Chapitre Quatre

Par Adamska
Notes de l’auteur : Merci pour votre lecture !! ♥ Désolée pour la fin !

Une autre qui aime bien me faire le coup de la malbouffe, c'est ma Kirsten. Elle vient de se ramener avec deux sandwichs achetés à la meilleure boulangerie au monde - mais je ne citerai pas de nom ici pour éviter une guerre civile. J'ai piqué les clés à Eliott, comme ça, on peut manger tranquillement au café, et surtout, au chaud.

Bien sûr, elle n'attend pas que j'ai troqué ma tenue de travail contre des vêtements plus confortables pour engouffrer la moitié de son repas dans sa bouche - bon, bien sûr que c'est impossible, mais à sa manière de faire, c'est ainsi que je le visualise.

Et oui, même comme ça, je l'aime.

"Tchu vfa me racfontfter ?"

C'est vrai que je l'ai appelée hier, juste au départ de Will, pour tout lui raconter - mais elle était en rendez-vous, et n'a pas pu m'écouter. Et le soir, elle m'a proposé de manger ensemble le lendemain pour que je lui raconte tout en détails, vu qu'elle partait au cinéma avec son chéri.

Du coup, nous voici au jour J, avec une belle blonde affamée, et pas que de nourriture.

Ouais, bon, maintenant, comment aborder le sujet ? Alors oui, au fait, il vend son cul huahaha. Non...

"Il a cru que je voulais coucher avec lui," je maugrée, un peu mal à l'aise à ce souvenir - c'est encore trop frais pour en parler avec le sourire. Et cette pétasse qui se met à pouffer - elle galère à finir ce qu'elle a dans la bouche. Bien fait.

"T'es sérieux ? Comment t'as fait ton compte ?"

"J'ai parlé de se réchauffer... non, mais en fait, c'est- euh... un prostitué."

Elle me fixe sans comprendre. Ah ouais, dit comme ça, ça fait vraiment bizarre. Même moi, je suis en train de me poser des questions sur la véracité de ma relation avec le blondinet. Pourtant, ça existe, et ces derniers ont des amis, des familles... mais ça rend la situation curieuse quand même.

"Je savais bien que t'avais payé."

"Il pensait que je le connaissais de ça, justement." Oh, la honte. "Mais non. Du coup, j'ai encore moins d'idée d'où j'ai pu le croiser."

"Et la suite de ton histoire ?"

Là, elle a laissé son sandwich en suspend.

"Bah, on se reverra."

"Alors que t'as pas l'intention de coucher avec, au final ? C'est qu'il doit bien t'aimer."

A vrai dire, il ne comptait pas me faire payer, selon ses dires. Mais ça, je n'ose même pas lui avouer. Parce qu'elle en tirerait des conclusions foireuses qui ne seront là que pour me mettre mal à l'aise - et j'avoue que, rien que d'y penser... en vrai, ça me touche quand même un petit peu. Putain, c'est tellement tordu dans ce contexte.

"On rigole bien," je me justifie en haussant les épaules.

"Tu fais une tête, mon Lulu... et tu as son numéro ?" Je secoue négativement la tête, lui expliquant qu'il n'a plus de téléphone personnel pour le moment, uniquement le pro. "Il veut que votre relation soit spécifique à ce point ?"

"Je pense que ça l'amuse de se pointer à mon travail."

"Quand même... je crois que tu lui as tapé dans l’œil dès le départ. Si tu étais un ancien client, il serait resté dans un contexte professionnel, j'imagine. Ou alors il perd pied avec la réalité."

"On s'en fiche," je grogne.

"Pas moi. Ni toi, d'ailleurs."

C'est sûr que je me suis un peu attaché à lui. Là, je ne me sens pas vraiment de lui reparler de cet incident - comment il a pu penser ça, en plus... ? C'est vrai que je l'ai invité chez moi par deux fois - même si la première, on a fini à son appart. Mais là, l'ambiance n'avait rien de "est-ce qu'on baise ?", alors qu'est-ce qui a changé entre temps ? Une simple phrase ?

J'ai un soupir. Voilà qu'elle me fait m'astiquer le cerveau pour - potentiellement - pas grand chose.

"Je verrai bien, il m'a dit qu'il repasserait cette semaine."

