Une chaleur tenace faisait onduler l’horizon. Un rayon de lumière se glissa à travers les persiennes du cabanon d’ouvriers, vide en cette fin de journée d’été. À l’exception d’Acelin qui sommeillait encore à poings fermés dans un hamac de fortune, bercé par le chant lancinant des grillons.
Le soleil prolongeait sa course avec une lenteur calculée, son reflet s’étirait avec douceur sur le mur de la grande chambre communautaire. Abri champêtre qui réunissait en période d’activité une foultitude de saisonniers, attiré par les travaux du canal ou les récoltes avoisinantes.
Il illumina ensuite le pied du dormeur qui dépassait du hamac, et poursuivit sur son corps élancé.
Le jeune homme de petite noblesse sortait d’une adolescence confortable. Doté d’un visage mince aux traits fins, il possédait des yeux couleur noisette animés d’une perpétuelle curiosité. Sa place de cadet ne l’avait jamais motivé à s’exprimer en toute liberté. Aussi, il écoutait plus qu’il ne parlait. On pouvait deviner à son sourire naissant au coin des lèvres au moment où son oreille vagabondait qu’il évoluait bien loin des esprits conformistes liés aux personnes de son rang. Sa constitution n’incarnait en rien celle du noble dominant qui en imposait, ou du chevalier féru à manier les armes avec habilité, comme s’appliquer à le faire tous les écuyers de son âge quand aucun regard ne pouvait les surprendre.
C’est cette place d’éternel second qui rendit bien vite son existence exiguë. La raison provenait d’un choix familial clair et sans appel, car être cadet incluait aussi des contraintes. Une fois son trivium en poche, seule condition exigée par les moines, il fut envoyé dans un monastère le plus éloigné du domaine parental.
Le rayon parvint enfin sur son visage, plongeant ses paupières dans une ambiance écarlate, qui l’obligea à ouvrir les yeux de manière imparable. Acelin avait choisi l’endroit, précisément pour s’éveiller non pas à l’aurore, mais au coucher.
Ensuite, comme à son habitude, il imita le chat, s'étira, tout en laissant échapper un long soupir de satisfaction. Il profitait ainsi du moment présent, puis il passa une main sur son crâne, pour constater au toucher, si sa chevelure continuait de pousser.
Après la tonte stricte appliquée aux religieux, qui le désignait tel un fuyard à présent qu’il ne portait plus la robe, il préférait se tenir à l’écart. Le temps de masquer sa perte de pilosité, et d’éviter le regard accusateur de l’ensemble de la population, qui pouvait soupçonner dans cette désertion l’influence d’une nature perverse.
Les monastères représentaient en ces temps incertains, pour bon nombre d’âmes démunies des lieux providentiels, dont le désir et l’envie d’y appartenir se cristallisaient dans deux raisons bien définies. La première résultait d’une évidence simple, on y mourait moins vite qu’à l’extérieur, la seconde, que les journées incluaient deux repas au quotidien.
Malgré son jeune âge, Acelin se doutait bien qu’il se cachait un revers à ce tableau idyllique.
C’est ce revers justement qui lui posa problème, comme devoir se lever avant l’aube pour travailler telle une bête de somme et ne s’arrêtait que pour prier. Sans oublier de parler le moins possible pour éviter les coups de fouet, et prendre soin de décliner le soutien moral de tout un tas de moines qui cherchaient l’âme sœur chez les novices fraîchement arrivés.
Prison contraignante aux barreaux sacerdotaux bien trop épais pour un jeune homme en quête d’aventures et de liberté.
Un jour pourtant, la monotonie fut rompue.
On lui ordonna d’accompagner le cellérier en ville, afin d’effectuer des achats de première nécessité. Opportunité aussi fréquente que les béatifications dont il se saisit pour s’émanciper de ce joug monastique. Une fois hors des murs, il faussa compagnie au frère, et en profita pour se débarrasser de sa robe de bure avec la volonté d’embrasser une existence profane.
Une vie nouvelle s’offrait à lui qui ne possédait rien, si ce n’est sa jeunesse et sa soif de découverte.
Depuis, il ne sortait que le soir tombé, telle une ombre pour chaparder les œufs dans les poulaillers des fermes isolées, ou les fruits dans les vergers. Tout en continuant d’agrandir la distance entre lui et le monastère, mû par la ferme intention de changer de duché.
Une nuit de pleine lune, il éveilla par inadvertance les chiens de garde de la propriété qu’il visitait.
