Le feu de camp d’allure très modeste se composait d’un foyer cerclé de pierres, pour y cuire ses prises de guerre et d’un confortable matelas de fleurs sauvages. Un nid de braises y somnolait encore à leur arrivée, qu’il s’empressa de raviver pour y faire naître une belle flambée.
Lola s’installa sans rien dire sur le tapis champêtre, ramena ses jambes contre sa poitrine, pour les entourer de ses bras. Sa chevelure ordonnée dans un chignon bien réalisé mettait en valeur sa nuque élégante, elle observait tous ses gestes en détail avec une curiosité non feinte.
Acelin lui raconta ses aventures pour alimenter la conversation tout en préparant la poule à se faire embrocher, ce qui semblait la captiver davantage que ses histoires.
Elle le questionna tout de même sur certains détails, des précisions qu’il jugeait pour sa part sans grand intérêt dans ses récits.
Cette fille paraissait décalée, comprit-il.
La volaille, une fois cuite, fut découpée, il lui tendit une cuisse, traversée par un pic de bois.
Elle s’en saisit avec maladresse, intriguée par le résultat, approcha la viande fumante de son nez pour en apprécier les effluves. Elle afficha ensuite une mine surprise, plutôt satisfaite, puis elle se mit à la mâchouiller avant de lui demander pourquoi on ne mangeait pas les plumes.
La nature est parfois joueuse, se dit-il, et pouvait tout aussi bien être cruelle comme les enfants peuvent l’être. De la même manière qu’incarner une personne avec autant d’avantages esthétiques dépourvue de tout intellect. La consanguinité occasionnait des ravages dans la noblesse. Lola devait appartenir à l’une d’entre elles, et, pour exister un peu, s’échapper la nuit afin de découvrir le monde, et rester la journée tenue par les siens, au silence des portes fermées.
Acelin ne pouvait cependant s’empêcher de la trouvait rayonnante, solaire, ses yeux curieux, son sourire malicieux l’habillaient d’un charme surnaturel, se surprit il a pensé. Lui, jeune et séductible, ne put se retenir d’imaginer un avenir hypothétique en sa compagnie, avant de soupirer. Dans sa situation de novice défroqué, prétendre partager un futur avec qui que ce soit demeurait illusoire.
Évidence qui donna au goût de sa poule une certaine amertume.
Pourtant, cette nuit-là, quelqu’un ou quelque chose avait décidé de satisfaire ses désirs les plus fous, auxquels même lui n’aurait pas songé.
Dans le courant de la conversation, il aborda le sujet de son unique conquête amoureuse, qui n’en était pas tout à fait une. La baronne qui s’en était chargée était réputée pour son altruisme à montrer aux jeunes garçons qu’ils pouvaient la ravir en s’exprimant à ce sujet.
Le regard de Lola s’anima d’un surplus d’intérêt.
Elle parut tout d’un coup captivée par ce passage, jeta le reste de sa cuisse, et le questionna de manière insistante, voire intime, sur cette partie de l’histoire.
— Vous avez échangé des rapports avec elle, pourriez-vous m’en parler plus en détail ?
Ce qui lui fit regretter aussitôt d’être venu sur ce terrain. Jouer le faux blasé quand on est un vrai timide peut se révéler une très mauvaise idée, et, après une hésitation de circonstance, il finit par lâcher d’un ton de moins en moins assuré.
— Heu pardon, mais c’est délicat et plutôt personnel, et peu respectueux envers la femme avec qui je les ai partagés. Conclut-il tout en sachant n’être qu’un parmi de très nombreux amants qu’elle avait invités à en faire autant.
Elle sembla réfléchir à toute allure.
— Je souhaiterais dans ce cas que vous m’aidiez à découvrir ce genre de…
Elle s’arrêta pour chercher le bon terme.
— Relations, si vous ne voulez pas en parler, peut-être pourrions-nous les pratiquer ?
La proposition le laissa sans voix, il se figea sans trouver de réponse adéquate.
Le jeune vagabond se révélait dépourvu de tout vice, comme prendre plaisir à profiter de la faiblesse d’autrui pour combler ses désirs personnels. Il chassa cette idée, même si, dans le cas présent, il réalisait que le physique de Lola aurait pu damner n’importe quel Saint, pour satisfaire sa demande.
Il s’imaginait encore pouvoir décliner l’invitation, mais sans attendre, elle se leva. Elle libéra sa chevelure brillante d’un noir d’ébène, qui tomba en cascade jusqu’en bas de ses reins, et ôta son unique habit, pour se présenter nue devant lui. Son corps à l’équilibre parfait, tout comme son visage, tenait de la perfection.
Il en resta la bouche entrouverte, échappa sa cuisse de poulet qu’il laissa choir sur le sol sans même s’en rendre compte, tout juste capable de lâcher un.
— Aargl !
Qu’elle interpréta pour un oui avant de se jeter sur lui, en tentant de le rassurer.
— Je vous promets de cesser de vous ennuyer par la suite, mais agissez comme avec la dame s’il vous plaît !
Lola le plaqua à terre, Acelin mit un court instant avant de retrouver ses esprits, cela lui paraissait inespéré et finit par céder. Il la retourna sur le tapis de fleurs, puis se déshabilla aussi vite qu’une truite sort de l’eau pour attraper un insecte en vol, et ils firent l’amour.
Enfin, c’est ce qu’il s’imagine qu’il s’est déroulé, ses souvenirs à ce sujet devinrent aussitôt très confus.