"Fais quand même attention. Qu'il n'essaie pas de faire de toi un client potentiel, mh ?" C'est sûr. Mais est-ce qu'il se donnerait tout ce mal, en sachant que j'ai refusé de coucher avec lui, et ce, même gratuitement ? "Parce que t'es déjà pas mal en train de tomber accro à sa bouille, je crois."

J'peux pas dire qu'elle a tord, même si ça me fait chier de l'admettre. Parce que je me rends bien compte que j'ai hâte de le revoir, malgré le moment gênant, malgré le fait que je ne connaisse pas ses véritables intentions, malgré qu'il refuse de me donner son numéro de téléphone - même si pro, en attendant.

Après, c'est sûr que si ses appels et messages sont surveillés par son mac - j'imagine qu'il... qu'il en a un. Oh, rien qu'à cette pensée, je sens mon cœur se serrer. Qu'il se prostitue, c'est une chose. Mais que quelqu'un, derrière, se serve de lui - non. Je ne devrais même pas y penser. Peut-être que ce n'est pas le cas. Qu'il arrondit ses fins de mois en se trouvant ses propres clients - je ne sais pas comment fonctionne ce monde.

"Si tu manges pas ton sandwich-"

Ah, oui.

"Pas touche," je grogne, déballant mon repas. Que c'est agréable de pouvoir se remplir l'estomac. Non pas que je ne pense qu'à la bouffe, mais quand j'ai faim, ben... faut que je mange. Logique.

Par contre, une chose est sûre, c'est que j'ai encore plus envie de le revoir maintenant. Pour en découvrir un peu plus sur lui...

"Tu voudras passer manger à la maison avec Alex, un de ces quatre ?"

Ah, Alex et Kir, c'est une grande histoire d'amour. Kirsten, c'est un peu comme sa grande sœur, et bien sûr, c'est sa préférée - moi je suis le relou, l'emmerdeur, celui avec lequel elle se dispute. Elle, c'est sa déesse, son modèle, sa bien aimée. Et le pire, c'est que cette peste adore Julian.

"Carrément," j'ironise, avant de lui sourire. "Qu'est-ce que je ne ferais pas pour passer du temps avec ma belle Kirsten ?"

"Supporter mon mec ?"

"Hé, je m'en sors plutôt bien, tu trouves pas ?"

"Admirable. Ça prouve que, à vingt-quatre ans, tu es enfin un grand garçon." Je lui tire la langue. "Enfin... visiblement pas, en fait."

"J't'emmerde. T'as jusqu'à quelle heure ?"

"En vrai, j'ai tellement de boulot que je m'éclipse dès que j'ai fini. Mais il fallait que je sorte du bureau, j'en pouvais plus."

"T'as pris du retard ?"

"La mode des arrêts maladie. C'est la vie, écoute."

J'acquiesce, compatissant. Je n'ose pas imaginer si Krista se mettait en arrêt maladie - déjà que quand elle n'est pas là, Eliott m'aide à faire le service en laissant Franck gérer les commandes, alors si c'était du constant... la clientèle aurait le temps de se décomposer sur place avant d'être servie. Mais bon, pour l'instant, il n'a pas les moyens d'embaucher un autre mi-temps.

Puis, trop rapidement, elle finit son repas - ça m'attriste un peu qu'elle parte tout de suite.

"Courage, ma belle."

"Merci. Grâce à toi, je vais tout finir à temps."

Elle ramasse son emballage, se penchant pour me déposer un bref baiser sur la joue - comment voulez-vous que je ne sois pas amoureux ? Elle fait tout pour.

Elle me salue, m'abandonnant avec mon repas, que je termine en flemmardant sur mon téléphone. J'ai le temps d'aller m'entraîner un peu au basket, en attendant la reprise du boulot. La prochaine fois, je proposerai à Eliott de m'accompagner - il est pas mauvais, en plus de ça.

Mais aujourd'hui, ça sera avec ceux qu'il y aura. Je range mes affaires, partant me changer, pour fermer le café, et direction la maison pour prendre le nécessaire pour me bouger.


 


 


 


 


 

Aujourd'hui, je ne m'attendais pas vraiment à tomber sur ma sœur en rentrant chez moi. Comme il y a quelques jours, William est venu au moment de ma pause déjeuner, s'autorisant à pénétrer dans le café - et au moment de riposter un "c'est fermé !", j'ai affiché un sourire mh.. un peu trop souriant. Ça n'a pas manqué à Eliott, qui s'est abstenu de commentaire, mais m'a lancé un regard débordant de significations - que j'ai soigneusement ignoré.

