J’étais à l’aube de ma vie… Elle se présentait à moi dans la beauté et le mystère de ce monde qui venait de m’accueillir. Je ne le connaissais pas encore, mais j’allais apprendre. Ceux qui l’habitaient m’y guideraient avec amour et patience ; tout comme le faisait ma mère qui me tenait si tendrement dans ses bras.
J’adorais sentir son souffle chaud me réconforter lorsqu’elle me parlait tout bas. Bien que je ne les comprenne pas encore, les mots qu’elle prononçait me berçaient par leur tendre mélodie. J’avais l’impression que nous n’étions qu’une seule et même entité ; que nos esprits resteraient liés à jamais !
À chaque fois qu’elle m’allaitait, je posais mon oreille contre sa poitrine, douce et gonflée, afin d’y écouter les battements de son cœur qui m’accompagnaient depuis le début de ma conception. Cette femme représentait ce que j’avais de plus cher ; je l’aimais de façon instinctive. Je savais que nous étions unis par quelque chose qui dépasserait toujours notre entendement.
Un enfant était né dans l’immensité infinie de l’univers. L’histoire de sa vie s’inscrivait au plus profond de sa mémoire, semblable au carnet de bord d’un marin solitaire dérivant au long de son existence qui commençait. Ce petit être, si fragile, n’avait encore aucune idée de quelle serait sa destinée. Il allait pourtant être emporté dans une extraordinaire aventure qui ferait de lui un messager, capable de révolutionner le monde qui venait de l’accueillir.
Les mois et les années passèrent. Le fil des jours semblait s’écouler à travers un énorme sablier sans fin… Mes frères et mes sœurs étaient devenus mes premiers compagnons de jeu. Ils n’en demeuraient pas moins des exemples que je ne cessais d’observer en essayant, tant bien que mal, de les imiter.
Mon entourage se composait principalement de femmes. Seul mon père s’y distinguait comme étant celui qui, par sa voix et son allure imposante, était là pour nous protéger, nous guider. Il ne venait que très rarement nous visiter, pour ensuite disparaître… sans aucune explication !
Les quelques instants que j’eus l’occasion de passer auprès de lui me laissèrent néanmoins le souvenir d’un bonheur intense, illustré par des images qui resteraient à jamais gravées dans ma mémoire ; comme celle de ses grandes et fortes mains, serrant les miennes avec cette tendre puissance qui m’impressionnait, tout en venant me réconforter.
Je me trouvais en sécurité au sein de mon petit univers ; le seul que je connaissais. Tout y était amour et affection. Rien ne dérangeait l’équilibre presque parfait dans lequel nous étions immergés.
L’arrivée d’une nouvelle petite sœur insuffla assez de vie dans notre demeure pour nous aider à oublier les longues absences de notre père. Le temps s’écoulait sans que nous nous en apercevions.
La ferme que nous habitions faisait partie d’un village entouré d’immenses pâturages et de cultures s’étendant à perte de vue. Sa population était composée d’un bon millier de femmes, accompagnées de leurs nombreux enfants… pour à peine une centaine d’hommes.
Notre maison, semblable à toutes les autres, avait la forme d’un petit dôme, fait de bois, recouvert de quelques antennes ainsi que d’une multitude de panneaux solaires hexagonaux lui octroyant une isolation parfaite. Quelques grandes baies vitrées, intelligemment disposées, y laissaient agréablement entrer la lumière du jour.
L’étage du bas contenait la cuisine et un grand salon qui nous servait également de salle à manger. Celui du milieu, beaucoup plus petit, était composé de la chambre des parents entourée par celles de leurs nombreux enfants. Et enfin, celui du haut abritait une petite salle circulaire où seuls les adultes avaient le droit de se rendre.
Une énorme barrière électrifiée protégeait notre village de ce que mes parents appelaient les « Territoires Interdits ». Haute d’une trentaine de mètres, elle était capable de résister aux assauts de n’importe quel animal. Qu’il s’agisse des lions, des rhinocéros, des éléphants… ou même de ces terribles dinosaures dont on nous avait déjà si souvent parlé.
