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ne fois dans sa chambre, Wendy repensa à ce qui s’était passé dans le cabinet de travail de son oncle.
« C’est tout de même étrange, songea-t-elle. Je suis certaine qu’il n’est pas sorti par la porte. Je l’aurais entendu, sinon. Il doit certainement y avoir un passage secret dans la pièce ! Hum ! Je me demande où il peut bien mener et à quoi sert le petit sifflet que mon oncle a emporté avec lui… »
Elle n’eut cependant guère l’occasion d’approfondir la question car à cet instant précis la porte de sa chambre s’ouvrit à grandes volées, dévoilant une Miss Medlock dont le visage cramoisi indiquait qu’elle était au bord de la crise d’apoplexie.
- Espèce de petite sournoise ! éructa-t-elle, ayant abdiqué tout soupçon de cette bonne éducation qu’elle tâchait -non sans peine- d’inculquer à son élève. Où étiez-vous encore passée ? Cela fait plus d’une demi-heure que je vous cherche !
- Il semblerait que vos recherches aient été fructueuses puisque vous m’avez finalement trouvée, répliqua Wendy d’un air revêche.
- Manifestement ! siffla la vieille femme, un sourire mauvais aux lèvres.
D’un bond elle attrapa la fillette par le bras et avant que celle-ci n’ait eu le temps de réagir, l’entraîna avec elle dans le couloir.
- Où m’emmenez-vous ainsi ? demanda Wendy en se débattant afin de se dégager de l’emprise de la gouvernante. Aïe ! Vous me faites mal !
- Ce n’est qu’un début, ma chère petite ! Vous pouvez m’en croire !
- Si vous touchez à un seul de mes cheveux, j’irai me plaindre à mon oncle !
- Peuh ! Lord Fairchild m’a donné carte blanche pour vous mâter et faire de vous une véritable demoiselle du monde. Je ne pense pas que vos jérémiades puissent l’attendrir. Mais essayez toujours et nous verrons…
La réplique cinglante que Wendy s’apprêtait à lancer resta sur ses lèvres car à ce moment précis, Miss Medlock la propulsa dans une pièce qu’elle reconnut pour être celle que la gouvernante appelait son « boudoir » et où elle avait l’habitude de recevoir ses invités. Elle était encombrée de bibelots et dégageait une forte odeur de parfum bon marché. Sur la table basse, trônait un plateau à thé, apparemment à peine entamé.
- Vous voyez ce pot de marmelade ? demanda la vieille femme en désignant un petit pot de faïence qui se trouvait sur le plateau. Je vous prie de bien vouloir me dire ce qui se trouve dedans…
Wendy planta son regard dans celui de la gouvernante d’un air de défi et prit un ton faussement compatissant.
- Pauvre mademoiselle, dit-elle. C’est donc vrai ce qu’on dit : avec l’âge, on a la vue qui baisse ! Vous devriez peut-être…
- Cessez vos impertinences ! cracha la vieille femme dont les joues avaient pris une couleur plus écarlate que jamais. Et faites immédiatement ce que je vous ai demandé, sinon…
- Sinon ?
Une lueur féroce étincela au fond de l’œil de Miss Medlock.
- Ne me forcez pas à vous faire la démonstration de ce qui pourrait vous arriver, répliqua-t-elle.
Wendy hésita puis finalement s’approcha du pot et regarda dedans. Elle releva la tête d’un air dégoûté.
- Eh bien ! Qu’avez-vous vu ? demanda Miss Medlock.
- Une souris ! Il y a une souris crevée dans votre marmelade !
- Et qu’est-ce que cela évoque chez vous ?
- Je me dis que décidément vous avez un sérieux problème avec l’hygiène, répliqua Wendy.
- Petite impertinente ! s’étrangla Miss Medlock. Ne croyez pas que j’ignore que c’est vous qui l’y avez mise ! Je pense qu’il est grand temps qu’on vous inculque un peu de ces bonnes manières qui paraissent tant vous manquer !
- Que comptez-vous faire ? demanda Wendy qui commençait à penser que cette fois-ci, elle était peut-être allée un peu trop loin.
- Vous allez le savoir très rapidement !... Monsieur Prachett, venez ici, je vous prie !
A ces mots, la porte latérale du boudoir s’ouvrit et Prachett, le palefrenier en chef de Darthmoors Hall entra dans la pièce, muni d’une longue baguette de saule.
Wendy et lui n’avaient jamais été en bons termes. Cette profonde inimitié datait de l’époque de leur première rencontre. Ce jour-là, Pratchett prenait un malin plaisir à rosser un jeune garçon d’écuries à grands coups de ceinturon, au motif que ce dernier lui avait fait renverser sa fiole de whisky en le bousculant par inadvertance. Wendy s’était alors interposée et avait menacé d’informer son oncle de la situation s’il continuait à battre de la sorte le pauvre garçon. Pratchett avait maugréé mais il s’était exécuté.
Depuis ce jour, Wendy avait acquis dans les écuries et les fermes du voisinage sa réputation de dure à cuir mais elle s’était également fait un redoutable ennemi en la personne du palefrenier.
De toute évidence, Miss Medlock n’avait pas choisi son homme de main au hasard.
- Monsieur Pratchett ! minauda la vieille femme, le visage animé d’une expression venimeuse. Cette jeune personne est manifestement dépourvue de toute éducation. Il me semble qu’une petite leçon de savoir-vivre lui serait des plus salutaires. Qu’en pensez-vous ?