Alors j'ai embarqué le blondinet - ou plutôt, on a utilisé sa voiture parce que je n'avais pris qu'un seul casque. Il n'a pas trop retenu où j'habite, mais le chemin n'est pas des plus simples non plus.

Puis j'ai mis la clé dans la porte, me rendant compte que cette dernière était ouverte : j'ai réfléchi, j'ai essayé de retrouver le moment où je partais de la maison sans fermer... bah, ça peut arriver. Je me suis pas inquiété, j'ai poussé la porte et j'ai laissé mon invité me suivre.

Sauf qu'il y a Alex, en tailleur dans le canapé, en train de manger ses pâtes carbonara. Et si moi, je fais la grimace, ça ne paraît pas ébranler mon ami.

"Au moins, pas de quiproquo cette fois," il rigole, alors que cette cruche le regard sans comprendre. Puis elle me regarde moi, et fronce les sourcils.

"T'as trouvé quelqu'un qui voulait bien de toi ?" elle me demande, posant son assiette sur la table basse. Elle s'essuie sur son pantalon, avant de se lever pour aller saluer Will. "Alex," elle déclare solennellement, tendant sa main. J'ai un soupir.

"William. Enchanté de rencontrer une si charmante demoiselle," il minaude, la faisant rougir - et bim, dans ta gueule, sale garce !

"Doucement, quand même," je l'avertis. Oui, ce n'est pas parce qu'il gagne des points en l'embêtant qu'il a le droit de trop l'enquiquiner non plus. Je dois conserver mon rôle de grand-frère. Un petit peu. "Tu sèches les cours ?"

"J'ai fini à onze heures. Du coup j'ai fait ça," elle me dit, montrant son assiette. "Il devrait y en avoir assez pour ton ami et toi."

"Elle est pas trop adorable, comme petite sœur ?"

"T'as bien de la chance. Ca coûte cher à entretenir, ce genre de chose ?"

"Un bras. Et en plus, c'est chiant, ça râle, ça occupe les toilettes aux pires moments, on doit les défendre quand maman appelle pour se plaindre- n'est-ce pas ?"

"Quoi ?!"

"Au sujet de tes notes. Je lui ai demandé de te laisser une dernière chance, donc te rate pas, sinon c'est fini. Compris ?" Elle souffle. Saloperie. "On en reparle ce soir." Ah oui, parce que, bonjour l'appel en plein boulot de notre mère. Je me suis retrouvé à profiter d'une baisse de fréquentation pour vite la rappeler et arranger les choses pour ma petite sœur. "T'en as pas, toi ?"

"J'ai un grand frère. Liam," il maugrée, agacé. "Nos parents ont pas trouvé mieux pour mon prénom ensuite."

"Sérieux ?" J'ai un rire, gentiment moqueur. Il a une moue.

"En plus, ses potes ont décidé de le nommer Kiwi. Parce que Kiwilliam. Histoire d'empirer la situation."

"C'est une blague ?" Il me fait signe que non de la tête. "Ils sont un peu vaches, tes parents. D'ailleurs-"

Je m'interromps. J'ai tellement envie de lui poser des questions personnelles. Mais premièrement, je ne suis pas sûr que ça lui plaise - et deuxièmement, il y a la mini crotte qui nous regarde avec une certaine attention. Je dirais qu'il y a de la curiosité... et une part d'admiration ? C'est vrai que, à le regarder, il est beau. Vraiment beau. Mais je ne pensais pas que les blondinets étaient son style.

"Si t'as une question, pose-la."

Cramé. Bon, je me dis surtout qu'il doit avoir l'habitude.

"Ta famille... elle est au courant ?"

Là, il a un sourire un peu taquin. Il se doutait de ma question ?

"Non. Déjà que quand j'ai fait mon coming-out, j'ai cru que j'allais finir en morceaux, alors ça-"

"J'étais pas loin d'avoir vrai quand je disais que t'avais une meuf, sauf que c'est un mec."

J'ai une grimace. Attentive jusqu'au bout des oreilles pour suivre une conversation entre son frère et un mec trouvé dans un café, hein.

"Ah- non, ça n'a rien à voir," me défend Will, un peu surpris de la réaction de ma sœur.