D'après les dires des adultes, ces derniers régnaient en maîtres incontestés au-delà de cette construction métallique au sein de laquelle nous vivions en sécurité et en parfaite harmonie avec la nature. J’adorais gambader dans les champs en explorant ce monde que je découvrais avec tant d’exaltation.
D’imposantes machines effectuaient la plupart des tâches nécessaires à nos récoltes, dont une infime partie s’avérait amplement suffisante à assurer notre subsistance. Le surplus était régulièrement transporté vers un gigantesque dôme transparent qui brillait au loin, à l’horizon, tout près de l’endroit où notre soleil se couchait en fin de journée.
Ma mère m’avait dit qu’il s’agissait d’une des six principales métropoles de notre planète : une cité abritant des millions de personnes ! Elle ne s’était pas attardée à me raconter ce qu’il s’y passait. D’autres choses m’intriguaient bien plus que cette lointaine bulle translucide, qui semblait s’embraser chaque soir lorsque les rayons obliques du crépuscule venaient la transpercer.
Quelques engins circulaires, étranges et bruyants, survolaient parfois, à très basse altitude, les prairies où nous jouions. Je prenais un malin plaisir à m’y cacher en attendant leur apparition.
Un beau jour, lorsque je gambadais au milieu des plantations, l’un d’eux me surprit en surgissant de nulle part, faisant trembler le sol sous mes pieds. Je sentis son souffle chaud littéralement m’envelopper dans un bruit de tonnerre assourdissant. Une forte odeur de carburant vint remplacer le doux parfum des plantes et des fleurs qui m’entouraient. D’intenses vibrations résonnèrent jusqu’au plus profond de mes entrailles. La tornade provoquée par les jets de gaz brûlants, sortant de ses tuyères, me cloua au sol. Les hautes herbes se tortillaient en tous sens, comme prises de panique !
Jamais plus je n’oublierais cette étrange sensation, faite d’un mélange de peur et de fascination, que je ressentis en voyant l’aéronef s’éloigner à l’horizon, vers le mystérieux dôme qui semblait l’attirer à lui. Je ne pus détourner mon regard de ce petit point sombre qui venait de déclencher une véritable tempête, tout autour de moi.
Mon père leur vouait également une adoration sans borne. Lorsque le vacarme d’un de ces engins retentissait au loin, il sortait précipitamment pour tenter de l’apercevoir. Je l’accompagnais, en lui tenant la main, de peur qu’il ne revienne pas à la maison.
À chaque fois qu’il venait nous rejoindre, la peur de le voir s’en aller me hantait sans cesse. Il me manquait terriblement lors de ses longues absences. Sans doute parce qu’il était l’un des seuls hommes dans ce monde essentiellement composé de femmes et de leurs nombreux enfants.
Lorsque j’eus atteint l’âge de six ans, ma mère me conduisit dans notre petite école. Il s’agissait d’un groupe d’habitations compactes, agencé en hexagone, situé au centre du village. Six ailes, regroupant chacune les enfants d’un même âge, entouraient une cour intérieure propice à la détente. Les doyennes étaient chargées de nous y enseigner les bases de notre éducation.
Dès le début de ma scolarité, mes contacts avec mes frères et sœurs devinrent moins fréquents. Tout comme mes aînés, je fus assigné à passer de plus en plus de temps à étudier, seul, dans ma chambre.
C’est ainsi qu’un beau jour, nous n’eûmes plus aucune nouvelle de l’aîné d’entre nous. Il n’avait sans doute plus l’occasion, ou l’envie, de partager nos repas. La diminution progressive de nos contacts rendit sa disparition pratiquement imperceptible. Ses nombreuses absences devinrent, pour nous, quelque chose de normal que nul ne jugea utile de mentionner. J’éprouvais même une certaine crainte à aborder ce sujet qui me semblait tabou. Peut-être lui était-il arrivé quelque chose ?
« Ainsi soit-il ! », s’était exclamée ma mère pour mettre un terme à nos interrogations.
