premier chapitre est assez intéressant et donne envie de connaitre la suite. Je m'en vais donc lire ce deuxième chapitre !
Wayland Smith
Posté le 04/04/2020
Merci beaucoup pour ce commentaire encourageant ! Et Bonne lecture !
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