"Oh." ... elle paraît... déçue ? Je fais une mine un peu agacée - genre pour lui dire silencieusement qu'elle est en train de me faire chier, parce qu'elle était pas censée rentrer maintenant, sinon on serait allés ailleurs. Bon, je sais pas si elle lit dans mes pensées pour décrypter tout ça, mais elle est assez réfléchie pour se douter que c'est ce à quoi je pense actuellement. "Vous vous connaissez depuis longtemps ?"

J'ai un soupir.

"Trois semaines, je pense," il lui répond, un peu hésitant. "Lukas, ça va ?"

"Ouais. Je me rends juste compte un peu plus chaque jour ce que c'est de devoir supporter un parasite à la maison," je râle, faussement énervé.

"Ah, tu veux que je vous laisse en tête à tête. Excuse-moi. Enfin- William, prend soin de mon grand frère, ok ? J'en ai besoin," elle lui dit, prenant son assiette. "Je vais finir dans ma chambre."

Docile. Mais pour le coup, elle a de quoi l'être. Et il me lance un regard... oh bordel, trop mignon.

"On pourrait aller dans la tienne," il me murmure à l'oreille, guettant que ma sœur soit suffisamment éloignée pour ne pas entendre - et je me sens rougir comme une pivoine. Il le fait exprès, l'enfoiré.

"Tu vas finir dehors, toi, par contre," je lui rétorque. Il se mord la lèvre, comme pour se retenir de rire.

"Hé, t'es pas très sympa aujourd'hui."

"Pardon," je m'excuse, moqueur. "En plus c'est toi qui dois me ramener au boulot, j'me sentirais bien bête de te faire partir."

Je conclus ma phrase en me levant, histoire d'aller chercher de quoi nous remplir la panse.

Un peu plus tard, Alex nous rejoint - je suis agréablement surpris de voir ma sœur et William s'entendre aussi bien, et ce, avec une grande aisance. Et c'est dans la voiture qu'il se décide enfin à faire ce que j'attendais depuis un moment déjà : il me donne son numéro de téléphone.

Je le sens hésitant.

"Y'a un souci ?" je l'interroge, alors qu'on est arrêtés sur le parking.

"On s'envoie juste un message pour se voir, rien de plus, ok ?"

"Ah..."

Ouais, il a peur que je le harcèle. Je suppose. En tout cas, c'est hyper blessant. Et il ne rate pas mon expression - ah, zut, que voulez-vous ! Quiconque vous sort une telle réplique, vous ne le prendrez pas avec le sourire.

"C'est juste que j'aime pas du tout le téléphone. Par contre, ça me dérange pas si tu me proposes tous les jours qu'on se voit," il me sourit. "Enfin, dans la mesure de mes disponibilités, mais on peut s'arranger."

J'ai du mal à ne pas lui rendre sa mimique. Bordel, il est juste terriblement craquant.

"Je vais devoir aller bosser," je m'excuse. "Mais je devrais être libre demain. Enfin, je vais voir si l'autre chieuse ne squatte pas la maison."

"T'as qu'à venir chez moi. On pourra faire ce qu'on veut," il me taquine, se penchant vers moi - je le repousse avec ma main.

"On va en rester là," je lui dis gentiment.

Bon, ça n'a pas l'air de le vexer, vu qu'il a un rire.

"C'est presque plaisant de se faire repousser, de temps en temps."

"Tu te sers de moi pour ça, alors ? Et si j'accepte ?"

Il fait mine de réfléchir.

"Oh... ça serait encore mieux."

"Will," je grogne.

"J'adore quand tu me râles dessus," il me rétorque. "Mais je vais en garder un peu pour plus tard."

"Idiot..." Il me fait un sourire - il en a combien en stock, des sourires aussi beaux ? "Bon, je passe chez toi demain pendant ma pause. On a une partie à continuer."

"Avec plaisir."

Trop craquant. Je le salue, avant de sortir de la voiture, un peu fébrile. Je retourne au café, essayant de reprendre un minimum contenance - hors de question de leur donner une raison de s'interroger davantage.

Mais au fond de moi, j'ai hâte d'être à demain.


 


 


 


 


 

Un peu intimidé, je tape à la porte. Je ne sais pas comment j'ai réussi à me rappeler le chemin, mais... ou alors je me suis juste trompé de résidence, et je suis en train de taper chez un inconnu.

J'entends des pas, et le déclic du verrou. C'est une mine endormie qui m'accueille, décrochant un bâillement en guise de bonjour.

