Un des premiers événements que j’eus l’occasion d’y inscrire ne tarda pas à se présenter… Un soir, lorsque je flânais, comme d’habitude, au fond de notre jardin, un son inhabituel attira mon attention vers la haie de buissons qui délimitait son périmètre. La douce mélodie d'une flûte vint alors m’envoûter…
Un étrange petit homme, d’à peine un mètre de haut, apparut, comme par magie, en face de moi. Ses membres inférieurs poilus se terminaient par des sabots semblables à ceux des chèvres et des boucs. Il arborait, sur son large front, une paire de cornes spiralées, recourbées vers ses oreilles, longues et pointues. Malgré son air diabolique et sa barbichette, son sourire coquin lui donnait une apparence magique… merveilleuse !
Il cessa de jouer de son instrument lorsqu’il s’aperçut que je le fixais. Me regardant curieusement il me demanda :
— Peux-tu vraiment me voir ?
— Bien sûr, lui assurais-je, encore plus étonné que lui de notre rencontre.
— Les « Dévas » de cet endroit avaient raison. Tu me vois et pourtant je ne t’inspire aucune crainte… c’est bien toi !
Sans rien comprendre à ses étranges propos, je lui répondis :
— Mais qui sont ces Dévas ? Qui es-tu… et d’où viens-tu ?
— Les Dévas sont les esprits des différentes espèces végétales qui habitent notre planète. Et je suis, moi-même, un émissaire de « l’Esprit de la Nature ». Il m’envoie vers toi afin de te faire parvenir un message de la plus haute importance.
— Un message… pour moi ?
Le petit être me regardait en souriant. Mais mon intuition me poussait à croire qu’il était sincère. Je lui accordai, de ce fait, toute mon attention.
— Nous avons besoin de ton aide afin de rétablir l’harmonie qui existait jadis entre votre espèce et la nature, que nous représentons.
— Mon aide ? Mais qui suis-je pour pouvoir vous aider ?
— Tout cela est bien trop compliqué. Je ne peux encore rien t’expliquer, mais ta destinée va s’avérer essentielle à la réalisation de nos plans. Il faudra que tu fasses preuve de courage et de ténacité. Obéis à tes intuitions les plus profondes. Écoute ces voix qui te guideront, de temps à autre, du fond de ton subconscient. Ne te laisse pas décourager par tes peurs ni par les visions effrayantes qui viendront parfois te tourmenter durant tes rêves. L’Esprit de la Nature te guidera. Fais-nous confiance… Nous serons toujours près de toi !
Une multitude de petits êtres, plus étranges et merveilleux les uns que les autres, apparut autour de nous. Mon interlocuteur se remit à jouer de sa flûte enchanteresse, rythmant ainsi les évolutions de la fantastique nuée multicolore qui venait de nous entourer. Celle-ci se composait de nains aux pieds et aux mains disproportionnellement grandes par rapport au reste de leurs corps et de petites fées qui les survolaient, accompagnées d’étranges oiseaux blancs virevoltant en tous sens.
La vision s’évanouit lentement dans les buissons avoisinants, laissant le garçon s’assoupir au jardin, emporté par ses rêveries… Sa mère, n’ayant rien remarqué de l’incroyable spectacle auquel il venait d’assister, le regarda s’endormir par la fenêtre entrouverte de sa chambre. Le front posé sur son carnet, il tenait toujours son crayon entre ses doigts crispés.
Seuls quelques rugissements lointains interrompirent le silence de la nuit étoilée. La jeune femme observait d’un air triste et mélancolique son enfant, pour s’assurer que rien ne lui arrive… Elle semblait pressentir que ce petit être sensible, à l’imagination fertile, n’était pas vraiment fait pour ce monde qui venait de l’accueillir.
Elle descendit le prendre dans ses bras, le ramena à la maison, puis se dirigea vers l’entrée de la mystérieuse salle réservée aux adultes ; un verrou de forme hexagonale en sécurisait l'accès. Elle y posa la paume de sa main droite… La cloison coulissa, se refermant immédiatement derrière elle.
L’endroit, pratiquement vide, baignait dans la pénombre. Il n’y avait ni meuble ni fenêtre. Seul un anneau vertical, d’environ trois mètres de diamètre, trônait en son centre, entourant deux sièges ergonomiques fixés côte à côte. La jeune femme retira la capuche qu’elle avait en permanence sur la tête, sortit une petite bille de cristal de sa poche tout en s’installant dans l’un des sièges.
L’anneau se mit alors à vibrer, générant une sphère d’énergie qui l’engloba complètement. Elle plaça la bille dans l’orifice d’une plaque métallique qui lui recouvrait le front. La minuscule boule de cristal s’illumina en tournant de plus en plus rapidement sur elle-même. Des éclairs bleutés la relièrent à l’anneau venant bientôt entourer la sphère tout entière.
Pendant ce temps, bien au chaud dans sa chambre, le petit garçon s’agitait au fond de son lit, emporté par un rêve étrange : il flottait dans l’espace, au beau milieu de ses compagnes, les étoiles.