Il valait sans doute mieux ne plus y penser, après tout…
Les lectures et l'instruction que nous reçûmes dans notre petite école vinrent rapidement me changer les idées. J’étais exalté, émerveillé de découvrir que notre monde, que j'avais cru se limiter au village que nous habitions, était si grand et si complexe.
Les cours d’astronomie me passionnaient tout particulièrement. Je fus enthousiasmé d’apprendre comment nous étions entraînés dans la course effrénée de ces milliards d’étoiles, surgies de cette formidable explosion à l’origine de tout… On nous enseigna que, perdus au fin fond de notre galaxie, nous étions issus du hasard de l’évolution et de la transformation des espèces animales qui peuplèrent notre monde.
Il m’arriva, dès lors, de passer de longues soirées à observer le cheminement de cette myriade de points lumineux qui parsemaient notre ciel limpide, coupé en deux parties égales par une fine ligne argentée. Mes parents m’avaient expliqué qu’il s’agissait d’un gigantesque anneau entourant notre planète afin d’empêcher les étoiles de venir s’écraser sur nos têtes !
Ces magnifiques et mystérieuses étoiles exerçaient sur moi une étrange fascination. Elles m’attiraient inexorablement. Je ne pouvais me faire à l’idée que nous soyons seuls à admirer ce splendide firmament. Je ne savais pas exactement pourquoi, mais j’avais l’impression que là, juste au-dessus de nous, d’autres êtres intelligents nous observaient ; tout comme j’étais en train de le faire. Et qu’ils se posaient les mêmes questions que moi.
J’avais pris l’habitude de noter mes découvertes dans le carnet que ma mère m’avait offert pour mon sixième anniversaire. Elle avait remarqué que j’adorais illustrer toutes ces choses qui m’intéressaient tant.
Merci Art of You et sûrement à bientôt
Gardar
Et ce premier chapitre, consistant, il l'est assurément. J'avais un peu peur que l'on reste dans des descriptions et considérations du monde très spirituelles et très "New Age" (même si je n'aime pas ce terme). Et ce chapitre très terre-à-terre vient me rassurer.
J'ai beaucoup aimé les descriptions de l'environnement : les clôtures, les dinosaures (des dinosaures !?), les engins, les dômes et l'anneau planétaire.
Ça a l'air d'être un récit et un univers très riche, et c'est cool.
Si le reste est du même calibre, je vais prendre plaisir à lire ton histoire je pense.
Ne t'en fais pas... cela restera un ouvrage de science-fiction, bien que son ambition soit également d'aborder quelques aspects plus profonds de spiritualité.
Tu verras... si le coeur t'en dit.
N'hésites pas à commenter, critiquer, suggérer...
Toujours aussi captivant, tu poses joliment le décor, j'adore.
Si toutefois je peux me permettre une petite remarque :
-"vers le mystérieux dôme qui semblait l’attirer vers lui.", j'aurais plutôt dit "vers le mystérieux dôme qui semblait l'attirer à lui." pour éviter la répétition de "vers" mais c'est un tout petit détail ;)
A bientôt!
Et tu as raison, c'est beaucoup mieux ainsi.
J'ai trouvé la fin du chapitre un peu abrupte. J'ai commencé à lire le chapitre 3, et j'aurais trouvé plus naturel de déplacer le dernier paragraphe du chapitre 2 au début du suivant. Il y a peut-être une raison qui explique le choix de cette coupure ?
C'est parce que j'ai redivisé mes chapitres pour les rendre plus courts.
Sympa cette genèse qui met bien en place le début de l'histoire, le village dans lequel cette nouvelle âme s'incarne. On commence à comprendre/percevoir des choses à travers les mots de l'enfant à propos de ce monde, de ce qui peut se tramer en réalité en dehors. L'écriture est toujours aussi fluide, et le début m'a particulièrement touchée (j'allaite actuellement mon bébé), je trouve ta description de la relation mère-bébé très bien faite et surtout poétique, bravo et merci !
Merci encore pour tes commentaires !