"T'avais oublié que je venais ?" je lui demande. Il me fait signe que non de la tête.

"Excuse-moi," il marmonne. "J'me suis endormi sur le canapé..."

Il s'y dirige, pour ramasser la manette qu'il a laissé tomber par terre. Sérieux, il s'est endormi en jouant à la console ? J'ai un soupir, dépité.

"Si tu veux te reposer, on peut se voir plus tard."

"Non, non... j'ai eu une nuit assez courte, on va dire," il se justifie. "Je piquerai un somme quand tu partiras."

Une nuit assez courte ?

"Tu as... travaillé ?"

Bordel. Je sais qu'il a le droit de faire sa vie, que je ne le connais depuis même pas un mois, mais j'ai du mal à accepter qu'un mec comme lui se vende à d'autres. Mais ça ne me regarde en rien. ... enfin, c'est ce que j'essaie de me dire, parce que ça me déplaît vraiment.

Il semble surpris, avant que ses lèvres ne s'étirent dans un petit sourire.

"Même les gigolos ont le droit de s'amuser la nuit, tu sais ?" il me taquine, visiblement un peu plus réveillé - quand il s'agit de se foutre de moi... "Y'a pas grand monde qui accepte mon boulot."

"Ah- non, c'est pas ça," je bafouille, gêné. "Enfin... si. C'est juste que..."

"C'est normal, t'as pas à te justifier, Lukas. Au contraire, je suis heureux que, malgré ça, tu continues à accepter de me voir." Je me mords la lèvre. Arrête d'être aussi adorable, Will. C'est pas bon pour mon cœur. Il paraît un peu mal à l'aise de l'ambiance. "Désolé."

"Ton travail ne te représente pas," je lui dis doucement.

"T'essaie de me réconforter ?" il me sourit. "J'ai de la chance."

Il passe une main sur ma joue - il... il va m'embrasser ? Encore ? Bordel, j'ai le cœur qui palpite - rien qu'à penser qu'il - qu'il pourrait m'embrasser, là, maintenant. Avec son regard bleu, dans lequel j'arrive à me perdre avec une facilité déconcertante... non. J'interromps le contact en me reculant, mes joues trahissant probablement sans aucun souci ma gêne actuelle.

Sois pas idiot, Lukas.

"On va éviter," je rétorque, un peu agacé. Enfin, pas foncièrement agacé - c'est juste que je suis tellement embarrassé que ça me fait chier.

"Tellement mignon," il relève. "Tu t'attendais à ce que je t'embrasse ?"

"... crève."

"Pas de chance, je suis tenace !"

J'ai un rire. Quel idiot. Quel adorable idiot. Je ne me lasse pas de le regarder sourire - c'en est presque effrayant. D'un autre côté... est-ce qu'il est vraiment heureux ? Le monde de la prostitution n'est pas quelque chose de forcément beau, consentant et plaisant. C'est plutôt même l'inverse - mais serait-il capable de sourire de cette manière si c'était réellement le cas ?

Ou alors c'est un sacré acteur. Mais dans ce cas-là, il a une carrière toute fait.

Mais ai-je aussi le droit de m'obstiner à m'inquiéter pour lui ? Je le connais à peine... ah, bien sûr que j'ai le droit.

"On va manger ?" il me propose, me sortant de mes pensées.

"... ouais."

"... quoi, ça t'a démoralisé à ce point que je sois encore en vie ?"

"Apparemment," je maugrée, venant lui pincer gentiment la joue. Il me regarde, interloqué. Avant de me "pfff" au visage, et de partir vers la cuisine. Et voilà.

N'ayant pas envie de l'envahir plus que nécessaire, je vais dans le salon, où la télé est encore allumée. A l'écran s'affiche un "Vous êtes mort" dramatique - visiblement, sa sieste lui aura coûté la vie. Je relance la partie, me retrouvant dans un univers sombre. Un petit coup d’œil à la table pour constater de quel jeu il vient : un de ces jeux trop complexes, prises de tête, et flippants par la même occasion.

Ce type est barge.

Comment il a pu s'endormir en y jouant, au juste ?

J'ai un petit sourire, plutôt heureux d'en apprendre un peu plus sur mon nouvel ami. Et l'envie d'en découvrir davantage me motive à reposer la manette, et à rejoindre le garçon dans la cuisine. Il fait réchauffer le repas dans la poêle - du riz avec des légumes, et de l’œuf, il me semble.