Des symptômes inattendus l’assaillirent, qui resteront pour lui longtemps sans explication. Sa vue se brouilla, ses sens le lâchèrent, le tout couvert par le rire cristallin de Lola, son minois, puis des images.
Un défilé de scènes sans relation les unes aux autres se succédèrent de manière anarchique et déstabilisante, entrecoupée du visage de la jeune fille, avec ses deux grands yeux posés sur lui qui semblait fouiller l’intérieur de son âme.
Les visions qui s’en suivirent plongèrent son mental dans un profond état de chaos, se voyant tantôt pénétrer dans une église, avec une peur panique qui lui compressait la poitrine. Il hurlait quelque chose à la foule agglutinée qui remplissait la nef des deux côtés, et à l’instant où leurs têtes se tournèrent dans sa direction, il découvrit qu’elles affichaient la même apparence, la sienne.
Puis tout s’effaça, il glissait à nouveau dans la spirale qui s’était formée au fond du regard de Lola, pour atterrir dans la boue, au milieu d’un bois sous un orage déchaîné. Le bruit de l’averse assommait la scène, il aperçut avec difficulté, très loin devant lui, une lumière vacillante comme seul espoir dans la nuit glacée.
Sa vision fut interrompue avec brutalité par la foudre, qui vint s’écraser à ses pieds pour le propulser cette fois dans une salle d’armes mal éclairée aux forts relents de graisse et de métal.
Un géant lui faisait face.
Il affichait un sourire malsain et le saisit en poids pour le projeter dans un souterrain obscur qu’il referma derrière lui, avant que ce dernier n’ait eu le temps de réagir.
Là encore, son cœur se serra d’angoisse, son estomac se noua.
Il ouvrit la bouche afin de sortir un son, et réalisa affoler, qu’il manquait juste d’air pour articuler quoi que ce soit. Ce qui déclencha un soubresaut anarchique dans sa poitrine qui lui signifiait que tout cela n’était pas terminé.
À peine sa mâchoire refermée, il intégra le centre d’une mêlée infernale, il tenait un bouclier au-dessus de sa tête pour se protéger des coups qui pleuvaient de toutes parts. Il grimaçait le corps tendu à l’extrême pour parer la violence des assauts. La position semblait désespérée et au moment où il se tourna pour parler, tout s’effaça à nouveau.
Il se retrouvait à présent seul, dans une vaste salle, plongée dans la semi-obscurité. Une vision démente lui faisait face, il apercevait la voûte céleste à travers une trappe qui se situait à ses pieds, ce qui propagea chez lui une étrange sensation de vertige.
C’est l’instant d’après qu’il entendit la mélodie.
Un air de flûte.
Il ressentit l’onde des notes qui passaient à travers son corps.
Elles l’apaisèrent et, quand il ouvrit les yeux à nouveau, il se retrouva assis devant Lola qui jouait et continuait de l’observer de manière insistante, comme pour lui signifier qu’il devait l’accompagner.
Il se concentra sur le morceau et prit à son tour un instrument pour le répéter à l’unisson avec elle.
La mélodie l’envahit d’un tourbillon de bien-être qui le détendit, note après note pour le plonger dans un véritable sommeil.
J’adore la manière dont l’ambiance bascule du feu de camp tranquille à cette succession de visions surréalistes. Le contraste est bien maîtrisé !
Lola est intrigante et je pense qu'elle est bien plus qu'une noble simple d'esprit, comme le pense le héros.
Ces visons cauchemardesques laissent penser qu'il s'agit de souvenirs enfouis d'Ancelin, comme s'il s'agissait de la conséquence de sa soif de liberté. Il s'agit peut-être d'un aperçu du danger qui l'attend par la suite...En tout cas, j'ai hâte de lire les autres chapitres !
Et la suite je n'en doute pas, va aussi te surprendre, bonne lecture et merci à toi pour tes encouragements, ça fait plaiz'!
Je continue donc pour en savoir plus!
"Elle le questionna tout de même sur certains détails, des précisions qu’il jugeait pour sa part sans grand intérêt dans ses récits." peut etre donner un exemple pour mieux comprendre la psychologie de lola.
"Lola devait appartenir à l’une d’entre elles, et, pour exister un peu, s’échapper la nuit afin de découvrir le monde, et rester la journée tenue par les siens, au silence des portes fermées." Je ne sais pas si c'est Acelin qui le pense ou l'auteur dévoile sur le passée de Lola... Tu devrais le mettre au claire.
Sinon le reste est tres bien fait. Jaime ca confusion et les images qui succédèrent après l'acte.
C'est pour éviter de noter la recette du poulet prêt à être embroché ce qui n'apporterait rien de plus au récit.
Tu as une incise au début du paragraphe....La nature est parfois joueuse, se dit-il, qui le souligne, en mettre plus alourdirait le texte inutilement.
Et pour ce qui est du côté d'écalé, on le comprend quand elle lui demande pourquoi on ne mange pas les plumes, je pense aussi que c'est suffisant pour souligner ce point de vue.
La suite d'image n'a rien d'anodine, je l'ai placé au début, le lecteur l'oubliera dans un premier temps pour s'en souvenir plus tard.
Tes remarques me font plaisirs, je suis heureux que tu poursuives la lecture, et je reste à l'écoute pour toutes tes questions qui pour te chatouiller.
Je reviens vers toi pour observer ton évolution !
Il y a toujours une incohérence dans tes temps mais je trouve ce chapitre un peu mieux écrit et surtout moins lourd au niveau du vocabulaire. Parfois les choses simples sont les meilleures ^^
Keep going !