Il n’avait jamais entretenu de rapports amicaux avec les cousins des Canis Lupus. Il savait par expérience qu’il lui valait mieux s’activer, avant qu’ils ne parviennent à se libérer, aussi il prit la fuite droit devant. Il s’engouffra dans un champ de maïs aux pieds d’une taille honorable pour disparaître au plus vite.
Son instinct de conservation, réglé sur le volume sonore des aboiements, lui indiqua devoir encore courir à l’intérieur de ce dernier. Il cavala donc la tête baissée sans visibilité. Le jeune vagabond mobilisa pour cet exercice, tout son courage qui se manifesta dans ce moment d’héroïsme pur, indéfectible.
L’inconvénient quand on entend des chiens hurler derrière soi, c’est que l’on néglige souvent, ce qu’il se passe devant soi. La révélation de cet aspect méconnu de la fuite en avant lui apparut à l’instant du choc frontal, s’avérer tout aussi douloureuse que la fuite elle-même.
Il avait rebondi sur quelque chose de dur, qui à l’évidence, courait à un rythme identique, au sens opposé, avant de se retrouver projeté à terre sur son séant. Atterrissage violent qui lui fit réaliser que les cultures céréalières en période de pleine lune étaient plus fréquentées qu’il ne l’aurait imaginé.
Sonné par l’impact, il mit un instant à reprendre ses esprits, et porta une main sur son crâne tout en cherchant du regard la raison de cette révélation. Il découvrit à sa grande surprise, une fille qui semblait du même âge que lui, assise sur le sol, elle exécutait un geste similaire, en se massant la tête.
Il s’indigna.
— Mais y a pas idée de se défouler de cette manière dans les champs en plein milieu de la nuit !
Réflexion tout à fait rhétorique pour une personne qui pratiquait la discipline.
Une fois sa vision binoculaire retrouvée, il put constater qu’elle n’était vêtue que d’une simple chemise blanche qui lui tombait sur ses genoux.
Elle le dévisagea avec beaucoup d’intérêt, ce qui le mit rapidement mal à l’aise.
Il poursuivit en baissant d’un ton, de manière un peu tardive s’il pouvait en juger au raffut des molosses encore enchaînés.
— Vous cherchez à soigner vos insomnies, c’est imprudent, essayez plutôt les médecines douces.
Elle se leva en même temps que lui, et continua de l’observer avec insistance avant de découvrir la poule sur le sol. Fruit de son larcin échappé durant la collision.
— Elle est morte !
S’exclama-t-elle avec émotion, s’imaginant responsable et s’enquit d'un air alarmé.
— Est-ce moi qui l’ai tuée ?
Il dissipa ses craintes.
— Quelle drôle d’idée ne pensez-vous pas que me fracasser le crâne suffi déjà bien assez ?
Elle parut d’un coup soulagée, le jeune homme tint cependant à lui préciser.
— Il s’agit juste de mon repas que j’ai négocié avec âpreté à ses gardiens, et je vous prierai avec amabilité de ne pas aller le répéter.
Elle acquiesça de la tête et continua.
— Vous allez la manger ?
Il lui sourit et se toucha la jolie bosse qui venait de naître sur le sommet de son front, et confirma avec une pointe d’ironie.
— Oui, bien sûr, sinon, en temps ordinaire j’évite de me promener avec des poules mortes, et la prochaine fois, j’éviterai aussi les champs de maïs.
Elle parut très attirée par son futur souper après qu’il lui eut dévoilé ses intentions, en outre, même si elle ne semblait pas souffrir de la faim, il consentit à le partager.
— Si vous n’avez plus dans l’idée de m’assommer, vous pouvez m’accompagner, il y en a assez pour deux.
Elle accepta d’un bref signe de la tête, le regard chargé de curiosité. Son visage possédait une parfaite symétrie, réalisa-t-il, des traits harmonieux, d’une grande beauté.
— J’ai établi mon camp dans la clairière à l’intérieur de ce bois, je me nomme Acelin et vous ?
Elle sembla réfléchir un instant, puis finit par révéler le sien, qui lui parut hasardeux.
— Lola… Je m’appelle Lola.
— Enchanté Lola, partons si vous voulez bien, cet endroit s’avère plus fréquenté que je ne l’aurais imaginé, et je n’ai pas non plus l’intention de partager ma poule avec tous les mauvais dormeurs.
Sans le quitter des yeux, elle opina du chef, et se dirigea en sa compagnie en direction de la clairière.