"Je peux visiter ?"

"Mh, ouais. Juste- la pièce tout à gauche, c'est la chambre de Dave, donc si tu peux éviter d'y aller. S'il te plaît," il me sourit.

"Pas de souci."

Pas que je sois d'un naturel très fouineur, mais bon. Entre me prendre la raclée sur son jeu à la noix, et enquêter sur le quotidien de mon blondinet, je préfère choisir la seconde option.

Bon, première porte que j'ouvre, la salle de bain. Plutôt moderne, rangée, malgré un t-shirt qui traîne sur le tapis. Mais ça ne compte pas, c'est une pièce commune, donc les indices ne seront pas valables. On ferme, et on va ouvrir l'autre porte - et là, si je ne me suis pas planté, c'est la chambre de Will.

Et... ouais, c'est une chambre plutôt banale, pas super bien rangée, avec un paquet de gâteaux qui traîne sur le bureau, à côté de l'ordinateur en veille. Dali est installé sur le lit, en pleine sieste. Il y a quelques vieux posters sur les murs, des jeux vidéo comme on en fait plus. Ainsi que des photos. Je m'en approche, histoire de constater les visages dessus.

Peut-être que j'en reconnaîtrai ? C'est vrai que l'idée de le connaître m'est un peu passé par dessus la tête, en ce moment. Mais il n'y a rien pouvant m'éclairer sur une quelconque rencontre. Les photos de lui et ses amis ne le mettent pas forcément en valeur, d'ailleurs. Toujours ce même sourire, mais des cernes creusées à souhait, et un teint maladif. Le geek par excellence.

Il doit y avoir une photo avec sa famille, si j'en constate les têtes blondes de la mère et du frère. Le père, lui, est bien brun. Il est encore en contact avec eux ?

Je continue à fureter - mais je ne trouve rien de plus d'intéressant. En tout cas, pas qui puisse m'être accessible - et non, je ne vais pas commencer à fouiller sa chambre pour découvrir quelques secrets. Déjà, ça me confirme que c'est un accro de la console. Ca me fait rire, en vérité. Avec sa gueule d'ange, on ne croirait pas qu'il se prostitue et passe ses nuits à jouer. Ne vous fiez pas aux apparences...

Je retourne dans le salon, alors qu'il semble avoir fini de réchauffer notre repas.

"Alors ?" il me demande, me tendant mon assiette. "Des souvenirs qui sont revenus ?"

Ah... dire que, de base, je n'étais pas allé enquêter pour ça. Plus par curiosité d'en apprendre un peu plus sur le blond.

"A vrai dire, à part ton passif de geek, y'a rien à voir."

"Hé," il proteste.

"Non... j'étais juste curieux de voir ta chambre. Quant au fait de te connaître, Will..."

Je n'en suis plus si sûr, à présent.

Mais je n'ose pas lui dire. Comment pourrait-il réagir ? Après tout, c'est ce qui m'a valu de lui parler, et de ce que Kirsten aille lui poser quelques questions. Et s'il pensait que j'avais cherché à le manipuler pour me rapprocher de lui ? Il m'en avait parlé lui-même, qu'il pensait que j'étais un ancien client.

Mais j'ai peur. Peur que ça coule à néant le début de relation qu'on est en train de créer.

"Si c'était bien moi, ça te reviendra un jour," il me dit simplement. "Pour l'instant, profitons. Non ?"

"... ouais. T'as raison."

"Bien. Mangeons !"

J'ai du mal à décrocher mon regard de son profil. Il est vraiment bien fait, comme mec. Un nez joliment proportionné, un regard profond, entouré de cils fins - et il se raidit, visiblement dérangé par mon intérêt soudain.

"Ah, pardon !" je m'excuse, contrit.

"... je suis si beau que ça ?" il ironise.

"On peut dire ça..."

Oh. Foutue langue. Mais le voir ainsi rougir - ça valait le coup. Même si moi-même je ne dois pas être mieux.

"T'es le Roi des crétins," il prononce distinctement, avant d'engouffrer sa fourchette dans la bouche. J'ai un sourire, définitivement ravi de mon petit effet. Dans tes dents, gigolo de mes deux !