J’avais l’impression d’être assis dans une bulle transparente. Des voix apeurées me parvenaient, comme le feraient des transmissions radio, hachées et incompréhensibles. J’étais entouré de chasseurs, identiques à ceux qui passaient de temps à autre au-dessus de notre village. Soudain, une explosion de chaleur et de lumière mit fin à ce vacarme. Il n’y eut plus que le silence et le froid ; un froid glacial… puis plus rien !
Je me réveillai en sursaut, étonné de me retrouver dans mon lit. Je me souvenais pourtant m’être assoupi sur l’herbe de notre jardin, quelques instants auparavant. Je me levai en tremblant, encore sous le choc du rêve que je venais de faire, si intense et réaliste… Je ne parvenais plus à l’effacer de ma mémoire !
Je décidai d’aller en parler à ma mère. Mais elle n’était pas dans sa chambre… J’entendis soudain un bruit sourd, semblable à une vibration, émaner de cette mystérieuse salle, située au deuxième étage : celle interdite aux enfants ! Mes parents s’y enfermaient fréquemment durant des heures, seuls ou à deux.
Je ne pus m’empêcher de coller une oreille indiscrète sur la cloison qui y donnait accès. J’entendis ma mère parler à quelqu’un. Mais cette conversation n’était pas normale… Elle criait, ou plutôt, semblait appeler à l’aide. Je posai ma main sur la serrure palmaire pour tenter d’ouvrir la porte, mais rien ne se passa. Je me mis alors à appuyer de plus en plus fort sur le verrou.
Cette action stupide de ma part enclencha une alarme qui retentit dans la maison tout entière. La cloison s’ouvrit après quelques interminables secondes. Ma mère était enfin là, en face de moi. Elle posa sa paume sur la serrure afin de mettre fin au vacarme que je venais de déclencher. Elle me répondit, hors d'haleine et en sueur :
— Que fais-tu là ? Tu sais que vous n’avez pas le droit de venir ici.
— J’ai encore fait ce terrible rêve, lui répondis-je tout excité. Je flottais parmi les étoiles… et puis… « boum » !
— Ne t’en fais pas, reprit-elle, d’un ton plus doux, il m’arrive aussi de faire des rêves étranges, parfois. Ils sont le fruit de notre imagination ; et tu sais comme la tienne est fertile ! Va vite te coucher. Tu devras te lever tôt demain…
Elle retourna, sans plus rien dire, dans la mystérieuse salle. La porte se referma derrière elle avec un sifflement navré. Je rejoignis ma chambre, pas vraiment convaincu par ses explications. Je me demandais ce qui pouvait bien causer ces visions effrayantes. Et ce petit être, mi-homme, mi-animal, qui m’était apparu… de quoi était-il venu m’avertir ?
Quelle était donc cette destinée dont il m’avait parlé ? Était-ce pour cela que les étoiles me fascinaient tellement ? Détenaient-elles un message qu’elles essayaient de me transmettre ? Où était-ce effectivement mon imagination débordante qui me jouait ce genre de tours ?
Les mois et les années passèrent et mes rêves furent rapidement éclipsés par des considérations bien différentes…
Les filles n’étaient encore pour moi que des chipies, justes bonnes à se mêler des affaires des garçons sans rien y comprendre. Je commençais, cependant, sans vraiment m’en rendre compte, à m’intéresser d’un œil distrait à ce que ces dernières pouvaient bien trouver d’utile à jacasser à longueur de journée. Et pourquoi étaient-elles si nombreuses ?
Je n’osais demander d’explication à personne. Qu’avais-je à en faire, moi, un garçon ? Je tentai donc de découvrir, par moi-même, les structures complexes de la psychologie féminine. Ce fut une tâche qui ne manqua pas de provoquer des situations pour le moins cocasses. De nouvelles pulsions, ancrées au plus profond de mon subconscient, me poussèrent à entrer en contact avec ces créatures étranges.
Ce fut le temps des premiers amours, parfois partagés, mais toujours secrets. J’eus l’impression d’avoir trouvé quelque chose de plus exaltant que tout ce que j’avais vécu auparavant. Beaucoup d’illusions vinrent assouvir cette soif d’émotions qui s’éveillait en moi. J’imaginais un monde idyllique où je jouerais le rôle de mon père et où ma mère serait remplacée par celle qui bénéficierait, à ce moment-là, des faveurs secrètes de mes élans maladroits.
Les arrivées de nouveaux frères et sœurs, de même que les départs du ou de la plus aînée d’entre nous, à l’âge de douze ans, se succédèrent. Ces événements étaient devenus normaux à nos yeux. Il était donc tout aussi normal de ne pas aborder ce genre de sujet… Tout comme personne n’osait demander à notre père où il s’en allait ni quand il reviendrait.
Ce lent cheminement des choses fit que rien ne me tracassa lorsque je devins, à mon tour, l’aîné de la famille. La routine journalière, combinée à mon isolement progressif, camouflait parfaitement ce qui allait bientôt m’arriver…
Ton écriture est belle est fluide. On reste dans le déroulement de la vie de notre héro, son évolution. Cela donne un côté autobiographique à ce début, qui permet de s'attacher au personnage. On ressent dans ce chapitre que quelque chose va se passer.