Dans un premier temps, je voulais te dire que la couverture de ton histoire a tout de suite attiré mon regard. Je la trouve magnifique, c'est une ambiance très spécifique que j'apprécie beaucoup. Bravo pour cette première immersion inquiétante et fascinante à la Tim Burton (ça me rappelle aussi beaucoup le jeu vidéo Don't Starve) !
Ensuite, j'ai adoré premier chapitre ! C'est très fluide à lire. J'aime la légèreté du ton employé, l'humour et le personnage principal avec sa grande soif de liberté. Tu as réussi à me mettre rapidement dans l'atmosphère de ton récit, et j'ai hâte de lire la suite.
Petite question d'orthographe : "Une fois hors des murs, il faussa compagnie au frère". Tu parlais d'un frère au singulier ? J'imagine plutôt "aux frères" à la place, pour évoquer son départ du Monastère, mais peut-être que je me trompe sur la signification de cette phrase.
Je te remercie pour les compliments et oui tu as bien cerné le sujet et le personnage. Je voulais écrire quelques chose de léger, sur le ton de la comédie, mais sans trop en faire, juste pour partager un moment de détente.
Les influences, oula il y en a en nombre, et des fois inattendues faut l'avouer, je vais te laisser les identifier au fur et à mesure, tu verras c'est marrant.
J'ai démarré l'arc narratif en le faisant quitté le monastère, pour qu'on profite bien de son évolution et de son cheminement, qui va le guider irrémédiablement vers ce fameux manoir de la Salamandre, mais je ne t'en dis pas plus....
Non c'est bien au singulier, il est envoyé seul avec le Cellerier, qui est un frère qui s'occupe de l'intendance des monastères, en dehors des murs, et donc il en profite pour lui fausser compagnie, au singulier, aucun souci t'inquiète.
Je te laisse poursuivre les pérégrinations de notre jeune ami, et ses nombreuses mésaventures, et je te souhaite une bonne lecture.
Les personnages ont le sens de l’a propos, en particulier la poule morte. Ce qu’elle manque en terme de vivacité d’esprit, elle le compense par une franche camaraderie.
J'espère que la suite te plaira
Pour ce qui est de la Mort, non non il s'agit bien de la confiture de Labiche qui fait son oeuvre, et qui lui permet par la même occasion de le voir ainsi que tous les troubles visuels qu'il subit.
En tout cas ça fait plaisir que tu apprécies, et je te remercies pour tes critiques constructives, et j'espère que la suite te distraira tout autant.
oui, j'ai l'intention de continnuer.
La première résultait d’une évidence simple, on y mourait moins vite qu’à l’extérieur, la seconde, que les journées incluaient deux repas au quotidien... ma question était explique pourquoi on meurt vite par rapport à l'exterieur
Ah c'est de ça dont tu me parlais de la mort à l'extérieur qui te tracassait, je vois l'idée.
J'apprécie ton style d'écriture et tu nous plonges plutôt vite dans cet univers qui est le tien.
Toutefois, tu as un peu de mal avec la concordance des temps: tu changes de temps un peu trop à mon gout. Il faut que tu te décides à utiliser le passé simple ou l'imparfait (sauf cas exceptionnel bien sûr).
Quelques exemples :
" Il illumina ensuite le pied du dormeur qui dépassait du hamac, et poursuivait sur son corps élancé. " : Il illumina ensuite le pied du dormeur qui dépassait du hamac, et poursuivit sur son corps élancé.
A toi de voir sur les autres phrases ;)
Tu as aussi quelques tournures un peu lourdes comme :
" Elle se mit à osciller de la tête de manière positive, et se dirigea en sa compagnie en direction de la clairière. " -- > Elle hocha de la tête, et se dirigea en sa compagnie en direction de la clairière.
Si tu le souhaites je peux te noter toutes les phrases où il faut que tu choisisses un temps, ce n'est pas un problème pour moi ^^
Ne prends pas mal ces remarques, tout le monde commence bien quelque part et ton début est prometteur !
Bonne continuation à toi
Oui je suis d'accord aussi, certaines tournures sont un peu plates. Je l'ai constaté en me relisant, Le manoir de la Salamandre est mon premier manuscrit que j'ai exhumé d'un vieux tiroir parce qu'on est toujours attaché à sa première histoire, et je constate que mon écriture à changé, ce qui est plutôt bon signe, et que certaines phrases pourraient être réécrites, pour donner un peu plus de caché à l'ensemble.
Peut être même faire de Lola un prologue, à voir. En tout cas je te remercie, c'est très aimable à toi de t'y être penché, je vais tout de même essayer tout seul de me corriger, ça sera un très bon exercice.