Puis une fois qu'on a terminé de manger, on reprend notre partie. C'est agréable de fonctionner de cette manière - on s'amuse, on papote distraitement, puis ça tourne en chamaillerie quand l'un n'a pas écouté l'autre, ou quand on part sans s'attendre - mais ça finit par des rires, des blagues nulles, une complicité naissante des plus confortables.

J'ai eu du mal à repartir.


 


 


 


 


 

Mais je devais retourner travailler, comme tout bon employé - ou juste bon ami qui n'a pas envie de mettre son super pote dans une merde incommensurable parce qu'il a juste pas envie de quitter le cocon mielleux de sa dernière rencontre.

Et me voilà affublé de ma tenue, avec une Krista visiblement éreintée de sa journée de cours. Quant à Eliott, il a fini par nous annoncer qu'il allait prendre une nouvelle personne en mi-temps. Ca lui épargnera les remplacements lorsque la miss est en cours. Puis apparemment, il aura quelques aides qui feront diminuer les sous à sortir - je ne connais pas exactement le fonctionnement à ce niveau-là, mais autant en profiter.

"T'as une idée de la personne ?" je lui demande, attrapant Krista sous le bras. Je suis assez surpris qu'elle me laisse faire.

"Non, mais ça ne sera pas difficile à trouver," il me dit, fronçant les sourcils en regardant la naine. "T'as cédé au charme de Lukas ?"

"On pourrait croire." Elle se dégage calmement de mon emprise. "J'rigole. Il est trop chiant pour que je craque sur lui."

"Tu me brises le cœur."

"En parlant de cœur, tu sais d'où il revient, l'enfoiré ?" rétorque Eliott, faisant mine d'être agacé. Et je me sens rougir - comment il peut être au courant, lui ?!

"Avec son mec ?"

"C'est pas mon mec," je grogne, me tournant vers Eliott. "Tu m'espionnes ?"

Il a un rire, moqueur.

"Je sais pas, tu pars à l'opposé de où tu habites, hier il vient carrément te chercher... ça devient sérieux entre vous."

"Ah, si tu savais." J'entends Krista pouffer - quelle idiote, celle-là. "A quoi tu penses, sorcière ?"

"Rien." Sourire blindé d'innocence. "C'est marrant de te voir comme ça. On dirait un ado amoureux."

J'ai une grimace. Venant d'une jeune adulte, qui s'échappe tout juste de l'adolescence, c'est carrément vexant comme comparaison. Eliott s'éclipse pour aller ouvrir le volet d'ouverture, tandis que je me contiens pour ne pas ébouriffer les cheveux de ma collègue - il faudrait qu'elle se recoiffe, et ça ne ferait que nous prendre du temps en plus inutilement. Je garderai ça pour plus tard.

Mais les problèmes commencent.

Cinq filles, et un mec, qui débarquent - pas dans le but de chercher une table, mais dans le but de chercher quelqu'un. Autant vous dire que mon sang n'a fait qu'un tour quand j'ai vu ma belle Krista pâlir.

J'ai laissé faire - ils ont pris une table pour quatre, où ils ont rajouté deux chaises.

"Ils embauchent vraiment n'importe qui, ici !"

J'ai une grimace. Bordel, c'est encore possible d'avoir une telle mentalité à cet âge-là ? Eliott me tanne d'un regard qui signifie clairement de ne pas m'en mêler.

Au moins, on a la réponse à notre question : Krista se fait visiblement emmerder, et pas qu'un peu. D'ailleurs, ça m'étonne encore plus de le voir se rendre à leur table pour leur souhaiter la bienvenue - est-ce qu'il va jouer le rôle du serveur pour m'épargner le fait de devoir me retenir de les égorger sur place ? Sûrement.

Cette dernière, mal à l'aise, semble ne plus savoir où se mettre. Quelle idée de venir sur son lieu de travail... sans savoir que la petite poupée est bien armée, ici. Ah, ça me ferait presque jubiler. Non, je ne dois rien faire allant à l'encontre des clients - mais cracher dans un verre, entre deux glaçons, ça pourrait être plutôt marrant, non ?

"Garde tes sales idées pour toi," il grogne, comme s'il lisait dans mes pensées. "On va pas s'en mêler, mais vous allez échanger les zones avec Krista. Comme ça, elle aura pas à les croiser. S'ils l'emmerdent, c'est moi qui m'en occupe. Compris ?"

"Ouais, ouais..."

Il s'en va prévenir la plus jeune, alors que j'accueille avec un sourire un petit couple.