- J’en pense que vous avez parfaitement raison, M’zelle Medlock. Et j’connais rin qui vous met du plomb dans la caboche comme une bonne volée de coups d’canne. C’est c’qui marche le mieux avec les canassons, si vous m’permettez de comparer.
- C’est vous le spécialiste en matière de dressage et d’animaux récalcitrants, fit Miss Medlock. Je m’en remets donc entièrement à votre sagacité… Je vous en prie, Monsieur Pratchett ! Officiez !
Puis se tournant vers Wendy, elle lui dit d’un air faussement compatissant :
- Vous comprenez, ma chère enfant, que je ne fais cela que dans votre propre intérêt, n’est-ce pas ?
Et tandis qu’elle minaudait ainsi, Pratchett se saisit de Wendy, la força à se pencher en avant et la maintint fermement sous son bras gauche, jupes relevées, la baguette de saule dans l’autre main.
- Combien de coups ? demanda-t-il d’un air avide, ignorant les cris de protestation de la fillette.
- Trois, non quatre coups de canne ! répondit Miss Medlock. Quatre me paraît un nombre approprié pour commencer à apprendre les bonnes manières.
Puis elle s’installa confortablement dans son grand fauteuil, bien décidée à jouir du spectacle tandis que Pratchett levait haut la baguette de saule.
- Allez et frappez ferme !
Au début, Wendy ne perçut rien d’autre que l’odeur âcre, mélange de sueur, de whisky et de purin, que dégageait le gros homme. Mais lorsque la baguette s’abattit sur ses fesses pour la première fois, claquant comme un fouet, la brûlure qui s’irradia en elle fut si terrible, qu’elle en eut le souffle coupé. Malgré la douleur et l’humiliation, elle se refusa cependant de donner à Miss Medlock le plaisir de la voir pleurer, et se mordit la langue afin de retenir ses cris.
Le deuxième coup fut pire que le premier. C’était comme si un tisonnier chauffé à blanc avait été posé sur sa chair et qu’on l’y maintenait appuyé.
Au troisième coup, Wendy crut qu’elle ne pourrait pas retenir ses larmes plus longtemps. Comme un fait exprès, Pratchett avait abattu la baguette de saule à l’endroit exact où les deux coups précédents avaient été portés. La souffrance générée par la canne frappant une chair déjà tuméfiée et lacérée était pratiquement intolérable.
Lorsque le quatrième coup l’atteignit, Wendy eut la sensation que son arrière-train n’était plus qu’un brasier… La tête bourdonnante, elle entendit dans le lointain la voix de Miss Medlock qui ordonnait :
- Et maintenant retournez dans votre chambre, vous êtes privée de dîner ! J’espère au moins que tout cela vous aura servi de leçon et qu’à l’avenir vous vous montrerez plus docile
Au moment de quitter la pièce, Wendy croisa le regard haineux de la vieille femme et le sourire narquois du palefrenier qui la toisait d’un air satisfait.
Lorsqu’elle regagna sa chambre, elle avait les yeux brouillés de larmes, moins du fait des coups reçus que de l’humiliation qu’elle venait de subir. Et c’est en se jurant de se venger, qu’elle s’affala toute habillée sur son lit.
J’ai une affection particulière pour Peter. J’ai l’impression que le pauvre garçon n’a pas fini de se faire des cheveux blancs ^^ Les dialogues sont bien campés et percutants tout en restant dans l’ambiance de l’époque. En te lisant, j’ai pensé au « Jardin secret » que j’ai lu il y a longtemps ^^
Un petit détail toutefois par rapport à la description du bureau : le fait que le tapis persan recouvre le meuble m’a laissée perplexe. Pour moi, un tapis, c’est sur le sol. Qu’il puisse y avoir une nappe ou un drap (comme protection) sur le bureau ne m’aurait pas choquée mais un tapis…?
Concernant la personnalité de Wendy, elle ne m’est - pour le moment - pas très sympathique (mais je ne vois pas ça comme un souci, attention). Je pense que c’est le type de personnage auquel on s’attache au fur et à mesure (il y a un côté Sherlock Holmes pénible en elle :D )
Pour terminer, je m’arrêterais sur la scène de punition. Je t’avoue que je ne sais trop qu’en penser. D’un côté, elle rentre dans le cadre de l’éducation de l’époque et dans ce sens, ça ne me choque pas. Elle est de plus, extrêmement bien décrite. Cependant, j’ai ressenti une impression de malaise en la lisant. Alors qu’on partait sur les aventures amusantes de deux gamins curieux et intrépides, le réalisme et la violence me sont un peu tombés dessus sans prévenir. J’ai eu comme un décalage à la lecture des deux chapitres… Encore une fois, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Comme je n’ai lu que le tout début de ton histoire, je ne connais pas sa tonalité globale ^^
À bientôt!
Je prends note de tes remarques concernant la scène de la punition. L'histoire de Wendy et Peter n'est pas toujours rose mais peut-être la scène est-elle trop violente. Je vais publier un autre chapitre. Tu me diras ce que tu en penses.
Pour ce qui est du tapis persan sur le bureau, cela se faisait à l'époque Victorienne, notamment dans les bibliothèques des gentlemen : on mettait des tapis rares et précieux sur certains meubles pour les mettre en valeur. D'autres étaient accrochés aux murs.
Encore merci de ton retour!