Je passe le reste de l'heure à surveiller d'un œil la bande des six - plutôt discret comparé à leur arrivée -, manquant de me tromper à plusieurs commandes - au moins, ils auront de quoi jaser sur l'autre serveur qui n'est même pas foutu de retenir deux mots. Ou de ne pas bien les noter sur le papier - vous pensez vraiment que je m'emmerde à tout retenir ?

Mais il n'y aura rien de plus. Par contre, j'ai l'impression que Krista a enchaîné quelques nuits blanches dans cet espace de temps pourtant bien plus restreint. Elle fuit mon regard, comme pour éviter d'affronter la situation qui l'attend. Aujourd'hui, son secret n'est plus.

C'est une bonne chose, cependant. Soit ça va la débloquer pour nous en parler, soit... soit j'en sais rien. J'aimerais autant que ce soit la première option, et puis c'est tout.

Eliott a épargné à Krista la fin du service en la renvoyant chez elle - du coup, il est venu m'aider en salle. C'est dans ces moments-là que je le trouve plus qu'adorable.

Le soir, en rentrant, il m'envoie un petit message.

"Promets-moi juste que t'iras pas m'en cogner un ou deux pour protéger Krista."

J'ai un petit sourire amusé. Franchement, depuis quelques années, je me suis vraiment posé. C'est plutôt rare que j'en vienne aux mains - il faut vraiment pousser au delà de ma limite, qui certes, n'est pas grande, mais légitime.

Parce qu'il y a eu ce jour... ce jour qui m'a fait l'effet d'une claque. Une claque d'une violence...

C'est ce message qui m'a crée le déclic. Et là, le jour de notre rencontre m'est revenu en mémoire.

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Sorryf
Posté le 18/11/2019
J'ai eu un pic de culpabilité au moment Liam/William/Kiwilliam ! et aussi ça m'a rappelé de si beaux souvenirs en Irlande <3
Pardon d'avoir supprimé cette ref dans mon roman comme la pire des vendues T.T pour ma défense je mentionne toujours quelque part que Liam a un petit frère... et meme si je le dis pas je sais qui c'est moi !

Et sinon j'ai toujours relu avec grand plaisir, c'est tellement fluide, agréable ! mon moment préféré c'est "ça coute cher a entretenir ce truc ?" xDDDD
Adamska
Posté le 18/11/2019
Mwhehe c'est vrai <3
Pas grave, Kiwilliam dans nos kokoro 4ever !

Merci pour ton commentaire beauté des vendues <3
Eresia
Posté le 16/11/2019
En effet, cette fin est cruelle ! C'est pas très gentil de nous laisser comme ça ! Je proteste !

Chipotages et autres remarques :
"juste au départ de Will" > après le départ de Will.
"Il a cru que je voulais coucher avec lui," > j'ai tellement envie de me moquer de Lukas, genre : mec, oui, c'est ce qui arrive entre gens qui se plaisent. xD
"Fais quand même attention. Qu'il n'essaie pas de faire de toi un client potentiel, mh ?" > Mais euh, genre il lui offre un échantillon gratuit pour le fidéliser, comme une drogue ? C'est ça l'idée ? xD
"Elle est pas trop adorable, comme petite sœur ?" > Comme souvent, je suis un peu perdue avec ta présentation de dialogue, j'ai eu du mal à trouver qui parlait.
"En plus, ses potes ont décidé de le nommer Kiwi." > OMG ! C'est juste un clin d'œil ou c'est un genre de fanfic en univers parallèle ? En vrai, peut importe, c'est juste beaucoup de curiosité. :D
"J'ai tellement envie de lui poser des questions personnelles" > nan mais moi aussi j'ai envie de l'inonder de questions du coup ! xD

Bon, maintenant j'attends la suite de pied ferme parce que bon, c'est quoi ce fichu souvenir !
Adamska
Posté le 16/11/2019
Hahaha mes excuses ! Et encore c'est Erenouille qui me bouge les fesses pour que je poste, parce que j'oublie un peu xD

Tu peux te moquer de Lulu, tu peux :D
Alors pour Kiwi, faut voir avec cette traitre de Sorryf, on a écrit nos fictions ensemble, donc chacun a fait référence au blondinet de l'autre ! Mais le mien est passé à la trappe chez elle, rip Will :(

Merci beaucoup pour tes commentaires, ça me touche vraiment beaucoup !!
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